On est bien d’accord, les JO conçus en 1896 par Coubertin se voulaient un hymne à la virilité, une alliance « muscle et cerveau ». Autant dire, qu’en ce temps-là, la femme n’avait d’autre rôle que celui d’applaudir. Son absence sur le terrain sportif allait de soi.
En 1900, face à un mécontentement grandissant du sexe « faible », le baron cède (un peu) et propose d’inclure quelques épreuves « décentes ». Parmi elles, tennis, voile, croquet, golf ou encore patinage artistique : de la grâce mesdemoiselles, de la grâce ! On doit s’y amuser, davantage qu’y concourir.
Alors, lorsqu’en 1928, apparaissent les premières épreuves d’athlétisme ouvertes aux femmes (combat durement mené par la pasionaria du sport Alice Milliat), l’ambiance n’est plus aux petits sauts de biche et jupes à mi-mollets.
Les filles enfilent les shorts, cheveux au vent et regards de tueuse.
Ainsi est apparue Lina Radke, 25 ans, 55 kilos pour 1,69m, coupe à la garçonne, baskets conçues spécialement pour elle par Adi Assler, qui fondera vingt ans plus tard… Adidas.
Meilleure coureuse allemande de demi-fond, Karoline Batschauer est championne nationale en 1926 sur 1000m, record-woman mondiale du 800m, en 1927, ce qui la qualifie pour les JO.
La même année, elle épouse Georg Radke, le manager du club d’athlétisme de Baden-Baden. Bonne pioche, l’homme est un progressiste et accepte de l’entraîner pour les Olympiades.
les chaussures de course de Lina Radke signées Adidas, 20 ans avant la création de la marque…
Le 2 août 1928, à Amsterdam, le stade est bondé pour ces JO qui accueillent pour la première fois des athlètes féminines dans ses couloirs. Confiante, concentrée, Lina Radke s’aligne, avec huit autres concurrentes, au départ du 800m.
La course sera sienne du début à la fin, distançant ses adversaires avec près de huit mètres d’avance avant le dernier tournant. Son sprint final sera porté par la clameur d’un public exalté. Résultat : victoire de Lina Radke, doublée d’un record du monde en 2’16″8.
Derrière elle, les athlètes ne veulent rien lâcher et arrivent, exténuées, hors d’haleine, sous l’œil d’une caméra intransigeante. C’en est trop. Le CIO et la presse déclarent le spectacle « affligeant » et soutiennent que la constitution des femmes est trop fragile pour de telles distances.
Une presse qui se déchaîne et a trouvé son bouc émissaire : la victorieuse et recordwoman Lina Radke, apparemment trop applaudie pour être honnête.
Elle fustige ainsi son manque de féminité et l’humilie, lui reprochant d’avoir gagné sans grâce, aux côtés de « pauvres femmes », incapables d’atteindre le niveau requis, de par « leur constitution fragile et leur manque d’entraînement ».
Et si le couloir emprunté par Lina Radke lors de ce 800m ouvrait la voie au changement, le changement, ce n’était pas maintenant. Devant le tollé provoqué par cette équipée sauvage, le CIO interdit les courses supérieures à 200m aux femmes.
Le 800m féminin ne fera sa réapparition au programme officiel qu’en 1960. Soit trente-deux ans pour réhabiliter la femme sur les pistes d’athlé des Jeux Olympiques.
Lina Radke au coude à coude avec la Japonaise Kinue Hitomi, avant de s’envoler…
Après cet épisode plutôt cauchemardesque, Lina Radke ne plia pas et poursuivit ses entraînements, remportant encore quelques compétitions de haut niveau, avant de raccrocher les crampons à la fin des années 30. Elle devint entraîneure à Breslau, ville allemande devenue polonaise en 1945 et dont elle fut expulsée.
Dans sa fuite, Lina perdit sa médaille d’or. Le comité olympique est-allemand lui en offrira une copie en 1956. La championne s’éteindra le 14 février 1983 dans sa ville natale de Karlsruhe. Sans faire de bruit.
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