Laura Georges « Je ne me suis jamais dit que le football n’était pas fait pour moi. »
Ancienne footballeuse internationale, elle a quitté les terrains pour passer de l’autre côté du miroir. Laura Georges est secrétaire générale de la fédé de foot depuis 2017 et s’engage pour un football plus inclusif, plus en accord avec l’évolution de la société.
Par Sophie Danger
Publié le 29 novembre 2022 à 13h08
Le sport au féminin est un sujet dans lequel vous êtes impliquée depuis longtemps. Vous l’avez été durant votre carrière de joueuse, vous l’êtes à présent en qualité de secrétaire générale de la Fédération Française de Football (FFF). Comment se forge-t-on une conscience militante lorsque, comme vous, on n’a jamais rencontré d’obstacles sur son parcours ?
Il est vrai que, d’un point de vue personnel, j’ai toujours été encouragée par mon père et que ma mère a toujours suivi ma carrière à distance. Jeune, je n’ai jamais senti de négativité.
J’ai commencé à jouer au football avec des filles mais, lorsque l’on m’a proposé de jouer avec les garçons, ça n’a pas forcément donné lieu à des remarques désagréables. J’ai d’ailleurs eu des coachs qui ont de tout suite eu des discours justes en faisant savoir à ces mêmes garçons qu’il fallait bien m’accueillir.
En ce qui concerne les freins, c’est plutôt moi qui me les suis mis. En revanche, je me souviens d’une remarque lorsque je jouais avec des amis. J’avais fait part à l’un d’eux de mon envie de disputer, un jour, la Coupe du monde et il avait ri de moi.
Finalement, comment je me suis construit cette conscience ? J’ai beaucoup écouté ce qui se disait autour de moi. J’ai connu des coéquipières en difficulté, des coéquipières qui n’étaient pas forcément acceptées.
Je lis également beaucoup de témoignages, j’échange avec les femmes à travers mes différentes activités. Quand je découvre que des femmes lesbiennes ont eu des remontrances car elles souhaitaient jouer sur un terrain et que ce dernier n’était pas libéré, forcément ça m’interpelle. Je me dis alors que j’ai eu une première partie de parcours durant laquelle tout s’est bien passé pour moi, mais que ce n’est pas la réalité de tout le monde. Bien au contraire.
Vous parlez de freins. Est-ce que le doute, lorsque l’on est une femme et que l’on souhaite s’épanouir dans le sport, un domaine plutôt connoté masculin, n’est pas inhérent à toutes et ce, même si l’image qui nous est renvoyée est positive ?
Il y a quelques années, nous avions mené une enquête avec la Fédération Française de Football pour comprendre ce qui poussait les femmes à ne pas s’engager dans nos clubs. L’une des raisons qui était alors ressortie était le manque de confiance en elles.
Cette situation, je l’ai moi-même expérimentée. Lorsque l’on nous propose un poste ou un projet, nous nous demandons toujours si nous serons légitimes ou non, si c’est fait pour nous…
Je ne suis ni psychologue ni sociologue, mais je pense que c’est plus inhérent aux femmes de se poser un tas de questions sur leur légitimé que cela ne l’est pour les hommes.
Vous dites, pour votre part, ne pas avoir souffert d’être une jeune footballeuse mais avoir néanmoins manqué de modèles féminins. En quoi cela peut être un handicap pour imaginer son avenir dans le sport, se projeter ?
Je ne me suis en effet jamais dit que le football n’était pas fait pour moi et les gens autour de moi ne me l’ont jamais fait ressentir. Je ne me suis pas construite avec cette idée, cette croyance négative, limitante.
Pour ce qui est du modèle, c’est important pour se motiver, pour se donner des perspectives d’avenir. Moi, lorsque j’ai débuté en 1996, mes modèles étaient des joueurs masculins et Lilian Thuram allait devenir ma référence dans le monde du football. S’il l’a été, c’est avant tout parce que j’aimais sa personnalité, que c’est quelqu’un de disponible, d’engagé, d’humble.
Je n’avais pas de modèles féminins avant tout parce que je ne connaissais pas les joueuses de l’équipe de France. Je me référais à des gens qui pouvaient me ressembler à savoir, des athlètes antillais. C’est pour cela que l’on a besoin d’avoir des représentants de différentes origines, cultures ou autres dans les médias notamment. C’est important pour que chacun puisse s’y retrouver.
Ceci étant, moi, je me suis construite par étapes. J’ai fait mes premières détections, j’ai vu que je n’y arrivais pas alors, chaque été, j’allais m’entraîner en me disant que je réussirais la fois prochaine.
Par la suite, j’ai été repérée par Elisabeth Loisel, la sélectionneuse de l’époque. Il y a eu l’équipe de France jeune puis l’équipe de France. Et puis, un jour, je me suis dit que j’avais fait le tour en France. C’était un peu compliqué pour moi en Championnat alors j’ai eu envie d’utiliser le football comme passeport pour partir étudier aux Etats-Unis, grandir et vivre des expériences.
Qu’est-ce qui s’est avéré compliqué pour vous en Championnat ?
J’étais une défenseuse rugueuse et on disait souvent de moi que j’étais trop agressive sur le terrain, ce qui commençait à me peser. Ça me pesait lorsque j’étais au centre de formation, j’ai d’ailleurs voulu arrêter plusieurs fois, ça m’a aussi pesé en Championnat.
Je me suis dit que j’avais envie de passer à autre chose, de vivre autre chose. J’ai eu l’opportunité d’avoir une bourse pour Boston College et c’est ce qui m’est arrivé de mieux à ce moment-là de ma vie.
Vous en attendiez quoi de cet exil aux États-Unis ?
Mon premier objectif était de prendre confiance en moi et cette confiance, je l’ai gagnée en sortant de ma zone de confort. Lorsque j’étais aux États-Unis, j’ai rencontré un psychologue du sport qui m’a énormément aidée à ce niveau-là.
Peu à peu, je suis devenue une meilleure joueuse, non pas parce que je m’entraînais plus mais parce que je travaillais avant tout sur moi. J’ai compris que mon agressivité était ma plus belle force.
J’ai appris à me construire aux Etats-Unis. J’ai utilisé le football pour grandir humainement et pour voyager.
En tant que sportive, comment avez-vous vécu la différence de traitement réservée aux sportifs aux États-Unis comparée à la situation en France ?
Ce qui était intéressant là-bas, c’était de se dire que le sport pouvait permettre à beaucoup de jeunes de s’offrir une perspective professionnelle, perspective dans le sport ou autre. Ça m’a beaucoup inspirée.
Je me suis dit que je pouvais ne pas me contenter d’être uniquement une joueuse, que je pouvais aller beaucoup plus loin. Grâce au sport, j’allais m’ouvrir d’autres perspectives de carrière.
Le sport féminin a bénéficié d’une loi, le fameux Title IX pour s’imposer et grandir aux États-Unis…
Le Title IX, c’est en effet ce qui a permis au sport féminin de s’inviter dans le paysage universitaire. Il est bien plus développé là-bas qu’en France mais ceci étant, il y a encore un ou deux ans, on constatait encore des différences de traitement entre hommes et femmes.
Il y a eu, par exemple, ce cas d’une salle de sport installée pour une compétition féminine avec deux-trois haltères alors que les hommes pouvaient bénéficier, eux d’une salle de sport de très haut niveau.
Il peut arriver qu’il y ait encore des cas de sexisme, mais il y a néanmoins du respect pour le sport féminin. Moi, lorsque je suis arrivée là-bas, je me suis dit que les compétitions féminines étaient super bien développées. Je croisais des filles en crampons dans la rue et ce n’était pas Halloween, juste des petites filles qui participaient à des camps.
Aux États-Unis, tout cela, c’est dans les mentalités, tout comme le fait que les sportives puissent être des modèles. Il y a une vraie culture du sport et du rôle du sportif dans la société américaine.
Quelles sont les différences fondamentales entre la façon dont les Américains appréhendent le football féminin et ce que vous avez connues en France ?
Aux États-Unis,on a mis une loi en place pour faire évoluer les mentalités en ce qui concerne le sport féminin. C’est cette loi qui a conduit à ce qu’il y ait des investissements dans ce domaine, ce n’était pas quelque chose de naturel comme on peut le penser à tort.
En France, on est dans un système scolaire totalement différent. Ici, pour faire du haut niveau, il faut passer par des clubs et, à l’époque où j’ai commencé à jouer, ces clubs n’étaient pas intéressés à l’idée d’investir dans le football féminin. Ce qui motive les clubs, c’est de savoir quel va être leur retour sur investissement.
Aujourd’hui, il y a de gros investissements de faits mais pour le prestige, pour l’image, car ils s’inscrivent dans le long terme. C’est un pari sur l’avenir pour les clubs.
En 2007, vous revenez en France et vous vous engagez avec Lyon. Une période charnière pour le football féminin qui commence alors à se professionnaliser.
J’arrive en effet au moment où l’Olympique Lyonnais met les moyens pour aller chercher une Ligue des champions, à savoir un staff technique, un staff médical, un centre d’entraînement de qualité…
À cette époque, Jean-Michel Aulas demande à la Fédération de créer des contrats pour éviter que les joueuses ne partent aux États-Unis, pour donner l’opportunité aux filles de s’investir en France, d’être reconnues dans leur profession. On devient professionnelles, dédiées au football. C’est l’idéal.
Peut-on dire de Jean-Michel Aulas qu’il est précurseur en la matière en France ?
En France, c’est Louis Nicollin, le président de Montpellier, qui amorcé le mouvement : il voulait gagner des titres, il a fait venir deux-trois joueuses influentes de l’équipe de France et il les a rémunérées.
Par la suite, un projet concernant le football féminin va être présenté à Jean-Michel Aulas. Il existait alors une bonne équipe féminine à Lyon, le FC Lyon, mais elle avait certaines limites qui l’empêchaient de grandir, d’aller chercher des titres à l’international.
Jean-Michel Aulas a mis ses installations à disposition, a pris les meilleures joueuses pour monter une équipe qui gagne, a fait signer des contrats, s’est investi et financièrement et personnellement : il venait aux matches, en faisait la promotion lorsqu’il passait à la télévision… Lyon va devenir numéro 1 en France et en Europe.
Peu à peu, la machine va s’enclencher. Les joueuses vont réclamer des salaires à hauteur de leurs investissements, l’UEFA va mettre plus de moyens dans ses compétitions, des compétitions prestigieuses, les agents vont arriver, proposent des joueuses à l’étranger… et vient doucement le moment où les clubs se disent que, eux aussi, ont envie de grandir.
C’est une évolution qui me fait penser à celle qu’il y a eu chez les hommes. Ça prend un peu plus de temps mais, progressivement, les clubs ont envie d’avancer avec le football féminin.
Quel est le rôle de la Fédération dans la féminisation du football ?
Le premier rôle que nous avons, c’est de développer le football de masse, le football amateur, c’est notre cœur de métier.
En 2011, lorsque Noël Le Graët devient président de la FFF, il va travailler avec Brigitte Henriques qui sera chargée de développer la féminisation. L’objectif premier était d’augmenter le nombre de licenciées, d’entraîneuses, d’arbitres en améliorant les équipements de tous les clubs qui investissaient dans le football féminin, en donnant des dotations à tous les clubs avec une section féminine, en donnant des bonnes formations à toutes les femmes qui souhaitaient devenir coach, arbitre ou dirigeante.
Nous sommes passé de 60 000 licenciées à 200 000 en 2019. Le but à présent est de continuer. Nous avons investi des millions dans le football féminin parce que nous y croyons, parce qu’il y a une demande, parce que c’est logique d’accompagner nos hommes et nos femmes à travers le football.
Vous étiez encore joueuse lorsque vous avez intégré la Fédération Française de Football. Quelles étaient vos motivations ?
Oui, j’étais encore joueuse lorsque le président Noël le Graët m’a proposé d’intégrer son comité exécutif. Moi, je voulais apporter mon regard sur le football français et pas seulement sur le football féminin.
J’ai néanmoins posé la question au président de savoir s’il ne faisait pas appel à moi parce qu’il avait besoin d’une femme, de diversité. Je ne voulais pas être juste un élément qui permettrait de cocher des cases.
J’ai beaucoup hésité mais ce qui m’a motivé, ça a été de me dire qu’il était facile de critiquer, qu’il fallait que je me lance, que j’allais apprendre et apporter qui j’étais.
L’un de mes premiers projets a porté sur l’arbitrage féminin et ça a été une superbe école.
Comment ça s’est passé ?
Lorsque j’ai pris le dossier, elles étaient environ six-cent-quatre-vingt arbitres femmes en France. Nous avons organisé le premier séminaire du football féminin, à l’occasion de la Coupe du monde, nous avons également organisé une rencontre entre la première femme arbitre – elle a 86 ans – et nos meilleurs espoirs avec, notamment, notre millième arbitre.
Lors de chaque match de l’équipe de France, j’invitais les gens de l’arbitrage de la région concernée avec tous ceux qui pouvaient nous aider à développer l’arbitrage… À l’issue de mon premier mandat, nous sommes passés de six-cent-quatre-vingt à mille deux-cents arbitres. L’objectif était atteint.
Lors du dernier mandat, nous avons créé un club : le club des 100 femmes dirigeantes. En quatre ans, nous avons formé cent femmes, nous les avons préparées à occuper des postes de fonction et, depuis, certaines d’entre elles ont intégré le comité exécutif.
On constate aujourd’hui qu’il y a beaucoup plus de femmes dirigeantes et nous travaillons sur des réseaux en région. Nous avons encore du travail en ce qui concerne les femmes arbitres, ça a été compliqué après le covid mais nous relançons une dynamique. Pour ce qui est des femmes entraîneures, nous travaillons à redynamiser la pratique.
En quoi diriez-vous qu’il est important d’avoir plus de femmes dans les instances pour l’avenir du sport ?
Ça permet d’avoir d’autres perspectives, une autre vision du football. Ceci étant, pour moi, l’enjeu n’est pas forcément de dire qu’il faut des femmes pour avoir des femmes.
Il reste que, sur certains sujets, les filles qui ont une appétence pour la pratique féminine pousseront beaucoup plus les problématiques inhérentes à ce domaine. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une diversité dans notre football, diversité en termes d’âge, d’origines ethniques, de genre…
Il faut comprendre l’évolution de notre société et penser un autre football.
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