Stéphanie : « Le permis moto, ça a été le début de mon émancipation. »Pilote moto, reconvertie pour créer son équipe de karting féminine, 40 ans
Rien ne prédestinait Stéphanie à devenir une motarde semi-pro rugissante. Pourtant, même une grave blessure n’aura pas abîmé sa passion de la vitesse. Cheveux roses, motos qui dépotent, elle ne lâche pas son rêve et le transmet à d’autres filles qui, comme elle, roulent des mécaniques sur les circuits amateurs mais, cette fois, en karting. La Pink Power Team est de sortie, faites place !
Propos recueillis par Claire Bonnot
Publié le 11 mai 2021 à 17h38, mis à jour le 29 juillet 2021 à 12h10
« Enfant, j’étais un peu garçon manqué. En plus, il n’y avait que des gars dans mon quartier, je n’avais pas de copines. J’ai débuté le scooter à 14 ans lorsque j’ai connu mon amoureux et actuel conjoint.
C’était histoire de faire comme les copains mais je me suis vite pris une poubelle ! Le sport ou les sports mécaniques, c’était pas du tout un truc de famille, nos parents ne nous ont jamais inscrits à des clubs, mes frères et moi : je n’étais pas préparée et plutôt peureuse au départ.
À ce moment-là, je faisais beaucoup de moto en tant que « sac à dos », à l’arrière de la moto de mon copain qui avait passé son permis. Je n’avais jamais été réellement passionnée, mais comme au bout d’un moment je m’ennuyais à l’arrière, j’ai voulu, moi aussi, passer mon permis moto !
C’était presque une révolution : à l’époque, il n’y avait quasiment pas de filles qui sautaient le pas. Je l’ai eu en 2001 et je crois que ça a été le début d’une émancipation pour moi. Je venais d’une famille portugaise assez stricte où il m’a été difficile de sortir avant l’âge de 18 ans.
C’est lorsque j’ai vu des motos rouler sur le circuit Bugatti des 24 Heures Motos du Mans que je me suis dit : « C’est ça que je veux faire : de la moto sur piste ».
Il n’y avait pas de filles sur le circuit mais je n’ai rien lâché et j’ai dit à mon chéri : « Je m’achète une moto de compétition ». Ma première moto de piste faisait 230 kilos, je la tenais à peine, elle était énorme pour moi, je fais 1,54m. Elle pouvait aller jusqu’à 200 km/h.
Ce qui me plaisait dans le circuit ? L’adrénaline. J’ai eu la chance de faire des tours de piste sur ce circuit mythique en 2004, au milieu de motards hommes. Je me suis sentie pousser des ailes. Je me disais : « Waouh ! Je touche le même goudron que les grands du milieu qui ont roulé ici avant moi. »
J’ai continué les entraînements les années suivantes et c’est en 2006 que j’ai rencontré des personnes de renom qui m’ont aidée à me lancer en compétition.
À l’époque, il n’y avait pas de catégories ouvertes à tout le monde, il fallait donc avoir un certain niveau pour se lancer. Mais, entre-temps, la course des Rookies – des débutants – a été lancée, en août 2006, et j’ai débuté ainsi.
Je me suis qualifiée dans les dernières, mais nous n’étions que quatre filles sur les quarante participants dans cette course mixte du circuit du Vigeant, dans le Val de Vienne.
Honnêtement, sur la grille de départ, malgré les entraînements, j’avais envie de pleurer. Je me disais : « Mais qu’est-ce que tu fous là ? Pourquoi tu te mets autant la pression ? Ça te sert à quoi de souffrir autant ? ». Il a pourtant suffi du top départ pour que je me lance sans réfléchir et je me suis battue comme une lionne avec un plaisir fou !
Quand j’ai passé le drapeau à damier, j’ai tout relâché, j’ai pleuré et je me suis dit que je m’étais prouvé quelque chose à moi-même. J’étais piquée de sports mécaniques ! De 2006 à 2010, j’ai fait trois ans de championnats.
Les compétitions sont mixtes donc je n’étais pas sur le podium, mais j’étais la meilleure féminine toutes catégories confondues. C’est difficile, dans ce cadre, car il y a très peu de reconnaissance des performances des athlètes féminines.
Malheureusement, en 2010, je subis un énorme accident en pleine phase de qualification pour déterminer ma place pour la 600 Power Cup. J’étais à plus de 200 km/h et j’ai littéralement été envoyée en l’air avec ma moto. Elle m’est retombée sur le dos, j’ai eu les vertèbres fracassées, j’ai perdu connaissance, mon pronostic vital était engagé.
Malgré ce sacré choc, je ne me suis pas dit : « J’arrête la moto ». J’ai fait trois semaines d’hôpital et je ne savais même pas si j’allais pouvoir remarcher. La première chose que j’ai demandé à mon médecin c’est : « Dans combien de temps je peux reprendre la moto ? ». Il m’a dit : « Le sport, c’est fini pour vous ».
Le problème, c’est que mon rêve se brisait en deux. Je savais qu’avec mon niveau de l’époque, je pouvais accéder au Graal pour moi : les 24 Heures Motos. Et, là, tout s’effondrait.
Mais, abandonner ne fait pas partie de mon langage. J’ai donc continué ma rééducation et ma passion de la moto en devenant coach avec mon mari. Nous avions créé la Team JS Compétition au Mans pour former d’autres férus de moto, filles comme garçons, et nous y avons ajouté la Team JS Académie pour permettre aux novices d’aller sur la piste et en compétition avec une structure solide.
Pour se lancer, il faut avoir une aide sur le plan des infrastructures, de la mécanique, de la logistique et des partenaires. Moi, quand j’ai débuté, je suis allée à la pêche aux infos toute seule et c’était ardu !
On a finalement arrêté tout ce qui était moto en 2013 parce que j’ai fait un burn out, il fallait que je laisse mon corps respirer et nous avions aussi le projet d’avoir un enfant. De 2010 à 2015, je n’ai donc plus du tout fait de moto, ni sur route ni sur piste.
C’est à ce moment-là, en 2016, qu’on nous propose de faire une course de karting.
Je pensais que les sports mécaniques, c’était fini pour moi ! Et pourtant, j’ai repris le chemin des circuits. Même si ce n’est pas la même adrénaline qu’en moto, c’était reparti. Je me suis prouvée que je pouvais continuer et que j’avais encore besoin de ce dépassement, celui de piloter.
Ça m’a donné l’idée de lancer une team féminine en karting, la Pink Power Team, un milieu où il y a encore très peu de femmes. Comme mon ancienne structure dans la moto, l’idée était de permettre aux filles de se lancer dans le karting amateur.
Depuis six mois, je recrute de nouvelles recrues. Je ne mets aucune pression, l’idée est qu’elles se lancent même si ce n’est que pour le fun. J’ai créé deux stages de pilotages 100 % féminins destinés aux novices ainsi qu’une compétition qui fait office de première puisqu’elle mettra en concurrence seulement des féminines sur une endurance de deux heures.
Mon rêve ? Vu que je n’ai jamais pu faire les 24 Heures en moto, je m’engage, ainsi que mon équipe, pour les 25H Open Kart 2021, en octobre.
Je n’ai pas eu de problème à m’intégrer dans ce monde de motards très masculin car c’était des amis, on s’amusait et il y avait une vraie solidarité entre nous tous. Mais, c’est vrai que c’était quand même plus difficile pour les filles en général. Le machisme était courant.
Je l’ai vécu en passant mon permis moto par exemple. J’ai eu droit à des remarques du genre : « Vous ne l’aurez pas vu l’allure à laquelle vous allez » ou encore « Vous allez vous retrouver à l’hôpital, vous n’avez rien à faire sur une moto et vous seriez mieux à la cuisine »… Aujourd’hui, même s’il y a des avancées, les filles sont toujours obligées de prouver qu’elles peuvent le faire !
« Si on veut on peut ! », c’est ce que je dirais aux femmes qui n’osent pas se lancer sur la piste des sports mécaniques. Ce n’est pas un genre qui va nous arrêter.
C’est parfois plus compliqué pour ce qui est des moyens financiers, mais des structures sont mises en place pour les femmes à l’instar de ma Pink Power Team ! Il faut savoir casser les barrières. Et ses propres barrières. »
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