« Quand je suis entrée dans le monde du baseball, il semblait peu probable qu’une femme dirige une équipe de MLB. » Et pourtant ! Le 12 novembre dernier, Kim Ng pouvait, à loisir, mesurer le chemin accompli depuis ses débuts chez les White Sox en acceptant, à 51 ans, d’endosser le costume de manager général des Miami Marlins.
Première femme à occuper une telle fonction au sein d’une franchise de MLB (Major League Baseball), la native d’Indianapolis s’offrait, en cette fin d’automne, une double victoire, renversant, d’un coup d’un seul, les codes genrés qui régissent le baseball professionnel mais aussi, et plus globalement, les quatre ligues majeures du sport américain à savoir, le baseball, le foot US, le basket et le hockey.
Une nomination au retentissement énorme aux États-Unis. Saluée, d’une seule et même voix, par Michelle Obama, l’ancienne première dame, ou encore Billie Jean King, figure incontournable du tennis féminin, la désignation de Kim Ng marque en effet un tournant dans l’histoire des sports US.
« Je pense que c’est le jour le plus marquant pour le baseball depuis que Jackie Robinson a brisé la barrière de la couleur en 1947 », s’est enthousiasmé Richard Lapchick, expert des questions de race et de genre dans le sport, auprès de l’agence AP.
« Les femmes ont toujours été regardées comme des intrus dans ce sport supposé masculin, a renchéri Joe Torre, ancien joueur des Mets, dans les colonnes du New York Times. Le changement s’est fait de manière progressive dès l’instant où l’on a ouvert les clubhouses aux femmes journalistes. Les femmes peuvent en savoir autant sur le jeu que les hommes, c’est une certitude. »
Mais comme toutes les révolutions, celle-ci ne s’est pas faite sans heurts. Il aura fallu en effet pas moins de trente ans d’un parcours sans faute – et quelques couleuvres avalées sans broncher – pour que l’endurante quinqua ne parvienne, enfin, à ses fins.
Et c’est en 1990 que tout commence. Fraîchement diplômée de politique publique à l’université de Chicago, Kim Ng décide de se lancer dans la vie professionnelle. Cette brillante joueuse de softball, sacrée MVP (Most Valuable Player) durant ses études, choisit alors d’allier l’utile à l’agréable en frappant à la porte des Chicago White Sox, l’une des quinze franchises de baseball que compte la ligue américaine.
Recrutée, dans un premier temps, en qualité de stagiaire, elle sera embauchée définitivement quelques mois plus tard. Quatre ans après ses débuts, Kim Ng est promue directrice assistante des opérations de baseball.
Sa gestion du « cas » Alex Fernandez, ancien lanceur de l’équipe chicagoanne, la propulse malgré elle en pleine lumière. Première femme partie prenante dans un dossier d’arbitrage salarial, elle devient également, à 27 ans, la plus jeune, tout sexe confondu, à se voir charger d’une mission d’une telle ampleur.
En 1998, après un bref passage par la Ligue américaine, Kim Ng met le cap sur New York. Elle qui a passé son enfance entre le Queen’s et Long Island signe avec les Yankees, sa franchise de cœur. Intronisée manager général adjoint à seulement 29 ans, un record de précocité dans une ligue majeure, elle s’amuse, de nouveau, à bousculer les institutions sportives américaines, réécrivant, à sa convenance, leur longue histoire.
Trois ans et trois victoires aux World Series plus tard, elle reprend la route. Délaissant les rivages de l’Atlantique, elle rallie la côte pacifique et pose ses bagages à Los Angeles.
Vice-présidente et manager général adjoint, elle se sent alors prête à franchir la dernière marche, celle qui la sépare de la fonction de manager général. Par deux fois, les Dodgers lui préféreront un homme. Dépitée mais pas découragée, Kim Ng, soutenue et chaudement recommandée par sa hiérarchie, tente sa chance auprès des Mets de New York et des Phillies de Philadelphie. Sans succès.
Ses entretiens avec les Giants de San Francisco, les Mariners de Seattle et les Padres de San Diego resteront, eux aussi, sans suite. « Chaque fois, je lui demandais comment ça s’était passé et quelques jours plus tard, elle recevait un appel lui indiquant qu’ils prenaient une autre direction, se souvient Ned Colletti, son ancien supérieur chez les Dodgers. Vous pensiez voir alors la déception sur son visage, mais elle la gardait pour elle. Je pense même que, plus elle s’investissait, plus elle refusait d’abandonner. C’est un trait de caractère extraordinaire. »
En 2011, Kim Ng accepte de rejoindre le siège de la MLB. Vice-présidente chargée des opérations de baseball, elle s’y épanouit jusqu’à ce que Derek Jeter, ancien joueur vedette des Yankees devenu co-propriétaire des Marlins, ne lui offre, enfin, d’occuper ce poste qu’elle convoite tant.
« Ça démontre qu’il faut continuer à avancer s’est-elle réjouie dans un communiqué. C’est ce que nous disons aux joueurs : vous pouvez broyer du noir et avoir la mine basse quelques jours, mais c’est tout. Vous devez revenir et c’est ce que j’ai été en mesure de faire. J’ai été battue plusieurs fois, mais il faut continuer d’espérer. Je suis entrée dans la MLB en tant que stagiaire et, après des décennies de détermination, c’est un honneur dans ma carrière de diriger les Miami Marlins. »
Pionnière parmi les pionnières, Kim Ng, désormais installée au sommet de la hiérarchie, n’en a pas, pour autant, fini de marquer de son empreinte l’univers du baseball.
Bien décidée à faire des Marlins les prochains champions des Etats-Unis, la néo-floridienne, consciente d’avoir ouvert une brèche, espère également motiver d’autres femmes à lui emboîter le pas. « J’ai reçu des appels et des SMS de gars que je connais depuis des années, qui étaient tellement excités de le dire à leurs filles et à leurs femmes ! Je porte le flambeau pour tellement de femmes… C’est une grosse responsabilité, mais je l’accepte. Il y a un adage qui dit : “Vous ne pouvez pas devenir ce que vous ne voyez pas”. Maintenant, vous pouvez le voir ! »
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