1917. Angleterre. Plus de trois ans déjà que l’Allemagne a déclaré la guerre à la France plongeant rapidement l’Europe dans le chaos le plus total.
Sur le front, le moral des soldats du roi George V est au plus bas. Pour ceux qui sont restés au pays, la vie s’est organisée et continue. Tant bien que mal.
À Preston, petite cité du Lancashire, la Dick, Kerr & Co Ltd, spécialiste du transport ferroviaire, s’est reconvertie dans la fabrication de munitions. Les femmes, venues prêter main forte, y manient, du matin au soir, une machinerie complexe et des substances toxiques.
Les moments de répit sont rares. Les occasions de se réjouir aussi. Du moins jusqu’à ce qu’en ce triste mois d’octobre, le football ne vienne rebattre les cartes.
À la Dick, Kerr & Co Ltd, les jeunes apprentis ont pris l’habitude, pour se divertir, de se retrouver les week-ends, ballon au pied. Or, depuis quelques temps, les mauvais résultats s’enchaînent. Taquines, les « munitionnettes » comme on les appelle alors, les mettent au défi de se mesurer à elles.
L’idée, fraîchement accueillie, est loin de faire l’unanimité dans les rangs des footballeurs. Les joueurs rechignent à la perspective d’affronter des femmes avant, finalement, de se raviser.
Après tout, pourquoi pas ? L’occasion est belle et il n’y a que peu de doutes quant à l’issue de la rencontre. Rendez-vous est donc pris et les invitations lancées parmi les ouvrières.
Le Dick, Kerr’s Ladies Football Club, venait de naître et ce qui ne devait être qu’une parenthèse allait, sous l’impulsion d’Alfred Frankland, l’un des administrateurs de l’usine, s’installer dans la durée et marquer la chaotique évolution du sport féminin.
Il faut dire que le monsieur avait l’esprit ouvert mais aussi et surtout de l’entregent. Ses Ladies ont pris goût au football ? Qu’à cela ne tienne, il se tiendra à leurs côtés pour les soutenir et les faire connaître !
À partir de ce moment, tout va s’enchaîner très vite.
À l’approche de Noël, la directrice de l’hôpital militaire de Moor Park fait appel à la direction de l’usine pour collecter des fonds à destination des soldats blessés.
Un concert de charité est envisagé mais les « munitionnettes » suggèrent, en lieu et place, un match exhibition. Va donc pour le football !
Le 25 décembre, les filles de Preston se préparent à se frotter aux joueuses de la fonderie voisine, la Arundel Coulthard Factory, sur la pelouse de Deepdale, le terrain de jeu du Preston North End FC.
Pas moins de dix mille curieux se sont déplacés pour l’événement. Les protégées d’Alfred Frankland ne font qu’une bouchée de leurs adversaires du jour et s’imposent 4 à 0 avec, à la clé, un chèque de six-cents livres sterling pour améliorer le quotidien des gueules cassées.
L’histoire est en marche. Elle durera jusqu’au mitan des années 60. En presque un demi-siècle d’existence, les « munitionnettes » vont disputer plus huit-cents matches et multiplier les exploits.
Le 26 avril 1920, elles participent à la première rencontre internationale de football féminin face à l’équipe de France, alors en tournée pour quatre matches.
Le coup d’envoi a lieu à Preston et les Bleues, chaperonnées par Alice Milliat, en sont quittes pour une défaite 2-0. Mais, l’essentiel est ailleurs. Les footballeuses ont le vent en poupe et les stades font le plein.
À Deepdale, ils étaient vingt-cinq mille à avoir pris leur ticket pour assister aux passements de jambes des deux camps. Rien de comparable cependant à ce que les Anglaises connaîtront sept mois plus tard lors du Boxing Day.
Opposées aux filles de St Helens, les Ladies vont se produire devant cinquantre-trois mille spectateurs à Goodison Park, laissant plus de dix-mille déçus errer dans les rues de Liverpool faute de places suffisantes.
L’avenir s’annonce radieux pour les « munitionnettes ». Du moins jusqu’à ce que la Football Association, puissante instance de référence, ne prenne ombrage de leur succès. Ses dirigeants somment les Ladies, et leurs comparses de jeu, de se faire discrètes et fissa !
Pour les y contraindre, ces messieurs se retranchent derrière des considérations médicales – football et femmes ne font pas bon ménage, la preuve, la science le confirme – mais aussi financières : les gains générés par leurs prouesses serviraient, se sont-ils laissé dire, à financer de temps à autre des mouvements politiques et non uniquement des causes charitables.
Le 5 décembre 1921, la sentence tombe. Les footballeuses sont bannies des stades appartenant aux clubs affiliés à la FA. La punition ne prendra fin qu’en… 1971 !
Le coup est rude, mais les Dick, Kerr’s Ladies font de la résistance. En 1922, elles entament une grande tournée qui doit les mener au Canada puis aux Etats-Unis.
Le Québec leur ayant refusé l’autorisation de se produire, elles se contenteront des USA où les attendent des équipes exclusivement masculines. Pas suffisant pour les faire plier.
Les Ladies honorent les neuf dates prévues et quittent le Nouveau Monde, trois victoires, trois nuls et trois défaites en poche.
À leur retour, force est malheureusement de constater que le paysage du football féminin a changé. Faute d’infrastructures, certaines formations ont été contraintes de se saborder et la pratique commence à se marginaliser.
Peu enclines à renoncer, les Dick, Kerr’s Ladies, rebaptisées les Preston Ladies en 1926, poursuivront envers et contre tous leur épopée jusqu’en 1965.
Cinquante années de règne durant lesquelles elles auront disputé 828 matches, célébré 758 victoires et récolté pas moins de 180 000 livres sterling pour des œuvres caritatives.
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