Framboise Labat : « Grâce au CrossFit, j'ai compris qu’il n’est jamais trop tard pour rêver. »

Framboise Labat
En 2017, elle fut la première Française à concourir aux CrossFit Games, la plus prestigieuse des compétitions de CrossFit, sorte de Championnats du monde qui a lieu aux États-Unis. Elle avait 60 ans. Framboise Labat nous bluffe par sa détermination et son courage. Une dure à cuire qui n’a jamais douté de ses capacités. Aujourd’hui encore, elle envoie du lourd !

Par Valérie Domain

Publié le 29 juillet 2020 à 11h37, mis à jour le 29 juillet 2021 à 15h11

Tu as commencé le CrossFit tardivement, mais tu as toujours fait du sport. Tes parents étaient sportifs ?

Pas du tout ! Je ne sais pas ce qui m’a poussée à faire du sport quand j’étais jeune, mais j’ai toujours eu besoin de me dépenser. En revanche, je n’étais pas intéressée par la danse par exemple car je ne ressentais pas assez l’effort. Je faisais de la gym, du basket, j’avais besoin de transpirer, d’avoir des courbatures. Je crois que j’ai toujours aimé l’intensité de l’exercice physique.

Tu dis pourtant ne pas être une « vraie sportive »…

C’est vrai, je me définis davantage comme une compétitrice. J’aime me challenger, me donner des objectifs. Je ne fais pas de sport pour être en forme, j’en fais pour me surprendre, me dépasser, aller vers ce dont je ne me crois pas capable. Je veux être fière de moi et le sport me permet ça. Parfois, quand je suis un peu fatiguée, je me dis : « Ok, t’y vas mollo », mais quoiqu’il arrive, je termine toujours carpette, en PLS !
Framboise Labat

Dans les années 70, tu as commencé le fitness, une découverte décisive ?

En tout cas, c’est ce qui m’a menée à d’autres pratiques de plus en plus intensives, comme les programmes inventés par Les Mills. J’ai débuté le fitness traditionnel avec Véronique et Davina, à Paris. C’était la grande époque du toutoutyoutou, des collants qui rentrent dans les fesses ! Puis, j’ai déménagé en province et découvert les cours de BodyPump, BodyAttack, LIA ou le Step. J’en faisais deux à trois heures par jour. Je me souviens qu’en BodyPump, les poids n’étaient pas assez lourds pour moi, j’allais chercher des barres de 20 kilos et des altères en salle de muscu. Je n’arrivais même pas à les épauler, on devait m’aider à placer la barre chargée sur mes épaules, et ensuite je pouvais faire mes squats ! Je me tirais la bourre avec les mecs, j’aimais ça !

Framboise Labat

Puis, tu es revenue à Paris, ce n’était pas la même ambiance…

Je m’entraînais dans le Var, je quittais une salle conviviale pour une salle parisienne où il y avait toutes ces nanas avec leur petit tapis et leur serviette, personne ne te parle, personne ne te sourit. Ça ne me convenait pas. J’ai donc arrêté la salle et je me suis mise à courir aux Tuileries avant d’aller bosser. Je faisais mes exercices de renfo à domicile, mais le club me manquait.

Le CrossFit, tu as connu comment ?

Grâce à un copain qui m’a invitée à une séance en plein air, dans les jardins du Palais Royal, à Paris. C’était en juin 2012 et avant même de découvrir ce sport, j’avais déjà adoré le voyage à pied entre la box de CrossFit et le lieu de l’entraînement : on était un groupe de quatre-vingts, on se baladait dans les rues avec nos barres, nos poids, nos kettlebells… Ensuite, on a littéralement mordu la poussière ! J’avais une bonne condition physique, mais je n’avais jamais fini un entrainement dans cet état-là, je me suis dit : « Tu n’as jamais fait de sport en fait ! »

Sur le chemin du retour, je posais trois mille questions, je voulais tout savoir sur cette discipline. Deux jours après, j’étais inscrite et je débutais l’initiation. J’étais tombée amoureuse, on m’avait inoculé le virus CrossFit !

Framboise Labat

Tu avais alors 55 ans, c’était plutôt audacieux de commencer le CrossFit !

Je n’y pensais même pas ! J’étais tellement motivée que j’ai pris tout de suite des cours avec un coach privé, je voulais progresser très vite, que ça envoie du pâté. Je me suis inscrite un an plus tard à ma première compétition, aux Opens des CrossFit Games. J’avais donc 56 ans, mais j’avais pris l’habitude de tricher sur mon âge, de me rajeunir de dix ans… sauf que tu dois mentionner ton âge lors de l’inscription et surtout concourir dans la bonne catégorie, moi c’était celle des 55/60 ans. J’étais dans mes petits souliers quand j’ai dit à mon coach Daniel Chaffey : « J’ai un secret à te partager : je n’ai pas 46 mais 56 ans. » Il m’a regardée et il a juste répondu : « Vu le niveau que tu as, tu as encore plus de mérite ! »

Framboise Labat

En 2014, tu participes aux Masters Qualifier pour gagner ta place aux CrossFit Games, la compétition de CrossFit la plus difficile et la plus prestigieuse qui réunit chaque année aux États-Unis les meilleurs de la discipline. Un rendez-vous manqué ?

J’ai fini vingt-deuxième, ils en prennent vingt ! Une grosse déception. Pourtant, je pouvais être fière de moi, je m’étais dépassée, notamment sur des exercices jamais réussis auparavant. Mais une fille a porté plus lourd que moi, j’ai loupé l’objectif à 1 kg près.

Je n’ai pas supporté la pression. J’ai alors décidé de prendre un coach mental, de revoir mon alimentation, et de m’entraîner plus dur. Je n’avais qu’un objectif : faire les Games. C’était un rêve dès l’instant où j’ai connu le CrossFit. Je me disais : « Si ces filles-là le font, je peux le faire. »

Framboise Labat

Un objectif qui semble pourtant difficile à atteindre quand on part de zéro et si tardivement !

Plus le rêve est grand, plus il est facile à réaliser. Comme il est grand, tu dois mettre tout ce que tu as pour le réaliser, envoyer la boite et les clous comme on dit. Comme il est grand, tu ne peux pas faire les choses à moitié, et ça te tire vers le haut, ça t’amène à ajuster tes actions par rapport à ton objectif. Je devais donc être mieux suivie, super disciplinée, encore plus déterminée. Je me suis visualisée des milliers de fois avec des gens autour de moi, où l’on m’annonce que je suis qualifiée. Je me voyais croiser le regard de mon coach, être heureuse, porter le t-shirt avec mon nom. Mais le feu ne prend que si tu mets du carburant. Je me suis donc entraînée très durs, 2 à 3 heures le matin et pareil le soir. J’en voulais tellement !

Framboise Labat

Tu n’as jamais eu de doutes ?

Le doute fait partie de l’entraînement. Les meilleures séances sont celles où tu vas à reculons. Le plus difficile est de dire non au verre de rosé, au ciné avec les copains, mais le rêve est plus grand que tout : je le veux et je l’aurai. J’étais devenue une sportive de haut-niveau, et quand t’es un sportif de haut niveau, t’es une Ferrari. Un écart revient à mettre du diesel dans ta Ferrari.

Tu ne t’es jamais dit : « Je mets ma vie de côté pour ne faire que du sport » ?

Il faut savoir faire la différence entre la préparation d’une compétition et l’entraînement quotidien. Une compétition, tu as ton programme et tu n’y déroges pas. Mais au quotidien, on s’adapte, on peut parfois lever le pied. Il ne faut pas oublier la notion de plaisir. Si tu rêves dans la souffrance, tu n’y arriveras pas, il faut ressentir de la satisfaction. Là, j’avais l’objectif des Games. Qu’est-ce que cinq mois dans une vie pour un rêve ?

Framboise Labat et Rich Froning
Framboise Labat et Rich Froning

Fin 2015, tu pars à Miami, pour t’entraîner, en immersion totale, loin des amis et de la famille, pourquoi ?

Pour éviter les sollicitations, et ne faire que ça. Du matin au soir, je vivais CrossFit.

Là-bas, j’ai fait mon premier training dans la box de Rich Froning, multi vainqueur des Games. Ça faisait partie de ma wishlist. Quand je l’ai vu, j’ai pleuré…à 56 ans ! C’était et c’est toujours mon modèle, car il ne baisse jamais les bras. Il n’a rien à prouver sauf vis-à-vis de lui-même, je trouve magique de gagner pour soi. C’est de la fierté, pas de l’orgueil.

Quelques mois après, tu t’es blessée à l’épaule, tu as décidé de rentrer. Tu avais toujours le rêve des Games ?

Plus que jamais ! Mais je me suis dit qu’il fallait me poser un peu, récupérer pour mieux me préparer pour les qualifications des Games de 2017. J’ai adopté une autre programmation, j’ai pris un deuxième coach. Pendant les qualifications, j’ai connu quelques moments difficiles. Je me souviens être allée voir mes fils pour un peu de réconfort. J’étais au bord des larmes, j’avais mal partout, je ne pouvais plus bouger, j’étais vraiment au bout du rouleau. L’un de mes fils m’a dit : « Si c’était facile, tout le monde le ferait, on ne lâche rien, t’es une winneuse ! » Il m’a engueulée, et c’est ce qui m’a remotivé. Je me suis mis deux claques virtuelles et j’y suis retournée !

Framboise Labat

Et ça a payé, à 60 ans, tu te qualifies pour les CrossFit Games qui avaient alors lieu à Madison dans le Wisconsin. Qu’est-ce qu’il se passe dans ta tête quand tu réalises que tu as réussi ?

A l’époque, ils prenaient vingt masters -ils en prennent dix aujourd’hui. J’ai fini vingtième, la porte s’est fermée derrière moi. Mais tu dois attendre qu’ils valident tes scores à partir de tes vidéos. Je me suis réveillée plusieurs fois dans la nuit pour regarder si j’avais reçu l’e-mail de confirmation. Et il est arrivé : « Congratulations, you are qualified ! » J’en pleure, rien que d’y repenser, je suis encore tellement émue ! J’étais submergée de bonheur. Dans ma tête, c’était en boucle : « Je l’ai fait, j’ai réussi ! » Ensuite, tu touches plus terre, jusqu’au départ.

Framboise Labat

Tu es donc devenue la première Française à participer aux CrossFit Games, ça se passe comment là-bas ?

Je n’étais pas aux États-Unis, j’étais au paradis ! Je n’étais pas sponsorisée, ça m’a coûté cher, mais je m’en fichais. J’étais entourée de toutes les têtes couronnées, ces grands athlètes avec qui tu discutes alors que tu ne les avais jamais vus qu’en vidéo. Quand j’ai découvert le T-shirt avec mon nom, je me suis effondrée en larmes. Je l’avais rêvé, visualisé mille fois, et cette fois je le vivais. Vraiment. Ensuite, c’est la compétition et là c’est encore plus dur qu’on ne l’imagine !

Tu as terminé 11e au classement, plutôt fière ?

Oui, je n’avais rien à perdre et je suis allée jusqu’au bout, je me suis bien défendue. Je me disais : « Putain, je l’ai fait ! ». Mais quand les quatre jours de compétition se sont terminés, je m’étais pris un tel shoot d’endorphines que j’ai fait une sorte de baby blues du sport.

Framboise Labat

Parce qu’aussi, tu avais réalisé ton rêve…Tu t’es demandé ce que tu allais faire après ?

Bien sûr. J’avais du mal à m’y remettre. Je devais trouver un autre Everest. Quand je suis rentrée, j’ai repris l’entraînement pour tenter de décrocher une médaille aux Championnats du monde de force athlétique. J’ai toujours aimé la force. Je m’entrainais et je suis sûre que j’aurais pu avoir la médaille d’or. Mais en fait, je m’ennuyais, le sport en lui-même ne m’intéressait pas. Je n’avais plus de plaisir. J’ai abandonné l’idée.

Framboise Labat

Aujourd’hui, tu as 64 ans, tu poursuis tes entraînements de CrossFit ?

Oui, je ne lâche pas, mais je trouve mon plaisir en faisant moi-même ma programmation, la séance qui me plaît. Je fais ce dont j’ai envie, sans objectif. Je me suis posé la question de coacher, j’aimerais le faire pour des gens âgés. Pour les aider à sortir de leur canapé, leur prouver qu’on peut bouger à tout âge, mais il faudrait passer un diplôme et je n’ai pas l’énergie pour ça. Alors, je partage mon expérience. Quand on me reconnaît, je parle volontiers, j’aime l’idée d’être inspirante pour certains.

Après tout, nous ne sommes que sept Français en individuel à avoir fait les Games. Le chemin vers mon rêve a été jalonné de moments de bonheur et de difficultés, c’est ce qui m’a nourri. C’est grâce à tous ces moments que je suis devenue celle que je suis aujourd’hui. Quelqu’un qui sait qu’il n’est jamais trop tard pour rêver.

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