Laurent Koessler « Dans le sport, comme ailleurs, la lutte est une constante pour les femmes . »

Laurent Koessler : « Dans le sport, comme ailleurs, la lutte est une constante pour les femmes . »
Dans « Les éclaireuses », le romancier Laurent Koessler s’intéresse à l’histoire du premier match officiel de football féminin en France, le 30 septembre 1917. L’occasion de mettre en lumière des pionnières comme Thérèse Brûlé, Suzanne Liébrard ou encore Alice Milliat. Mais aussi de se pencher sur la fragile évolution de la pratique sportive dans la vie des femmes.

Publié le 12 juin 2025 à 8h31

Dans « Les éclaireuses », ton dernier ouvrage, tu mets en scène un face-à-face entre une journaliste et Thérèse Brûlé, grande figure des pionnières du sport dans notre pays, pour retracer l’histoire de la genèse du premier match officiel de football féminin qui se déroule le 30 septembre 1917 et qui a opposé deux équipes du Femina sport, le premier club de sport féminin en France. Qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à cette histoire ?

J’ai un parcours de sportif et bien que j’aie écrit dans d’autres registres à mes débuts, j’ai vraiment pris plaisir, pour mes derniers ouvrages, à travailler sur l’histoire et le sport et j’ai eu envie de continuer à surfer sur cette vague. En ce qui concerne précisément le sujet du livre, je suis un boulimique de podcasts et c’est comme cela que j’ai découvert le Femina sport et ces pionnières du football en France.

C’est une histoire qui m’a interpellé car je suis un grand amateur d’histoire contemporaine or ce match se déroule en septembre 1917, en pleine Grande Guerre. J’ai également découvert comme beaucoup ces dernières années, Alice Milliat et toutes ces figures du sport. Tout cela m’a incité à creuser.

Une équipe Femina sport en 1921…©BnF/Agence Rol

À l’époque, la majorité des pionnières du sport sont inscrites au Femina, qui est le premier club de sport féminin, berceau des premières championnes. Pourquoi avoir précisément choisi Thérèse Brûlé comme personnage central et non l’une de ses coéquipières tout aussi talentueuses ?

J’ai choisi d’agencer mon récit autour de Thérèse Brûlé pour plusieurs raisons, à commencer par le fait qu’elle soit originaire de Lorraine, comme moi. Il y a aussi le fait que, lors de l’un de mes précédents ouvrages, je m’étais intéressé à l’histoire de l’Alsace-Moselle, ce qui m’a permis de faire des liens. Les sœurs Brûlé vivaient à la frontière de l’Allemagne avant de migrer, comme d’autres, sur Paris. Je trouvais intéressant d’offrir le point de vue de cette jeune fille contrainte, à 12-13 ans, de quitter sa région et qui va découvrir une nouvelle ville, un nouvel univers. Ce qui la mènera à prendre part à cette aventure du Femina, une aventure assez incroyable au regard des personnages qui y ont participé, mais aussi de la période à laquelle elle se déroule : ça commence avant la guerre et ça se prolonge durant cette période anxiogène et compliquée durant laquelle, paradoxalement, Thérèse et ses coéquipières vont trouver un peu d’ouverture là où il y en avait pas auparavant.

Thérèse Brûlé… ©Wikipedia

Femina était un club multisports où les adhérentes pratiquaient aussi bien l’athlé, la barette, le hockey que l’aviron… Pour ta part, tu te concentres sur l’activité footballistique. Est-ce que tu as choisi la discipline parce qu’elle est, à l’époque déjà, chasse gardée exclusive des hommes ? 

J’ai d’abord choisi le football par rapport à la date de ce premier match officiel qui se déroule en pleine guerre et puis, en travaillant dessus, je me suis rendu compte que les composantes symboliques étaient, elles aussi, très intéressantes : il y a cette opposition entre deux équipes, le fait de défendre, d’attaquer, de contrer qui font écho à ce qui se passe, de manière dramatique, sur le front. Il y avait aussi toute cette dimension concernant la place qui était celle des femmes par rapport à celle des hommes, des femmes qui participaient à l’effort de guerre, qui aidaient le pays à rester debout et qui aspiraient également à pouvoir courir, sauter, faire ce qu’elles voulaient de leur corps… Pour toutes ces raisons, le football était un bon terrain d’expression.

Une partie du club Fémina Sport en 1920 : Forget, Suzanne Liébrard, Germaine Delapierre, Lucie Cadiès, Thérèse Brulé, Lucie Bréard et Jeanne Janiaud. ©Agence Rol/BNF

Tu as opté pour le roman et tu mets en scène deux femmes, Thérèse Brûlé donc et une jeune journaliste femme. Ce face-à-face 100 % féminin pour un auteur homme, c’était une évidence ?

Le personnage de la journaliste aurait tout aussi bien pu être un homme mais je pensais qu’il serait peut-être plus judicieux que ce soit une femme qui s’adresse à une autre femme au regard des questions que l’une se pose et des réponses que l’autre avance.

Tu t’appuies sur une histoire réelle, quelle est la part de fiction dans ton ouvrage ?

Je ne suis ni historien, ni universitaire mais je pense néanmoins que, lorsque l’on écrit un roman historique, il faut une cohérence et notamment en ce qui concerne la chronologie. Pour le reste, la liberté du romancier fait que l’on peut se permettre de partager son propre point de vue sur les personnages, libre ensuite aux lecteurs de nous suivre ou de se faire une autre opinion.

Thérèse Brûlé…©Gallica/BnF/Agence Rol

Ça se traduit comment dans ton récit ?

Lorsque j’ai retrouvé la feuille de match de cette rencontre, je me suis rendu compte que les deux équipes en lice étaient deux équipes de Femina par exemple, celle de Thérèse Brûlé et celle de Suzanne Liébrard, et que, deux mois avant ce rendez-vous, les deux jeunes femmes ont participé au premier Championnat de France d’athlétisme avec quatre titres pour la première et trois pour la seconde.

Au vu de ces éléments tirés du réel, on a la sensation que ces deux jeunes filles, très performantes, pouvaient peut-être nourrir une certaine rivalité. Les éléments narratifs de mon roman s’appuient sur une réalité qui a existé historiquement et qui me permet, en tant que romancier, de surfer dessus en me l’appropriant. Je me laisse une grande part de liberté, mais principalement en ce qui concerne l’état d’esprit des personnages, leurs états d’âme, leurs sentiments.

Suzanne Liébrard…©Gallica/BnF/Agence Rol

L’histoire de Thérèse Brûlé traverse celle d’autres grandes figures du sport féminin, il y a Pierre Payssé, le fondateur de Femina, il y a aussi Alice Milliat, adhérente puis dirigeante du club qui a, par la suite, mis le sport féminin sur le devant de la scène française mais aussi internationale. Ils t’ont inspiré quoi ces deux personnages ?

Pierre Payssé c’est d’abord un beau palmarès avec ses titres de champion de gymnastique. J’ai écouté un podcast au cours duquel l’une des anciennes adhérentes du Femina évoquait sa rigueur, son exigence, ce qui m’avait interpellé, tout comme le fait qu’il soit un homme au milieu de femmes dans une période très particulière durant laquelle les femmes étaient censées se conformer à des pratiques sportives esthétiques pour ne pas contrevenir à leur intégrité. Lui, qui est un homme, un gymnaste, va créer un club de sport pour les femmes.

J’ai beaucoup d’admiration pour lui et encore un peu plus peut-être pour Alice Milliat, pour sa vision anglo-saxonne du sport, pour sa capacité à s’être battue contre les carcans de l’époque, contre Coubertin, contre le CIO, pour la création des premiers Jeux Olympiques féminins… C’est un personnage qui est à la fois admirable, attachant et inspirant. Qu’on soit un homme ou une femme, on peut difficilement rester insensible à des vies comme les leur, consacrées, presque entièrement, à une cause collective.

Alice Milliat…©BNF/Gallica

Tu convoques également Hélène Brion, institutrice, grande militante féministe et pacifiste. Est-ce que, comme on peut le penser à la lecture de ton livre, elle et Alice Milliat se connaissaient ?

C’est ma liberté en tant que romancier de les faire se croiser. Je ne sais pas si elles se connaissaient, ceci étant, en ce qui concerne les dates, c’est une possibilité. Quoi qu’il en soit, je trouvais la symbolique intéressante car, même si Hélène Brion défendait une cause différente de celle d’Alice et des sportives du Femina, il y a beaucoup de parallèles et de liens communs.

Hélène Brion…©Gallica/BnF/Agence Rol

Toutes deux sont en effet des femmes de lutte et se battent pour les droits des femmes, l’une pour les droits civiques, l’autre pour le droit à disposer de son corps.

Exactement. Et pour l’avoir pratiqué, pour l’avoir enseigné et pour suivre son évolution, notamment après les Jeux de Paris, on se rend compte qu’en matière de sport et notamment de sport féminin, les portes se referment assez vite. Les budgets s’effritent rapidement et le sport, qui pendant l’olympiade était considéré comme relevant d’un intérêt majeur, est de nouveau considéré comme un sujet de seconde zone. Cette vision politique du sport, en tant que bien commun d’utilité publique, est essentielle et toujours d’actualité.

Est-ce que, au cours du processus d’écriture, tu as été surpris par le parcours de ces filles, de ces femmes et des difficultés qu’elles ont dû affronter pour pouvoir faire du sport ?

On est toujours surpris des difficultés affrontées par ces jeunes filles, ces jeunes femmes. C’est paradoxalement dans une période où les hommes étaient occupés à d’autres tâches, la guerre, qu’elles ont pu entrouvrir quelques portes et gagner un peu de terrain et puis, après ces premières victoires, il y a une grande page blanche qui a couru des années 30 jusqu’au début des années 70, décennie lors de laquelle des femmes se remettent à faire du sport.

J’ai été surpris de voir cette évolution qui est le reflet d’une société qui a les plus grandes difficultés à admettre que des femmes puissent tout simplement courir après un ballon. La lutte est une constante pour les femmes et, malgré effectivement les avancées, c’est un bourbier innommable qui perdure. Si les choses ont changé ces dernières années, il existe encore de nombreux chantiers sur lesquels travailler.

  • « Les éclaireuses » de Laurent Koessler, éditions du Félin
Ouverture ©Gallica/BnF/Agence Rol

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