Roger Bambuck« J'ai fait ce que j'ai pu pour le sport féminin, je sais qu'il reste beaucoup à faire...»
Il est considéré comme l'un des meilleurs sprinters français de l'histoire. Mais Roger Bambuck fut aussi secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports de 1988 à 1991 et c’est sur cette période de sa carrière que nous avons souhaité revenir avec lui, plus précisément sur la place du sport féminin lorsqu’il était en fonction. Pour en comprendre l’évolution, les avancées ou non, il est précieux de regarder dans le rétro. Le sport féminin est un enjeu de société aujourd’hui, mais l’était-il à la fin des années 80 ?
Par Valérie Domain (avec Aurélie Bambuck)
Publié le 01 juillet 2021 à 10h24, mis à jour le 27 juillet 2021 à 17h43
Vous avez été secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports entre 1988 et 1991, quels souvenirs en gardez-vous ? Quels étaient alors vos grands chantiers ?
L’aménagement du rythme de vie des enfants fut l’un de mes plus gros chantiers car il a été déterminant de prendre en compte, non pas le temps de vie des enfants, mais leur rythme de vie avec toute une équipe de co-éducateurs : l’enfant va à l’école et c’est l’école qui le prend en charge ; chez lui, sa famille le prend en charge ; il va dans des associations sportives et culturelles qui, elles aussi, le prennent en charge… autant d’acteurs en charge de son éducation et qui doivent travailler ensemble.
Mes deux autres gros chantiers furent la loi de prévention et de lutte contre le dopage, première loi pour préserver la santé des sportifs de haut niveau et sanctionner les tricheurs et leur entourage ; et la mise en place de Profession Sport : à chaque association sportive d’avoir des professionnels qualifiés pour assurer leur encadrement. Cela a permis de reconnaître que l’encadrement sportif soit une véritable profession.
Quelles étaient les problématiques liées au sport au féminin à la fin des années 80 ?
Le sport féminin n’avait pas de reconnaissance par rapport au sport masculin, tant au niveau performance qu’au niveau capacité des femmes à exercer des responsabilités dans le sport, on ne leur reconnaissait pas de capacités.
Un exemple : avant mon arrivée, il y avait une loi qui imposait aux fédérations d’avoir des femmes dans leur conseil d’administration, sur le papier ça fonctionnait, mais, dans les faits, c’était un homme qui exerçait ces fonctions, les femmes servaient de faire-valoir. C’est ce qui me remontait officieusement. J’ai fait comprendre que je savais et que je n’étais pas d’accord.
J’ai demandé à ce que soient reconnus le rôle et la place des femmes dans le développement des sports, j’ai fait signer des contrats d’objectif qui le mentionnaient et j’ai suivi attentivement cette reconnaissance : j’allais voir ces femmes, je faisais des réunions avec elles.
Ce n’est pas la loi qui est importante, c’est le suivi de cette loi.
La femme dans le sport était donc un sujet sur lequel vous avez travaillé, mais ce n’était pas alors un sujet majeur pour tout le monde ?
En arrivant au ministère de la Jeunesse et des Sports, ma ligne directrice était le sport pour tous, et cela incluait les femmes, cela allait de soi pour moi.
Les textes de loi sur le sport pour tous existaient déjà avant moi : j’avais le sentiment que tout y était pour permettre le développement du sport féminin et l’implication des femmes dans les fédérations, mais, dans la réalité, les textes n’étaient pas suffisants pour donner corps à mon ambition.
J’ai fait ce que j’ai pu durant mes trois années au ministère, en termes de nomination à des postes clés dans les fédérations, en termes de soutien aussi.
Cela a-t-il permis de faire évoluer les choses ?
Mon principal chantier était de faire appliquer les lois existantes et les choses ont changé doucement, mais certainement.
Mais, vous savez, il y avait une banalisation des performances sportives féminines entre 1988 et 1991. On parlait de telle ou telle athlète qui gagne en fonction de son pays, mais pas en fonction de son genre.
Aujourd’hui, s’il y a une revendication d’une meilleure reconnaissance du sport féminin, c’est lié à un contexte socio-culturel : on se dit qu’une femme ne peut pas exercer seule des responsabilités dans un club ou une fédération…
Vous est-il arrivé d’être confronté à de l’indifférence, du machisme, du désintérêt quant au sport au féminin ?
Déjà, je ne parlerais pas de sport au féminin, mais de sport féminin. Le sport féminin est une entité globale et le sport au féminin, c’est isoler les femmes dans leur coin.
Je préfère donc parler de sport féminin, et je n’ai jamais été confronté à de l’indifférence ou du machisme.
En 1968, à Mexico, j’étais concentré sur mes performances, mais j’étais content pour Colette Besson qui a remporté la médaille d’or du 400m, je n’ai jamais minimisé sa performance d’athlète parce qu’elle était femme.
Je partage ma vie avec une ancienne athlète de haut niveau, Ghislaine Barnay, et je n’ai jamais fait de différence de genre, nous sommes tous athlètes.
Ghislaine Barnay et Roger Bambuck, couple à la ville qui a fait briller le sport français dans les années 60.
Aviez-vous affaire à des femmes, des hommes, des fédérations, des associations qui demandaient à l’époque à faire bouger les lignes sur le sujet ?
Cela ne s’exprimait pas aussi clairement que ça. Il y avait quelques femmes qui revendiquaient de prendre toute leur place et rien que leur place.
En athlétisme, par exemple, certaines postulaient à toutes les responsabilités. Dans le cadre de mes prérogatives, je leur donnais satisfaction.
Que pensez-vous de la place des femmes dans le sport, de la médiatisation du sport féminin, aujourd’hui ? Selon vous, cette place a-t-elle beaucoup, légèrement ou peu évolué depuis vos années en charge des sports ?
Les choses ont énormément évolué. Aujourd’hui, on voit des compétitions estampillées sport féminin qui occupent les unes des médias. Le regard des sportifs a changé aussi. Une fille championne est autant considérée qu’un garçon champion.
Mais il reste encore beaucoup à faire : il faut que tous les sports soient ouverts aux femmes, à tous les niveaux. Les Français ne mettent pas sur le même pied d’égalité la démarche sportive d’un homme et celle d’une femme.
J’ai découvert le football et le rugby féminin qui n’existaient pas à mon époque où il y avait le cyclisme, la gymnastique, l’athlétisme, la natation.
Dès lors, je prends beaucoup de plaisir à regarder les matches des équipes de France féminines de rugby et de football.
Quelles sont les championnes qui vous ont marqué ?
À mon époque, c’est Christine Caron qui m’a marqué, parce qu’elle était l’une des premières mondiales en natation.
Il y a eu aussi Geneviève Gambillon dans les années 70, elle a été championne du monde de cyclisme avant Jeannie Longo, elle m’a épaté car elle travaillait en plus de ses entraînements et, grâce à cela, elle a réussi à devenir championne du monde, elle n’avait pas de sponsors, rien.
Il y a bien sûr Ghislaine Barnay, elle a eu un parcours classique et original à la fois. Elle est passée par l’école, le club, les compétitions scolaires.
L’originalité vient de son milieu qui n’était pas sportif et, grâce au sport, elle a réussi à sortir de la ligne que les autres avaient tracé pour elle.
La Française Christine Caron aux Jeux de Tokyo, en 1964. Spécialiste du dos sur courtes distances, elle fut 29 fois championne de France.
Regardez-vous du sport joué par des femmes ?
Au-delà du foot et du rugby, je regarde le tennis, le basket et bien sûr l’athlétisme !
Roger Bambuck a été le meilleur sprinter français de niveau international sur la distance reine du 100 m, mais aussi sur le 200 m. Il est le seul Français à avoir détenu, en 1968, le record du monde du 100 m, en 10 secondes, lors des championnats des États-Unis, à Sacramento. Un record battu le jour même par l’Américain Jim Hines, en 9 secondes 9. Peu importe, Roger Bambuck est et restera l’un des hommes les plus rapides sur la ligne droite. Membre du relais 4 × 100 m, il remporte le bronze aux Jeux Olympiques de Mexico 1968 et est finaliste du 100 m et du 200 m. 1968, l’année où il met également un terme à sa carrière de sportif de haut niveau.
Ouverture : le skate park de Darwin, à Bordeaux, est baptisé du nom de Roger Bambuck
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