David Rochefort « Monica Seles ne voulait qu’une chose, être la meilleure. »

David Rochefort « Monica Seles ne voulait qu’une chose, être la meilleure. »
C'était il y a tout juste trente ans. Le 30 avril 1993, Monica Seles est victime d'une agression au couteau alors qu’elle dispute un match de tennis en Allemagne. Le coupable s’appelle Günter Parche, chômeur de l'ex-RDA, amoureux fou de Steffi Graf, grande rivale de la jeune Serbe. Un évènement dramatique dont David Rochefort s’est emparé pour écrire « Le prix fort », roman passionnant dans lequel il reconstitue les faits qui ont amené à cette journée dramatique.

Par Sophie Danger

Publié le 08 juin 2023 à 18h59, mis à jour le 09 juin 2023 à 11h13

« Le prix fort » est votre sixième ouvrage, le premier à parler de sport. Quest-ce qui vous a donné envie de vous frotter à ce domaine en tant qu’écrivain ?

Le pari était de raconter cette histoire mais cette histoire, a priori, les gens la connaissent et elle se résume en une phrase : Monica Seles a été poignardée par un dingue.

Moi, javais envie d’y mêler des choses personnelles, des choses de la « grande histoire » pour mélanger tout ça, pour que ce soit un peu sympa à lire. 

David Rochefort

Mais pourquoi dans ce domaine, pourquoi une histoire de sport ?

Parce que… le sport et moi ! Dans la biographie du livre, j’écris que mon palmarès sportif se résume à avoir été dispensé de sport au bac et ça sarrête à peu près là. Ceci dit, jai lutté pour avoir cette dispense !

Il reste que le sport et les écrivains, cest toujours un peu la blague car nous ne sommes pas connus pour être de grands sportifs. En ce qui me concerne, le sport ma suivi tout au long de mon parcours d’écrivain et de façon un peu bizarre.

Je me suis retrouvé, par exemple, à jouer par hasard des matches de football avec l’équipe de France des écrivains. Il y a eu plusieurs petits jalons comme celui-ci. Jai également un intérêt de spectateur pour le sport. Ça mamuse.

Et puis, pour un roman, cest génial car le sport comporte tous les éléments de la tragédie et ça donne des histoires formidables à raconter.

Quest-ce qui fait, selon vous, que le sport ne soit pas davantage matière à roman ?

Je pense quil y a des sports plus littéraires ou plus compatibles avec la littérature que dautres. On peut citer le vélo par exemple. Il y aussi la boxe, étonnement, avec des textes sur le sujet : Jack London sy est attaqué, plus récemment il y a Alban Lefranc. Il y a des sports qui accrochent de par leur dimension dramaturgique : un match de boxe, cest deux types qui se battent jusqu’à la mort symbolique de lun ou de lautre. Cest très fort et à raconter, ça marche très bien.

Si on compare, il y a très peu d’écrits sur le football et, à mon sens, cest parce que cest un sport collectif, ce qui est très difficile à raconter. 

Vous, vous vous êtes intéressé au tennis, qui plus est au tennis féminin, matière encore plus rare en littérature. Pourquoi ce sujet ? Parce que cest un moment que vous avez vécu et qui vous a marqué en tant que spectateur ?

Exactement. Il y a eu deux déclencheurs : la discussion avec l’éditeur et un déclencheur personnel. Javais 12-13 ans quand ça sest passé et je me souviens très bien de cette agression. C’était une déflagration, ça avait choqué tout le monde. C’était un moment fort.

Il y a eu un avant et un après. Et puis il me semble, en ce qui concerne le tennis féminin, qu’à l’époque, c’était plus égalitaire dun point de vue de lintérêt, de la visibilité. La rivalité Graf-Seles n’était pas quelque chose de secondaire, elle était mise en avant au même titre que les oppositions masculines.

Aujourdhui, le tennis féminin me semble plus en retrait par rapport au tennis masculin, il ny a pas de grandes championnes qui sinscrivent sur la durée ni de grands affrontements comme il peut y en avoir chez les hommes avec Nadal, Djokovic et Federer, cette génération qui a tenu plus de dix ans.

On peut évidemment citer Serena Williams mais Serena était seule au sommet. Après Graf-Seles, il ny a plus eu doppositions inscrites dans le temps.  

Serena Williams

Votre livre met en scène Monica Seles et Günter Parche, un chômeur de l’ex-RDA, amoureux fou de StefGraf, sa grande rivale, et qui va tenter de lassassiner. Vous avez travaillé sur des faits réels, avez-vous été tenté de parler à Seles avant d’écrire ?

Avant d’écrire, je me suis pas mal documenté sur cette affaire. Jai consulté des documents journalistiques, les pièces du procèsJaimais bien lidée de faire un peu linspecteur, de creuser cette matière.

Seles a également écrit un livre juste après son agression et elle nen a plus parlé après. On sent que la blessure est vraiment très forte. Moi, jai signé plusieurs romans, mais cest la première fois que je m’attaquais à un personnage réel et cest un peu sensible car, même si j’écris de lextérieur, avec le plus dempathie possible, j’écris sur un évènement dramatique qui, dans la vie, a touché quelquun.

Je marchais un peu sur des œufs. Je savais quelle ne voulait pas en parler et je ne suis pas certain quelle ait très envie que lon revienne sur cette histoire ou d’être ramenée tout le temps à ça.

Cest pour cela que vous vous incluez dans la narration ?

Oui, cest pour ça. Je parle à Seles et Parche comme si je leur écrivais une lettre. Jai choisi cette narration pour faire comprendre que je ne suis pas là pour remuer le couteau dans la plaie ni pour raconter une histoire que plein de gens connaissent, je suis là, en qualité d’écrivain, parce que jai envie de comprendre, de me mettre à leur place.

La narration vient de ce positionnement pas évident au début mais cest ce qui mest venu de plus naturel, de plus juste. Dans le livre, je voulais montrer que Seles était quelquun qui était moqué, critiqué par la presse. Dans lopposition avec Graf, cest toujours elle qui avait le mauvais rôle.

Jai beaucoup de sympathie sincère pour cette joueuse qui n’était quune gamine et je pense que ça se sent dans le livre.

Monica Seles

La seule limite dun écrivain, cest son imagination. Quen est-il lorsque lon est amené à travailler sur une histoire qui a réellement existé ?

Les éléments factuels du livre sont tirés de mon travail denquête, tout est juste et sourcé. C’était plus simple pour ce qui est de Seles car il y a beaucoup de matière, tout ce que je peux dire delle, je peux lappuyer sur des éléments que je ninvente pas.

Pour Parche, jessaie de faire comprendre au lecteur les passages dans lesquels j’interprète ou lorsque je suppose quelque chose. Toutefois, comme ce sont des personnages réels, j’évite de leur attribuer des pensées qui ne correspondent pas à la réalité.

Il reste que le livre est un roman, comment parvient-on à mêler le réel et ce qui relève de la littérature ?

En tant qu’écrivain, je mautorise tout sur le regard que je peux porter sur quelque chose. Cest pour cela que mon point de vue est ultra visible dans le livre. Seles par exemple, je la trouve sympathique. Cest mon point de vue et en ce qui concerne ce point de vue, je me sens très légitime de penser ce que je veux et de l’écrire.

Je trouvais quil y avait une injustice terrible concernant Seles. Cest ce qui ma frappé quand je travaillais sur le sujet. Sportivement, ce quelle a fait est unique, ça na plus jamais été fait depuis. Seles, cest une comète qui est arrivée et qui a tout gagné en deux ans, cest une performance incroyable, mais comme elle n’était pas attaquable sur le plan sportif, la presse a été terriblement injuste avec elle.

Aujourdhui, on ne pourrait plus tolérer ce traitement médiatique.

©Wikipedia

Vous le pensez vraiment ?

Quand on voit des tabloïds mettre sa photo en Une, barrée dun « Ta gueule Monica », cest extrêmement violent ! Il y a des journalistes qui ont pris des détecteurs de volume pour mesurer le son de ses cris dans le seul but de se moquer delle.

On était dans la calomnie simplement pour monter une bonne histoire avec Graf dun côté et elle de lautre : la grande Allemande blonde, douée, contre la petite besogneuse serbe qui cogne fort. Tout cela, c’était juste pour créer une opposition et on lui a donné le mauvais rôle alors que c’était juste une gamine surdouée de 16 ans.  

©Wikipedia

Vous dites que votre but était de comprendre comment tout cela a pu arriver. Quavez-vous compris a posteriori de cette histoire ?

Je suis fasciné par les sportifs. Quand tu vois ce quils font, comment ils poussent leur corps, ce quils vont chercher en termes de techniques, de performances, cest insensé, ce nest pas du tout la même chose que nous quand on fait un petit tennis le dimanche.

Les dix meilleurs joueurs du monde, ce sont des génies. Ce qui ma frappé, et cest ce qui a donné le titre du livre, « Le prix fort », cest que, au-delà de ça, ils ont aussi à subir tout un environnement de pression : pression médiatique, pression des sponsors, des fansTu ne peux pas être un grand sportif si tu ne sais pas gérer ça aussi or Seles, elle, elle ne voulait quune chose : être la meilleure, faire du sport.

Elle a finalement été rattrapée par tout cet environnement hyper dur.

Vous avez des pistes pour expliquer ce traitement ou du moins pourquoi cette répartition des rôles entre elle et Graf ?

Il y a donc cette logique journalistique, ça construisait une bonne histoire, ce qui nécessitait que chacune ait un rôle.

Pourquoi ça a été distribué comme ça ? Je pense quil y a une part de sexisme très clair : on ne va pas donner le mauvais rôle à la grande blonde au jeu élégant. Cest pour ça que langle dattaque, c’était ses cris et, ça, c’était des attaques franchement sexistes.

Pensez-vous quil y a un avant et un après laffaire Seles ?

Il y a plein davants et daprès. Il y en a pour elle dans sa carrière, après cette agression, son élan a été cassé. Il y en a un dans les conditions de vie des joueuses en termes de sécurité : à l’époque tout le monde pouvait sapprocher delles, entrer dans les stades sans aucune sécurité et ça, ça a été terminé du jour au lendemain.

En ce qui concerne le traitement dans la presse, je ne sais pas. En France, nous navons pas la culture du tabloïd, je ne sais pas si c’est différent aujourdhui en Angleterre et en Allemagne. 

Monica Seles a aujourd’hui 49 ans.

Quelle place tient cet ouvrage dans votre bibliographie, est-ce que cest une expérience à part ou est-ce quil sinscrit dans la continuité de votre œuvre ?

Jai adoré faire ce livre. Je me suis senti super libre dans le choix du sujet, dans l’écriture, c’était très plaisant. Pour moi, ce nest pas un ouvrage à part.

On dit que lon écrit toujours le même livre et je le raccroche à plein de choses que je traite dans mes autres livres par le biais dun autre angle. Parche, ce mec solitaire, mal aimé, qui ne comprend rien à ce qui se passe est un personnage que lon retrouve dans tous mes autres livres.

Cest pour ça aussi que je ne voulais pas raconter lhistoire de Seles mais lhistoire de Seles et de Parche parce quelle a eu des livres, des documentaires après cette histoire, lui navait pas le droit à la parole avant et na pas eu le droit à la parole après. On ne sait pas ce quil pense, on a dailleurs appris seulement récemment quil était mort il y a un an.

Cest un personnage très intéressant à écrire. Le but était de ne pas en faire juste un fou qui a tenté de tuer Seles, mais de lui redonner une identité, une vie, un parcours, de chercher là encore à comprendre pourquoi il a fait ça.

David Rochefort, « Le prix fort », éditions En Exergue 

Véritable ovni du circuit féminin, numéro 1 mondiale avant ses 18 ans, Monica Seles s’est forgée dans l’adversité, au sein de ce qui allait devenir l’ex-République fédérale socialiste de Yougoslavie. Elle a remporté huit tournois du grand chelem en moins de trois ans. 

En trois parties (crépuscule, nuit, aube), David Rochefort raconte le face-à-face entre Monica Seles et Günter Parche qui tentera de l’assassiner. Refusant d’accepter la chute de son idole, Parche va tout faire pour que Graf reprenne la première place. Par une narration incarnée, l’auteur nous replonge dans une époque (la chute du communisme en Europe) et un âge d’or du tennis féminin qui connut une n tragique à Hambourg ce jour-là. 

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