Elisa De Santis« Quand je joue au flag football, je deviens un chat sur le terrain. »

Elisa De Santis : « Quand je joue au flag football, je deviens un chat sur le terrain. »
Pionnière du flag féminin en France, ambassadrice à l’international, Elisa De Santis, 34 ans, est bien dans ses crampons. Alors que ce sport méconnu, petit frère du foot américain, court vers la discipline olympique, celle qui est l’une des meilleures joueuses du monde ondoie avec une agilité sans pareille sur les terrains, une décontraction de façade mais une concentration de pro.

Par Claire Bonnot

Publié le 11 octobre 2023 à 15h37, mis à jour le 16 janvier 2025 à 12h24

Même si tu pratiques aussi le football américain, ton sport de prédilection, c’est le flag football, un dérivé du foot américain mais où les contacts sont prohibés et les plaquages remplacés par l’arrachage de bandes de tissus, dit flag, accrochées à la ceinture des joueurs. Tu es la capitaine de l’équipe de France de flag, championne du monde en 2006 et Championne d’Europe en 2007. Tu gagnes ta première distinction en tant que MVP en 2007, soit meilleure joueuse du Championnat d’Europe… Un sacré palmarès ! Comment as-tu découvert le flag football, discipline encore peu connue chez nous ?

C’est à l’école primaire que tout a commencé. J’arrivais du judo mais je voulais faire du foot classique alors quand j’ai vu « Flag Football » sur une affiche, mes yeux ont tilté sur « Football » et j’ai essayé. J’avais 10 ans.

J’ai tout de suite aimé les passes avec le ballon car le moment où tu dois l’attraper n’est pas toujours évident, on court dans une direction, il y a le défenseur, la balle arrive généralement fort sous un angle compliqué. Il y a donc cette satisfaction de réussir à mettre la main sur le ballon et c’est une sensation que j’aime beaucoup. On se sent un peu comme un chat, il faut avoir de l’agilité car il y a beaucoup de déplacements, de jeux de pieds, il faut aller à droite à gauche et ne pas se faire attraper ! J’adore ça.

J’ai eu la chance d’avoir un entraîneur génial dans ce club, très structuré, qui nous poussait à faire toujours plus, à se dépasser. On faisait déjà de la compétition.

Le flag football peut se jouer en équipes mixtes, à 5 contre 5, ça a été le cas pour toi ? Comment ça se passait sur le terrain avec les garçons ?

Oui, dans ce club de flag, j’étais la seule fille. À cet âge-là, on ne communique pas trop, je venais m’entraîner, je partais. C’est plus moi, intérieurement, qui me disais qu’il fallait que je sois au niveau et que je devais faire ma place. Mais ça se passait très bien.

En parallèle, j’ai débuté en équipe de France catégorie jeunes – moins de 13 ans. On gagnait tout le temps le championnat national, j’ai fait mon premier championnat d’Europe à 12 ans. J’aimais beaucoup ça !

J’ai ensuite changé de club à 16 ans parce que mon ancien club ne prenait que les plus jeunes. Et j’ai été surclassée pour jouer en équipe de France senior. C’était la première fois que je jouais exclusivement avec des féminines.

Au même moment, l’un des entraîneurs m’a proposé de jouer au football américain en cadet. J’étais à nouveau la seule fille et ça s’est super bien passé. C’était les Molosses d’Asnières-sur-Seine (l’un des meilleurs clubs de France, ndlr). Je cumulais un ou deux entraînements de flag par semaine et deux à trois pour le football américain, tout en faisant mes études à côté.

©FFFA Officiel

Et tu as finalement créé une section féminine des Molosses en 2015, pourquoi ?

Il y a eu des changements d’organisation du championnat de flag football. La première partie de saison se jouait entre garçons d’un côté et filles de l’autre et la seconde en mixte. Je devais donc me trouver une équipe féminine en plus de celle de mon club qui était mixte si je voulais participer au championnat.

Il y avait déjà une section de football américain exclusivement féminine dans mon club mais pas pour le flag. J’ai donc créé, à l’âge de 25 ans, une section féminine de flag au sein des Molosses, les Redlips , avec des filles que j’avais vu évoluer sur le terrain et qui avaient du talent. J’en suis devenue la coach, je faisais les entraînements, les cahiers de jeux, les stratégies…

©FFFA Officiel

Si tu devais faire un retour d’expérience, tu vois des différences entre le flag avec des joueurs et celui avec des joueuses ?

Je dirais que je suis contente d’avoir débuté le flag et commencé ma carrière avec des garçons parce que ça va très vite, donc je me suis sentie tirée vers le haut. De là, je pense avoir pris de bonnes habitudes.

Je n’ai jamais eu de soucis en fait, j’ai toujours eu des entraîneurs qui me faisaient confiance. La seule chose peut-être, c’est que, parfois, les garçons sont surpris de ce qu’on peut faire sur le terrain parce qu’on est une fille. Quand on attrape une balle difficile, ça arrive que l’on entende des « Wahou » ! C’est pas méchant mais ils n’auraient pas la même réaction avec un mec qui fait une belle action.

Les filles semblent donc totalement maîtriser le terrain de jeu de ce monde du flag ?

Oui car, de toute façon, vu que le championnat demande une partie de jeu en mixte, si les mecs veulent gagner, ils doivent obligatoirement nous inclure ! On est donc autant poussées que les garçons.

En tant que créatrice d’une équipe féminine et avec un tel parcours, tu es un rôle-modèle pour les filles. Tu en es consciente…

Sur le moment, j’ai créé une équipe féminine parce que j’avais envie de pouvoir jouer les matchs mais c’est vrai qu’après avoir reçu des messages à plusieurs reprises, je me suis rendu compte de mon impact. On m’écrivait que je motivais énormément. Une petite jeune m’a dit : « Tu es mon modèle en équipe de France » !

Que dirait la coach en toi pour pousser des filles à choisir ce sport, pour recruter de futures joueuses de flag ?

C’est un sport complet qui demande pas mal d’habilités physiques mais qui est adapté pour différents types de gabarits.

Par exemple, au poste de quarterback, la joueuse ne doit pas forcément être la plus rapide du monde ou être super athlétique. Le plus important, c’est qu’elle ait un bras précis, une compréhension et une vision du jeu. Tandis que le receveur, à la défense, doit avoir, le plus possible, de la rapidité. S’il en manque, ça peut être compensé par d’autres qualités comme savoir se libérer, trouver les trous dans le jeu, avoir de bonnes mains.

Il y a deux aspects dans le flag : l’aspect physique qui demande de courir, d’avoir de l’agilité dans les pieds et surtout les mains, et un aspect plus tactique – plus important que dans beaucoup d’autres sport d’ailleurs – où l’on doit apprendre des cahiers de jeux avant le match et des combinaisons qui peuvent bouger après chaque action à la demande du coach.

©FFFA Officiel

Tu t’engages pleinement pour le développement du sport féminin et la reconnaissance du flag football dans le monde, tu viens d’ailleurs d’être nommée ambassadrice du « Global Flag Football » aux côtés de joueurs de légende de la NFL, National Football League, l’association d’équipes professionnelles du football américain. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?

Oui, en juin 2023, je suis devenue ambassadrice mondiale pour le flag football, un statut donné par la NFL et l’IFAF (la Fédération Internationale de Football Américain, Ndlr). L’idée est d’aider au développement du flag football à travers le monde, joué dans plus de cent pays, hommes-femmes confondus et par tous les âges.

Le flag football milite d’ailleurs pour son entrée aux JO 2028 de Los Angeles. Le comité d’organisation LA2028 vient de dévoiler les cinq sports additionnels qu’il propose et le flag football en fait partie…

Oui, on espère y aller. Nos arguments sont simples : c’est un sport très beau à voir, très visuel, stratégique. Les jeux de jambes, les passes de ballon peuvent être dingues. C’est vraiment du spectacle !

Est-ce que tu es considérée comme une joueuse professionnelle ?

Depuis décembre 2021, le flag football a été reconnu « second sport de haut niveau de la FFA », mais on n’est pas encore totalement considérées comme des sportives de haut niveau.

Côté financement, contrairement à ses débuts, la Fédération n’a plus assez de subventions pour le flag et c’est pareil, d’ailleurs, pour les équipes masculines, peut-être parce qu’elle doit aussi financer le football américain et le cheerleading.

Cet été, pour les World Games, 75 % des frais de l’équipe de France étaient couverts par la Fédération. Je suis donc obligée de travailler à côté, je suis coach en salle de fitness, parce que j’ai beaucoup de frais quand je pars en compétition. Et, en parallèle, je cherche des sponsors.

©FFFA Officiel

Si on en revient au jeu à proprement parler, quels sont tes atouts pour ce sport ?

J’ai des « mains sûres » comme on dit. J’attrape quasi tous les ballons, tout ce qui passe. En tant que receveur – personne qui joue en attaque – c’est primordial. Et puis, je crois avoir une bonne vision du jeu.

Sinon, je ne suis pas très rapide en ligne droite mais j’ai une bonne agilité, de bons réflexes au niveau des pieds et de bons changements de direction.

©FFFA Officiel

Comment tu te sens quand tu joues au flag football, quels sont tes ressentis sur le terrain ?

Sur les grosses compétitions, je suis bien concentrée, je suis dans l’analyse. Quand je me mets en place, je m’ajuste par rapport à l’adversaire, en fonction de sa stratégie. Durant tout le match, j’ai la tête sur les épaules et les yeux rivés sur le score. Hors du terrain, c’est autre chose. Avec mon équipe des Redlips, autant on a un côté « bons petits soldats » pendant le jeu parce qu’on veut gagner à tout prix, autant, dès que le match est fini, on est désordonnées, dans la blague, à s’amuser !

©FFFA Officiel

Tu as beaucoup gagné durant ta carrière. Aujourd’hui, quels souvenirs forts te reviennent ?

J’ai tendance à ne pas me rappeler de mes matchs, mais j’ai quand-même un sacré souvenir des Championnats d’Europe 2007 en Italie ! Au moment du match, j’étais un peu « hors de la galaxie », j’étais comme un robot qui exécutait ce que le coach demandait du tac au tac.

Et j’ai fait de belles actions, j’ai attrapé de beaux ballons alors que la défense me pressait. Je ne pensais à rien, je ne connaissais même pas le score, je faisais à fond tout ce qu’on me disait. Et c’est vrai que j’entendais les gens sur le bord de touche dire « MVP ! MVP ! » quand je passais mais je n’avais pas conscience que j’étais en train de faire un gros match. Puis quand le coup de sifflet a retenti, j’ai vu mes coéquipières courir dans tous les sens et j’ai compris petit à petit que le match était fini puis qu’on avait gagné… J’étais totalement dans mon jeu en fait, j’avais perdu la notion du temps ! Et puis, l’autre souvenir marquant, c’est la remise des trophées personnels qui a suivi. Quand ils m’ont appelée pour le MVP féminin, je ne m’y attendais pas du tout et je me suis dit : « Oh, c’était donc pour ça qu’on me le disait pendant le jeu ? ».

Sinon, en juillet 2022, même si notre palmarès n’était pas fameux, il y a eu les World Games qui ont été un super moment et pour lequel le flag football a fait son entrée ! Ils sont organisés sous le patronage du Comité International Olympique pour les sports qui ne sont pas encore olympiques et auraient des chances d’être intégrés à la liste.

Tu as aussi connu des moments plus difficiles, ceux-là te restent davantage en mémoire ?

En fait, c’est souvent lié à mes retours de compétitions internationales. En revenant en France, on doit jouer dans le niveau français et l’écart est très important, donc j’ai toujours une petite baisse de motivation.

Quand j’ai commencé, en 1999, on était en avance en France sur le développement du flag football qui avait débarqué chez nous dans les années 1990, mais il y a eu une stagnation ensuite et la Fédération n’a plus envoyé d’équipe de France à l’international pendant trois-quatre ans.

Depuis, ça a repris et on a de très bonnes joueuses de talent, athlétiques, mais on n’est pas assez nombreuses. Si une de nos joueuses pros ne peut pas venir pour telle ou telle raison, c’est très difficile voire impossible de trouver une joueuse titulaire du même niveau pour la remplacer.

Chez les garçons, il y a plus de monde parce qu’ils recrutent auprès des équipes de football américain. Chez les filles, il n’y a pas eu de section féminine de foot américain pendant longtemps… (Le premier Championnat de France féminin de football américain a eu lieu en 2015, tandis que le Championnat de France masculin a débuté en 1982, Ndlr).

Tu te souhaites quoi pour la suite de ta carrière ?

De pouvoir participer aux Jeux Olympiques ! En espérant que ça marche pour 2028… Pour le reste, c’est simple : continuer à jouer dans l’équipe nationale. Et encore un bon moment…

 

  • Les chiffres 2023 fournis par la Fédération Française de Football Américain (FFFA) attestent d’un nouveau record, 29 000 licenciés, football américain, flag et cheerleading confondus. (+ 4000 adhérents en un an).
Ouverture ©Les Molosses d'Asnières

Vous aimerez aussi…

Flora Vautier : «  Je veux montrer qu’on peut être sportive et aimer la mode et le maquillage.  »

Flora Vautier : «  Je veux montrer qu’on peut être sportive et aimer la mode et le maquillage. »

Longue chevelure blonde attachée en perfect ponytail, regard félin et énergie bondissante, Flora Vautier, la divine, est la nouvelle sensation du handisport français depuis les JOP de Paris. La première Française de sa catégorie en tennis de table et 10e mondiale s’est offert sa première médaille olympique à 19 ans, sous les hourras du public. Solaire, combative, la pongiste basée à Nîmes travaille son service de ping jusqu’au bout des ongles. Et entre deux franches rigolades.

Lire plus »
Léa Casta : « Je me sens trop bien sur un snow. J'ai juste hâte que la saison commence ! »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Le retour sur le terrain de nos handballeuses tricolores, le questionnaire sportif d’une discobole, les confidences d’une nouvelle ambassadrice ÀBLOCK!, une navigatrice qui n’a pas froid aux yeux et notre dernier spécial Kids de l’année, c’est le meilleur de la semaine. Enjoy !

Lire plus »
Lucie Hautière, la para pongiste qui rêve de breloques

Lucie Hautière, la para pongiste qui rêve de breloques

Pour sa première participation aux Jeux Paralympiques de Paris 2024, elle vise le podium. Tout simplement. Depuis des années, Lucie Hautière, 24 printemps, tape la balle par passion, elle qui s’entraîne sans relâche pour que le para tennis de table français vibre au son de la Marseille.

Lire plus »
Florian Grill : « Le challenge de la décennie, c'est de voir exploser le rugby féminin ! »

Florian Grill : « Le challenge de la décennie, c’est de voir exploser le rugby féminin ! »

Il est à l’origine d’une (r)évolution dans le rugby féminin. Engagé depuis des années pour le développement de la pratique féminine, qu’elle soit pro ou amateur, Florian Grill, président de la fédé de rugby, compte prouver que les filles en ont sous les crampons, notamment à l’occasion du Six Nations qui se joue en ce moment, mais surtout de la Coupe du Monde de rugby à XV qui aura lieu cet été en Angleterre. À ce stade, on le croit.

Lire plus »

Paris tire à l’arc !

Si les Jeux Olympiques de cet été arrivent à grands pas, les tireurs ciblent encore leur billet pour Tokyo. La Fédération Française de Tir à l’Arc organise un tout dernier tournoi de qualification pour les Jeux, suivi d’une étape de la Coupe du Monde. Armez vos arcs !

Lire plus »
Margaret Abbott JO 1900

JO 1900 : Margaret Abbott…la prem’s !

Quelques gourmandises historiques à picorer ? Pour patienter jusqu’aux prochains Jeux Olympiques de Tokyo, à partir du 23 juillet, ÀBLOCK! vous propose de revisiter l’Histoire de cette compétition prestigieuse via des anecdotes savoureuses à lire ici même deux fois par semaine. Place pour commencer à cette chère Margaret, glorieuse golfeuse sans le savoir.

Lire plus »
Laure Coanus

Le questionnaire sportif de…Laure Coanus

Arbitre de Jeep Elite, Pro B et Ligue Féminine de Basket (LFB), Laure Coanus est sur tous les terrains, sifflet juste et gestes assurés. Entre deux rencontres sportives, elle répond à quelques questions simples, mais si révélatrices !

Lire plus »
Clara Valinducq : « À la fédé d’aviron, on m’a tellement répété que j’étais nulle que j’ai fini par y croire. »

Clara Valinducq : « À la fédé d’aviron, on m’a tellement répété que j’étais nulle que j’ai fini par y croire. »

L’ex-championne d’Europe et championne de France d’aviron, Clara Valinducq, affirme avoir été victime, au sein de la fédération, de harcèlement moral jusqu’à tomber dans des troubles du comportement alimentaire sévères et dans la dépression. Aujourd’hui, elle dit vouloir tout raconter afin d’être « aidée » et de recommencer « à vivre ». Contacté par ÀBLOCK!, le directeur de la Fédération française d’aviron demande à l’auditionner pour éclaircir les faits.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner