Vicky Carbonneau « Avec le vélo, les filles se découvrent, se libèrent. »
Il n’existe pas, ou peu, d’ouvrages sur les femmes cyclistes ? Qu’à cela ne tienne, Vicky Carbonneau s’est emparée du sujet. La co-fondatrice de Girls en Wheels, à la tête du premier café-vélo installé au pied du Ventoux, signe un livre dans lequel elle donne de la visibilité à toutes celles qui ont fait et font le cyclisme féminin.
Par Sophie Danger
Publié le 14 décembre 2022 à 17h30
Tu expliques en préambule de ton livre « En danseuse, ces femmes qui révolutionnent le cyclisme » que l’idée d’écrire t’est venu lorsque tu t’es aperçue que la littérature concernant les femmes à vélo était quasi inexistante. Elles sont si transparentes, ces femmes, dans les écrits ?
Oui, c’est comme ça que l’idée d’écrire le livre m’est venu. J’avais envie de lire des ouvrages sur les grandes du vélo, je suis allée à la FNAC et je n’ai rien trouvé. Il y a des livres sur Eddy Merckx, sur Julian Alaphilippe mais, sur les femmes, il n’y a rien.
C’est la même chose quand tu feuillettes les livres génériques sur le vélo, ils sont généralement illustrés uniquement avec des photos d’hommes et tu te demandes immanquablement où sont les femmes dans tout ça. C’est étrange comme situation.
Personnellement, j’ai co-fondé la communauté des GOW, Girls On Wheels,il y a huit ans et les femmes sont bel et bien présentes dans ce milieu, tu les vois d’ailleurs partout : sur la route, au départ des courses… mais pas dans la littérature.
Si tu veux vraiment trouver un livre qui parle des femmes à vélo, il faut faire des recherches et commander sur internet.
Vicky Carbonneau, une Gow girl qui roule pour les femmes et minorités de genre.
Donc, aucune chance que tu découvres ces parcours par hasard ?
C’est ça et c’est ce qui est dommage : si personne ne montre ces femmes dans les lieux où tout le monde passe, il n’y a que ceux qui sont déjà intéressés par le sujet qui vont réussir à se procurer ces livres. Ça ne contribue pas à faire connaître ces femmes aux autres qui pourraient ainsi se dire : « Cette histoire m’intéresse, je vais la lire ! ».
Pour aller chercher le grand public, il faut que ces femmes soient mises en avant dans les médias et les librairies.
Comment tu expliques ça ?
La plupart des gens avancent des raisons liées à l’argent : les livres sur les femmes ne rapportent pas. C’est ce même argument qui a conduit à l’arrêt du Tour de France, il y a quelques années. Tout cela crée un cercle vicieux. Pourtant, plus on montrera ces femmes, plus les gens s’intéresseront au sujet et plus on vendra de livres.
C’est la même chose pour les journaux. La médiatisation n’est pas la même en ce qui concerne le sport masculin et le sport féminin. Il y a eu, il y a deux ans, un webinaire sur le cyclisme féminin. Jeannie Longo y participait en compagnie de représentants de la presse et d’ASO (l’organisateur du Tour, Ndlr) et ces derniers expliquaient, en gros, que faire la Une sur le sport masculin leur rapportait plus de clics et plus de ventes.
Quel était ton but avec ce livre, amorcer le mouvement, réparer une injustice ?
Il faut se battre pour que les femmes trouvent leur place et ce n’est pas facile. Convaincre des éditeurs que ce livre pouvait être vendu n’a d’ailleurs pas été chose aisée. Je pense qu’un auteur qui frappe à la porte d’une maison d’édition en disant : « Je vous propose un livre sur Alaphilipe », personne ne se pose de questions, c’est oui direct !
Moi, il a fallu que je sois appuyée par la Fédération Française de Cyclisme pour qu’il existe. Sans elle, il ne sortait pas. J’ai eu de la chance, qui plus est, de trouver mon éditeur, d’autres ne m’ont même pas donné de réponse.
Dans cet ouvrage, tu pars à la rencontre d’actrices du cyclisme, à la fois des championnes qui brillent dans différentes disciplines et des mécaniciennes, des coursières, une cadreuse… Pourquoi ce choix ?
Je voulais montrer que, dans le cyclisme, il y en avait pour tout le monde. J’ai récemment ouvert un café cycliste au pied du Ventoux et je me suis rendu compte que certaines personnes n’osaient pas pousser la porte parce que, entre autres arguments, elles ne pratiquaient, par exemple, « que » le cyclotourisme de temps en temps. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas cycliste sur route, que l’on ne vise pas la performance, que l’on n’est pas digne d’intérêt.
Dans le vélo, il n’y a pas une pratique unique mais une variété de disciplines qui t’apportent, chacune, quelque chose de différent. Les enfants commencent souvent par le VTT et/ou le BMX par exemple. C’est super comme école parce que tu vas chercher de l’équilibre, tu vas chercher de la technique et tu es beaucoup plus habile quand, par la suite, tu arrives sur le vélo de route.
Même s’il m’était impossible de parler de tout car j’étais restreinte sur le nombre de pages, je pense que le livre montre un petit éventail de ce qui est possible dans le vélo.
Tu emploies, au fil des pages, le terme « coureure », un choix des cyclistes professionnelles qui le préfèrent à « coureuse » très connoté sexuellement. L’égalité, ça passe aussi par le vocabulaire ?
Ça passe par des détails. Moi, je ne connaissais pas ce terme. J’ai rencontré beaucoup de femmes pour écrire mon livre et, à chaque fois, il y avait ce mot qui revenait : « coureure ». Je me suis dit qu’il y avait là quelque chose : quand tu dis « coureure »à l’oral, les gens ne savent pas forcément que tu parles de cyclisme féminin. Nous nous sommes beaucoup questionnés avec mon éditeur avant de l’utiliser mais, quand tu le lis, ça passe.
Après, est-ce que, au final, c’est le bon mot ? Je ne sais pas, je me dis que nous sommes au début du cyclisme féminin et que, quand ce mot « coureuse », ne sera plus connotésexuellement, on pourra probablement l’utiliser sans avoir à se justifier. Enfin, je l’espère.
Tu es toi-même pratiquante et aussi militante. Est-ce que tu t’es reconnue dans ces différents parcours ?
Oui. J’ai un parcours différent des filles de la section professionnelle, c’est pour ça aussi que je tenais à mettre des cyclistes amateurs dans le livre.
Moi, je ne suis pas née sur un vélo, j’ai commencé tard et l’idée était que chacune puisse se reconnaître à travers cet ouvrage. Tu peux trouver des témoignages de tes idoles, mais aussi de filles qui te ressemblent et, en les découvrant, tu peux te dire : « Si elle, elle réussit à faire ses deux-cent bornes, moi aussi ! ».
Est-ce que tu dirais que les problématiques rencontrées par les femmes cyclistes sont les mêmes pour toutes les disciplines ou est-ce que certaines sont plus ouvertes pour ce qui est des questions de mixité, de parité ?
J’ai l’impression que tout ce qui est VTT, BMX, c’est beaucoup plus mixte. La raison est peut-être que les femmes n’y sont pas nombreuses, d’emblée elles s’entraînent avec les garçons.
À l’inverse, tout ce qui concerne la route est beaucoup plus segmenté. À partir d’un certain âge, garçons et filles sont séparés même s’il peut y avoir des entraînements communs. La problématique n’est pas tout à fait la même.
Néanmoins, certaines m’ont expliqué que, en ce qui concerne le vélo de route, il leur avait été difficile de courir et de ne pas se faire distancer par les garçons. Il y avait moins de bienveillance, on ne les attendait pas pour leur donner des conseils.
Mais, malgré tout, cette situation leur avait permis de se dépasser, d’aller plus loin : il fallait suivre pour ne pas être larguées. Pour cette raison, elles avaient tout donné, étaient allées au bout d’elles-mêmes, et avaient ainsi pu atteindre le niveau pro.
Et en ce qui concerne les problématiques salariales ?
La discipline la plus médiatisée est le vélo de route. Les filles ont mené le combat pour devenir pro, pour avoir de plus gros salaires et ça, tu ne le sens pas en VTT et en BMX.
En BMX, Les filles me disaient d’ailleurs, qu’en ce moment, c’était la situation inverse : le marché féminin se développe et les sponsors commencent à chercher des pilotes femmes. Les marques se disent qu’il y a un marché, de l’argent, qu’elles vont pouvoir vendre. Elles viennent donc les aborder.
Tu parles également d’histoire dans ton livre et tu rappelles que le vélo a été un outil d’émancipation pour les femmes. En quel sens ?
Avec le vélo, tu vas plus loin, tu n’attends pas ton mari, tu découvres des villages, tu découvres qu’il se passe des choses aux alentours… C’est encore le cas aujourd’hui. Tu as toujours l’impression d’avoir besoin de ton homme pour aller quelque part et je trouve qu’avec le vélo, les filles se découvrent, se libèrent, elles prennent conscience qu’elles ont des capacités, qu’elles n’ont pas besoin d’être accompagnées, que s’il leur arrive quelque chose sur la route, elles sont capables de s’en sortir.
De manière générale, que tu sois une femme ou un homme, le vélo libère. Quand tu demandes à quelqu’un pourquoi il pratique, la première réponse est le goût de la liberté.
Pour en revenir aux femmes, le vélo a aussi permis de faire évoluer le vêtement. Au début, les femmes étaient obligées de rouler avec de grosses robes massives et encombrantes jusqu’à ce que certaines osent le pantalon.
Une fois que c’est là, ça se transpose dans la société : certaines le portent sur le vélodrome, ça commence à aller dans la rue et ça donne une impulsion qui a permis la libération vestimentaire.
À te lire, on voit comment le cyclisme féminin est passé par des phases d’amour et de désamour. Il va être interdit, revenir, pour finalement prendre de plus en plus de place et ça, uniquement grâce à la passion de ces pionnières qui n’ont pas voulu rentrer dans le rang.
Ça vaut pour le vélo, la passion, mais ça vaut aussi pour tous les domaines. La passion, c’est ce qui te drive, si tu n’es pas passionnée tu es vite arrêtée.
On a des femmes comme Marie-Françoise Potereau qui disent que, quand elles pratiquaient en compétition, il n’y avait rien pour elles, mais tu ne t’arrêtes pas à ça parce que tu as envie. Il y a quelque chose qui te pousse et tu y vas.
Grâce à mon café, j’entends plein d’histoires, je rencontre une foule de gens et on voit bien que ce sont des fous de vélo. Quand tu tombes dedans, tu accroches et, en six mois, tu deviens dingue et tu n’as plus qu’une envie : parler de ça !
On a néanmoins l’impression que le cyclisme féminin relève du miracle !
Il y a effectivement des femmes qui ont marqué l’histoire et c’est une chance qu’elles aient été là et qu’elles se soient battues pour les tenues, pour avoir le droit de courir sur un vélodrome, sur route.
La première femme qui est allée sur le Giro a permis, par la suite, d’ouvrir des courses aux femmes et ainsi de suite. Au début, je voulais appeler mon livre « Héroïnes ». Toutes ces femmes ont bâti quelque chose à leur niveau et chaque petit geste a compté. Elles ontété drivées par leur passion pour le vélo et ça a fait grandir le tout.
En 1924, Alfonsina Strada devient la première femme, et la seule encore à ce jour, à prendre part au Giro.
Un peu plus d’un siècle après que les femmes se soient emparées du vélo, tu dirais que l’on en est où à présent ? Est-ce qu’il reste encore beaucoup de combats à mener ?
Il y en a encore, oui. Un exemple tout bête : ce livre, ce sont en majorité des femmes qui l’achètent ou des hommes mais… pour l’offrir à une femme. J’ai demandé à mon éditeur si les cafés-vélos en avaient prisquelques exemplaires et ils sont très peu nombreux à l’avoir fait. Ça m’a choquée, je me suis dit qu’il y en avait encore beaucoup à ne pas croire au cyclisme féminin.
Il y a aussi le combat pour les salaires. Il y a des choses qui se mettent en place pour parvenir à l’égalité dans quelques années mais pourquoi ne pas le faire dès à présent ?
Pareil pour ce qui est de la médiatisation. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai voulu parler de paracyclisme. Pour ces filles, le combat est double : médiatiser le handicap et médiatiser la discipline.
La paracycliste française Marie Patouillet, médaillée de bronze aux JO de Tokyo 2021.
Et ces combats, ils doivent obligatoirement être portés par les femmes pour les femmes ?
Plus ce sera supporté et fait par les femmes, mieux ce sera. La réflexion est différente quand elle vient des femmes. Pour les marques de vêtements, par exemple, si c’est pensé pour les femmes, tu sais plus facilement ce dont elles ont besoin.
En ce moment, tu as beaucoup d’hommes à la tête des instances dirigeantes, des entreprises. Il faut qu’eux aussi supportent cette cause. J’espère que les mentalités vont changer. Les personnes de mon âge sont plus ouvertes.
Il faut que l’on continue à se battre et on est capables de le faire. Mais ce sera encore mieux si l’on est entourées d’hommes bienveillants pour porter tous ces projets.
Vicky Carbonneau
Girls en Wheels Collectif de cyclistes féminines créé en 2016 dans le but de se réunir pour rouler ensemble
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