Alexia Cerenys« Origine, sexualité, identité… en rugby, on s’en fout ! »
Elle est née dans un corps d’homme et s’est longtemps servie du rugby comme d’un exutoire. Alexia Cerenys, 35 ans, est la première joueuse transgenre à évoluer dans l’élite féminine. La troisième ligne de Lons, dans les Pyrénées-Atlantiques, est une femme engagée qui veut désormais montrer à tous et toutes que sport et transexualité peuvent naturellement fonctionner de pair. Rencontre avec une militante qui a brillamment transformé l’essai.
Par Sophie Danger
Publié le 27 janvier 2022 à 17h31, mis à jour le 16 février 2022 à 10h57
Ton parcours sportif a commencé par le football. À l’époque, tu es un jeune garçon, tu as 7 ans et tu es licencié au club de Mont-de-Marsan. Est-ce que c’était un choix personnel ou une discipline vers laquelle tu as été orientée au regard de ton appartenance sexuée ?
C’était un choix personnel. Je voulais faire comme mon père et, au début, ça me plaisait. Et puis, peu à peu, j’ai trouvé que la mentalité avait changé.
La France avait été championne du monde en 1998 et certains se voyaient très beaux alors que nous n’étions qu’en Régional.
Moi, je m’entendais très bien avec une partie de l’équipe mais, l’autre, était très individualiste. Ça se marchait un peu sur les pieds et je n’aimais pas trop cet univers-là.
Tu vas découvrir le rugby à l’adolescence, encouragée par tes copains de collège…
Oui, des copains m’ont encouragée à arrêter le footballet à venir au rugby. Ça a commencé dès la 6e, mais j’ai attendu la fin de la 4e pour faire un entraînement.
Après ça, j’ai décidé de m’engager et j’ai commencé lors de la saison 1999-2000.
Très tôt, tu as commencé à ressentir un certain mal être que tu n’arrives pas à expliquer. Est-ce que le fait de débarquer dans ce sport associé, chez les hommes, à l’image de la virilité pure et dure, te permettait de te rassurer, d’oublier ce qui se tramait dans ta tête ?
Il y a de ça. D’un côté, c’est un sport que je découvrais et qui me plaisait énormément. On courait, on touchait du ballon, ça me correspondait.
Dans le même temps, je me suis aperçue que le fait de rester dans un milieu très viril me confortait dans l’idée qu’il fallait rester dans les rails, qu’il ne fallait pas dévier et je me forçais à ne plus penser au mal-être que j’avais en moi.
Moi, généralement, quand je fais quelque chose, je le fais et je le vis à fond. Je me disais que tout ça était passager jusqu’à ce que ça revienne de plus en plus avec l’âge.
Est-ce que tu penses que le rugby a pu, malgré tout, te servir de détonateur ou d’accélérateur pour découvrir et accepter la femme que tu étais au fond de toi ?
Non pas du tout, bien au contraire. Cette femme, celle que je suis, je l’emprisonnais totalement. J’étais dans la contradiction permanente.
Quand j’allais aux entraînements, que j’étais avec le groupe, j’étais concentrée sur le rugby et il ne fallait pas que je laisse paraître le moindre gramme de féminité. À la longue, ça en devenait n’importe quoi, je surveillais ma façon de marcher, de m’exprimer…
Je m’interdisais tout ce qui avait trait aux stéréotypes et aux modèles féminins. Lorsque j’ai intégré les espoirs et que j’ai eu un appartement, je me torturais l’esprit quand je rentrais chez moi en me demandant pourquoi je réagissais comme ça.
J’ai fait des soirées, durant lesquelles, j’étais totalement déconnectée de ma véritable personnalité. J’étais dans le cliché du rugbyman et ça ne m’aidait pas à m’extérioriser.
Il s’avère que, sur le terrain, tu es douée. Est-ce que tu es parvenue à t’oublier au point de nourrir des ambitions professionnelles avec le rugby ?
Totalement. J’ai intégré le stade montois à 14 ans et j’ai fait trois années de cadet, deux années en Junior Crabos – la dernière à Périgueux – et j’ai enchaîné avec deux années en Reichel B. Par la suite, j’ai rejoins l’équipe espoir de Mont-de-Marsan.
Le but pour moi, à terme, était de décrocher un contrat professionnel mais ce rêve s’est s’envolé définitivement, en 2008, à cause des blessures.
Cette année-là, début janvier, je me fais une rupture partielle du ligament croisé interne et je suis arrêtée trois mois. Quand je reviens, en avril, je fais l’andouille à l’entraînement, mon genou craque et, là, c’est le ménisque donc rideau, fin du bal.
Je me fais opérer et je réintègre le groupe à la mi-août. À la veille de reprendre le championnat, je fais une accélération à l’entraînement et mon pied reste bloqué. Je me relève, je sens un énorme crac et hop, rupture ligamentaire de fatigue au niveau de la cheville.
Bilan, quatre mois d’arrêt ! En novembre, je décide d’arrêter. Fin de mon rêve de contrat pro.
Tu dis que cette fracture, entre celui que tu donnes à voire et celle que tu es en réalité, s’accentue de plus en plus au fil des années. Est-ce que tu arrives encore à donner le change ?
De temps à autre, je me re-questionnais mais je me disais non, tu fais du rugby, tu es un mec, tu restes un mec, pas d’ambiguïté possible.
Je me disais que ce n’était pas bien d’avoir ces pensées, j’étais un homme et il fallait rester dans le droit chemin, comme la société le dicte.
Lorsque je suis partie à Périgueux, j’ai vécu seule dans un appartement et les interrogations sont revenues, je pensais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. À mon retour à Mont-de-Marsan, j’ai commencé à franchir un cap.
Le jour, je vivais en garçon et, la nuit, je cédais petit à petit sur ma personnalité féminine. J’ai commencé à acheter des vêtements, à me faire une garde-robe. Au début, elle tenait dans une boite à chaussure puis dans un sac à dos.
Cette contradiction entre ce que je vivais le jour et ce que je vivais la nuit est devenue de plus en plus grande lorsque j’ai intégré les espoirs. C’est à ce moment-là que je me suis blessée.
Et ce sont finalement ces blessures qui vont te pousser à trancher et à prendre une décision.C’est très symbolique dans ton parcours ce corps qui te crie « stop » pendant que toi tu ne cesses de t’interroger sur lui…
À ce moment-là, dans ma tête, je suis perdue, je ne sais plus qui je suis. Je vivais ma vie de femme le soir et, le lendemain, il fallait en effacer toute trace pour vivre une journée de mec. J’avais l’impression d’être schizophrène, c’était le bazar total.
Quand je reprends les entraînements à l’été 2008, ça s’estompe un peu et puis je me blesse de nouveau. En novembre, je quitte les espoirs, je laisse passer toute une saison et un copain me dit de le rejoindre à Villeneuve de Marsan en Fédérale 3.
J’ai cédé et la fracture que je ressentais a diminué de nouveau en peu, le rugby devenait un garde-fou. Mais, en décembre, je me blesse une fois encore, une déchirure musculaire, et cette fois j’ai dit « stop », c’est définitif, j’arrête le rugby.
Tu vas faire ton coming out en février 2010 et entamer ta transition. Le rugby va rester assez loin de tes préoccupations pendant quelques années, jusqu’à ce que ton changement d’identité soit entériné. Tu t’attendais à ce que ce sport revienne dans ta vie ou tu avais tiré une croix définitive dessus ?
Je ne m’y attendais pas du tout. Pour moi, le rugby faisait partie de ma vie d’avant.
Au tout début, quand j’ai laissé tomber, ça me manquait beaucoup, c’était difficile, j’ai même arrêté d’aller voir les matches des potes. Au bout de quelques mois, je n’en ressentais plus la nécessité.
J’étais très concentrée sur ma transition. Et puis fin 2015, dans le cadre de mon travail, je discute avec un client qui me dit : « Pourquoi tu ne reprends pas le rugby ? Il y a une équipe féminine à Mont-de-Marsan. »
Ça a commencé à trotter dans ma tête et, en janvier 2016, j’ai appelé le secrétariat.
La première personne qui décroche, c’est la secrétaire qui me connaissait très bien avant. Je la préviens qu’elle risque de ne pas reconnaître ma voix car elle a un peu changé, je lui rappelle que j’ai joué en espoir, je lui donne mon ancien prénom et je lui demande quelles sont les conditions pour jouer avec les filles.
Après s’être renseignée, elle m’explique qu’il faut une carte d’identité avec la mention sexe féminin et une carte vitale avec le chiffre 2. Le 12 février 2016, je reçois ma carte d’identité, un mois plus tard ma carte vitale et au mois de mars, je prends ma licence rugby-loisir à Mont-de-Marsan.
J’ai fait ça sur un coup de tête, sans penser aux conséquences.
Les conséquences, elles sont d’abord physiques, tu manques d’entraînement, de jeu…
Techniquement, j’étais à la hauteur mais, physiquement, j’étais à la rue. Le traitement hormonal, qui a duré quatre ans, m’avait affaiblie et j’ai dû reprendre petit à petit.
Au début, un kilomètre de course à pied c’était le bout du monde ! J’ai également eu du mal à m’adapter à mes nouvelles capacités physiques et athlétiques. Je trouvais le rythme très lent.
J’avais toujours en tête la vitesse de jeu que j’avais avant et, en fin de compte, il y avait un énorme décalage entre mes souvenirs et mes capacités sportives du moment. Quand j’accélérais, ma tête était dix mètres devant, mes fesses dix mètres derrière.
De fil en aiguille, j’ai récupéré, j’ai perdu du poids et je me suis réappropriée mon corps sportivement.
Tu appréhendais aussi le regard sur ton nouveau corps…
Cette appréhension, je l’ai surtout eue lors des premiers entraînements. Je me demandais ce que les filles allaient dire quand elles allaient voir mon corps, j’avais peur du regard dans les vestiaires.
Au début, j’arrivais déjà changée mais, à un moment, quand on est très sale, il faut bien y aller !
Toi qui avais expérimenté l’esprit rugby en tant que garçon, est-ce que tu as retrouvé les mêmes valeurs lorsque tu as intégré les féminines ?
Que l’on soit chez les filles ou les garçons, ce sont les mêmes valeurs, c’est la famille, l’esprit de solidarité, l’intégration de tous.
Quelque soit notre origine, notre morphologie, notre sexualité ou notre identité, on s’en fout !
Les filles m’ont accueillie très chaleureusement et elles n’ont pas hésité à me dire que, si elles entendaient de mauvaises paroles, elles me défendraient, elles m’ont dit qu’elles ne toléreraient rien et ça a été le cas.
Lors d’un derby, par exemple, j’ai été insultée durant tout le match. Par la suite, des clubs ont porté réclamation au niveau de la Ligue. C’est comme ça qu’un journaliste de l’Équipe a eu connaissance de mon parcours et a voulu faire un papier sur moi.
Mon président m’avait conseillé d’attendre un peu mais ces péripéties m’ont poussée à l’appeler pour témoigner.
Ton histoire va faire de toi une figure de prou du combat pour l’acceptation des transexuels. Militer était une évidence ?
Dès lors que je me suis assumée, que je me suis acceptée, je suis allée dans des associations pour aider d’autres personnes. Ce témoignage dans la presse a été une prise de conscience.
À sa suite, j’ai reçu plein de mots d’encouragement en privé sur les réseaux sociaux et je me suis dit que j’allais commencer à porter un message positif pour les personnes trans qui voulaient reprendre le sport en club, leur montrer que c’était possible.
Tu es également montée au créneau quand World Rugby a voulu interdire aux femmes transgenres de prendre part aux compétitions féminines de haut niveau. Comment ça s’est passé ?
À l’été 2020, j’ai été contactée par un journaliste américain et un membre de l’association IGR – l’international Gay Rugby -, ils m’ont dit : « Regarde ce que propose World Rugby, ils sont en pleine réflexion pour interdire aux femmes trans d’intégrer les équipes, une interdiction totale » et ils m’ont demandé si je pouvais écrire une lettre de témoignage.
Je fais ma lettre, je l’envoie à l’IGR qui la transmet, dans le cadre d’un dossier, à World Rugby.
Parallèlement, je décide d’envoyer un mail à la présidence de la FFR pour faire part de mon inquiétude vis-à-vis de cette proposition. Bernard Laporte (Ndlr, le président de la FFR) m’a répondu dans la journée.
Je l’ai rencontré, lui et Serge Simon (Ndlr, vice-président de la FFR) et ils m’ont dit que World Rugby n’avait pas le droit d’aller à l’encontre du CIO ni des lois fédérales des pays et que, tant que je serai licenciée en France, mon avenir sportif ne serait pas remis en question.
World Rugby est un peu revenu sur sa proposition par la suite…
Bernard Laporte et Serge Simon m’ont conseillée d’interpeller le CIO, de constituer un dossier, de saisir la Cour européenne des droits de l’homme en cas de non réponse et j’ai tout transmis à l’IGR.
Fin 2020, World Rugby sort son fameux règlement mais ils ne sont plus sur une interdiction totale, ils déconseillent de sélectionner des femmes trans au niveau international.
Les fédérations canadienne, néo-zélandaise et australienne ont ouvertement dit qu’elles ne respecteraient pas ces recommandations et, le 17 mai dernier, la FFR a légiféré sur l’inclusion de toutes les personnes trans. Elles peuvent intégrer une équipe de rugby même en cours de transition, c’est une avancée majeure au niveau international et c’est aussi la première fédération, en France, à inclure des personnes trans dans son règlement.
Je précise que je n’ai pas été consultée pour ce règlement, qu’ils ne sont pas servis de mon cas. Serge Simon a une vision très large de l’inclusion et de l’intégration de toutes les personnes dans le rugby, il ne supporte pas les discriminations ni l’injustice.
Tu vas continuer à militer à leurs côtés ?
La FFR m’a demandé si je voulais être leur porte-parole. J’ai rejoins la CADET, la Commission anti-discriminations et égalité de traitement, en juin dernier. Alors, oui, je continue à militer.
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