Tu participes au quatrième opus de la web-série « Terrain favorable » consacrée au rugby et tu accompagnes deux jeunes joueurs basques à Madagascar à la rencontre de Marcelia, une jeune pêcheuse initiée à la discipline par une association qui s’appelle Terre en Mêlées.
Terre en Mêlées est une association que je connais très bien mais je ne savais pas quel impact pouvait réellement avoir le rugby à Madagascar et d’autant plus le rugby féminin.
Et là, nous avons eu la chance de rencontrer Marcelia, la Jonny Wilkinson de Madagascar ! Je participe à cette web-série depuis 2019 et encore une fois, ce tournage n’a été que du bonheur. Ce que l’on vit dans cette aventure est incroyable et ça permet de montrer que notre sport est une belle et grande famille et que ce sont les gens que l’on rencontre comme Marcelia qui font ce rugby que l’on affectionne, que l’on adore. C’est touchant.
Avant de rencontrer Marcelia, quel regard portais-tu sur le rugby féminin ?
J’ai un joli parcours avec le rugby féminin. J’ai travaillé pendant de longues années pour Eurosport et il se trouve que ma première intervention au sein de la rédaction, c’était à l’occasion de la Coupe du monde de rugby féminin de 2014 qui a eu lieu à Paris et à Marcoussis.
À l’époque, je n’avais pas d’a priori mais beaucoup d’interrogations. Je connaissais quelques joueuses pour les avoir croisées lorsque l’on jouait le VI Nations par exemple, mais il n’y avait pas vraiment de relais de communication entre nous.
Qu’est-ce qui t’a séduit dans le rugby pratiqué par les femmes ?
Tous les gens qui gravitaient autour du rugby féminin m’ont dit : « Tu vas voir, tu vas t’éclater et prendre un plaisir énorme à commenter les matches », effectivement, c’était de la folie !
Je me souviens que les organisateurs avaient été contraints de délocaliser les demies et les finales au stade Jean-Bouin et que les filles avaient fait stade comble pour l’ultime rencontre. C’était drôle parce que, lors de la finale, je suis passé devant les joueurs du Stade Français qui évoluent d’ordinaire dans ce stade et qui étaient présents pour la rencontre et ils m’ont dit :« Cali, il faut que l’on voit une finale de rugby féminin de Coupe du monde pour voir le stade plein ! »
Comment a évolué la discipline en une décennie selon toi ?
J’ai une amie, Lenaïg Corson, qui a été l’une des figures de ce rugby féminin pendant de longues années. Lenaïg a travaillé, comme toutes les autres avant elles, pour développer la discipline. Ce que ces filles ont fait pour leur sport, la manière dont elles ont porté le rugby pour l’amener à ce qu’il est aujourd’hui, voir maintenant l’exposition médiatique qui est la leur, je leur tire mon chapeau, je leur dit bravo et ce n’est pas fini.
Quand on voit l’attractivité des Championnats néo-zélandais ou anglais – où les filles sont quasiment pros – c’est ce que l’on souhaite pour elles aussi. Quand on parle de parité, quand on parle d’engagement, tout ça, elles en font partie.
de joueurs pro qui, aujourd’hui, entraînent des équipes féminines, sont unanimes pour dire que travailler avec les filles, ce n’est que du bonheur : ça ne chipote pas, ça s’entraîne deux fois plus que les garçons, ça s’investît et je dis respect.
Toi qui as joué en Nouvelle-Zélande et en Angleterre, est-ce qu’à l’époque tu as été surpris de voir l’engouement qu’il pouvait y avoir dans ces pays pour les rugbywomen ?
En Nouvelle-Zélande, le rugby est le sport roi, c’est hyper développé. Je n’ai pas été surpris de voir que le rugby féminin avait une telle exposition, mais ce qui est bien, c’est qu’aujourd’hui, la discipline attire de plus en plus de monde.
Quand tu vois le parcours de l’équipe de France, il est tout simplement incroyable ! Les filles sont en finale des Jeux Olympiques en rugby à 7, elles sont finalistes de la Coupe du monde à XV en Nouvelle-Zélande…
Moi, durant la finale, je faisais des bonds devant la télé ! J’étais comme un dingue. Je criais : « Allez-y les filles, montrez qui vous êtes ! » J’aurais tellement aimé qu’elles soient championnes du monde, elles auraient été les premières et ça aurait été, je pense, une très belle motivation pour les garçons.
L’équipe de France lors de la Coupe du monde de rugby 2022
On a la sensation que le rugby, qui a plutôt l’image d’un sport de « bonhommes », est plus concerné par la question du féminin que d’autres sports d’équipe. C’est une vue de l’esprit ou c’est vrai dans les faits ?
Je dirais que le rugby était et non pas est le sport de bonhommes par excellence. Le rugby a beaucoup évolué et il faut pour cela rendre hommage à des présidents comme Max Guazzini qui y ont contribué. Max a démocratisé, dépoussiéré certaines anciennes mentalités et ce n’est que du bonheur.
Quand tu rentres dans un vestiaire de rugby maintenant, tu n’as plus d’étiquette, tu es simplement membre d’une belle et grande famille et tout le monde partage, vit avec les forces et les faiblesses de chacun.
Moi, je suis partisan du sport féminin, je suis ambassadeur des coqs festifs, un club de rugby LGBT, et j’en suis fier. Je ne veux pas tout mélanger bien entendu mais le rugby, qui était un peu en retrait sur la question du féminin, a fait des progrès sur ce sujet comme sur d’autres. Tu trouves désormais des clubs très structurés, qui mettent filles et garçons sur un même pied d’égalité comme à Blagnac, au Stade Toulousain… Il y a une sacrée évolution sur ça.
Pour en revenir à « Terrain Favorable », on t’a senti très touché par le parcours de Marcelia. Quand elle parle de ce que le rugby représente pour elle, en quoi ça fait écho chez toi ?
Marcelia, je la connaissais en tant que joueuse mais là, j’ai découvert son parcours. J’ai appris qu’elle avait été maman à 13 ans, qu’elle fait un métier d’homme – elle est pêcheuse, elle plonge, elle fait de la chasse sous-marine – et que, grâce au rugby, elle vient en aide à sa famille, à son village.
Marcelia c’est une boule d’énergie, elle a plein de projets, elle ne se contente pas de l’exposition que lui donne le rugby et c’est ça qui est beau. Elle est la figure de proue de toutes les filles qui sont derrière.
Elle nous a présenté, par exemple, l’une de ses amies qui a trouvé, grâce au rugby, la force de ne plus subir un père violent. Toi, tu as beau avoir joué contre les All Blacks, contre les Sud-africains, tu te sens petit à côté d’elle, tu n’es rien. Tu te demandes comment elle a pu aller chercher cette force, ce courage de dire stop et ça, ça me touche. Quand tu rentres chez toi après avoir passé quelques jours en leur compagnie, tu es secoué.
La joueuse malgache Marcelia…©Terrain Favorable
En quoi le rugby est un révélateur, un liant ?
Quand tu rentres dans cette belle et grande famille du rugby, il n’y a pas de différences. C’est comme quand tu rentres dans un vestiaire, tu as des grands, des petits, des beaux, des pas beaux et au bout d’une heure, tout le monde est sur un pied d’agilité.
Le ballon de rugby, c’est tout con, mais ça casse tous les a priori, toutes les barrières. Quand on fait une mêlée par exemple, tu créés du lien et du liant, du moment où tu as ça, tu casses les barrières, tu effaces toutes les frontières. Ce que l’on recherche tous, c’est le partage, la communication.
Pourquoi on ne retrouve pas cette magie dans tous les autres sports ?
Chaque sport a sa particularité. Peut-être que le rugby est un peu à part dans le sens où on s’appuie sur des valeurs, on parle de transmission, de respect et tout le monde s’y retrouve, c’est universel.
Que tu ailles jouer au Japon, aux Fidji, à Madagascar ou dans un autre coin du monde, on partage tous les mêmes valeurs et c’est ce qui nous rassemble.
Avant Marcelia, est-ce que tu avais pensé au rugby comme vecteur d’émancipation ?
Chacun a un parcours de vie différent. Grâce au rugby, certains vont gagner de la confiance, d’autres vont arrêter de faire des conneries… Chacun à son histoire mais finalement, tu te dis que tous les parcours nous amènent au même point, dans le même vestiaire, avec la même passion, la même envie, celle de faire des choses ensemble.
La joueuse française Jessy Trémoulière qui a aujourd’hui pris sa retraite internationale.
Généralement, les joueuses qui s’aventurent dans une discipline considérée comme masculine estiment que la reconnaissance sera pleine et entière quand on n’apposera plus le qualificatif après le nom de leur sport. Ne plus parler de rugby féminin, c’est imaginable ?
Je pense que, pour être honnête, depuis 2014 l’année où j’ai eu la chance de commenter la Coupe du monde, je n’ai jamais fait de différence entre le rugby féminin et le rugby masculin. Quand elles portent le maillot de l’équipe de France, les filles font partie intégrante de ce que moi et les autres avons pu vivre à une certaine époque. Il n’y a pas de différence, on ne les catalogue pas.
Quand Gaëlle Hermet endosse le maillot de l’équipe de France et celui de Toulouse, elle fait partie des figures marquantes de ces deux institutions comme peuvent l’être Ntamack ou les autres, elle fait partie de cette grande famille.
Il y a très longtemps, on parlait de section féminine et je n’ai jamais supporté ce terme. Une section ça signifie une pièce rapportée et ça, ça n’existe pas.
Ouverture Équipe de France de rugby ©France Rugby
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