Vicky Carbonneau « Avec le vélo, les filles se découvrent, se libèrent. »

Vicky Carbonneau: « Avec le vélo, les filles se découvrent, se libèrent. »
Il n’existe pas, ou peu, d’ouvrages sur les femmes cyclistes ? Qu’à cela ne tienne, Vicky Carbonneau s’est emparée du sujet. La co-fondatrice de Girls en Wheels, à la tête du premier café-vélo installé au pied du Ventoux, signe un livre dans lequel elle donne de la visibilité à toutes celles qui ont fait et font le cyclisme féminin.

Par Sophie Danger

Publié le 14 décembre 2022 à 17h30, mis à jour le 13 janvier 2025 à 16h29

Tu expliques en préambule de ton livre « En danseuse, ces femmes qui révolutionnent le cyclisme » que lidée d’écrire test venu lorsque tu tes aperçue que la littérature concernant les femmes à vélo était quasi inexistante. Elles sont si transparentes, ces femmes, dans les écrits ?

Oui, cest comme ça que lidée d’écrire le livre mest venu. Javais envie de lire des ouvrages sur les grandes du vélo, je suis allée à la FNAC et je nai rien trouvé. Il y a des livres sur Eddy Merckx, sur Julian Alaphilippe mais, sur les femmes, il ny a rien.

Cest la même chose quand tu feuillettes les livres génériques sur le vélo, ils sont généralement illustrés uniquement avec des photos dhommes et tu te demandes immanquablement où sont les femmes dans tout ça. Cest étrange comme situation.

Personnellement, jai co-fondé la communauté des GOW, Girls On Wheels, il y a huit ans et les femmes sont bel et bien présentes dans ce milieu, tu les vois dailleurs partout : sur la route, au départ des coursesmais pas dans la littérature.

Si tu veux vraiment trouver un livre qui parle des femmes à vélo, il faut faire des recherches et commander sur internet.

Vicky Carbonneau, une Gow girl qui roule pour les femmes et minorités de genre.

Donc, aucune chance que tu découvres ces parcours par hasard ?

Cest ça et cest ce qui est dommage : si personne ne montre ces femmes dans les lieux où tout le monde passe, il ny a que ceux qui sont déjà intéressés par le sujet qui vont réussir à se procurer ces livres. Ça ne contribue pas à faire connaître ces femmes aux autres qui pourraient ainsi se dire : « Cette histoire mintéresse, je vais la lire  ! ».

Pour aller chercher le grand public, il faut que ces femmes soient mises en avant dans les médias et les librairies. 

Comment tu expliques ça ?

La plupart des gens avancent des raisons liées à largent : les livres sur les femmes ne rapportent pas. Cest ce même argument qui a conduit à larrêt du Tour de France, il y a quelques années. Tout cela crée un cercle vicieux. Pourtant, plus on montrera ces femmes, plus les gens sintéresseront au sujet et plus on vendra de livres.

Cest la même chose pour les journaux. La médiatisation nest pas la même en ce qui concerne le sport masculin et le sport féminin. Il y a eu, il y a deux ans, un webinaire sur le cyclisme féminin. Jeannie Longo y participait en compagnie de représentants de la presse et dASO (l’organisateur du Tour, Ndlr) et ces derniers expliquaient, en gros, que faire la Une sur le sport masculin leur rapportait plus de clics et plus de ventes.

©Thomas Maheux

Quel était ton but avec ce livre, amorcer le mouvement, réparer une injustice ?

Il faut se battre pour que les femmes trouvent leur place et ce nest pas facile. Convaincre des éditeurs que ce livre pouvait être vendu na dailleurs pas été chose aisée. Je pense quun auteur qui frappe à la porte dune maison d’édition en disant : « Je vous propose un livre sur Alaphilipe », personne ne se pose de questions, cest oui direct !

Moi, il a fallu que je sois appuyée par la Fédération Française de Cyclisme pour quil existe. Sans elle, il ne sortait pas. Jai eu de la chance, qui plus est, de trouver mon éditeur, dautres ne mont même pas donné de réponse. 

Dans cet ouvrage, tu pars à la rencontre dactrices du cyclisme, à la fois des championnes qui brillent dans différentes disciplines et des mécaniciennes, des coursières, une cadreusePourquoi ce choix ?

Je voulais montrer que, dans le cyclisme, il y en avait pour tout le monde. Jai récemment ouvert un café cycliste au pied du Ventoux et je me suis rendu compte que certaines personnes nosaient pas pousser la porte parce que, entre autres arguments, elles ne pratiquaient, par exemple, « que » le cyclotourisme de temps en temps. Ce nest pas parce quon nest pas cycliste sur route, que lon ne vise pas la performance, que lon nest pas digne dintérêt.

Dans le vélo, il ny a pas une pratique unique mais une variété de disciplines qui tapportent, chacune, quelque chose de différent. Les enfants commencent souvent par le VTT et/ou le BMX par exemple. Cest super comme école parce que tu vas chercher de l’équilibre, tu vas chercher de la technique et tu es beaucoup plus habile quand, par la suite, tu arrives sur le vélo de route.

Même sil m’était impossible de parler de tout car j’étais restreinte sur le nombre de pages, je pense que le livre montre un petit éventail de ce qui est possible dans le vélo. 

Axelle Etienne, l’une des championnes françaises de BMX

Tu emploies, au fil des pages, le terme « coureure », un choix des cyclistes professionnelles qui le préfèrent à « coureuse » très connoté sexuellement. L’égalité, ça passe aussi par le vocabulaire ?

Ça passe par des détails. Moi, je ne connaissais pas ce terme. Jai rencontré beaucoup de femmes pour écrire mon livre et, à chaque fois, il y avait ce mot qui revenait : « coureure ». Je me suis dit quil y avait là quelque chose : quand tu dis « coureure » à loral, les gens ne savent pas forcément que tu parles de cyclisme féminin. Nous nous sommes beaucoup questionnés avec mon éditeur avant de lutiliser mais, quand tu le lis, ça passe.

Après, est-ce que, au final, cest le bon mot ? Je ne sais pas, je me dis que nous sommes au début du cyclisme féminin et que, quand ce mot « coureuse », ne sera plus connoté sexuellement, on pourra probablement lutiliser sans avoir à se justifier. Enfin, je lespère.

©FDJ

Tu es toi-même pratiquante et aussi militante. Est-ce que tu tes reconnue dans ces différents parcours ?

Oui. Jai un parcours différent des filles de la section professionnelle, cest pour ça aussi que je tenais à mettre des cyclistes amateurs dans le livre.

Moi, je ne suis pas née sur un vélo, jai commencé tard et lidée était que chacune puisse se reconnaître à travers cet ouvrage. Tu peux trouver des témoignages de tes idoles, mais aussi de filles qui te ressemblent et, en les découvrant, tu peux te dire : « Si elle, elle réussit à faire ses deux-cent bornes, moi aussi  ! »

Est-ce que tu dirais que les problématiques rencontrées par les femmes cyclistes sont les mêmes pour toutes les disciplines ou est-ce que certaines sont plus ouvertes pour ce qui est des questions de mixité, de parité ? 

Jai limpression que tout ce qui est VTT, BMX, cest beaucoup plus mixte. La raison est peut-être que les femmes ny sont pas nombreuses, demblée elles sentraînent avec les garçons.

À linverse, tout ce qui concerne la route est beaucoup plus segmenté. À partir dun certain âge, garçons et filles sont séparés même sil peut y avoir des entraînements communs. La problématique nest pas tout à fait la même.

Néanmoins, certaines mont expliqué que, en ce qui concerne le vélo de route, il leur avait été difficile de courir et de ne pas se faire distancer par les garçons. Il y avait moins de bienveillance, on ne les attendait pas pour leur donner des conseils.

Mais, malgré tout, cette situation leur avait permis de se dépasser, daller plus loin : il fallait suivre pour ne pas être larguées. Pour cette raison, elles avaient tout donné, étaient allées au bout delles-mêmes, et avaient ainsi pu atteindre le niveau pro.

©FISE

Et en ce qui concerne les problématiques salariales ?

La discipline la plus médiatisée est le vélo de route. Les filles ont mené le combat pour devenir pro, pour avoir de plus gros salaires et ça, tu ne le sens pas en VTT et en BMX.

En BMX, Les filles me disaient dailleurs, quen ce moment, c’était la situation inverse : le marché féminin se développe et les sponsors commencent à chercher des pilotes femmes. Les marques se disent quil y a un marché, de largent, quelles vont pouvoir vendre. Elles viennent donc les aborder.

Tu parles également dhistoire dans ton livre et tu rappelles que le vélo a été un outil d’émancipation pour les femmes. En quel sens ?

Avec le vélo, tu vas plus loin, tu nattends pas ton mari, tu découvres des villages, tu découvres quil se passe des choses aux alentoursCest encore le cas aujourdhui. Tu as toujours limpression davoir besoin de ton homme pour aller quelque part et je trouve quavec le vélo, les filles se découvrent, se libèrent, elles prennent conscience quelles ont des capacités, quelles nont pas besoin d’être accompagnées, que sil leur arrive quelque chose sur la route, elles sont capables de sen sortir.

De manière générale, que tu sois une femme ou un homme, le vélo libère. Quand tu demandes à quelquun pourquoi il pratique, la première réponse est le goût de la liberté.

Pour en revenir aux femmes, le vélo a aussi permis de faire évoluer le vêtement. Au début, les femmes étaient obligées de rouler avec de grosses robes massives et encombrantes jusqu’à ce que certaines osent le pantalon.

Une fois que cest là, ça se transpose dans la société : certaines le portent sur le vélodrome, ça commence à aller dans la rue et ça donne une impulsion qui a permis la libération vestimentaire.

Lisette Marton, 1896 ©Wikipedia Commons

À te lire, on voit comment le cyclisme féminin est passé par des phases damour et de désamour. Il va être interdit, revenir, pour finalement prendre de plus en plus de place et ça, uniquement grâce à la passion de ces pionnières qui nont pas voulu rentrer dans le rang.

Ça vaut pour le vélo, la passion, mais ça vaut aussi pour tous les domaines. La passion, cest ce qui te drive, si tu nes pas passionnée tu es vite arrêtée.

On a des femmes comme Marie-Françoise Potereau qui disent que, quand elles pratiquaient en compétition, il ny avait rien pour elles, mais tu ne tarrêtes pas à ça parce que tu as envie. Il y a quelque chose qui te pousse et tu y vas.

Grâce à mon café, j’entends plein d’histoires, je rencontre une foule de gens et on voit bien que ce sont des fous de vélo. Quand tu tombes dedans, tu accroches et, en six mois, tu deviens dingue et tu nas plus quune envie : parler de ça !

L’équipe de « Donnons des Elles au vélo »… ©Marie Istil Photo

On a néanmoins limpression que le cyclisme féminin relève du miracle !

Il y a effectivement des femmes qui ont marqué lhistoire et cest une chance quelles aient été là et quelles se soient battues pour les tenues, pour avoir le droit de courir sur un vélodrome, sur route.

La première femme qui est allée sur le Giro a permis, par la suite, douvrir des courses aux femmes et ainsi de suite. Au début, je voulais appeler mon livre « Héroïnes ». Toutes ces femmes ont bâti quelque chose à leur niveau et chaque petit geste a compté. Elles ont été drivées par leur passion pour le vélo et ça a fait grandir le tout.

En 1924, Alfonsina Strada devient la première femme, et la seule encore à ce jour, à prendre part au Giro.

Un peu plus dun siècle après que les femmes se soient emparées du vélo, tu dirais que lon en est où à présent ? Est-ce quil reste encore beaucoup de combats à mener ?

Il y en a encore, oui. Un exemple tout bête : ce livre, ce sont en majorité des femmes qui lachètent ou des hommes mais… pour loffrir à une femme. Jai demandé à mon éditeur si les cafés-vélos en avaient pris quelques exemplaires et ils sont très peu nombreux à lavoir fait. Ça ma choquée, je me suis dit quil y en avait encore beaucoup à ne pas croire au cyclisme féminin.

Il y a aussi le combat pour les salaires. Il y a des choses qui se mettent en place pour parvenir à l’égalité dans quelques années mais pourquoi ne pas le faire dès à présent ?

Pareil pour ce qui est de la médiatisation. Cest pour cela dailleurs que jai voulu parler de paracyclisme. Pour ces filles, le combat est double : médiatiser le handicap et médiatiser la discipline.  

La paracycliste française Marie Patouillet, médaillée de bronze aux JO de Tokyo 2021.

Et ces combats, ils doivent obligatoirement être portés par les femmes pour les femmes ?

Plus ce sera supporté et fait par les femmes, mieux ce sera. La réflexion est différente quand elle vient des femmes. Pour les marques de vêtements, par exemple, si cest pensé pour les femmes, tu sais plus facilement ce dont elles ont besoin.

En ce moment, tu as beaucoup dhommes à la tête des instances dirigeantes, des entreprises. Il faut qu’eux aussi supportent cette cause. Jespère que les mentalités vont changer. Les personnes de mon âge sont plus ouvertes.

Il faut que lon continue à se battre et on est capables de le faire. Mais ce sera encore mieux si lon est entourées dhommes bienveillants pour porter tous ces projets.

Vicky Carbonneau

 

  • Girls en Wheels Collectif de cyclistes féminines créé en 2016 dans le but de se réunir pour rouler ensemble
  •  Pista : Café-vélo situé au pied du Mont Ventoux 
  • « En danseuse, ces femmes qui révolutionnent le vélo »Éditions Amphora 

D'autres épisodes de "Cyclisme, dans la roue des sportives"

Vous aimerez aussi…

Juliana Buhring

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Des conseils littéraires pour l’été (dont le livre de Juliana Buhring sur notre photo), une rencontre familiale et à cheval, deux festivals ÀBLOCK! comme on les aime, un questionnaire sportif en vidéo avec une triathlète, mais aussi du basket, c’est le meilleur de la semaine. Enjoy !

Lire plus »
Clarisse Agbegnenou

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Un nageur artistique et une pilote moto confrontés tous les deux au sexisme, une boxeuse ambitieuse ou encore 5 infos clés sur l’une des meilleures judokates mondiales, Clarisse Agbegnenou (sur notre photo), c’est le meilleur d’ÀBLOCK! cette semaine. Enjoy !

Lire plus »
Un Sacré-Coeur pour un trail à pleins poumons

Un Sacré-Coeur pour un trail à pleins poumons

Le 2 octobre, la foule de touristes sera remplacée par des sportifs tout en jambes sur la butte Montmartre et autour du Sacré-Cœur. La troisième édition de l’Urban Trail de la Fondation du Souffle accueillera 1000 volontaires, le tout pour la bonne cause. C’est déjà l’heure de s’inscrire !

Lire plus »
Il était une fois le marathon… féminin

Il était une fois le marathon… féminin

Le 24 septembre 2023, sur le marathon de Berlin, l’Éthiopienne Tigist Assefa, 28 ans, devint la nouvelle reine du marathon, bouclant les 42,195 km en 2 h 11’’52. Mais pour que ces championnes puissent gagner à grandes foulées, il a fallu que d’autres filles intrépides battent le pavé. Histoire express d’une course longue distance conjuguée au féminin.

Lire plus »
Bgirl India Sardjoe, un flow olympique

Bgirl India Sardjoe, un flow olympique

Plus que quelques mois avant que le breaking ne fasse officiellement son apparition aux Jeux Olympiques. Un rendez-vous qui fait rêver les Bgirls et Bboys. La Néerlandaise India Sardjoe est prête à se lancer dans la battle pour l’or. Portrait d’une breakeuse d’exception.

Lire plus »

Peterson Ceus : « La Gym Rhythmique masculine renvoie une image féminine de l’homme et ce n’est pas bien vu… »

Pour lui, c’est sa gym, sa bataille. Peterson Ceus se bat depuis sept ans pour que la gymnastique rythmique masculine soit reconnue par les instances sportives et devienne discipline olympique. Un combat contre les inégalités de genre qu’il espère mener à terme pour les générations à venir. Rencontre avec un athlète que rien ni personne n’est parvenu à mettre au tapis.

Lire plus »
Dominique Carlac’h : « Grâce au sport, j’ai appris que la peur de l'échec ne l'emporte pas. Il faut y aller. »

Dominique Carlac’h : « Grâce au sport, j’ai appris que la peur de l’échec ne l’emporte pas. Il faut y aller. »

Elle aime se définir comme une femme d’engagement. La Bretonne Dominique Carlac’h co-préside, du haut de son 1,84m, aux destinés du Medef. Elle est aussi cheffe d’entreprise et ex-sportive de haut niveau, championne de France au 400m. Le sport l’a nourrie, construite, presque façonnée. Mais il l’a aussi fragilisée, bouleversée. Entretien XXL avec une drôle de dame qui n’a plus peur de rien.

Lire plus »
diane mary hardy

Diane Marie-Hardy, l’athlétisme chevillé au cœur

Une tête bien faite dans un corps d’athlète. Diane Marie-Hardy, heptathlète de 24 ans, bientôt en possession d’un diplôme d’ingénieur, gravit, en parallèle, les marches du podium de l’athlétisme français et européen.

Une passion et une implication chevillées au corps (et au cœur) qu’elle a appris à gérer en se façonnant un mental d’acier. Rencontre inspirante.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner