« Je suis née et j’ai grandi dans la banlieue ouest de Paris, loin de la mer. Les vacances d’été, je les passais plutôt du côté de l’Eure-et-Loir à faire du vélo et du roller, le bateau est venu bien plus tard, lorsque j’étais en école d’ingénieur. À cette époque, j’ai rejoint une asso et j’y ai rencontré un pote qui était à Centrale Marseille or à, Marseille, il y a la mer !
Un jour, en 2016, il me propose de le rejoindre pour un week-end bateau dans les calanques et, trois mois plus tard, il m’invite à participer à la Rolex Giraglia, une régate disputée dans la baie de Saint-Tropez. Je ne savais absolument pas naviguer mais j’ai trouvé exceptionnel d’évoluer au milieu de ces bateaux tous plus beaux les uns que les autres. Nous avons recommencé l’année suivante et puis, en 2017, je suis à La Défense où je travaille et je croise un garçon, Timothée, qui m’explique qu’il prépare la Mini Transat, à savoir, la traversée de l’Atlantique en solitaire sur un bateau de 6.50m.
À son retour, on déjeune ensemble et il me dit : « Mais toi, tu fais quoi de ta vie ? ». Mauvaise question, j’avais des journées à rallonge, des horaires de con, je m’étais séparée quelques temps auparavant de mon compagnon et je n’étais pas tout à fait remise…
Bref, peu de temps après ce repas, je croise un autre énergumène, Jean-René, avec qui j’avais navigué sur la Rolex Giraglia et qui, lui aussi, s’apprête à faire la Mini Transat. Je commence à cogiter et, en 2018, un peu aidée par Timothée, je me lance : je mets une option sur un bateau et je décide, moi aussi, de traverser l’Atlantique.
©Alexandra Lucas/Facebook
C’est comme ça que je me suis retrouvée à faire de la voile. Je n’avais, à mon sens, encore jamais rien fait par moi-même mais j’ai toujours aimé la mer, le bateau, la Mini Transat, ça avait l’air dingo. J’avais également des attaches aux Antilles, terre d’arrivée de la course, et puis il y avait cette sensation que tout ce que j’avais en tête s’évaporait dès que je posais un pied sur un bateau.
Moi qui ai un gros complexe de l’imposteur, je suis partie du principe que, comme je ne connaissais rien à ce sport, j’avais tout à me prouver. Sur ce, je reçois mon bateau en novembre 2019 et là, les débuts sont particulièrement ingrats.
J’étais basée à Lorient et j’étais à des années lumière des autres skippers qui naviguaient depuis qu’ils étaient tout petits. Je me suis néanmoins organisée comme je le pouvais pour venir le plus souvent possible, j’ai également participé à des entraînements encadrés par un coach renommé mais j’avais l’impression d’être inscrite à un concours d’éloquence alors que je ne savais ni lire, ni écrire, c’était assez étrange !
Quelque fois, il m’est arrivé de me demander ce que je faisais là-bas mais, heureusement, les gens ont été accueillants : la classe mini réunit des amateurs qui ont envie de vivre quelque chose d’exceptionnel et ça, c’était chouette car tout le monde essaie de s’entraider.
En 2020, c’est le coup dur, le Covid arrive et je ne peux pas beaucoup naviguer. Quand on peut enfin reprendre, je me mets un coup de pied aux fesses entre mars et mai 2021, je descends à Lorient tous les quinze jours. À cette époque, je suis en liste principale pour faire la Transgascogne en double avec un skipper chevronné qui a déjà traversé l’Atlantique sur un mini mais, finalement, ça ne se fait pas et je décide de partir seule.
Moi qui n’avais jamais passé une nuit seule en mer, j’avais un stress incroyable, mais la course s’est bien déroulée et ça m’a permis de me débrider : il s’est passé mille choses mais ça a été mille premières choses qui m’ont fait prendre confiance en moi. Après cette péripétie et bien d’autres, je parviens finalement à me qualifier pour la Mini Transat.
Les mois qui précèdent le départ, je panique pas mal, heureusement, mon copain est un bon coach pour gérer les moments où je suis complètement paumée, où ça ne va pas. Le grand jour est programmé pour le dimanche 24 septembre. Le samedi, j’ai l’estomac complètement noué.
Ma famille est là, mes parents, mes deux grands-mères de 90 ans, mon oncle, ma tante et mes cousins et on déjeune tous ensemble. Je suis contente de les voir même si ça rajoute un peu de stress au stress et je passe par toutes les émotions possibles et imaginables jusqu’au moment où on me dit : « Tu ne pars pas ! » La météo n’était pas favorable et le départ est reporté au lundi.
Le lundi, lorsque je m’élance enfin, je suis malade tant et si bien que je vomis dans le chenal. La première étape de la Mini Transat est un peu rude. Je commence vraiment à être dans la course à partir du troisième jour, lorsque je vais mieux physiquement. Là, on se paye un bon front, une trentaine de nœuds, et je me sens vivante comme jamais. Au total, je mets douze jours, j’arrive dans les derniers avec un seul regret : ne pas m’être fait confiance assez tôt, ce qui m’a joué des tours.
Pour autant, je n’ai eu aucune embuche technique, seulement des embuches psychologiques : tu craques parce que tu n‘as pas de vent, tu craques parce que tu vois que le gars d’à côté va un nœud plus vite que toi et tu te dis que tu es trop nulle, tu te demandes ce que tu fous là.
La 2e étape, elle, se passe extrêmement bien même si je l’ai trouvée un peu longue sur la fin, mais je kiffe les surfs sous spi (Un spi ou spinnaker, type de voile hissée à l’avant d’un voilier lorsque le vent souffle depuis l’arrière du bateau, Ndlr), les nuits étoilées… je suis juste rattrapée par mes peurs lorsque je réalise que je suis au milieu de l’Atlantique et qu’il vaut mieux qu’il ne m’arrive rien mais je mesure, en même temps, la chance incroyable qui est la mienne.
Cette aventure, c’était l’année dernière et j’en tiré un film documentaire et une exposition photos. Maintenant, quand on me demande : « Alors, Alexandra, tu fais quoi de ta vie ? » … et bien j’ai de quoi répondre, même je suis encore un peu ennuyée parce que mon sponsor, la région Île de France, m’a posé une autre question difficile : « On fait quoi après ? ». Pour le moment, je n’en sais rien si ce n’est qu’il faut que je retourne travailler, d’abord parce qu’intellectuellement, j’aime ça, et puis parce qu’il y a des factures à payer.
Je sais également que j’aimerais avoir des enfants, un projet auquel on travaille avec mon copain. Je pense que renaviguerai un jour, que je ferai encore quelques projets rock’n’roll, pourquoi pas une Jacques-Vabres ou une Cap–Martinique à moins que je ne grimpe le Kilimandjaro où que j’aille livrer je ne sais quoi à des gamins malheureux.
Pour être honnête, à part ça, je ne sais pas trop de quoi demain sera fait, mis à part cet été puisque j’ai été choisie pour porter la flamme olympique. C’est dingue !
Ce sera vraisemblablement le 20 juillet, a priori dans le 77, je suis hyper fière et depuis, je m’entraîne à porter des objets… Je vais d’ailleurs peut-être tenter un moonwalk pour faire durer le plaisir ! »
Ouverture ©Manon Le Guen