Rechercher

Sharni Pinfold Portrait d’une motarde désenchantée

Sharni Pinfold
Fatiguée de se battre contre la misogynie. Éreintée après des années à tenter de trouver sa place dans le monde des sports mécaniques. Sharni Pinfold, 25 ans, lâche le guidon. Amère. L'Australienne avait tout quitté pour un rêve, devenir pilote professionnelle de moto, aujourd’hui, elle fuit les circuits. Et laisse sur le bitume une carrière prometteuse et quelques illusions.

Par Sophie Danger

Publié le 01 février 2021 à 16h09, mis à jour le 29 juillet 2021 à 14h26

Elle était annoncée à Lausitzring le 30 avril prochain, date de la première étape 2021 de l’IDM Supersport 300. Il n’en sera finalement rien ! Sharni Pinfold, nouvelle recrue du team RT Motorsport Kawasaki, a choisi de jeter l’éponge avant même ses premiers tours de piste dans le Championnat allemand de superbike.

À seulement 25 ans, la jeune Australienne renonce, contrainte et forcée, usée, dit-elle, par « le manque de respect et les traitements désobligeants réservés aux femmes. »

©DR

Un triste épilogue pour une aventure prometteuse débutée il y a moins de 5 ans sur son île natale.

C’est là-bas, à plus de 10 000 kilomètres de l’Angleterre, pays dans lequel elle va se révéler, que Sharni Pinfold prend le parti, la vingtaine venue, de se lancer dans une carrière de pilote.

Bien que peu expérimentée, la jeune demoiselle, fille de Paul Pinfold, célèbre coureur de sidecar, n’en est pas moins passionnée et décide de mettre toute sa fougue au service de ses ambitions. « J’ai grandi entourée de motos durant la majeure partie de ma vie, se rappelait-elle, en juin dernier, dans les colonnes de mqld.org.au. Mon père a couru pendant une cinquantaine de saisons environ et, de fait, j’ai vécu sur différents circuits en voyageant avec lui. »

©DR

C’est en 2017 qu’elle se résout, à son tour, à sauter le pas. La native de Perth trouve un sponsor, s’achète une moto et se fait la main dans des courses organisées, ça et là, par des clubs locaux.

Quelques mois plus tard, c’est le grand saut. Sharni Pinfold quitte job, famille et amis pour rejoindre l’Angleterre où elle se voit offrir la possibilité d’évoluer en moto 3 dans le HEL Performance Motostar, le Championnat national. « J’ai tout vendu, explique-t-elle sur ma.org.au. J’ai quitté mon emploi et j’ai acheté un aller simple pour le Royaume-Uni où j’ai travaillé à plein temps pour mon équipe, sans salaire, afin de pouvoir courir. »

©DR

Les premiers temps sont difficiles, mais la coureuse aussie s’accroche. « Je n’avais qu’une année et demie d’expérience à mon actif en Australie, confie-t-elle. Quand je suis partie en Angleterre, je n’avais pas vraiment une idée de l’ampleur que pouvait avoir ce championnat… C’était un plongeon directement dans le grand bain ».

Loin de ses repères, Sharni Pinfold n’a d’autres choix que de s’adapter, et vite ! Nouvelle moto, nouvelles contraintes, elle doit également faire avec un nouveau pays et une météo à laquelle elle est tout sauf habituée.

©DR

« Il y avait tant à apprendre en peu de temps, explique-t-elle à la journaliste de mqld.org.au. Chaque fois que je mettais le pied à terre, je comparais mes performances et celles de mon coéquipier. Il y avait une caméra sur chacune de nos motos, alors je comparais les choix de lignes que chacun de nous faisions et j’étudiais toutes les informations possibles pour continuer à m’améliorer. La première moitié de la première saison a été difficile, je ne me sentais pas à ma place, mais j’ai continué à construire et à construire et c’est devenu de mieux en mieux à chaque sortie. » Construire, tout construire. Seule. Elle qui a perdu son père au début de sa carrière, dit agir avec « détermination et purs sacrifices ». 

 

©DR

Ténacité et persévérance finissent pas payer. La rookie australienne prend ses marques et s’offre quelques incursions remarquées dans le Top 10 -dont une 5e place – qui lui vaudront de terminer la saison à une très encourageante 11e place au Général.

Sa participation, ensuite, à la Women’s European Cup et ses débuts en Championnat du monde de Supersport 300 à Magny-Cours l’an passé achèvent de la conforter dans son envie de s’engager, plus encore, dans cette voie. « Ce que je veux, je suppose, c’est aller aussi loin que possible dans ce sport, se projetait-elle dans mqld.org.au. Une fois que je n’aurai plus la possibilité de rouler, j’aimerais continuer à travailler en Moto GP ou essayer d’être une ambassadrice de ce sport pour aider les filles à s’impliquer un peu plus. »

©DR

Las ! La difficulté d’être une fille dans un milieu ultra masculin en aura décidé autrement. « Il arrive un moment ou assez, c’est assez, a-t-elle avoué dans un long post sur les réseaux sociaux. Je ne veux plus être exposée à ces comportements ou être traitée de cette façon. Cela m’attriste profondément de regarder les défis qui ont jalonné mon propre parcours et de reconnaître que des femmes qui consacrent leur vie à la poursuite de leurs rêves y sont exposées et traitées de la sorte. »

Persuadée que la grande majorité des épreuves qu’elle a endurées, elle « n’en aurait jamais fait l’expérience si elle avait été un homme », Sharni Pinfold n’a finalement trouvé d’autre issue que celle de renoncer. Définitivement.

©DR

« La décision n’a pas été pas prise à la légère » précise t-elle. Avant de conclure : « Depuis le tout début de ma carrière, j’ai pris le parti de me donner à 100 %, sachant qu’à la fin, la seule option valable était de savoir que j’avais fait tout ce que je pouvais. J’ai sacrifié beaucoup de choses, mon bonheur, mon mode de vie, ma famille, ma santé mentale et physique. Je pensais que courir était la seule chose qui comptait dans ma vie et que c’était un petit prix à payer à l’époque.

Je suis fière de ce que j’ai réussi dans ce sport et je pense que c’est une honte de ne pas avoir pu exploiter tout mon potentiel. J’espère que mon parcours va permettre d’aider et d’encourager d’autres à comprendre qu’ils sont dignes de leurs désirs. Personne n’a le droit de vous faire sentir indigne ou mal à l’aise, vous devez rejeter tout ce qui ne vous convient pas. »

D'autres épisodes de "Femmes et moto : à toute berzingue !"

Soutenez ÀBLOCK!

Aidez-nous à faire bouger les lignes !

ÀBLOCK! est un média indépendant qui, depuis plus d’1 an, met les femmes dans les starting-blocks. Pour pouvoir continuer à produire un journalisme de qualité, inédit et généreux, il a besoin de soutien financier.

Pour nous laisser le temps de grandir, votre aide est précieuse. Un don, même petit, c’est faire partie du game, comme on dit.

Soyons ÀBLOCK! ensemble ! 🙏

Abonnez-vous à la newsletter mensuelle

Vous aimerez aussi…

Julie Allemand

Basket, ces Européennes qui s’offrent les States

Assistons-nous enfin à l’éclosion des joueuses européennes aux États-Unis, territoire si prisé du basket mondial ? Dans le championnat américain de basketball féminin, la WNBA, elles sont de plus en plus nombreuses à tenter le coup. Et à y parvenir. Pourquoi ? Comment ? Explications.

Lire plus »
Aloïse Retornaz

Aloïse Retornaz : « J’ai beaucoup de mal à rester loin de la mer, loin de l’eau. »

Une tête bien faite dans un corps bien entraîné. Championne de France Elite, Championne d’Europe, médaillée d’or en Coupe du monde de 470, la Brestoise Aloïse Retornaz vient de remporter la médaille de bronze sur 470, avec sa coéquipière Camille Lecointre, aux JO de Tokyo. Nous l’avions rencontrée en mai dernier. Échanges passionnants avec une fille qui mord la mer à pleines dents, sans prendre la tasse.

Lire plus »
Raphaëlle : « La voile m’a aidée à me reconstruire après mon AVC. »

Raphaëlle : « La voile m’a aidée à me reconstruire après mon AVC. »

Elle a su prendre la vague d’une nouvelle naissance grâce à la voile. Suite à un AVC, Raphaëlle avait quasiment perdu sa motricité. Mais il en fallait plus pour qu’elle lâche le sport. Et la voilà qui plonge dans une expérience sportive et humaine : la pratique de la voile avec la Team Jolokia, une asso qui prône l’inclusion par le sport. Une très belle leçon de vie.

Lire plus »

Le best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une fille des montagnes (Pauline sur notre photo), une vidéo féministe, une folle du volant, une championne de VTT militante, une triathlète qui a réponse à tout, des parcours de combattantes qui tiennent bon la barre de Pole Dance ou encore une athlète des années 30 qui n’en était pas vraiment une… C’est le résumé de la semaine sur ÀBLOCK! Profitez !

Lire plus »
Charlotte Cormouls-Houlès : « Pour aimer la voile, il faut savoir s’émerveiller. »

Charlotte Cormouls-Houlès : « Pour aimer la voile, il faut savoir s’émerveiller. »

Elle a donné un an de sa vie pour la Transat Jacques Vabre qui vient de s’élancer du Havre. Elle, c’est Charlotte Cormouls-Houlès, 27 ans, navigatrice passionnée qui n’aurait jamais imaginé pouvoir s’embarquer dans pareille aventure. Nous l’avons rencontrée deux jours avant son grand départ. Avec sa co-skippeuse Claire-Victoire de Fleurian, la voilà à flot pour voguer vers un rêve devenu réalité.

Lire plus »
Nicole Abar : « Pour moi, le football est un destin. »

Nicole Abar : « Pour moi, le football est un destin. »

Elle a marqué de son empreinte le football moderne. Tout au long de sa riche carrière, Nicole Abar n’a cessé de collectionner les titres et les récompenses. L’ancienne internationale, désormais âgée de 63 ans, consacre désormais la majeure partie de son temps à militer pour un sport plus juste et plus ouvert. Rencontre avec une fille qui n’était qu’une « joueuse alibi » devenue une femme engagée.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner