Servane : « Quand le sport te dévore, le plaisir devient un besoin. »Pratiquante de cyclisme, d'aviron, traductrice, 49 ans
Elle a eu besoin de faire jusqu’à six heures de sport par jour. Servane Heudiard est bigorexique, un terme qui désigne une addiction pathologique au sport. Écrire lui a permis de prendre de la distance, de retrouver le plaisir et d’alerter sur les dangers de la pratique à outrance.
Propos recueillis par Sophie Danger
Publié le 20 janvier 2022 à 13h11, mis à jour le 25 mars 2022 à 17h13
« Toute petite déjà, j’étais une vraie pile électrique. J’ai commencé à pratiquer l’équitation très tôt et ça m’a passionnée tout de suite.
Par la suite, je suis venue au tennis. Mes parents y jouaient et c’était une manière de faire un autre sport. Plus tard, il y a eu le vélo et l’aviron.
Pour l’aviron, j’ai longtemps hésité à franchir le pas mais, une fois que je l’ai fait, c’est devenu, là encore, une passion dévorante. C’est un sport exceptionnel.
Quand je pratiquais ces activités, plus jeune, j’évoluais dans un milieu qui n’était pas l’école et je n’y fréquentais plus les mêmes enfants. Le sport m’a permis de créer d’autres liens.
C’est grâce à cela que l’on a commencé à me juger pour qui j’étais. Je n’étais plus la fille du professeur, la fille de la maîtresse mais Servane, une sportive comme les autres. Le regard des autres me pesait moins.
Le sport m’a également permis de maîtriser mon corps. J’étais, ce que l’on appelait à l’époque, un garçon manqué, sans aucune attirance pour tout ce qui est féminin.
Cette féminité, je ne la redoutais pas, je la boudais complètement. Si j’avais pu naître garçon, ça aurait été cool.
Le sport, en ce sens, m’a permis de me construire et psychologiquement, et physiquement.
Je ne sais pas quand mon comportement a basculé dans l’addiction. C’est comme pour un alcoolique ou un fumeur. Un fumeur ne passe pas d’une cigarette à un paquet par jour, c’est progressif. C’est quand il en est à deux paquets quotidiens qu’il se rend compte qu’il y a un problème, qu’il est allé trop loin.
C’est la même chose pour l’alcool, du moins j’imagine. On ne passe pas d’un verre par jour à une bouteille du jour au lendemain.
L’addiction au sport, c’est exactement pareil. Au départ, j’avais besoin de faire du sport presque tous les jours. Même si, pour certains, une heure de pratique quotidienne peut paraître beaucoup, ça restait tout à fait raisonnable. C’est monté petit à petit.
Ceci étant, quand on est bigorexique, on sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ça ne se résume pas à une seule histoire de quantité parce que, moi, même encore aujourd’hui, j’ai besoin de faire beaucoup de sport.
On se rend réellement compte que quelque chose ne va pas quand on va faire une séance tout en sachant qu’il y a un danger, quand on n’en a pas du tout envie mais que l’on y va quand même. À ce moment-là, ce n’est plus du sport pour le plaisir, ça devient un besoin.
La bigorexie, en ce sens aussi, est une saloperie. Se forcer à faire du sport est un comportement partagé par beaucoup mais, dans mon cas, c’est tous les matins, 365 jours par an.
Or, quand les gens te voient à vélo alors qu’il fait mauvais, ils te disent que tu es courageuse et ce regard-là, bienveillant, n’aide pas. C’est tout sauf du courage, c’est un impératif : il faut que j’aille faire du sport et tant pis si je suis crevée.
Quand les gens ramènent ça à de la force de caractère, je leur dis que non, je ne suis pas forte, je suis complètement con parce que j’étais fatiguée, que je manquais de lucidité et que je risquais l’accident.
Des accidents, j’en ai eu trois et, chaque fois, j’ai été immobilisée. Quand je suis empêchée de pratiquer, c’est l’enfer, le malaise est physique. Moi qui, en plus, ai énormément besoin d’être en extérieur, je ne pouvais plus sortir.
J’ai vécu ces moments comme une double peine. Psychologiquement, c’est une catastrophe. Je perds tous mes repères, je deviens irritable, je suis totalement sur les nerfs.
Aux pires périodes de mon troisième accident, j’ai même refusé toutes les visites parce que je savais que j’aurais été invivable.
Jusqu’à ce que mon livre* sorte, personne autour de moi ne savait que je faisais autant de sport. C’est aussi ça le propre du bigorexique.
Par exemple, si en rentrant le matin chez moi, je croise un voisin et qu’il me demande si j’ai fait beaucoup de vélo, je sais que si je réponds « Oui, j’en ai fait trois heures et j’ai parcouru 70 kilomètres », il va me prendre pour une cinglée et peut-être qu’il aura raison.
Par conséquent, je ne le dis pas. Je dis simplement que j’ai fait du vélo mais je ne donne pas de kilométrage. C’est pareil pour tous les bigorexiques. Rien que ce comportement-là signifie que l’on sent, quelque part, qu’il y a un problème.
Au quotidien, cette pathologie est handicapante. Certains bigorexiques perdent des contrats ou des boulots à cause de ça. Moi, ça n’a jamais été le cas. Je n’exerce pas en qualité de salariée.
Le sport me permet de faire un break, de réfléchir, de me régénérer mais, je l’ai toujours dit, le sport ne sera jamais prioritaire sur mon boulot. Si je dois sacrifier une heure de vélo pour le travail, je le fais.
Ça a aussi des conséquences sur la vie sociale. Moi ça m’est égal. Je n’ai pas beaucoup de relations sociales en dehors de l’aviron et du vélo et ça ne me manque pas.
Cela étant, est-ce que je me dis que ça ne me manque pas parce que je fais plein de sport ou est-ce que c’est précisément parce que j’ai peu de relations sociales que je rebascule à fond dans le sport ? C’est l’histoire de la poule et de l’œuf, mais je n’ai pas l’impression d’en souffrir.
La bigorexie est une pathologie reconnue depuis 2011. Est-ce qu’il existe des solutions pour s’en défaire ? Je ne sais pas.
Les thérapeutes avec qui j’en ai parlé ne connaissent pas le phénomène. Quand je leur demande si quelqu’un est venu pour ça en thérapie, la réponse est donc évidemment non.
J’imagine cependant que, comme pour n’importe quelle addiction, une prise en charge thérapeutique peut aider mais, là aussi, il faut d’abord en soigner la cause.
Me dire : « Je vais arrêter d’être bigorexique » est déjà un grand chemin de parcouru. Je me qualifie dorénavant de « bigorexique raisonnable », ce qui signifie que j’ai gommé tous les comportements dangereux comme partir à vélo alors que je dors devant l’ascenseur par exemple.
La semaine passée, il avait gelé et il y avait un risque de verglas. J’ai laissé mon vélo, j’ai pris mes baskets et je suis allée marcher tranquillement dans le bois. Tous les copains ont roulé ce matin-là, je me suis fait chambrer mais je m’en fiche et j’assume. Je suis même fière de moi de ne pas y être allée car il y avait un risque.
Aujourd’hui encore, je fais cinq heures de sport par jour et je conçois que c’est beaucoup, trop certainement pour certains. Je ne lutte pas contre mais, si je n’ai pas envie, que je suis fatiguée ou qu’il fait trop mauvais, je n’y vais pas, ce qui n’arrive, honnêtement, que très rarement.
Écrire mon livre a été compliqué. C’était difficile de me livrer et j’ai dû m’arrêter deux fois parce que ça remuait trop de choses. Je l’ai fait néanmoins parce que ça correspondait à une étape. Ça voulait dire que j’avais assumé et que, dorénavant, il fallait que j’arrête mes conneries.
Ce livre était important aussi pour dire que la bigorexie existe, pour mettre en garde les autres. Je n’ai eu que des retours positifs des lecteurs.
J’ai reçu, par exemple, un superbe témoignage d’une lectrice qui était en plein dans l’anorexie-bigorexie – les deux vont souvent de pair – et qui m’a écrit pour me dire que je l’avais sauvée parce que, grâce à moi, elle était allée voir un thérapeute et qu’elle s’en était sortie.
Pour ma part, avec l’âge, tout cela se calme un peu même si j’ai toujours beaucoup d’énergie à revendre et que je ne tiens pas trop en place. À presque 50 ans, je n’ai toujours pas confiance en moi et le sport continue de m’apporter l’équilibre psychologique dont j’ai besoin.
Je sais que, avec les années, le corps vieillit et j’y pense. En vélo, ça va, mais en aviron, un sport qui demande énormément de souplesse et de dynamisme, je sens que certaines choses deviennent plus difficiles.
Pourtant, ça ne m’inquiète pas. Tout cela va venir progressivement. Si, un jour, il faut rouler deux heures au lieu de cinq, ce sera dans la logique des choses.
Si je suis capable, quand je suis en pleine forme, de troquer une sortie à vélo par une sortie marche tout ira bien car, de toute façon, je ne me vois pas rouler cinq heures par jour jusqu’à 80 ans ! »
* Servane Heudiard, « le Sport, ma prison sans barreaux : témoignage d’une sport-addict », éditions Bold
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Pour elle, une seule discipline, c’est loin d’être assez. Elodie Bonnin est une multi-sportive et que ce soit pour un marathon ou un Ironman, cette amoureuse du sport donne tout ce qu’elle a. Et peu importe le challenge, c’est avec des potes qu’elle aime le relever. Témoignage d’une fille toujours en mouvement.
Elle ne vient pas d’une famille de militaires, mais a toujours eu une attirance pour les airs. Aujourd’hui, au sein d’une unité aéroportée, Céline fait partie des 5 % de femmes à avoir intégré les Forces Spéciales. Le sport est, pour elle, à la fois une source d’émotions fortes et le secret d’un mental d’acier. Témoignage d’une femme spéciale.
La présidente du Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF) était très attendue pour ces Jeux Paralympiques de Tokyo, ses derniers. La reine française du saut en longueur et ambassadrice du handisport n’a pas démérité et a remporté sa neuvième médaille paralympique, venant couronner une carrière exemplaire.
La Russie s’impose en… Russie. Les nageuses synchronisées russes Natalia Ishchenko et Svetlana Romashina, multiples médaillées mondiales et olympiques ont encore frappé. Le 26 juillet 2015, elles s’emparent de l’or mondial en duo technique à Kazan. Une médaille parmi d’autre sur ces championnats du monde où elles remporteront, en plus, un solo chacune mais aussi l’or sur le duo libre.
Le Podcast signé Aïda Touihri ,« Tu seras une femme », qui explore la féminité sous l’angle de la transmission familiale, propose dans cet épisode à deux voix de revenir sur une histoire sportive générationnelle, celle d’une mère footballeuse et de sa fille rugbywoman. Et c’est à écouter (aussi) sur ÀBLOCK!
En participant aux JO de Tokyo, l’été dernier, elle devenait la première athlète française à avoir participé aux Jeux Olympiques puis, trente-trois ans plus tard, aux Jeux Paralympiques. Claire Supiot est une force de la nature. Souffrant depuis 2008 d’une pathologie évolutive qui entraîne une faiblesse musculaire, elle a pu sortir la tête de l’eau grâce à la natation qui lui offre de quoi vaincre les flots de la maladie. Un exemple de résilience dans le monde du sport 100 % ÀBLOCK!
S’imposer dans toutes les sphères de sa vie grâce au sport, c’est tout le propos d’ÀBLOCK! qui s’associe, cette semaine, à l’opération menée conjointement par le ministère des Sports et le CSA, « Sport Féminin Toujours », en redonnant à quelques pionnières de l’univers sportif, à l’instar de Jessi Combs sur notre photo, la place qu’elles méritent. Grâce à elles, les femmes ont pu (peuvent), peu à peu, changer le monde et leur monde.
Les initiatives sportives se multiplient. Réseaux sociaux, sites internet, chaînes dédiées, il y a de plus en plus de programmes et tutos conçus par des coaches pour permettre à tout un chacun de se mettre en mouvement en toute sécurité. À vous de choisir !
Première championne de l’histoire de l’UFC, celle qui a ouvert le MMA aux femmes a su donner les coups qu’il fallait pour toujours se relever dans une vie traversée par les drames. L’Américaine Ronda Rousey, cascadeuse et actrice dans des blockbusters hollywoodiens, a écrit le propre film de sa vie à la force de ses poings et de son mental d’acier. Une combattante hors norme et une pionnière du game !
Les sportives de haut-niveau jouent un rôle fondamental, à savoir nous offrir l’image de la puissance féminine. Leur musculature participe à notre changement de mentalité. L’enjeu est immense.
Tout comme la culture, le sport au féminin est durement touché par la crise sanitaire. Mais alors que le théâtre a bénéficié d’une mise en avant grâce à une programmation régulière de ses pièces à la télévision, le sport au féminin n’a pas eu cette chance. Et si on le mettait en scène, lui aussi ?
Un mois de juillet sportivement chargé pour les filles ! Un Euro Foot (avec notamment la joueuse Ella Palis sur notre photo), un Tour de France Femmes… ÀBLOCK! les accompagne grâce à deux dossiers spéciaux. Et, toujours, notre série d’histoire(s) sur les faits marquants du sport féminin qui se sont déroulés les été passés. Bonne lecture !
Un rempart à toute épreuve. Cléopatre Darleux est une icône de l’équipe de France de handball et une gardienne de but multi-distinguée dans les compétitions internationales. La championne du monde 2017, épanouie et jeune maman, donne de la voix pour que les joueuses professionnelles soient soutenues dans leur projet perso autant que sportif. Un match qu’elle relève (encore) haut la main !
Elle a commencé la boxe pour mieux se relever. D’une maladie, d’un mental qui flanche. Sur le ring, Sandrine a trouvé sa voie. Et elle est repartie au combat. Témoignage d’une fille qui n’a pas peur de se mettre à nu.