Sophie Sauvage « Le foot féminin, ce n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres, c’est de l’investissement. »

Sophie Sauvage : « Le foot féminin, ce n’est pas de l’argent jeté par les fenêtres, c’est de l’investissement. »
Elle a mené le projet d'acquisition d’OL Reign, la franchise américaine de l’Olympique Lyonnais. Une expérience unique dans le domaine du football qui, pour Sophie Sauvage, la Head Of International Women’s Football de l’OL, peut contribuer à développer plus encore la discipline en France.

Par Sophie Danger

Publié le 18 octobre 2022 à 12h33

Vous représentez la franchise américaine de l’Olympique Lyonnais, l’OL Reign, dans les instances de la National Women Soccer League (NWSL), la ligue professionnelle du football féminin aux États-Unis. Quest-ce qui vous a donné envie de vous engager pour le football féminin ? 

Jai fait du football lorsque j’étais petite mais, à l’époque, comme il ny avait pas beaucoup de clubs, jai fini par jouer au tennis. Il reste, malgré tout, que jaime ce sport et ce depuis toujours : jallais au stade avec mon père, je regarde tous les matches.

Professionnellement, jai un profil fusion-acquisition. Javais travaillé pour lOL dans ce cadre sur deux levées de fonds. Lorsque, dans loptique du développement de la marque, le projet de s’étendre dans la ligue américaine a été formulé, ça m’a parlé à double titre : c’était du football et il y avait un deal à faire.

Jai fait le pied de grue auprès des gens du club, de Jean-Michel Aulas, du management en leur disant : « Vous ne trouverez personne de mieux que moi pour mener ce projet. » Jai eu de la chance, ils ont été daccord.  

Sophie Sauvage représente la franchise américaine de l’Olympique lyonnais, l’OL Reign, dans les instances de la NWSL.

Le sport féminin est généralement le parent pauvre du sport avec moins de moyens, moins dexposition… Mais la situation évolue et notamment en ce qui concerne le football. On évoque souvent un évènement clé pour expliquer cette mise en avant : la Coupe du monde disputée en France en 2019, mais aussi l’élan impulsé par certains grands clubs au premier rang desquels lOL. Selon vous, quel rôle a joué Lyon dans l’évolution du football féminin en France ? 

Je pense que la vision de Jean-Michel Aulas a été décisive pour le développement du football féminin. Il a décidé dinvestir et, dans un jeune sport, cest un passage obligé sinon ça ne fonctionne pas. Je dis jeune sport parce quil faut se rappeler que le football féminin na été reconnu quen 1970 par la Fédération Française de Football, cest récent.

Lyon a été le premier club à investir, à faire en sorte que ces femmes aient la possibilité de faire de ce sport leur métier, cest-à-dire d’être rémunérées pour donner le meilleur delles-mêmes.

Devenir sportive professionnelle nest pas quelque chose que lon peut faire à mi-temps. Il faut un cadre qui permette de donner le meilleur de soi-même et cest ce que lOL, par son engagement, a mis en place de manière différente des autres clubs.   

Investir dans ce domaine, au début des années 2000, était une stratégie risquée, possiblement un investissement à perte

Le reproche général formulé est de dire que le football féminin ne rapporte rien. Tout dabord, je ne sais pas si le football masculin rapporte à tout le monde et, deuxièmement, un investissement se construit dans le temps.

Ce nest pas de largent jeté par les fenêtres, cest de linvestissement, pas uniquement de la dépense. On investit mais on ninvestit pas à perte, juste avec la conscience que le rendement ne sera pas pour tout de suite.

À l’époque où l’équipe féminine a été créée, on surfait sur les titres. Je crois que le président a pensé quil avait une équipe masculine qui fonctionnait très bien et quil y avait une opportunité d’élargir le champ daction du club. Il sest dit : « Pourquoi être sur une jambe alors que je peux me reposer sur deux  ? », c’était ça sa vision, une vision en faveur de l’égalité.

Cest dans ses valeurs et cest ce quil apporte au quotidien. Ça commence par le sportif et maintenant que ce domaine a fait ses preuves, l’économique va suivre petit à petit.

L’équipe féminine de l’Olympique Lyonnais… ©Damien GL/OL

Est-ce que vous vous êtes inspirée dun modèle existant ailleurs pour mettre en place et développer cette section féminine ? 

Immédiatement après la reprise du FC Lyon, le président a décidé de faire venir des joueuses américaines professionnelles. Nous avons appris de leur professionnalisme et c’était important car ça donnait des modèles à nos joueuses en matière dengagement, de sérieux, de gestion du quotidien

Elles ont appris comment devenir des joueuses de football professionnelles dans un pays où ça nexistait pas vraiment. Ceci étant, on ne peut pas vraiment calquer la vision du président Aulas sur le modèle américain, dautant que les deux premières ligues américaines qui ont été lancées nont pas vraiment été des succès.

Il y a eu, paradoxalement, trop dargent investi trop vite, sans plan daction cohérent et elles se sont rapidement effondrées.  

Contrairement aux pays européens, les États-Unis ne sont pas, de tradition, une terre de soccer. Comment expliquer cette attractivité du football dans un pays qui sest ouvert à la discipline assez récemment ?

Aux États-Unis, le soccer est dans la culture pour les filles. Il sest développé fortement après ladoption du Title IX voté en 1972, qui interdisait toute discrimination sur la base du sexe dans laccès aux programmes d’éducation soutenus par lEtat.

Le sport universitaire sest dès lors largement ouvert aux filles et le soccer se jouant à onze, cest un des sports qui a le plus progressé notamment pour équilibrer les programmes par rapport au football américain.

Il y a plus de deux millions de licenciées aux Etats-Unis, en France il y en a plus de deux-cents mille dont environ cent-soixante mille pratiquantes or le rapport entre les populations nest pas un à dix.

La Coupe du monde 2019 a permis de mettre les footballeuses en lumière. La situation reste néanmoins complexe en club avec un championnat assez disparate en termes de niveau en France. Lorsque lon est une locomotive du football féminin, comment parvient-on à gérer cette difficulté, à ne pas se relâcher et continuer à porter la discipline plus loin ?  

Au fur et à mesure des années, on saperçoit que les équipes progressent. Il y a moins de scores très larges. Ceci étant, il ne faut pas minimiser le fait de gagner des titres consécutivement, cest toujours très compliqué même si ça ne se joue que sur quelques matches dans la saison.

Il est difficile de garder cet engagement mais cest dans la mentalité des joueuses, dans leur héritage, dans la culture du club. Elles veulent gagner, ne se contentent pas dun succès 2-0 quand elles peuvent simposer 5-0 et ne sous-estiment jamais leurs adversaires.

Je pense, en outre, que le Graal de la Ligue des champions leur sert de motivation toute lannée. Elles savent que le relâchement ouvre la porte à la défaite et quil faut garder cette tension et cette volonté de gagner. Ces femmes sont extraordinaires.

©Damien LG/OL

Les sportives, de manière générale, le disent souvent. Il pèse sur leurs épaules une pression double, celle de lavenir de leur sport. Si elles se relâchent, elles savent que cest leur discipline qui va en pâtir. Pensez-vous que cela joue aussi ?

Oui, et je pense quil va encore se passer des années avant que lon soit dans un modèle qui fonctionne tout seul en ce qui concerne le football féminin.

Jespère dailleurs que cette situation va durer toujours car cest une valeur différenciante du sport professionnel féminin en général. Nous avons des femmes qui sont conscientes de ce quelles représentent, des valeurs quelles portent et du message quelles délivrent.

Ce nest pas anodin darriver à ces niveaux-là, de vivre de son sport et de devenir des modèles pour des petites filles. Si javais eu, il y a quelques années, des modèles comme Wendie Renard ou Selma Bacha, jaurais joué au football et non pas au tennis. Aujourdhui, je suis ravie que les petites filles puissent le faire. 

Wendie Renard…©Adidas

Vous évoquiez la Ligue des Championnes, la compétition de club la plus prisée. Comment expliquer que, malgré des rendez-vous aussi prestigieux, la ligue la plus attractive pour les footballeuses soit, et reste encore pour le moment, la ligue américaine ?   

Lorsque nous avons finalisé lacquisition du club de Seattle, début janvier 2020, la ligue américaine était une petite ligue qui comptait neuf clubs. Depuis, la quasi-totalité dentre eux ont, au minimum, de nouveaux actionnaires et, pour un certain nombre, de nouveaux propriétaires.

Il y a eu une vague dinvestissements assez considérable et nous avons été les premiers à la faire. Même sil y avait sept mille spectateurs par match en moyenne, cette ligue avait besoin de se transformer.

Il y avait assez peu de sponsors et il y a eu un travail de fond entrepris par la ligue et par lensemble des clubs, un nouveau modèle lancé par Angel City et un gros travail de visibilité. Désormais, la ligue a complètement changé de statut.  

En quoi pourrait-on sen inspirer ?

Le message principal que jen retiens, cest dabord que lon trouve là-bas des clubs uniquement féminins ce qui est plus rare chez nous. Ils doivent développer leur business sans compter sur un club masculin car il ny en a pas et nous avons beaucoup appris de ça.

Sportivement, cest la Ligue la plus intéressante et la plus difficile car tous les matches sont très disputés, tout le monde peut gagner et ça la rend très attractive.

En Europe, l’élan de la Coupe du monde 2019 a permis à certains pays de sengager à fond dans leur football féminin et de décider den faire une priorité.

Le cas le plus évident, cest lAngleterre qui avait mis sur pied un premier plan daction stratégique en amont de lorganisation de lEuro. Les dirigeants ont décidé dimposer un certain nombre de standards aux clubs qui participent au championnat féminin, ce qui en a exclu certains et en a forcé dautres à investir pour créer un championnat qui a du sens.

Maintenant, jai limpression que la plupart des clubs se sont pris au jeu de linvestissement dans le foot féminin : lEspagne sorganise petit à petit, lAllemagne a une culture historique du football féminin, lItalie avance aussi peu à peu et vient dadopter un statut de ligue professionnelle ce qui va leur permettre de progresser. 

Et en France ? Certains regrettent que les instances fédérales ne sengagent pas assez en faveur du haut niveau.

Je suis très respectueuse du travail engagé par la Fédération. Il y a une commission du football de haut niveau qui a été mise en place et qui est présidée par Jean-Michel Aulas.

Si vous me demandez si on est un peu en retard par rapport aux Anglais, je vous réponds que oui, on est un peu en retard. Je pense que nous avons été freinés à la suite de la Coupe du monde.

Est-ce que cest à cause du covid ? Est-ce que ce sont, potentiellement, les difficultés rencontrées par la ligue masculine en ce qui concerne les droits télé qui ont freiné les investissements des clubs dans le football féminin ? Tout cela a peut-être créé un décalage.

Les Anglais avaient loptique de lEuro 2021 – qui a finalement eu lieu en 2022 – mais ils étaient lancés. Pour nous, l’élan de la Coupe du monde a été formidable mais cest retombé à cause de toutes ces raisons.

À ce propos, il faut rappeler quen France, à cause du covid, les championnats ne se sont pas terminés, ce qui na pas été le cas partout ailleurs. Il faut dire aussi que, chez nous, le football nest pas perçu de la même façon que dans les autres pays européens.

Quelle que soit la situation, lOL continue sa route en avant et se décline donc désormais sur deux continents avec lOL Reign. Comment est née cette idée de simplanter à l’étranger ?

Notre démarche était dinternationaliser la marque OL et en priorité aux États-Unis. Nous avons réfléchi pour savoir quel était le meilleur outil pour exposer notre marque là-bas.

Les États-Unis sont le pays du football féminin par excellence et lOL y est connu pour les performances de son équipe féminine. Nous avons reçu un excellent accueil. Avoir dans ses rangs la référence mondiale du football féminin était vu comme très valorisant.

Désormais, nous faisons face à une concurrence sérieuse pour déployer notre marque. Il faut que lon travaille bien sur notre marché de Seattle, que lon gagne sur le terrain pour pouvoir ré-importer ce quon fait là-bas en France, montrer la spécificité de cet investissement et enrichir les discussions sur le potentiel de la discipline. 

Jean-Michel Aulas et Megan Rapinoe…©OL

Que leur avez-vous apporté  

Nous avons apporté beaucoup de compétences sportives. Trois joueuses dOL Reign sont venues sentraîner à Lyon pendant lautomne 2020 car la situation était compliquée pour elles là-bas.

Lune delle est désormais titulaire régulière en équipe nationale, lautre a été sélectionnée plusieurs fois et est devenue lune de meilleures buteuses du championnat

Je nai aucun doute sur le fait que nous avons pour nous cette connaissance intime du football féminin et que, sportivement, nous leur avons beaucoup apporté.

Et eux vous ont apporté leur vision du business ?  

Oui, même si lOL est un groupe qui sait investir. Lorsque nous avons racheté le club, les infrastructures n’étaient pas très qualitatives et nous avons beaucoup investi dans ce domaine.

L’équipe jouait dans un stade de baseball. Il y avait un projet de stade à Tacoma mais il sest arrêté avec la crise du covid. Nous avons permis au club de déménager de Tacoma à Seattle pour jouer dans un stade immense.

Je pense que nous avons un savoir-faire en matière de business et que nous avons aussi apporté des moyens. Nous napprenons pas tout des États-Unis mais ce que nous avons appris, cest le fait davoir une équipe dédiée, une équipe front office, business, commerciale dédiée à l’équipe féminine et nous sommes en train de le ré-importer ce modèle à Lyon pour consolider le développement autour de l’équipe féminine.  

L’Ol Reign academy

Est-ce quil y a déjà eu, par le passé, un investissement de ce genre de la part dautres clubs ?

Non, nous sommes les seuls. La plateforme de football féminin développée par lOL est totalement unique et, à mon avis, porteuse de beaucoup de choses très positives au niveau international avec un potentiel de développement énorme.

Nous avons deux équipes excellentes, nous sommes deuxièmes dans la Ligue US et nous avons la possibilité de nous qualifier directement pour les playoffs pour la deuxième année consécutive.

Cest le top niveau, nous avons des stars internationales dans les deux équipes et deux ballons dor.

Comment se dessine le futur ? Vous envisagiez, un temps, de poursuivre votre stratégie de développement à l’étranger, avec une franchise au Japon et/ou au Canada.

Pour linstant, nous avons encore beaucoup de travail à faire pour consolider notre belle plateforme de football féminin et l’évolution du football féminin en France. Nous allons nous y consacrer.

Ma conviction profonde, cest que le développement du sport professionnel féminin est un facteur de transformation positive de la société et cest ce que notre président a compris très vite en mettant des moyens pour avoir une équipe qui puisse se déployer.

Tout cela montre quil y a des possibilités et ça, cest bénéfique car ça contribue à une société meilleure et plus égalitaire.

Mais le combat nest jamais fini. Les joueuses le savent, les sportives, les femmes en général le savent. 

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