Tu es aujourd’hui une championne cycliste. Or, tu es née avec une malformation. Pourtant, dès ton plus jeune âge, tu pratiques tous les sports ou presque… course à pied, natation, ski, surf, hand… C’était le sport à tout prix ?
Sachant qu’un jour, je serai limitée, j’avais envie de découvrir tous les sports possibles et qui m’attiraient. Je me suis lancée dans le sport comme on se lance dans l’inconnu. Personne ne pouvait me dire jusqu’où j’allais pouvoir aller.
Comment as-tu géré ce handicap, physiquement et mentalement ?
Petite, je ne me posais pas trop de questions : j’avais cette insouciance de l’enfance, je n’avais pas d’attentes, je n’avais pas peur de l’échec. J’étais super contente de faire du sport, point.
Mais, c’est vraiment le sport qui m’a permis de me connaître et de percevoir mes limites. C’est comme ça que j’ai découvert le dépassement de soi et ça m’a beaucoup aidée par la suite. Je crois que ça me vidait la tête aussi.
C’était une échappatoire : pour évacuer la tristesse qui découlait du harcèlement scolaire, à cause de ma malformation.
Et puis, il y eut ce virage fantastique… la découverte du vélo. Raconte-nous ton entrée quasi destinée sur cette piste-là…
J’avais 29 ans et je finissais mes études de médecine dans l’armée. J’ai dû me confronter au fait que ma cheville ne fonctionnait plus comme avant… J’ai été réformée du service de santé des armées car j’étais inapte physiquement.
J’apprends aussi que je ne peux plus pratiquer que deux sports : la natation et le vélo. C’est à ce moment-là qu’une amie m’offre un dossard pour la course en amateur de l’Étape du Tour de France (2017). Même si j’ai galéré pendant neuf heures et que la course a été très dure à terminer, j’ai ressenti un réel plaisir qui rejoignait cette notion de dépassement de soi qui m’avait toujours portée dans ma pratique du sport.
C’était un bonheur de vivre ces sensations que je ne pensais plus pouvoir retrouver. J’avais enfin récupéré cette envie d’aller chercher des objectifs.
Ma dégénérescence articulaire aurait pu m’empêcher de pratiquer un sport mais, avec le vélo, il semblait ne plus y avoir de fatalité. J’avais encore une chance de pratiquer !
Tu débutes en 2018 dans le cyclisme sur piste et tu es alors licenciée de l’US Créteil qui est une fabrique de champions. Comment, à partir de là, tu t’engages à fond dans le haut niveau ?
J’ai d’abord pratiqué le vélo au sein d’un club dans le 92 pendant un an, mais je n’avais pas trouvé là le bon endroit pour progresser. C’est grâce à une rencontre fortuite que l’on m’a proposé de venir à l’US Créteil. On m’a repérée.
Ça a été un peu le destin. Et c’est rare à mon âge de se lancer dans le haut niveau. On m’a mis à disposition les mêmes moyens qu’aux élites. Au début, je ne réalisais pas trop, je ne me sentais presque pas légitime. Il m’a fallu plusieurs mois pour me dire que j’étais à ma place.
C’est avec les conseils de Grégory Baugé, neuf fois titrés champion du monde de cyclisme sur piste, que je parviens à progresser rapidement. Actuellement, je m’entraîne à l’INSEP cinq à six jours par semaine et une à deux fois par jour.
Consécration en 2019 : tu décroches la médaille de bronze sur piste aux championnats du monde au 500 m arrêté C5. Tu es l’ « outsider » dis-tu…
À partir de ce moment-là, on me dit que je devrais viser les Jeux de Tokyo, mais ça me paraissait top tôt. J’étais plutôt sur Paris 2024. J’exerçais la médecine en parallèle de mes entraînements qui n’étaient pas encore aussi intenses qu’aujourd’hui.
Quand le projet de Tokyo est devenu réalité, j’ai préparé les choses de manière intensive, de mars 2021 jusqu’aux Jeux en août 2021, je me suis consacrée essentiellement au vélo. J’ai donc stoppé mon activité professionnelle. Mais j’ai la chance d’avoir pu intégrer l’Armée des Champions et d’être soutenue par des sponsors même si je ne gagne pas aussi bien ma vie que si j’exerçais la médecine !
Le cyclisme féminin est encore un terrain confidentiel donc faire des médailles aide à la médiatisation, donc aux financements et ainsi de suite…
Justement, les Jeux paralympiques de Tokyo arrivent. Tu remportes deux médailles de bronze : une en poursuite individuelle C5 et une en épreuve sur route…le Graal pour toi ?
Ce qui est assez étrange, c’est que ce ne sont pas ces deux médailles dont je suis la plus fière même si, bien sûr, c’est un accomplissement et j’en suis heureuse.
La course que j’ai préférée est celle sur 500m contre-la-montre C4-C5 où je suis arrivée quatrième car j’ai fait un temps qui, à mes yeux, est exceptionnel (un chrono en 36 secondes et 683 millièmes qui améliore son record personnel, Ndlr). Cela vaut presque les deux médailles pour moi !
Quels sont tes ressentis quand tu es en selle ?
Je retrouve la sensation que j’avais en course à pied – mon premier amour en sport – mais démultipliée. Car on va plus vite et en particulier sur la piste. On s’enivre de vitesse, on se sent extrêmement libre surtout quand, dans la vie de tous les jours, on est limité physiquement. Ça me fait presque oublier que je ne peux pas courir ou porter de charges lourdes. Je vais quasiment aussi vite que les athlètes sans handicap, comme si j’avais des jambes « normales », c’est grisant !
Le 500m est ma discipline préférée : beaucoup de gens vous diront que je n’ai pas le gabarit pour faire du sprint, mais c’est là où je prends le plus de plaisir sur le vélo.
Qu’est-ce qui t’a toujours poussée à continuer le vélo ?
Dans n’importe quel projet, ça a été le plaisir, le plaisir de l’objectif. Mon envie et mon désir doivent primer avant tout. C’est grâce à ça que je peux me lancer, faire des séances d’entraînements hyper dures, aller dans le dépassement de moi-même.
C’est sûr que dans le sport de haut niveau, la notion de performance implique de devoir aller plus loin que ce que le corps entend faire au départ, il faut parfois serrer les dents. Si on a un objectif, c’est un bonheur immense de tout faire pour y arriver.
Un moment difficile dans ta jeune carrière mais qui t’a permis de prendre un nouveau virage ?
Le moment le plus dur a été d’être réformée de l’armée parce qu’on m’a annoncé que la course à pied, c’était fini pour moi. La phase de deuil a été très compliquée.
Heureusement, cette course de 2017 a été une révélation pour moi : même sans la course à pied, j’étais capable de me dépasser grâce au sport. Ça a effacé ma frustration.
C’est aussi grâce au sport que je me suis lancée dans mes études de médecine. En cours, je n’étais pas une très bonne élève, le sport m’a offert ce cadeau de pouvoir croire en moi. C’est parce que, sur les terrains, j’arrivais à me dépasser, que j’arrivais à aller au-delà de ma douleur, que je savais que j’arriverai également à affronter cette compétition dans le monde de la médecine.
Comment gères-tu ton mental sur la piste ?
Je suis hyper bien entourée, des gens que j’ai choisis comme Grégory Beaugé ou ma préparatrice mentale. Je suis donc dans une structure en laquelle j’ai confiance.
Mon but est plutôt d’aller chercher des records personnels. Je n’aime pas trop parler de médailles. Pour moi, la récompense, la satisfaction personnelle, c’est le record perso. Sinon, en compétition, je fais tout un travail pour être dans l’instant présent et ne penser à rien d’autre que la performance en cours. Je me concentre à fond, de façon que mon esprit soit connectée à mon corps, sans penser à l’avant ou à l’après.
Après les JO de Tokyo, quel est ton prochain rêve sportif ?
Je suis encore en train de le construire. Déjà, je dois digérer les Jeux de Tokyo qui étaient une aventure totalement personnelle.
Maintenant, j’ai à cœur de me lancer dans une aventure humaine, de faire un relais avec la jeune génération comme, par exemple, avec la super Heïdi Gaugain (Championne de France de paracyclisme de 17 ans, Ndlr) et de m’investir pour l’affirmation de la place de la femme dans le sport. J’ai envie de parler de toutes les discriminations dans le sport, le sexisme notamment.
Pour toi, s’imposer quand on est une femme, est essentiel ?
En tant que femme, il faut prendre sa place, oser la prendre. C’est aujourd’hui, avec le recul, que je me rends compte que j’ai essuyé pas mal de remarques sexistes, comme le fait que le cyclisme n’était pas un sport de filles. Ça ne peut plus durer.
D’autant que ces remarques sont souvent faites sur le ton de l’humour… Sans être dans l’agressivité ou sans forcément faire de procès, je crois qu’il faut quand même oser dire qu’elles sont inacceptables.
Que souhaiterais-tu transmettre aux athlètes porteurs d’un handicap ou à ceux qui rêveraient de se mettre au sport mais pour qui c’est de l’ordre de l’impossible ?
Pour moi, dans le handisport, une des valeurs essentielles est l’adaptation. Je crois qu’il existe très peu de situations où rien n’est faisable. Il faut se renseigner, mais il existe de très bonnes structures adaptées, que l’on fasse du sport en loisir ou dans le haut niveau.
Un petit rituel pour te porter chance avant une course ?
J’ai une routine de préparation mentale et j’écoute beaucoup de musique. Le style dépendra de mon niveau d’activation : du classique si je suis trop pep’s, du rock si j’ai la sensation d’être trop relax, pas assez stressée !
Une athlète qui t’a particulièrement inspirée ?
Petite, j’admirais Marie-José Pérec (triple championne olympique en athlétisme, Ndlr). J’ai eu la chance de la rencontrer à l’Élysée et de le lui dire. Elle me faisait rêver et quand la réalité m’a rattrapée avec mon problème à la jambe, ça m’a tout de même portée.
Et de penser aujourd’hui que j’ai réussi à vivre des Jeux, ça me fait dire que tout est possible.
La suite pour toi, elle ressemble à quoi ?
Terminer ma carrière en participant aux JO de Paris 2024. Et reprendre mon métier de médecin qui me manque et que je ne pratique aujourd’hui qu’une fois par semaine. Paris 2024, en apothéose !
Ouverture ©Marie Patouillet
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