« J’ai pratiqué la danse moderne pendant très longtemps. Il y a six ans, j’ai découvert le parkour et c’est devenu une composante importante de ma vie. Aujourd’hui, je me définis comme traceuse, et j’interagis autrement avec l’espace urbain.
Tout a commencé quand je faisais de la danse contemporaine. Un ami m’a montré des vidéos de parkour, et je trouvais que c’était assez proche esthétiquement de ce que je pouvais faire dans la danse.
J’ai monté un projet collaboratif avec des traceurs, et un an après j’ai décidé de commencer à prendre des cours. Au bout d’un moment, j’ai carrément arrêté la danse, et continué le parkour.
Au début, c’était plutôt le côté esthétique de ce sport qui me plaisait. Et puis j’ai accroché à l’ambiance et à la motivation que je pouvais recevoir de ceux qui pratiquaient et enseignaient ce sport.
À la danse, c’est souvent « peut mieux faire ». Au parkour, il y a toujours des choses à célébrer, il y a beaucoup moins de pression. Aujourd’hui, je pratique au rythme de deux à trois fois par semaine, en fonction des conditions climatiques.
Le parkour est souvent vu comme un sport dangereux, et ce n’est pas complètement faux puisqu’on pratique sur du béton. Mais la peur ne m’a jamais tellement bloquée.
Les conditions font qu’on apprend doucement, on mesure beaucoup les risques, on teste énormément avant de tenter quelque chose.
Donc, dans une certaine mesure, on essaie de préparer un saut qui peut être dangereux, au maximum au sol.
Les sauts qui me font peur, je vais essayer de les tester avant, analyser la longueur du saut, les surfaces… on arrive à maîtriser une partie des paramètres pour que le béton soit moins effrayant.
Je pense aussi que le fait qu’on réfléchisse beaucoup plus avant de sauter est finalement plus sécurisant. Si on avait des matelas et des tapis, on se ferait peut-être mal plus souvent, parce qu’on ferait potentiellement moins attention.
En un sens, ce sport m’a libérée de certains diktats. Je faisais très attention à mon corps quand je faisais de la danse, mais le parkour est une pratique plus positive à mes yeux. Et ce ne sont pas vraiment les effets sur mon corps qui m’intéressent le plus : c’est plutôt l’aspect politique de la pratique.
Ce sport me permet de me sentir légitime, d’occuper certains espaces que je ne me serais pas forcément appropriée avant. En tant que femme, ce n’est pas toujours facile d’aller dans certains endroits, d’occuper l’espace, de faire la démonstration de corps en mouvement. Mais c’est quelque chose d’important pour moi.
Avant, il y avait beaucoup de lieux que j’abordais négativement, des endroits que je voyais comme sales, dangereux, où il fallait marcher vite, où il ne fallait pas trop que j’aille la nuit… réinvestir ces lieux avec d’autres personnes, que ce soient des filles ou des garçons, et y construire nos compétences physiques, ça nous permet d’y associer des expériences positives.
Maintenant, je me sens plus à l’aise, j’ose davantage pratiquer dans certains espaces qui ont l’air privés, ou qui semblent trop jolis… je tente dans le doute, et je me dis “on verra si on me vire” !
Ce n’est pas toujours simple, surtout au début, d’oser faire des sauts, et différentes figures là où les gens vivent leur vie quotidienne. Mais avec le temps, on s’habitue et l’aspect de groupe joue beaucoup. Pour autant, le parkour n’est pas nécessairement un sport de groupe, on peut le pratiquer de manière autonome.
Mais, pour moi, c’est important d’avoir d’autres personnes autour de moi parce que ça entretient une dynamique collective, on se lance des défis. Ça m’arrive de pratiquer seule, mais de moins en moins parce que j’ai de plus en plus de potes qui en font.
Au départ, c’est vrai, j’avais envie de m’entraîner, je prenais mes baskets et j’y allais ! C’est pas évident de pratiquer toute seule, parce qu’on fait des choses qui sortent des normes donc on est tout de suite très visible et ça peut paraître un peu gênant.
Mais, en même temps, c’est assez libérateur de pouvoir faire son truc soi-même, les gens autour nous regardent bizarrement. On se dit alors que ces choses qu’on fait, ils ne savent pas forcément les faire !
Ce qui me plaît aussi dans le côté collectif, c’est qu’il y a de plus en plus de femmes dans ce sport. Pendant un temps, on faisait des entraînements en non-mixité avec mon asso, pour encourager les femmes à nous rejoindre. Les traceuses commencent à être visibles dans l’espace public, on les voit beaucoup sur les réseaux sociaux comme YouTube, Instagram… il y en a qui sont très fortes comme Hazal Nehir, Tamila, Sydney Olson…
Ces figures fortes permettent à d’autres femmes de s’identifier à la discipline plus facilement. Dans mon asso, je n’ai jamais ressenti de rejet, mais quand j’ai commencé c’était rare de voir des filles faire du parkour.
Au départ, c’est un sport qui a plutôt été investi par les hommes, il y avait pas mal une logique de boys clubs. Mais je vois que les choses commencent à changer, il y a de plus en plus une volonté de démocratiser le parkour.
Il y a aussi des femmes qui hésitent à se lancer parce qu’elles ont peur de ne pas avoir la force physique nécessaire. En fait, ce sport est accessible à beaucoup de monde, l’idéal étant de se faire accompagner par quelqu’un qui pratique déjà.
Il n’y a pas spécialement besoin de beaucoup de force, de compétences particulières… mais plutôt d’une méthode, qui peut être appliquée à tout le monde. Si tu es, par exemple, une femme qui a n’a pas fait de sport depuis longtemps ou un homme en surpoids…
Il y a toujours moyen d’utiliser la méthode du parkour pour jouer, pour s’amuser ! »