Reconstruction identitaire, revendication féministe, esprit de revanche, affirmation de soi… Qu’est-ce qui pousse de plus en plus de femmes à choisir des sports « rudes », longtemps chasse gardée des hommes ?
La boxe, le self-défense, le rugby, l’ultra-trail ou encore le CrossFit, rien ne semble les arrêter. Aller contre les idées reçues, dépasser ses limites, endurer et ne pas moufter. « Ma mère me dit souvent : « Mais pourquoi tu te fais mal comme ça ?« . Je lui réponds : « Parce que c’est ce que j’aime, me faire mal« », confie Alice Varela, capitaine de l’Équipe de France féminine de rugby à XIII.
Faire de la souffrance une exquise friandise. Un point commun chez ces sportives qui veulent aller au bout d’elles-mêmes : « Le matin, si je ne me lève pas avec des courbatures, c’est comme si quelque chose clochait, raconte Stéphanie, adepte de krav maga et de parkour. Mon corps réclame sa dose de souffrance même si je sais que tout ça, finalement, c’est dans la tête. »
Dans la tête ? Pour prouver quoi ? À qui ?
« Les femmes ont l’esprit de conquête. Psychologiquement, elles sont capables d’aller extrêmement loin, explique Guy Missoum*, docteur en psychologie, ancien directeur du laboratoire de psychologie du sport à l’INSEP. Elles n’hésitent pas à se remettre en question, à oser l’inconnu, quand les hommes sont souvent dans la comparaison permanente avec l’autre et n’aiment pas se retrouver dans la difficulté. L’idée pour celles qui se dépassent n’est pas tant de se mesurer à autrui mais de se vaincre soi-même. »
Le psychologue du sport Jean-Paul Labedade abonde : « Elles sont à la recherche d’un idéal. Il s’agit d’avoir une vie la plus pleine possible, de placer la barre très haut. Aujourd’hui, c’est à travers le sport dans ce qu’il a de plus extrême. »
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Au-delà de l’effort physique, aller se frotter aux pratiques dites d’ « exténuation », comme les sports intenses type CrossFit inspiré des entraînements militaires ou encore l’ultra-trail, participerait-il à l’émancipation des femmes ?
« C’est une tendance émergente mais on ne peut pas encore parler de tendance lourde, modère la sociologue Catherine Louveau**. Il faut attendre plusieurs années pour savoir si elle sera dominante. Mais c’est intéressant de s’interroger sur le profil de ces femmes : Qui sont-elles ? Ont-elles une trajectoire commune ? Qu’est-ce qui les pousse à aller vers des pratiques militaires ? Ce sont en tout cas des femmes porteuses d’une certaine représentation, c’est dire aux petites filles qu’elles ne sont pas forcément destinées à être danseuses. »
Un combat féministe ?
Ces sportives qui montrent les poings, soulèvent de la fonte ou combattent au corps-à-corps, seraient-elles des féministes qui s’ignorent ?
« Je pense que c’est très conscient au contraire, affirme Jacques Defrance***, sociologue et historien du sport. Mais c’est une prise de conscience individuelle, ce n’est pas organisé. Et c’est dommage car on pourrait attendre du sport qu’il offre des ressources originales pour défendre des valeurs féministes, ce n’est pas le cas. Les femmes se sont toujours affirmées d’un côté dans le sport, dans l’autre en politique ; ce sont deux sphères d’intervention distinctes. Cela tient au fait que le monde du sport a toujours voulu rester apolitique. Or, c’est compliqué, car pour faire bouger les choses, il faut une démarche collective. »
Une démarche collective, empreinte de sororité, qui n’est pas encore d’actualité. Les femmes elles-mêmes n’étant pas toutes de ferventes admiratrices de celles qui osent aller défier les hommes sur le terrain de la force, de l’affrontement et de l’engagement physique.
D’autant qu’on les taxe souvent de vouloir reprendre les codes masculins à leur compte. Physiquement, elles correspondent rarement aux canons de beauté actuels : trop musclées, trop viriles, elles seraient l’antithèse de la séductrice.
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Catherine Louveau explique très bien que si encore peu de femmes choisissent les sports « de tradition masculine », c’est qu’ils ne s’accordent pas avec les catégorisations spontanées à partir desquelles femmes et hommes jugent ce qui convient ou non à une femme.
Sandrine, adepte de boxe anglaise, confirme : « Se bagarrer dans la rue, se servir de ses poings, c’est un truc de mec. Pour nous les filles, c’est très mal vu d’exprimer cette violence qu’on a en nous. » Ainsi, la plupart s’interdisent-elles de pratiquer un sport qui ne serait pas compatible avec les diktats de la société.
Attention, (pas) fragile !
Pour celles, au contraire, qui considèrent que la femme doit occuper l’espace sportif sans aucune exception, y compris en pratiquant des activités considérées à tort comme masculines, il est souvent question de prouver qu’être femme ce n’est pas être fragile. Comme s’il fallait se forger une cuirasse pour mieux refuser les limites qu’on leur impose :
« Les femmes ont de tout temps et en tout lieu été la proie des prédateurs masculins, note Jean-Paul Labedade. Par la pratique de ces sports de combat ou issus d’entraînements militaires, elles compensent une extrême vulnérabilité, là se trouve leur motivation. Et dans cette motivation on perçoit une certaine jouissance, celle de tenir leur revanche sur les hommes. »
Alice Varela, la rugbyman, ne cache pas sa satisfaction à prouver aux hommes qu’elle est capable de les challenger sur leur territoire : « L’idée d’être forte, l’égale des hommes, ça me parle. La majorité des gens qui viennent voir du rugby sont surpris : « Vous vous rentrez dedans !« Oui, on se met les mêmes tampons que les hommes, on va au contact. Les filles sont considérées comme des cadettes, pas comme l’élite. Moi je dis aux hommes : venez nous voir jouer et on en reparlera ! »
Asexué
Sport mixte, le CrossFit serait selon Fred – propriétaire à Cergy dans le Val-d’Oise d’une « box », comme on appelle les salles de cette activité qui mêlent haltérophilie, gymnastique et cardio – un endroit quasi asexué où les femmes ne sont pas sous domination masculine.
« On va avoir des filles très sportives qui ont toujours eu l’habitude de la performance, d’autres attirées par la possibilité de faire la même chose que les hommes, mais quand le chrono est lancé, tout le monde est au même niveau, dit-il. Que l’on ait de la force ou pas, on est ici face à l’ensemble des qualités physiques de l’être humain. Le mérite n’est pas la performance dans la charge qu’on va soulever mais dans la possibilité d’aller toujours plus loin. »
Aller toujours plus loin, un leitmotiv chez ces filles désireuses de montrer ce qu’elles ont dans le ventre. Mais qu’est-ce qui les pousse à vouloir mordre la poussière ?
« Le fait qu’elles sont tout le temps cadrées, limitées, analyse Fred. Dans le dépassement de soi, plus de mesure, on donne tout ce qu’on a sans jugement. Et ici, personne ne va te regarder pour savoir si tes yeux sont bien maquillés ou si tu as mis du rouge à lèvres. Les clichés explosent car tu dois être dans le moment. Tu ne penses qu’à dompter la souffrance, tu termines en nage, parfois sale. Mais peu importe. »
L’idée de devenir une autre l’espace de quelques heures semble également séduire les femmes en quête d’adrénaline.
« Dans la vie, je suis plutôt quelqu’un de posé, de patient. Mais quand je mets mes crampons et mon protège-dents, je ne suis plus la même. Je ne me reconnais pas et j’adore ça », dixit Alice Varela, banquière au total look féminin en dehors des matches et des entraînements.
« Personne ne peut imaginer que je fais de la boxe à l’extérieur, confie Sandrine, je suis féminine dans ma façon de marcher, de parler, de m’habiller… Ici, je croise des avocates, des femmes qui travaillent dans la finance, elles sont hyperféminines lorsqu’elles arrivent et lorsqu’elles repartent mais entre les deux, c’est autre chose, c’est la loi du ring. Tu t’en fous de ton apparence, on laisse les clichés au vestiaire. »
Ainsi, les femmes qui pratiquent des sports de « défonce », comme les appelle Guy Missoum, n’en revendiquent pas moins leur féminité.
« On peut s’investir dans ces sports à un moment de sa journée et à un autre moment, rechercher de la tendresse, rester féminine. J’appelle ça le Switch. Dans une journée, il y a plusieurs séquences. La séquence professionnelle, la séquence privée ou familiale et la séquence sociale ou loisirs. Et à chacun de ces moments différents, on peut être soi-même différent. »
Alice Varela, du haut de ses 29 ans conclut : « Capable de prouver qu’on peut réussir, c’est important. Et si ce n’est pas dans sa vie pro ou dans sa vie perso, ce peut être dans le sport. Parvenir à aller au bout de soi-même, c’est le plus beau et le plus grand des défis. »
- * « La fierté d’être soi » (Leduc.s Éditions)
- ** « Sports, école, société : la différence des sexes » (L’Harmattan)
- *** « Sociologie du sport » (La Découverte)
- Vincent Pancol (photos CrossFit ouverture et ci-dessus)
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