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Marion Philippe « La parité dans le sport ? Il ne faut pas s’extasier, ce n’est pas aussi beau que ça en a l’air.  »

 Il ne faut pas s’extasier sur la parité dans le sport, ce n’est pas aussi beau que ça en l’air. 
Elle est docteure en histoire du sport et chercheuse associée à l’INA. Ses travaux ? Tout ce qui a attrait au sport féminin et son évolution. Et cette dernière serait largement surestimée. Entretien avec une experte qui ne triche pas.

Par Sophie Danger

Publié le 06 décembre 2022 à 16h40, mis à jour le 07 décembre 2022 à 9h22

Dans moins de deux ans, Paris accueillera les Jeux Olympiques. Pour la première fois depuis leur remise au goût du jour par Pierre de Coubertin, ces derniers seront paritaires. Pensez-vous que cette parité est le signe dune véritable volonté politique de rompre, définitivement, avec un passé majoritairement tourné vers la célébration de lathlète masculin ou un simple argument publicitaire ?

Peut-être les deux. Pour moi, cest un énorme coup de communication de la part du CIO que de revendiquer des Jeux Olympiques paritaires avec 50 % de femmes et 50 % dhommes, mais cest aussi une démarche politique.

Cette parité, cest le moyen de montrer une volonté dinclusion. Reste que cette dernière est totalement construite et donc fausse. Elle est là pour montrer que lon fait des efforts mais elle ne résulte pas dune continuité logique, elle est construite de fond en comble.  

En somme, les intentions du CIO sont réelles et louables mais le résultat qui en découle est avant tout un gain en termes d’image…

Totalement. Ceci étant, il faut quand-même laisser au CIO le mérite d’avoir mis en place, depuis le début des années 2000 et peut-être même un peu avant, des commissions et autres initiatives du genre afin de réfléchir à la pratique féminine.

Cette parité dont on parle à propos de Paris 2024 est, d’un côté, l’accomplissement de toute cette réflexion. De l’autre, cela montre que, le seul moyen d’arriver à cette parité est de bidouiller comme on le peut pour obtenir une égalité de façade. 

Est-ce que, malgré tout, comme pour les quotas qui ont pu être instaurés dans dautres domaines, cela peut servir à faire avancer la cause de la femme sportive ?

Il y a deux écoles : d’un côté, ceux qui disent quil ne faut pas imposer car cela signifierait que les femmes en sont arrivées là parce quelles ne seraient pas légitimes et que ça va se faire tout seul ; de l’autre, ceux qui pensent que si lon nimpose pas, il ne se passera rien.

Personnellement, je pense que cette parité peut profiter aux femmes dans le sens où, avec cette volonté de quotas, il va y avoir la nécessité de se reposer sur un certain nombre de femmes dans les instances dirigeantes. Ces dernières vont pouvoir montrer, à cette occasion, quelles sont loin d’être incompétentes, quelles ont une connaissance du monde sportif qui est parfois plus étendue que celle de certains hommes… Ça ne peut qu’être positif pour les femmes.

Et en ce qui concerne les pratiquantes, que peut-on en attendre ?

J’évoquais les instances dirigeantes parce que, à mon sens, si lon a une vision féminine à ce niveau-là – et ça, Béatrice Barbusse le dit souvent – on va pouvoir sappuyer sur dautres arguments, faire changer davis certains hommes sur des sujets donnés et tout ça aura un impact immédiat sur la pratique elle-même.   

©Shutterstock

La décision du CIO de faire des Jeux parisiens un rendez-vous paritaire date de 2018. Il y a néanmoins eu, avant cela, des avancées notables en matière de représentation féminine aux JO. Depuis 1988 par exemple, la participation des femmes nest plus subordonnée à lapprobation des Fédérations internationales. Trois ans plus tard, il est décrété que tout sport qui souhaite être inclus au programme olympique se doit de comporter des épreuves féminines et, depuis 2007, la charte olympique rend obligatoire la présence des femmes dans tous les sports représentés. En quoi la parité est-elle une avancée supplémentaire ?

Cette évolution montre, en premier lieu, que cette parité résulte dune construction. Si le CIO ne limpose pas, il se peut quelle ne soit jamais devenue réalité.

Dans le fond, je pense que le fait dimposer une féminisation des pratiques est aussi une manière dencourager, dune certaine façon, la pratique. Si lon montre plus de pratiquantes, quelles sont plus visibles dans les médias – et je parle là de tous types de médias : radio, télé, réseaux sociaux – si lon arrive à faire en sorte que de voir émerger des super stars femmes, quelles soient reconnues pour leurs compétences sans être comparées toujours aux hommes… Tout ça peut être profitable pour la pratique de tous.

Mais, derrière tout cela, il y a des enjeux économiques mais aussi sociaux et de santé. Je mexplique : quand on pense à super star athlète en ce moment, on pense souvent à Simone Biles par exemple or Simone Biles pratique un sport associé au féminin. En matière de sport, il existe dautres super stars qui évoluent dans des disciples dites masculines et qui sont invisibilisées.

Tout ça est dommage car il pourrait y avoir des petites filles qui sy identifient, se lancent dans la pratique. La démarche du CIO est donc intéressante mais il faut quelle soit suivie partout.

Lidée est de pouvoir, un jour, avoir un sport féminin émancipé de la comparaison avec le sport masculin. Est-ce que la parité ne nous oblige finalement pas à rester coincé à un rapport dichotomique entre les deux ?

Oui, avec la parité on reste toujours dans la comparaison. Le sport masculin est arrivé à maturité, ce qui nest pas le cas du sport féminin. Ce dernier reste calqué sur le sport masculin notamment en ce qui concerne les techniques dentraînement.

À partir du moment où lon arrivera à faire une distinction claire entre la pratique féminine dun côté, en prenant en compte, pour cela, tous les déterminants biologiques associés, et la pratique masculine, je pense que lon ne pourra plus comparer les deux.

Il reste que les professionnels du monde du sport ont encore beaucoup de mal à réfléchir sur des déterminants biologiques plutôt que culturels et sociaux.

D’où l’intérêt d’avoir plus de femmes dans les instances dirigeantes, plus de femmes entraîneures également, ce qui ne signifie pas pour autant qu’une femme doit impérativement être entraînée par une femme.

Oui et je pense, à ce propos, qu’il est nécessaire de porter un regard neuf en ce qui concerne la formation des entraîneurs, des dirigeants. Il faut arrêter de se référer à la seule vision 100 % masculine, blanche hétéro-normée

Plusieurs études montrent qu’il existe des différences biologiques, que ce soit entre sexes, entre ethnies… Malgré cela, la seule vision qui prévaut est celle de l’homme blanc et ça ne profite pas du tout au sport

La japonaise Hashimoto Seiko, ancienne patineuse de vitesse et cycliste, présidente du comité d’organisation des Jeux olympiques de Tokyo en 2021.

Il semble, finalement, que nous n’ayons pas vraiment avancé sur le sujet du sport féminin.

Non, nous n’avons pas tant avancé que ça et quand on pense que l’on a avancé, ça concerne tous ces progrès de façade que vous évoquiez.

La parité, ce n’est pas n’importe quoi mais, encore une fois, c’est de la construction. Il ne faut pas s’extasier dessus car ce n’est pas aussi beau que ça en a l’air.    

Il est vrai que cette parité, numérique, se double d’une parité en termes de nombre d’épreuves et que, pour se faire, le CIO a introduit des épreuves dites mixtes au programme et procédé à la suppression d’épreuves masculines comme le 50 km marche par exemple…

J’avais été interrogée sur le sujet des épreuves mixtes avant les Jeux Olympiques de Tokyo. Je m’étais alors dit qu’il allait vraiment falloir me convaincre pour qu’elles me plaisent. J’ai adoré l’épreuve mixte en judo mais ça reste avant tout une épreuve en équipe avec des combats hommes contre hommes et femmes contre femmes. Pareil pour le triathlon.

La façon dont sont construites ces épreuves fait qu’elles ne sont finalement pas si mixtes que ça. Ce n’est pas une mixité pure qui permettrait, par exemple, de voir à l’œuvre une équipe de hand composée de joueurs et de joueuses. Le fait de retirer des épreuves masculines démontre, quant à lui, encore une fois, la supériorité masculine sur les Jeux Olympiques.

En 1912, Pierre de Coubertin disait, en substance, que rajouter des épreuves féminines au programme des Jeux était compliqué d’un point de vue logistique. Plus de cent ans plus tard, le CIO en fait la démonstration en retirant des épreuves masculines plutôt que de rajouter des épreuves minines.   

Ellen Fokkema, première joueuse de foot à faire partie d’un effectif masculin en équipe sénior, aux Pays-Bas.

Il est parfois difficile de ne pas confondre parité et égalité mais entre les deux, il existe un monde, non ?

Il existe plus qu’un monde, il y a tout l’univers ! La parité c’est beau mais, pour moi, ça ne veut pas dire et ça ne voudra jamais dire, égalité.

Le CIO travaille sur la programmation télévisuelle : pour l’égalité, dans ce domaine-là par exemple, il faudrait que l’on puisse voir autant d’épreuves masculines que féminines aux heures de grande écoute ce qui, en théorie, est déjà censé être le cas.

On ne peut parler d’égalité que lorsque tout s’aligne, que ce soit d’un point de vue salarial, d’un point de vue de la professionnalisation des pratiques… Cette égalité, elle ne pourra devenir réalité que si les politiques s’en emparent. Et les femmes aussi.

Quand on voit que certaines sportives ne haussent pas le ton car elles se jugent encore trop immatures pour revendiquer une égalité salariale par exemple, je trouve ça aberrant. Certes, hommes et femmes n’ont pas la me maturité dans certaines disciplines mais il reste que le sport féminin avance beaucoup plus vite dans sa progression technique que le sport masculin. C’est notamment le cas du football.

Christine Mennesson a publié un article intitulé « Pourquoi les sportives ne sont-elles pas féministes ? ». Cette crainte de se revendiquer féministe lorsque l’on est sportive est terrifiant. Cela démontre que, si l’on veut l’égalité hommes-femmes dans les pratiques sportives olympiques, il faut que les sportives se lancent, qu’il y ait des Megan Rapinoe partout. 

La footballeuse américaine Megan Rapinoe n’a pas peur de s’engager pour plus d’équité dans le sport féminin.

Dans l’histoire des Jeux modernes, il y a en effet très peu de grandes figures contestataires chez les femmes si ce n’est des Wyomia Tyus ou des Megan Rapinoe, un peu comme si être invitées à la fête était en soi déjà suffisant.

C’est ça, on en est là : n’en demandons pas trop sinon on va nous retirer ce que nous avons obtenu. C’est l’idée de la domination masculine encore une fois, avec le CIO, les comités nationaux olympiques comme figures paternelles à qui on ne souhaite pas trop réclamer de peur d’être punies.  

Les femmes doivent donc plus s’impliquer, arrêter de demander l’autorisation.

Oui et j’ai l’impression que la nouvelle génération le fait un peu plus. À la fin de l’été, il y a eu une publication d’une photo des nageuses synchro françaises prise aux Championnats d’Europe de Rome. Ce cliché a généré tout un tas de commentaires sexistes.

L’une des nageuses a osé prendre la parole pour critiquer le phénomène. Sa réaction a notamment été relayée par Romane Dicko qui n’hésite pas, sur son compte Instagram, à dire qu’elle se fout des critiques sur son physique ou autre. Je trouve que cette génération s’assume.

Ceci étant, peut-être que si l’on interroge ces jeunes femmes en leur demandant si elles sont féministes, elles vous répondront que non… par peur, sans doute.

Romane Dicko sur ÀBLOCK! : « J’ai toujours évolué dans un monde de garçons et ça ne m’a jamais posé problème. »

Quand on regarde lhistoire des Jeux Olympiques modernes, comment expliquer les résistances à cette bataille pour la féminisation ? On peut rappeler, à ce propos, quen 2010, le CIO refusait la participation des femmes aux épreuves de saut à ski pour raisons médicales et quil a fallu une plainte de la part des féministes canadiennes pour que la discipline soit présente à Sotchi en 2014.

Cest parce que le monde du sport est très fermé aux influences extérieures et à des courants qui pourraient peut-être contredire ou faire basculer lordre établi.

Prenez lexemple des nouveaux travaux sur les règles et les capacités des athlètes. Beaucoup de chercheurs travaillent dessus, y compris des chercheurs qui évoluent dans le monde du sport. Il reste que ces derniers ont beaucoup de mal à simposer, à montrer leurs résultats et la manière dont ils peuvent avoir de linfluence. Toutes ces résistances sont problématiques pour l’évolution du sport. 

Cet argumentaire, médical, comme celui logistique que vous évoquiez plus haut sont les mêmes quil y a un siècle… En quoi lassociation femme et sport a été, et reste, un problème ?

Ce sont en effet toujours les mêmes arguments et la question qui revient, au final, est celle de la maternité car la femme est réduite à ce rôle-là. Être une femme veut dire faire des enfants et avoir un corps en capacité davoir des enfants.

Ceci étant, personne na jamais prouvé que la pratique sportive empêchait de faire des enfants – je ne parle pas là dune éventuelle prise de produits comme les stéroïdes, ce cas-là vaut aussi pour les hommes.

Pour moi, il existe néanmoins une date clé dans lhistoire du sport féminin : les années 70 et louverture du droit à l’avortement. Cette période est, pour moi, la bascule la plus importante. À partir des années 70, les femmes décident si elles veulent être mères ou pas, elles prennent pleinement possession de leur corps, décident quelles pratiquent elles souhaitent adopter et on voit le début dun développement du Judo et dautres pratiques dites masculines.  

©Shutterstock

Comment peut-on espérer faire évoluer cet état de fait ?

Cest compliqué. Il y tellement de chantiers que lon se demande par où commencer. Il est normal que les femmes aient du mal à simposer dans le champ sportif car le sport, par essence même, est le meilleur moyen de montrer sa virilité et virilité et féminité sopposent.

Les constructions sociales ont la vie dure et ne nous permettent pas davancer. Et ceci dautant que certaines femmes reproduisent ces modèles. Cela a pour conséquence dorienter une petite fille vers la danse et non le rugby.

Pour moi, le premier champ auquel il faut satteler est celui de l’éducation et le reste suivra. Mais ça va être long, très long.   

La chercheuse Marion Philippe

  • Marion Philippe est maître de conférences au sein du Laboratoire ACP (EA 3350) et de l’UFR STAPS de l’Université Gustave Eiffel. Chercheuse associée à l’INA. Ses travaux de recherche portent essentiellement sur le sport féminin, le tourisme sportif associatif, populaire et des jeunes, les Jeux Olympiques et les équipements à vocation touristique, sportif et excursionniste.
Ouverture ©Shutterstock

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