Pour mieux comprendre pourquoi le sport est inégalitaire entre hommes et femmes, notamment le football, vous expliquez que c’est parce que les femmes ont, depuis le début, été mises à l’écart du sport. Elles ont réussi peu à peu à s’imposer dans les stades mais on leur a longtemps fermé la porte du professionnalisme. Or, qui dit pratique amateur dit niveau physique et technique moindre, donc moins d’attractivité pour le public, les sponsors, les médias. On a la sensation que, dès l’avènement du sport féminin, les dés ont été pipés pour les sportives.
Est-ce que le football féminin aurait pu connaître le même développement que le football masculin, il n’est pas possible de le dire. Mais, ce que l’on a pu constater c’est que le football féminin est apparu dès le début du jeu puisque le premier match date de 1881.
En France, il y a eu un championnat féminin entre 1919 et 1932 mais, par la suite, la discipline a en effet connu une grosse traversée du désert.
En Angleterre, on va interdire les terrains aux femmes, en Allemagne aussi, au Brésil, elles seront écartées du football pour raisons médicales. En France, il n’y a pas eu d’interdiction mais plutôt une pression morale.
Il faudra attendre la fin des années 60 pour voir les femmes rejouer au football avec, notamment, la première Coupe du monde, officieuse, organisée en 1971, la première, officielle, vingt ans plus tard.
Lorsqu’on évoque les inégalités entre les sexes, cela recouvre une palette assez vaste mais la plus criante reste l’inégalité salariale. C’est au nom de ces inégalités salariales que certaines footballeuses se sont récemment mises en grève : les Australiennes ont refusé de prendre part à la Coupe du monde 2015, deux ans plus tard, c’est au tour des Danoises de boycotter l’Euro et, en 2019, la Suédoise Ada Hegerberg, premier ballon d’or féminin, dit non au Mondial pour cette même raison. Comment ces revendications ont-elles été accueillies ?
Si vous regardez les sondages qui ont trait aux inégalités en France, l’inégalité entre hommes et femmes est l’une des moins bien acceptée.
C’est une revendication plutôt bien accueillie, mais néanmoins pas toujours correctement expliquée ni comprise. Il est en effet tout à fait normal que les « internationaux » – hommes et femmes – revendiquent les mêmes choses en matière d’égalité des primes, mais il ne faut pas confondre ce discours avec celui qui concerne les différences salariales entre hommes et femmes dans les clubs.
Là, c’est un problème complètement différent, on n’évolue pas dans le même monde économique : en France, par exemple, le chiffre d’affaires des vingt clubs de L1 est de 2 milliards, 20 à 30 millions pour les douze équipes de D1.
Le football féminin fonctionne mieux à l’international qu’au national…
Oui, il faut faire la part des choses entre le football international et le football des ligues nationales.
Le football international féminin a pris son élan et, à l’avenir, ça devrait continuer à bien fonctionner. Il y a en effet du monde dans les stades – en 2019, plus d’1 milliard de personnes ont vu au moins une minute de la Coupe du monde, ce qui est loin d’être négligeable car c’est 3 à 4 milliards pour la Coupe du monde masculine – et ça devrait, par la suite, engranger de plus en plus de recettes.
Prenez l’exemple, à ce titre, du budget 2014-2018 de la FIFA. Durant cette période, 95 % des droits télé provenaient de la Coupe du monde masculine de 2018. En 2019, les revenus de la FIFA ont augmenté de 40 % et il est fort possible que ce soit dû aussi à l’impact de la Coupe du monde féminine de 2019 qui a eu lieu en France.
D’un point de vue économique, il y a donc une croissance à ce niveau-là. Pour ce qui concerne les stades de D1, on est néanmoins encore très loin de ce succès !
Comment expliquer que cette fameuse Coupe du monde 2019, souvent présentée comme un tournant dans l’histoire du football féminin, n’ait pas eu de répercussions sur la scène nationale, en France notamment ?
Le football international féminin fonctionne bien et on aurait effectivement pu penser, qu’après 2019, il y aurait des retombées économiques en France.
Il se trouve que, même si la Covid n’a pas arrangé les choses, il continue à y avoir très peu de monde dans les stades. L’affluence moyenne est inférieure à 1 000 spectateurs en D1 et en ce qui concerne les budgets, ça n’a pas démarré.
Quand on parle de rendez-vous internationaux, le succès est là parce qu’ils rassemblent les meilleures joueuses de tous les pays et le niveau est assez élevé.
Pour ce qui est du Championnat de France, il y a de gros écarts entre les équipes. D’un côté, vous avez Lyon et le PSG mais il y a aussi des formations qui n’ont pas forcément un gros niveau.
C’est pour cela que dire que les femmes, en championnat, doivent gagner autant que les hommes, c’est mettre la charrue avant les bœufs.
La première étape à franchir pour le football féminin, c’est d’assurer la formation, de permettre à toutes les jeunes filles de pouvoir jouer, ce qui n’est pas toujours le cas.
Il y aussi beaucoup à faire au niveau des infrastructures. La deuxième étape, c’est la professionnalisation et la troisième, la médiatisation.
Les lionnes de l’OL…©Damien GL/OL
Est-ce que cette situation est la même pour tous les pays, notamment les pays européens ?
Ce qui est intéressant à étudier, c’est ce qui s’est passé en Angleterre où se déroule l’Euro cette année.
En 2016, la fédération anglaise féminine a engagé tout un tas de réformes. Le championnat a été complètement restructuré, professionnalisé. Il y a eu création d’une Ligue, indépendante de la Fédération, et c’est elle qui gère le championnat, négocie les contrats.
Les Anglais ont repris l’idée de payer les internationales anglaises afin qu’elles restent jouer dans leur pays, il existe un plafond salarial, un quota pour les joueuses étrangères…
Parallèlement, les droits TV ont été renégociés à environ 8 millions d’euros par saison. À titre de comparaison, en France, c’est 1,2 million d’euros, 3 en Espagne et un peu plus de 2 en Allemagne.
L’objectif était de vendre au mieux le championnat et de doubler les affluences dans les stades, à savoir, de passer de 1 000 à 2 000, ce qui est assez modeste.
Est-ce que ce sont les seuls à avoir professionnalisé leur championnat ?
Non. En Italie, en Espagne, les championnats vont aussi être professionnalisés. En ce qui concerne la France, on n’a pas encore une idée précise de la façon dont va évoluer le foot féminin.
En France, les joueuses, pas toutes, doivent se contenter d’un contrat fédéral ?
Le contrat fédéral, pour le moment, il est le même pour celui qui tond la pelouse que pour la footballeuse.
Si le championnat était professionnel, les joueuses auraient une convention collective spécifique et pourraient négocier des minimums salariaux, des conditions de licenciement particulières…
Je n’ai pas d’entrées à la Fédération mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait une volonté de professionnaliser le championnat français alors que c’est fait un peu partout maintenant.
Ceci étant, ce n’est pas pour cela que les joueuses sont moins payées parce que, paradoxalement, c’est le championnat français qui paye le plus en Europe, il paye même plus qu’aux Etats-Unis.
Combien gagnent les meilleures joueuses qui évoluent en France ?
Les principales joueuses du PSG gagnent plus de 400 000 euros par an. Il faut préciser qu’il existe des inégalités salariales entre hommes et femmes, mais il en existe aussi entre les joueuses.
Parmi elles, certaines doivent toucher le Smic. Ça vaut aussi pour les hommes. On a tendance à se concentrer sur les très gros salaires alors que le salaire médian en L1 doit tourner autour de 45 à 50 000 euros par mois brut.
Cela signifie qu’il y a 50 % de joueurs qui touchent plus et 50 % qui touchent moins. Ceci étant, on peut dire qu’aujourd’hui, le salaire moyen d’une joueuse en France est à peu près le salaire moyen d’un footballeur dans les années 70.
Pour que l’écart diminue, il faut du temps, le football masculin ne s’est pas, lui non plus, développé du jour au lendemain mais, comme il a connu une croissance énorme depuis les années 90, on a tendance à les comparer alors que les histoires sont un peu différentes.
Est-ce qu’il possible de voir cet écart se réduire à l’avenir ?
Si les footballeurs gagnent autant c’est parce que l’économie du football fonctionne de telle façon que tout l’argent généré va globalement au footballeur et non aux propriétaires des clubs car les clubs ne font pas de profits.
Pour que le football féminin arrive à ce stade, il faut générer beaucoup plus de revenus. Les tournois internationaux sont, à ce titre, des vitrines qui permettent de susciter des vocations, de mettre la pression sur les clubs pour accueillir les jeunes filles mais, parfois, il n’y a pas assez de terrains, les vestiaires sont limites…
Il y a beaucoup de choses à faire, mais tout cela est complémentaire.
Peut-on espérer que l’Euro féminin qui se joue actuellement en Angleterre, continue à faire évoluer la situation des footballeuses ?
Si vous formez plus de footballeuses, que vous les formez mieux, vous aurez plus d’équipes compétitives.
Tout cela va contribuer à améliorer le championnat, à le rendre plus visible, plus vendable.
Je pense que le football international féminin a gagné son pari : les audiences sont fortes, le niveau des équipes est très très bon, il commence à y avoir des retombées commerciales.
Mais il faut essayer de profiter de ces succès pour essayer de développer les clubs où il reste encore beaucoup à faire.
- « Comme les garçons ? L’économie du football féminin », Luc Arrondel et Richard Duhautois, édition Rue D’ulm Eds
Ouverture ©Shutterstock