Quand le glas du virus a sonné et que le confinement a été généralisé, les compétitions sportives et les grands événements ont été annulés, côté sport masculin comme côté sport féminin.
Pourtant, l’inquiétude a vite penché vers la santé du sport au féminin, déjà vulnérable sur le plan médiatique et économique.
Quel état des lieux à l’heure du déconfinement et de la reprise progressive des entraînements ?
Le sport féminin, encore vécu comme étant une charge.
« L’économie qu’il y avait autour du sport féminin était en pleine structuration. Le sport féminin, avec la magnifique Coupe du monde de football 2019 ou encore l’équipe de France de rugby, a apporté un vent de fraîcheur qui, quelque part, aidait à sa structuration.
Mais dans certaines disciplines, le sport féminin est encore vécu aujourd’hui comme étant une charge », résumait Robins Tchale-Watchou, président de la FNASS, (Fédération Nationale des Associations et Syndicats de Sportifs), dans Ouest-France en mai dernier.
La vitalité du sport féminin a-t-elle été sabrée par la crise sanitaire ?
Le sport féminin ne joue pas dans la même cour que le sport masculin…
Crise du Covid et patatras ?
« Par rapport à la période d’avant-confinement, pour moi, il n’y a pas de rupture car, avant, on parlait déjà peu du sport féminin », nuançait Béatrice Barbusse, secrétaire générale de la Fédération Française de Handball et sociologue du sport, dans un débat organisé par l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) le 16 juin dernier.
D’où l’impérieuse nécessité de se cramponner et de poursuivre toutes les actions déjà menées depuis quelques années dans la continuité, comme l’appelle de ses vœux Marie-Françoise Potereau, Présidente de l’association Fémix’Sports et vice-présidente de la Fédération Française de Cyclisme :
« Depuis les premières « Assises Nationales Femmes et Sports » en 1998 et la mise en place des plans de féminisation dans les fédérations, je vois combien on a avancé.
Avec la crise, je pense qu’on va réinventer nos modèles associatifs tant dans la gouvernance que dans la pratique. C’est le moment d’impulser et de ne rien lâcher ! »
Des acteurs se mobilisent pour faire entendre la voix du sport conjugué au féminin…
Le sport féminin a fait sa place sur le terrain, mais pour ne pas être relégué à l’arrière en temps de crise – comme l’Histoire le rappelle pour le sport féminin balayé après la crise de 1929 – les acteurs se mobilisent pour faire entendre sa voix et ses revendications.
Quelles sont les menaces concrètes qui pèsent sur l’existence et le développement du sport féminin ?
Interrogée par ÀBLOCK!, Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS et auteure d’une étude sur « Le sport au temps du Covid-19 : Qu’est devenu le sport au féminin ? », appelle à la vigilance sur la question du sport féminin car elle le voit « menacé à plusieurs titres ».
Outre le coup de frein logique sur la pratique du sport en général et l’impossibilité de poursuivre la fidélisation de pratiquantes, « la question de la médiatisation » est cruciale, selon elle : « Le fait qu’il y ait une absence de compétitions due à la crise sanitaire n’a pas empêché de voir émerger des interrogations sur l’avenir du sport, mais il y a une vraie carence sur le sport au féminin. »
« Revenir à l’essentiel », vraiment ?
Dans son étude pour l’IRIS, Carole Gomez fournit des chiffres éloquents : sur les 52,7 % d’articles du journal sportif de référence L’Équipe (version papier), consacrés aux conséquences du Covid-19, seulement 2,42 % s’intéressent au sport féminin, entre le 14 mars et le 10 mai 2020.
Pourquoi est-ce un problème évident ?
« Plusieurs travaux sociologiques ont montré une vraie corrélation entre la médiatisation et la pratique, mais également l’acceptation et la reconnaissance à sa juste valeur du sport au féminin », poursuit Carole Gomez.
En clair, le sport au féminin qui avait su créer l’engouement progressif avec la Coupe du monde de rugby en 2014, l’Euro de handball en 2018 et la Coupe du monde de football en 2019 pourrait bel et bien passer à la trappe en cette période de crise économique, à l’heure où les sponsors deviennent frileux, certains professionnels du monde sportif n’hésitant pas à dire qu’il faut « revenir à l’essentiel », dixit le président d’un club de foot français.
Béatrice Barbusse s’en offusquait dans le débat de l’IRIS : « Cette phrase d’un président de club de football qui se dit pourtant défenseur du sport féminin dit tout. Et donc, l’inessentiel serait le sport féminin ? Il y a encore du travail à faire. »
Avec le coût économique de la crise, la météo n’est pas au beau fixe pour les sportives pro comme amatrices.
Au cours de cette même conférence, Laura Di Muzio, rugbywoman, consultante France TV et co-fondatrice de l’agence LJA Sports pour la promotion du sport féminin, pointait le manque à gagner lié à l’arrêt des matchs et donc des diffusions télé pour le rugby féminin :
« Les matchs France-Irlande et France-Écosse du Tournoi des VI Nations féminin normalement diffusés par France 4 et France 2 ont été reportés ou annulés et donc non diffusés. L’équipe de France féminine est la locomotive du rugby au féminin, ça a donc été un gros manque de visibilité. On se construisait une notoriété autour de cette équipe féminine mais le virus a tout stoppé.
Il y a forcément des retombées sur la notoriété de ce sport, sur les personnes qui commençaient à s’identifier au rugby et donc sur les possibilités de pratiquantes. Dans cette période, les sportives professionnelles sont aussi quasiment revenues à l’anonymat comme les amatrices. »
Autre inquiétude qui gripperait encore un peu plus la machine peu structurée du sport féminin, non autonome financièrement : que la section féminine soit la variable d’ajustement en ces périodes chahutées pour pouvoir amoindrir le choc économique enregistré par les sections masculines.
Avec le coût économique de la crise – baisse ou coupe des droits télé, de la billetterie, des adhérents et donc des cotisations, du sponsoring et des subventions -, la météo n’est pas au beau fixe pour les sportives professionnelles comme amatrices.
Est-ce que les subventions des clubs féminins vont rester les mêmes ?
Les subventions publiques représentent aujourd’hui environ 50 % des recettes des clubs professionnels féminins, tous sports collectifs confondus.
Avec le sponsoring, on passe à 70-80 %. « Nos sponsors et entreprises vont avoir d’autres priorités dans les semaines qui viennent. Ils vont devoir faire des choix qui risquent d’être : soit on supprime, soit on diminue. C’est pareil pour les collectivités. Est-ce que les subventions des clubs féminins vont rester les mêmes ? Je ne sais pas », s’inquiétait Béatrice Barbusse dans un article de francetvinfo.
Pourquoi le sport masculin est-il clairement privilégié ?
« La concentration des investissements privés va faire en sorte que les annonceurs, sponsors, etc, vont se serrer la ceinture et aller au plus efficace. Et aujourd’hui, le plus efficace, c’est le sport masculin. Les années à venir du sport féminin ne vont pas être sympathiques », résume Me Thierry Granturco, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit du sport, dans ce même article de francetvinfo.
Exemple précis rapporté par Le Parisien avec le gel des dépenses imposé à la section féminine de football de l’AS Nancy Lorraine : « Cela me fait mal au cœur », a expliqué Jacques Rousselot, président du club. « Mais j’ai dû suspendre toutes les dépenses à destination de la section féminine. L’équipe repartira en D2, mais avec un effectif amoindri. Je sais que c’est difficile à admettre. Mais la période est hyper compliquée. La raison doit l’emporter sur la passion. »
De quoi casser le jeu…
Dans ce cercle infernal qui s’auto-alimente, plusieurs pistes d’espoirs apparaissent cependant.
« J’ai tout de même l’impression qu’aujourd’hui, il y a une vraie prise en compte de la parole des sportives, on les écoute beaucoup plus, note Carole Gomez.
J’ai en tête cette initiative des cyclistes après la publication du calendrier de l’Union Cycliste Internationale qui concernait quasi exclusivement les compétitions masculines, celui spécifique aux femmes étant reporté au mois suivant. Elles ont fait une lettre ouverte pour se plaindre du manque de considération et de communication auprès du peloton féminin. L’UCI a corrigé ce manquement tout de suite.
Et il faut souligner, dans ce cadre, la création de la course Paris-Roubaix féminine. »
Béatrice Barbusse constate, elle aussi, un engagement des voix féminines qui osent enfin se faire entendre, se soutenir et dénoncer quand il le faut les abus dans les médias : « Je pense à ces femmes journalistes victimes de sexisme au sein de leur rédaction sportive (Clémentine Sarlat chez Stade 2, Tiffany Henne, Andrea Decaudin, ndlr). Peut-être que le confinement a permis aussi à des sportives confinées de s’interroger plus et de ne plus hésiter à s’exprimer. »
Sur le plan économique et institutionnel, Carole Gomez constate aussi des avancées : « Il y a une vraie volonté de la part des fédérations nationales et internationales de s’engager. La FIFA a confirmé son investissement d’un milliard de dollars pour la féminisation du football, et nombre de représentants des fédérations nationales ont rappelé leur volonté de poursuivre la dynamique lancée », rappelle-t-elle dans son étude.
« Qu’on ne nous dise pas : on n’a pas pu faire ça pour le sport féminin parce qu’il y a eu le Covid ! »
Marie-Françoise Potereau, elle, reste positive sur l’avenir du sport féminin grâce aux chantiers mis en place il y a quelques années :
« Cette crise m’inquiète, oui et non. Il est vrai qu’on est rattrapé par l’actualité qui va demander à faire des choix de gouvernance, des choix financiers et des choix d’orientations politique et sportive. C’est là où il faut être derrière le sport féminin et garder le lien avec la communauté et les pratiquantes via les webinaires, les visio-conférences.
Mais il y a déjà la structure des plans de féminisation. Ils sont inscrits dans les fédérations sur le plan de la pratique, du sport de haut niveau et de la médiatisation. Les fédérations travaillent via des conventions d’objectifs avec des indicateurs à honorer chaque année. Le ministère des Sports avait déjà placé le sport féminin et ses dossiers tels que le pourcentage de femmes dans les instances dirigeantes en axes prioritaires.
La logique sera de voir si ces actions prévues ont été faites malgré le confinement. Qu’on ne nous dise pas : on n’a pas pu faire ça pour le sport féminin parce qu’il y a eu le Covid !
Si cette dynamique « ne fléchit pas », selon la vice-présidente de la Fédération Française de Cyclisme, « il n’y a pas eu toutefois de mesures d’urgence mises en place par le Ministère suite à la crise sanitaire. »
Nouvelles tactiques de jeu ?
L’écriture d’un sport de demain, si elle reste encore hypothétique, alimente les discussions chez les défenseurs du sport au féminin en cette période sportive chamboulée.
Primo : il faut impérativement casser le jeu du « tout-masculin », comme le revendique Béatrice Barbusse : « Le modèle économique du sport féminin prend le même chemin que celui des garçons et c’est logique. Pourquoi ? Parce que la plupart des organisations qui ont le pouvoir de décision sont gouvernées par des hommes donc ce regard masculin qui a participé à construire le modèle masculin construit un même modèle au féminin. Aujourd’hui, 90 % des clubs sont dirigés par des hommes ! »
Deuzio : il faut se concentrer sur plusieurs axes prioritaires intéressants.
Carole Gomez nous en donne sa vision : « Il y a quatre pistes importantes.
Il faut continuer à avoir un message politique sur le développement de la féminisation, à la fois dans la pratique mais aussi au sein des institutions.
Il faut une médiatisation accrue, à la fois pour le circuit professionnel et le circuit amateur car c’est en voyant des matchs et des exploits à la télévision que l’intérêt pour la pratique se développera.
Il faut continuer à former, à encadrer et à donner les moyens à des femmes d’évoluer au sein des fédérations comme le propose l’association Femix’Sports de Marie-Françoise Potereau. Être dans une politique de long terme car sinon tous les efforts faits depuis une quinzaine d’années n’auront plus d’impact.
Et, bien sûr, réfléchir à un modèle économique surtout autour du sport féminin professionnel. Aujourd’hui, soit on copie le modèle masculin du football, par exemple, que l’on sait pourtant imparfait et qui repose sur les droits télévisés et le sponsoring avec cette crainte d’une bulle spéculative qui pourrait exploser et entraîner des inégalités criantes. Soit, on discute avec les sportives : certaines veulent se diriger vers une professionnalisation, d’autres non.
Faisons de ce moment de crise une opportunité pour proposer des choses et faire vivre le débat. »
« Quand tout va bien, on avance main dans la main, mais dès qu’il y a un coup d’arrêt, tout le monde regarde son petit intérêt. »
Les idées fusent et dessinent, malgré l’inquiétude, un sport féminin ou un sport tout court de demain. Laura Di Muzio appelle à une logique solidaire et récuse un monde où on la joue individuel : « Quand tout va bien, on avance main dans la main, mais dès qu’il y a un coup d’arrêt, tout le monde regarde son petit intérêt. On devrait être plus collectif et solidaire. Justement, si le sport locomotive est le sport masculin, ça peut avoir un impact positif d’investir sur le secteur féminin plutôt que de sauver ce qui peut être encore sauvé. En faisant ça, on va droit dans le mur et le sport féminin engrangera toujours plus de retard qu’il n’en avait déjà. »
Pour remettre le sport féminin sur le devant de la scène, Béatrice Barbusse viserait même « un fonds d’investissement dédié exclusivement au sport féminin, qui pourrait être interdisciplinaire », ainsi que des « budgets genrés dans les subventions publiques » pour éviter une répartition inégalitaire, tandis que Cyrille Rougier, chargé d’études économiques au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) souhaiterait que l’on envisage des « solidarités financières entre masculin et féminin » :
« Les dérives qui ont amené aux salaires délirants dans le football masculin, il faut en tirer des leçons et être innovant. Le sport féminin a une carte à jouer là-dessus. »
« Nous ne sommes pas obligés de transposer toutes les dérives du sport masculin sur le sport féminin. »
Concernant la question cruciale de la professionnalisation pour les sportives, la limite est la « mercantilisation » selon Robins Tchale-Watchou, cité dans Ouest-France : « Si vous entendez par professionnalisation, structuration et moyens, je vous réponds : oui. Si vous entendez par professionnalisation le mercantilisme, je vous dis non.
Si on veut créer un modèle viable et vertueux, il faut de la structuration, mettre des moyens, créer un cadre réglementaire. Nous ne sommes pas obligés de transposer toutes les dérives du sport masculin sur le sport féminin. On peut justement apprendre de nos erreurs et faire différemment. »
« Ce qui n’est pas vu n’existe pas ! »
« Quand j’entends des hommes dire : « Aujourd’hui, je préfère regarder du foot féminin plutôt que masculin », je me dis que c’est une vraie réussite. Mais encore faut-il le montrer, je dis toujours que ce qui n’est pas vu n’existe pas ! », s’exclame Marie-Françoise Potereau.
La reconnaissance du sport féminin passe donc définitivement par sa visibilité. Parler de ses difficultés et de ses perspectives d’avenir post-Covid-19 y participe. Tout comme demeurer vigilant : « Plus que jamais, une étude attentive des prochains mois et des années sera nécessaire pour évaluer avec précision les conséquences de cette crise, rappelle Carole Gomez dans sa tribune pour ÀBLOCK!
Si les chiffres de médiatisation des compétitions féminines étaient bien plus faibles que des masculines, force est de constater que ces trois mois d’absence risquent d’avoir des conséquences importantes sur la perception du sport au féminin.
Cette absence de médiatisation est, rappelons-le, extrêmement préoccupante compte tenu de l’importance que l’image, la publicité a en tant que construction de modèle pour la société. »
Hors Hexagone, le sport au féminin lutte et joue franc-jeu
À l’image de la grogne des cyclistes du syndicat The Cyclists’ Alliance suite à la non reconnaissance du peloton féminin dans le calendrier international de l’UCI, en Grande-Bretagne, les stars du sport féminin – dont les heptathlètes Denise Lewis (notre photo ci-dessus) ou Dame Jessica Ennis-Hill – se sont empressées de soutenir la campagne « Equality Check » du magazine Telegraph qui exhorte le gouvernement à stopper la recrudescence des inégalités dans le sport depuis la crise du Covid-19.
Entre autres, elle fustige la mise en suspens pour six mois des sports d’équipes féminins au contraire de ses équivalents masculins qui ont repris, tels que la Premier League de Football.
Le sport au féminin, évidemment plus vulnérable car moins « bankable » que le sport masculin n’a donc pas dit son dernier mot.
Si le rapport de la FIFPro (Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels) sur le football international féminin était peu rassurant – avec la pandémie, les salaires ont baissé sans aucune négociation en amont et les joueuses se sont vues imposer le chômage partiel, au risque de se faire licencier -, la FIFA a confirmé son investissement d’un milliard de dollars pour la féminisation du football.
De même, différentes fédérations internationales ont réaffirmé leur volonté de ne pas laisser clubs amateurs et professionnels dépérir.
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« En 2021, on fera d’une pierre deux coups et ça peut recréer l’engouement médiatique ! »
Joueuse de l’équipe de France féminine de rugby à sept
« Le handball féminin ne va certainement pas occuper le devant de la scène. »
Ex-joueuse pro de la Ligue Féminine de Handball