Héloïse Onumba-Bessonnet « Grâce à la danse, on essaie de reconnecter des femmes violentées à leur corps. »
Elle travaille avec le danseur Bolewa Sabourin sur le projet Re-Création, des ateliers de thérapies dansées. Héloïse Onumba-Bessonnet est victimologue spécialisée dans les violences de genre en temps de conflit et décrypte, pour ÀBLOCK!, cette approche très particulière du mouvement non à des fins de loisir mais de réparation.
Par Sophie Danger
Publié le 24 janvier 2024 à 16h26
Vous êtesvictimologue, spécialisée dans les violences de genre en temps de conflit, et vouscollaborez au projet Re-Création mis en place par le danseur Bolewa Sabourin, projet qui utilise la danse commeoutil de thérapie pour accompagner les femmes victimes de violences.Qu’est-ce qui vousamenée à collaborertous les deux ?
J’ai fait des études envictimologie et j’ai tout de suite fait le choix de travailler sur le viol de guerre en République Démocratique du Congo : je suis franco-congolaise et je trouvais, à ma connaissance du moins, qu’iln’yavait pas assezd’écritsuniversitaires sur le sujet sous l’angle de la victimologie.
L’idéeétait de se demander comment mettreen place un parcours de soins pour ces femmes. Comme je n’avais pas forcément les moyensd’aller sur place, j’aicherché à rencontrer des professionnelsà la foisen France et au Congo et c’estcommecela que j’ai fait la connaissance de Bolewa Sabourin.
Par la suite, je suis entrée chez Loba, l’associationqu’il a créé, pour un stage et quand il a réussià lever des fonds, j’aiofficiellement rejoint l’aventure. C’étaiten 2018.
Le sport et la danse pour réparer, c’étaituneapproche nouvelle pour toi ?
J’ai fait des études de sport, c’est quelque chose qui a toujoursététrès important dans ma vie. J’ai fait beaucoup de danse, de tennis… Je ne suis pas devenue danseuse professionnellemaisj’aitoujours cru au sport. J’ai la chance d’avoirce rapport-là à l’activité physique et d’être égalementfortementengagée sur la thématique des femmes victimes de violence.
Quand on a étévictime de violences et notammentsexuelles – des violences qui passent par le corps – on peut se déconnecter de son corps. Grâce à la danse, à l’expressioncorporelle, on essaie de reconnecter ces femmes avec leur corps.
Toutes les femmes s’yretrouvent-elles ?
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise solution. Pour certaines, ce qui va les aider, c’est la victimologie, pour d’autresce sera la danse, la boxe… Plus on a de propositions à faire aux femmes, mieuxc’est, l’objectif final est de les faire allervers un mieux-être.
Il y a des parcours de vie différents qui nous mènentà des pratiques différentes. On doit avoiruneoffre de soins la plus variée possible afin de correspondre au maximum de profils et de permettre aux femmes, siellesbloquent sur leurparcoursmédicaloupsyenpriseen charge individuelle, de trouverpotentiellement quelque chose en plus ou de différent avec des ateliers collectifs qui proposent, notamment, des activités physiques, corporellesouartistiques.
La thérapie Re-Création, je la porte, maisc’estunethérapieparmid’autres. Les femmes qui viennentsontdemandeuses et continuentà participer,maissi la danse ne leur parle pas, ça ne vaut pas la peine.
La particularité du protocole de Re-Création estqu’ilestanimé par un duo, un danseur et un psychologue. Pourquoicettedouble présencedurant les séances ?
La thérapie a étécrééeen 2018 et nous noussommesrenducomptequ’il y avait, enÎle-de-France, des associations existantesdepuis très longtemps et des propositions très intéressantes pour les femmes. Nous noussommesdemandé comment nous positionnerencomplémentarité de cemaillage-là.
C’estlàque nous noussommes dit qu’ilfallait y allerà fond dans la complémentarité, dans la pluridisciplinarité. Un danseur est bon en danse mais pas toujours bon pour ce qui est du recueil de la parole, ce qui est normal. Nous avons voulu nous adresserà des professionnels du sujet, des experts de la parole de victimesafind’animernos ateliers tout en les associant avec des spécialistes de la danse.
La spécificité de nosthérapies Re-Création, c’est que nous avons deux personnes qui les animent. Nous sommesaujourd’hui deux binômes : Bolewa avec unepsychologue et moi avec une danseuse. Nous intervenons dans sept structures enrégionÎle-de-France et notamment trois hôpitaux de l’AH-HP.
L’idéeestd’alterner les temps dansés et lestemps de parole durantdeuxheures. Chaque atelier est différent, son déroulédépend des femmes, de leurspontanéité, des thématiquesqu’elleontenvied’amener, on avise au fur et à mesure.
Les femmes qui participent aux ateliers que vousorganisez ne viennent pas pour prendre un cours de danse, ellesviennent pour se réparer par la danse. Quelles différences y a-t-il entre la danse thérapeutique et la danse loisir ? Est-ce que l’onaborde le mouvement de manière totalementdifférente ?
Nos ateliers sonteffectivementtotalementdifférents d’un cours de danse traditionnel, c’est pour celaqu’iln’est pas évident de recruter des danseusesou des danseurs. Dans l’imaginairecollectif, dans un cours de danse, les élèves se laissent porter par le professeur. Là, c’est tout le contraire, on chercheà remettre du mouvement dans un corps qui a été – ou qui est-figé, qui a parfoisétésidéré.
Nous sommes dans unedémarche d’empowerment. Nous cherchonsà redonner de l’autonomie dans le récit et dans le corps, dans la posture, ce qui fait qu’on ne travaille pas les mêmes choses ni les mêmes intentions. C’estcette notion qui estimportante et c’est pour celaqu’on part toujours des femmes.
J’anime, pour ma part, un atelier avec une association qui prenden charge des femmes sorties de prostitution. Elles sonttoutesNigérianes. Je me suis adaptée pour avoirune playlist de musiques nigérianes, pour aller les chercher dans cequ’ellesconnaissent, dans cequ’ellesaiment. Parfois, je les sors de leur zone de confortmaisl’idéeest de se dire : « Ok, comment on créé du lien ? ».
Nous ne sommes pas dans un cours de danse où le prof vamontrer quelque chose, il peut y avoir des petits temps commeça mais c’est,chaquefois, dans un but bien précis.
Est-ce que toi, en ta qualité de victimologue, tuinterviensparfois dans le choix de mouvementsouest-ce que le recueil de la parole et le travail du mouvementsontdissociés ?
C’est au cas par cas. Nous sommes un binôme, l’enjeuest de savoir comment collaborer. Chacun des membres de nos duos ont de l’expertise,maisce qui estintéressantc’est que, quand un professionnelesten« lead », l’autreestenrecul et peutdoncvoir les choses plus facilement.
Nous avons des debriefs après nos ateliers ce qui nous permet de discuter, de savoir ce que l’onpeutajuster pour le prochain rendez-vous. L’idéeest de co-construire les ateliers ensemble, de les faire évoluer avec les remarques des uns et des autres.
Re-Créations’adresseexclusivement aux femmes, est-ceparce que c’est un public plus sensible au travail du corps, à la danse ?
Je suis persuadée que nous pouvons adapter nos ateliers à un public masculin et nous avonsparfois des demandesencesens. Nous noussommes beaucoup questionnés pour savoir si nous pouvionsintégrer des hommes dans les ateliers maisfinalementnon :nosspécialistessontsoitexpérimentés dans le fait de faire danser des femmes, soit de recueillir la parole des femmes, ce qui fait qu’il nous a paruévidentd’accueillir des femmes avanttout.
Nous avonsnéanmoinscommencé à parlerà des structures spécialisées dans les publics masculins. S’ilsont des professionnels qui souhaitent se former à notreméthode, des professionnels experts du recueil de la parole des hommes victimes, c’estenvisageable.
Tout celaestajustable,maisça dépendavant tout des professionnels. Il ne faut pas oublierqu’il y a un enjeuthérapeutiquederrière tout ça, ce que l’on fait a un impact sur le public que l’onaccompagne, on ne doit pas faire n’importe quoi.
Le fait que Bolewa soit un homme n’a jamais été un frein pour ces femmes ?
Ça n’a jamais étéun problème, tout s’esttoujours passé naturellement. C’estnéanmoinsune question interessante qui revient beaucoup en Occident mais très peu ailleurs et notamment au Congo.
On fait un gros travail pour travaillernotre posture, pour savoir comment on se place durantl’atelier, comment on se positionne. Tout celaestpenséenamont et permet que les femmes ne se posent pas ce genre de question. Celles qui suiventnos ateliers oublient que Bolewa est un homme car elles le connaissent et il n’y a plus ce rapport entre les genres.
Est-ce que, au cours de cesannées d’activité,vousavezété surprise, dépasséepeut-être, par la puissance de la danse et du travail du corps sur cesfemmes que l’on a abîmées ?
Je suis toujours surprise, et je le resteraitoujours, de voir comment la danse permet de créerunecohésion. Dans un début d’atelier, tout le monde estgénéralementà dix kilomètres de distance, on oseà peine se parler et, dès que l’on a fait deux ou trois mouvements, c’est parti, tout le monde rigole, se connait.
Il y un avant et un après le temps dansé qui estimpressionnant : le temps avant, tout le monde est dans sa pudeur personnelle et le temps après, on a créé le groupe et c’estvraiment fort.
Y a-t-il des moments qui vousontmarquée plus que d’autres ?
Il y en a euplusieurs. Dans l’un des ateliers de Bolewa par exemple, il y a des femmes qui sontlàdepuis trois anset, mêmesicen’est pas un but en soi, c’estvraiment chouette. Ce qui estvraiment chouette aussi, c’estqu’il y a de temps en temps des femmes qui viennentà plusieurs ateliers au cours de la mêmesemaine,ce qui veut dire non seulementqu’il y a un besoinmais surtout qu’ellesapprécientce temps.
Nous avonsparfois des femmes qui ne viennent plus pendant quatre-cinq moispuis qui reviennent, et cesont des liens très forts. C’estçaaussi qui est extraordinaire, ces liens, voir que ces femmes avancent. Parfois ellesn’ont pas de papiers, pas de logements, dorment dansla rue avec des enfants et viennentà nos ateliers et sourient.
Je suis à chaquefoisbouleversée par leur force et c’estce qui nous pousseà continuer.
Vos ateliers s’adressentenpriorité à des femmes en situation très précaire ?
Oui, nous travaillons avec les femmes dont les situations sont les plus précaires. Ce sont des femmes en situation de migration, qui arriventen France et qui ontsouventétévictimes de violences dans le pays d’origine, sur leurparcoursmigratoireouici.
La chance que nous avonsc’est que nous avonstoutes et tous un bagagemulticulturel qui nous permet de jongler avec les codes, de comprendrecertaines choses de ces femmes qui nous aidentà allerverselles.
Çan’a pas été un choix délibéréau départ, c’estvenunaturellement et, de fil en aiguille, l’agenda se remplit. Petit à petit, nous nousouvronsà d’autresproblématiques, notammentcelle de la santé, le diabète, l’obésité, l’hypertension.
Comment voyez-vousl’avenir des thérapies Re-Création ?
Nous avonsété rejoints par unedoctoranteenpsychologiecliniquechargéed’évaluerl’impact de nos ateliers sur les femmes que nous accompagnons. L’enjeu, derrière, est de former des professionnelsà notreméthode.
Nous avons beaucoup de demandes qui viennent de partouten France. Nous, notrespécificité, c’est le côtérégulier : nous intervenonstoutes les semainesoutous les quinze jours et, pour des questions logistiques, il n’est pas évident de se déplacer à cerythme sur tout le territoire.
Nous sommesbasés à Paris, les ateliers principauxsontenrégion Île-de-France, maisd’ici un an et demi ou deux ans, le but est de développernotreactivitéen province avec des binômesformés à notrethérapie qui serontenmesured’intervenir dans d’autresrégions.
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