Jessy Trémoulière « Je n’aurais jamais pensé faire tout ça dans le rugby, j’ai juste envie de dire merci. »
Ça y est, c’est fini... Après des années à tout donner pour le maillot bleu, Jessy Trémoulière raccroche les crampons en équipe de France. Elle veut, désormais, se consacrer à sa ferme et retrouver le rugby sans la pression. Dernière chance d’admirer cette grande dame du XV : ce samedi pour la finale du Tournoi des Six Nations 2023, face aux Anglaises, sur la pelouse mythique de Twickenham. Il ne manque que la victoire pour partir en apothéose !
Par Sophie Danger
Publié le 27 avril 2023 à 7h23, mis à jour le 30 avril 2023 à 10h20
La semaine passée, tu as joué ton dernier match international à la maison face au Pays de Galles. Ce samedi, ce sera ton dernier match en bleu enAngleterre, ultime rencontre des VI Nations 2023. Comment te sens-tu à quelquesjours de l’échéance ?
Il y a plein de choses dans ma tête, d’autant plus que le week-end dernier a étéexceptionnel.J’avaisenvied’appuyer sur « off » pour que le moment dure, qu’il ne s’arrête jamais.
C’était un grosweek-endd’émotionavant et après le match. Pendant, je n’ai pas du tout pensé à çaparce que j’avaisvraimentenvie de resterfocalisée sur la performance et individuelle et collective. Cette semaine, c’est la même chose.
Certaines filles me disent : « Tute rends compte, c’est ton dernier match ?! » Mais je n’ai pas envie de me mettre ça en tête et de me laisserpolluer. J’aienvie de me laisser porter et de profiter de chaque moment. Je ne veux pas me dire que c’est le dernier car c’estrisquer de se mettre dans une situation, non de stress, mais pas naturelle enfait. Je me laisse aller, je me laisse vivre au quotidien et je prends tout cequ’il y a à prendre.
Tu vas faire tes adieux internationaux à Twickenham. Pas mal comme choix de terrain pour cettedernière parade en bleu!
C’est vrai que c’est pas mal !Çal’estd’ailleursd’autant plus que j’ai de beaux souvenirs dans cestade : on y a gagné deux fois les Anglaises si je me souviens bien. Twickenhamest un stademythique, on vajouercontre les Anglaises devant 50 000 personnes, je pensequ’on ne pouvaitpas faire mieux !
Cette décision de mettre un terme à tacarrière internationale a étéassezsoudaine pour ton entourage, tescoéquipières, le public. Toi, en revanche, tu l’as mûrie pendant quelquesmois. Indépendamment de la question de ton travail à la ferme puisque tu es agricultrice, arrêter le rugby t’était déjà venuentête ?
Ce n’était pas dans un coin de ma tête mais je savaisnéanmoinsqu’il y enavait plus derrière que devant. Mon objectif, c’était la Coupe du monde, j’étais focalisée dessus, je n’avais pas envie de me poser la question de la suite. Ce n’estqu’après que la réflexions’estdéclenchée.
Cela faisait six mois que j’étaisabsente de la ferme et ces six mois sans moiontété très pesants. On a euune discussion avec mon père et j’ai pris le temps de mûrirmon choix mêmes’ilestpeut-être, pour autant, un peuprécipité.
Tu n’avais pas envie de repartir dans un cycle qui t’auraitamenéejusqu’à la prochaine Coupe du monde ?
Après la Coupe du monde, je ne me voyaispas faire 2025. Pour moi, c’était trop long. Je savais très bien ce qui m’attendait sur ce double projet rugby et ferme, je savais très bien que je ne pouvais pas allier les deux.
Ceci étant, après la Coupe du monde, je ne pensais pas vraimentarrêter sur le VI Nations. J’ai pris cettedécisionaprès enavoirdiscuté avec mon père.
Il était impossible, pour toi, de trouver un compromis qui tepermettait de satisfaire et les exigences du travail à la ferme et celles de ta carrière de sportive de haut niveau?
Je n’aime pas ceterme « impossible » car j’aimerelever les défis et j’aienvie de rendrepossible toutce qui est impossible, mais il n’yavaiteffectivement pas de solution envisageable.
Pour continuer, il auraitfallutrouver un salarié pour me remplacerdurantmes absences mais nous n’enavons pas trouvé. Pendant les six mois où je n’ai pas étélà, nous avonseuuneapprentie,maiscen’est pas pareil au quotidien. La fermecommence à devenirquelque chose de très prenant et je voyais bien que je ne pouvais plus allier les deux.
Avant, mon père me suppléaitquand je faisais des séances de physique et de muscumais,là, çadevient de plus en plus compliqué. Je savaisqu’ilallaitfalloir prendre cettedécision un jour, c’estarrivélà.
Mais avec le recul, je pense que, naturellement, après la Coupe du monde, j’avais déjà un peubasculé dans autre chose, je me projetais déjà sur la ferme avec l’envie de m’yinvestir.
Quand on a deux passions commetoi, il reste difficile d’enlaisserune de côté…
Ce n’est pas facile.Je suis passionnée et je me donne à 100 % à la ferme et au rugby. Pour ce qui est du rugby, physiquementj’étais bien, sportivement, j’étais bien et çadonneenvie de continuer. Je sens que j’en ai sous la pédale et que j’ai encore faim,mais il faut aussiêtreréaliste. Je n’ai pas envie de ne penserqu’àmoi-même.
Ce qui m’a un peuaidée,c’est de prendre du recul et de me rendrecompte de la dureté de toutescesannéesen équipe de France. Ça fait douzeans que jejoueen bleu, j’ai un palmarès que tout le monde, je pense, aimeraitavoir et çaaussi, ça aide pour basculer sur autre chose. Alors oui, certes, j’aurais voulu êtrechampionne du monde mais, mêmesicen’est pas irréalisable, c’est un objectif qui estcompliqué à atteindre malgré tout.
Pour le reste, Grands Chelems…, je l’aifait. Tout cequ’il me restait à faire en équipe de France, c’est de passer de bons moments avec le groupe et je me suis dit que cen’était pas ça que jerecherchais dans le sport. Moi, ce que je recherche, c’est de me donner à 100 %, d’avoir des résultats, des titres.
Je savaisaussiqu’àcôté des entraînements au club, il auraitété très compliqué pour moi de faire des séances en plus. Cela auraitsignifié que la majorité des filles aurait fait sa séance supplémentaire, la majoritésaufune, moi, et j’auraiseu du mal avec ça. Çan’auraitéténi réalistenihonnêteenvers les autresjoueuses, envers le staff.
C’est pour cela que tu évoquais la sensation, après coup, d’avoir peut-être fait le tour. Finalement, à part la Coupe du monde, et tu ne te voyais pas pousser jusqu’en 2025, tout le reste, tu l’as déjà vécu donc il n’y a plus beaucoup d’objectifs sportifs.
Oui, complètement. Je me suis demandé ce qui allait m’animer dans les années futures avec le XV : faire un tournoi pour faire un tournoi de plus ? Participer à un rassemblement pour être avec mes amies ? Qu’est-ce que je vais pouvoir apporter au groupe ? Qu’est-ce que moi, personnellement, ça va m’apporter ?
J’ai encore faim et, ça, ça peut inciter à se voiler la face, à se dire « Allez, tu peux continuer », mais jouer en équipe de France, ce n’est pas juste enfiler le maillot, mettre ses crampons et faire deux entraînements quotidiens. Certains m’ont dit qu’il y avait des records à aller chercher en termes de sélections. Aujourd’hui, j’en ai 77, le record c’est 92 ou 93, est-ce que c’est ça finalement qui m’intéresse ? Est-ce que c’est porter le maillot, se contenter d’être sur le terrain, s’amuser, passer un bon moment avec les copines pour avoir une sélection de plus et aller chercher le record ?
Pour moi, ça n’a pas de sens et j’aurais été dans un état d’esprit négatif : je n’aurais pas eu d’objectifs pour le futur or je sais tous les efforts qu’il y a à fournir. Faire les choses pour faire ne me convient pas du tout. J’ai fait onze tournois des VI Nations. Même si chaque match est différent, que l’aventure est différente à chaque rassemblement, on affronte toujours les mêmes équipes. J’aurais fini par faire les choses pour les faire et je sais que ça ne m’aurait pas satisfaite.
Là, je suis à 100 % de mes moyens, je ne suis pas blessée, je m’amuse sur le terrain avec mes copines. Je souhaite aux anciennes d’avoir une sortie comme celle que j’ai eu ce week-end : en douze ans, je n’ai jamais vu une sortie comme celle-là ! C’est du pur bonheur, des souvenirs qui vont rester à jamais gravés dans ma vie.
Qu’est-ce qui a été le plus marquant lors de cette dernière en France ?
J’ai remis les maillots aux filles, à des amies donc. Je leur ai fait passer un message à propos de l’empreinte que je leur laissais et c’était très fort.
Et puis, je pensais que j’allais me remettre mon maillot à moi-même et en fait, pas du tout, c’est mon papa qui est venu pour me le remettre. Le souvenir qui va me rester, c’est celui-là : quand mon papa franchit cette porte et que je le vois, maillot dans la main. C’est une image qui va me rester. C’était une telle surprise !
Après il y a eu le match, ça aété dingue, on s’est bien amusées et, après, je ne m’attendais pas à avoir une telle ovation du public et des filles. C’est inoubliable.
Tu n’es pas la seule à quitter les rangs bleus, il y a eu Laure Sansus, Marjorie Mayans, Céline Ferer, Safi N’Diaye… un peu avant toi. Tu leur as parlé avant de te lancer à ton tour ?
Elles ont pris leur retraite après la Coupe du monde. Elles nous l’avaient annoncé avant, ce qui fait qu’on a eu du temps pour profiter d’elles, de leur leadership, de ce qu’elles sont.
Moi, je l’ai annoncé tardivement parce que je ne le savais pas encore vraiment. Les filles ont été surprises, elles m’ont demandé si je leur faisais une blague. Même la semaine dernière, elles m’ont dit : « Mais non, Jessy, tu ne peux pas arrêter, regarde les matches que tu fais ! ». Je suis contente qu’elles aient dit ça, ça renvoie une image positive, ça veut dire que je peux encore leur apporter et qu’elles non plus n’ont pas envie que ça s’arrête.
Je leur ai dit que, malheureusement, ce n’était pas une blague, que ce que l’on vivait était beau et qu’il fallait que l’on profite de tout.
Tu n’as pas pris encompte les conséquencessportives de ton départ sur le XV quandtu as pris ta décision?
Je n’ai pas ététiraillée par cesconsidérations tout simplementparce que je n’ai pas du tout parlé aux filles de ma décisiond’arrêter. Elles connaissentmonenvironnement,maiselles ne le vivent pas au quotidien avec ce manque de main d’œuvre à la ferme.
Monpère vaavoir 67 ans, monfrère n’arrive plus à toutgérer. Je n’ai pas ététiraillée, j’aiplutôteu des conversations bienveillantes sur le sujet. Àaucun moment on ne m’adit : « Reste dans le groupe, on a encore besoin de toi ».
Je pense que les filles ontcompris que c’était ma décision et qu’ellesontétébienveillantes. Avant, elles ne savaient pas que jevoulaismettre un terme à ma carrière internationale, je voulaisleur faire la surprise !
Tu as vécu de grandes choses avec l’équipe de France. Tu as deux VI Nations assortis de deux Grands Chelems à ton actif avec le XV, trois troisièmes places en Coupe du monde, tu participes aux JO de Rio avec le 7, tu as beaucoup voyagé et tout ça en l’espace de douze ans seulement. Ça été vite, ça été fort. Qu’est-ce que tu garderas de ton parcours sur le plan sportif ?
Quand tu en parles, je me dis que c’est dingue en fait ! J’ai l’impression que l’on parle d’une autre personne. C’est dingue ce parcours, je n’aurais jamais pensé un jour faire tout ça.
J’ai envie de dire merci parce que je pense que sans certains voyages, je n’aurais pas été la femme que je suis aujourd’hui. Certains ont été marquants dans mon passage en équipe de France. Ce qui était beau avec le 7, c’est que l’on voyageait, on faisait des stages, des compétitions à l’étranger et on profitait de la culture de chaque pays. Ça, ça m’a fait grandir, ça m’a fait prendre conscience de certaines choses et je pense que, si j’en suis là aujourd’hui, c’est que le 7 m’a beaucoup apporté sur le plan sportif et humain.
Moi, j’avais des difficultés avec la vie de groupe, mes débuts avec Romagnat ont été assez compliqués au regard de ça. Composer avec tout le monde était difficile pour moi et l’équipe de France m’a permis de prendre conscience que je n’étais pas toute seule sur le terrain, qu’il fallait composer avec tout le monde même si on n’est pas toutes fabriquées pareil et qu’on ne pense pas toutes la même chose.
Si tu ne devaisretenirqu’un moment de ta carrière, ceseraitlequel ? Les adieux grenobloisou un autre?
Grenoble, c’est tout récent, il y a beaucoup d’images qui me reviennent. Je repenseaussi à 2011, mon premier tournoi, mon premier match à la maison avec toutes les filles de Romagnat et toute ma famillepratiquement.
Malheureusement, les souvenirs d’il y a dix anscommencent un peu à s’effacer. J’en ai beaucoup en tête, maissi je doisenchoisir un tout de suite, ce sera Grenoble parce que c’est tout frais et que c’étaitvraimentexceptionnel.
Tu arrêtesl’équipe de France mais pas le rugby puisquetu continues en club avec l’ASMRomagnat. Tu vas disputer des saisonspleinesoujouer par intermittence quandtu auras le temps ?
Je vais continuer avec le club. Je finiscettesaison, je faiségalement la prochaine. J’aienvie de profiter, de renouer avec le rugby détente si je puis dire, sans la pression que j’aieuecesdouzedernières années.
Je veuxjuste prendre du plaisir, m’amuser avec les copines sur le terrain, leurapporter tout le bagage que j’aipuengrangeren équipe de France, le partager avec elles car ellesn’ont pas la chance d’avoirvécu tout ça. Çavaêtre du rugby cool.
Samedi, tu vas rendre les clefs de la maisonbleue. Tu vas leur dire quoi aux filles ?« Prenez-en bien soin » ?
Je n’ypensepas encore. Il y a un match important ce samedi, je ne saispas comment çava se goupillerderrière. J’essaierai de faire passer un message le plus posé et le plus judicieux possible. Mais je ne saispas encore lequel…
Ah, cette chouette impression du travail accompli, cette satisfaction d’avoir tout donné ! Puis, ce besoin impérieux de récompense. Et la récompense, on va pas se le cacher, c’est souvent dans l’assiette qu’on va la chercher. Mais est-ce bien raisonnable de se jeter sur tout ce qui n’est pas light, même si on s’est bougé pendant une heure ? La réponse éclairée de notre coach, Nathalie Servais. Lisez plutôt avant de dévorer !
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