13 juillet 1908. Le jour n’est pas encore levé lorsque Lucien Georges Mazan se présente sur l’île de la Jatte à Neuilly-sur-Seine.
« Petit-Breton » comme on le surnomme, s’apprête à prendre le départ de la sixième édition du Tour de France avec, en tête, l’envie furieuse d’inscrire son nom au palmarès pour la deuxième fois consécutive, un exploit jusqu’alors inédit.
Le vainqueur du Bol d’Or 1904 n’est évidemment pas le seul à convoiter la victoire finale et ses lauriers. Des cent-soixante-deux coureurs inscrits pour l’occasion, cent-quatorze ont eux aussi honoré le rendez-vous.
La première étape doit les mener de Paris à Roubaix, deux-cent-soixante-quinze kilomètres à parcourir pour se dégourdir les jambes et prendre ses marques.
En tout, il y en aura quatorze pour un total de presque cinq mille kilomètres et une arrivée programmée, à Paris, vingt-sept jours plus tard.
À l’écart du peloton, une femme assiste tranquillement à l’effervescence de ce matin d’été radieux. Contrairement au reste de l’assistance, elle n’est pas une spectatrice comme les autres.
Son nom ? Marie Félicie Elisabeth Marvingt. Sportive émérite, elle s’est déjà illustrée en haute-montagne trois ans auparavant en réalisant la première féminine de la traversée Charmoz-Grépon dans la chaîne du Mont-Blanc.
L’année suivante, la jeune Auvergnate, également nageuse accomplie, a marqué les esprit en devenant la première Française à concourir dans la Traversée de Paris.
Elle s’est classée, sans démériter, 15e, améliorant, au passage, le record de la célèbre Australienne Annette Kellermann.
Des prouesses remarquées, certes, mais dont Marie Marvingt est loin de se contenter. Son nouveau défi ? Se mesurer aux « géants de la route » sur le Tour de France.
Le challenge est beau, mais les obstacles nombreux. En ce début de siècle, le sport féminin n’en est qu’à ses balbutiements et les « athlétesses » n’ont pas toujours bonne presse.
Marie Marvingt l’a d’ailleurs appris à ses dépends lorsqu’Henri Desgrange, le célèbre patron du journal l’Auto, initiateur de la Grande Boucle, lui a refusé de manière catégorique le droit de participer à « sa » course.
Ses coups d’éclats à vélo sur Nancy-Bordeaux, Nancy-Milan et Nancy Toulouse*, n’y ont rien changé. Pour l’ancien recordman du monde de cyclisme reconverti, depuis, en redoutable homme de média, les femmes n’ont pas leur place sur le Tour et aucun argument ne saurait le faire plier.
L’Aurillacoise n’a eu d’autre choix que d’en prendre note.
Mais il en faut plus pour la décourager. Car si Desgrange est borné, Marie Marvingt, elle, est têtue. Et s’apprête à le prouver.
Interdite de départ officiel, elle enfourche son vélo quelques minutes après que ses concurrents masculins se soient lancés à l’assaut des routes de l’Hexagone. Elle fera de même lors des treize étapes suivantes.
Le 9 août, alors que « Petit-Breton » suivi, par intermittence, des trente-cinq autres forçats rescapés de ce Tour de force, pénètre dans l’enceinte du Parc des Princes pour un finish en apothéose, la trentenaire met, elle aussi, le pied à terre après avoir avalé, comme les autres, les deux-cent-soixante-deux derniers kilomètres du parcours.
Une performance extraordinaire qui ne lui vaudra ni honneurs ni reconnaissance.
Il lui faudra patienter encore quelques années pour que son nom passe enfin à la postérité grâce à ses talents de… pilote !
Elle y gagnera un surnom, « la fiancée du danger ». Un succès mérité pour cette intrépide fille de l’air qui ne renoncera néanmoins jamais à ses premières amours.
Pour preuve, en 1961, âgée de 86 ans, elle s’offrira une ultime grande virée au volant de Zéphyrine, sa précieuse bicyclette.
Point de départ : Nancy. Point d’arrivée : Paris. Elle mettra six jours pour atteindre la Capitale à raison de dix heures d’efforts quotidiens. Elle s’éteindra deux ans plus tard dans un hospice de Laxou, une petite ville de Meurthe-et-Moselle.
Disparue peu à peu de la mémoire collective, son souvenir refera surface avec force six décennies plus tard lorsque Mathieu Klein, maire de Nancy, proposera sa panthéonisation. L’étude du dossier est toujours en cours.
* Ces courses sont citées dans la biographie de Marie Marvingt mais il semble n’en avoir aucune trace dans la presse de l’époque, hormis dans un portrait paru en 1920 dans Le Miroir des Sports
Ouverture ©Google Images
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