Jessica Silva : « Il n'y a pas de mots pour décrire ma passion pour le football. »Entraîneure du FC Metz féminin, équipe de deuxième division, 34 ans

Jessica Silva : « Il n'y a pas de mots pour décrire ma passion pour le football. »
Amoureuse du ballon rond, c'est elle qui le dit. D'aussi loin qu'elle se souvienne, au Canada comme en France, Jessica Silva a toujours été une footeuse passionnée. Avec ses joueuses du FC Metz, cette entraîneure ambitieuse se bat pour son club mais aussi pour le développement du foot féminin.

Propos recueillis par Alexandre Hozé

Publié le 14 mars 2023 à 17h45

« C’est difficile d’expliquer cette passion pour le foot, c’est à l’intérieur de moi, il n’y a pas vraiment de mots pour décrire ça. J’ai grandi au Canada avec un papa portugais et une maman italienne, le foot a tout de suite fait partie de ma vie. J’ai commencé avec mon père, ça m’a rapproché de lui, de mes racines, de mes origines italiennes et portugaises, le Canada n’étant pas vraiment un pays de foot. Quand on regardait des matchs, c’était ceux de nos pays, ça nous rattachait à une communauté, à une culture.

Le ballon est vite devenu mon premier amour. J’ai toujours adoré jouer et j’ai fait ma petite carrière de joueuse au Canada où j’ai joué avec des garçons pendant un an, puis j’ai été obligée d’intégrer une équipe de filles, même si ce n’est pas ce que je voulais faire. Je préférais jouer avec les garçons, ça allait plus vite, c’était plus dur.

©Coll. personnelle Jessica Silva

Au Canada, le sport est mixte. Je n’ai pas ressenti de blocages parce que j’étais une fille qui faisait du foot. Ces a priori, je les ai malheureusement plutôt retrouvés dans ma famille qui n’était pas habituée à ce qu’une fille fasse du sport. Mais quand je jouais, j’étais avec d’autres Québécoises et j’étais à l’aise. C’est la beauté du Canada, une fille a autant d’opportunités qu’un garçon, aussi bien dans le sport que dans l’éducation.

Après, tout n’est pas parfait, en grandissant, je me suis rendu compte que culturellement, une fille pouvait paraître moins légitime qu’un garçon dans le haut-niveau, même au Canada. L’opportunité est là, mais ce n’est tout de même pas ce qui est attendu d’une femme.

Quand je jouais, mon père m’a toujours soutenue, ma mère aussi. Elle m’emmenait aux entraînements et aux matchs, alors qu’elle n’aimait pas du tout rouler sur l’autoroute… Elle a fait énormément d’efforts pour que je puisse pratiquer le foot. Elle savait que ça me rendait heureuse.

©Christian Lisenmaier

Mes premières expériences en tant qu’entraîneure, je les ai connues assez tôt. Je m’étais cassée la jambe, je me concentrais là-dessus pendant ma rémission. J’ai commencé par entraîner mon frère et, tout de suite, j’ai aimé ça, ce qui a compensé avec le manque de ne pas pouvoir jouer. Ça me plaisait beaucoup et pour autant, je n’imaginais pas en faire mon métier, encore moins que j’irais en Europe pour exercer !

Je suis allée à l’université pour devenir prof de sport, j’ai décroché une bourse pour passer une maîtrise…  Jusqu’à 23/24 ans, je pensais que le foot resterait un passe-temps. Puis, j’ai eu un déclic, je n’avais pas envie d’arrêter, j’ai alors continué, faisant des formations en parallèle de mes études : j’étais étudiante et footballeuse à temps plein.

J’avais beaucoup d’opportunités qui s’ouvraient à moi dans le foot, je ne voulais rien refuser, j’acceptais tout, au point même de ne plus avoir de temps libre. Entre 24 et 27 ans, j’étais extrêmement motivée par mon environnement, j’avais le sentiment de réussir, d’aider des jeunes à progresser…

©Christian Linsenmaier

Puis, à mes 27 ans, j’ai fait mon premier stage FIFA au moment où la Coupe du Monde de football féminin se déroulait au Canada. Là, j’ai rencontré Hope Powell, sélectionneuse de l’équipe d’Angleterre. J’étais dans une période où j’avais le sentiment de devoir décider si je continuais ou non dans le foot, c’était très compliqué.

Durant ce stage FIFA, j’ai rencontré d’autres femmes qui jouaient au foot, qui entraînaient… Hope Powell m’a pris à part et m’a encouragée à ne pas lâcher. Elle m’a dit que j’avais un vrai talent et que je devrais me rendre en Europe, qu’il fallait que j’aille au bout de mon idée.

J’ai suivi une formation, j’étais une semaine par mois en France, ce qui m’a permis de faire de belles rencontres, de connaître un autre monde, de découvrir de nouvelles opportunités… Mon père m’a encouragée à saisir ma chance et j’ai déménagé en France l’année de mes 30 ans.

Jessica Silva a été la première femme dans l’histoire du Canada à recevoir sa licence d’entraîneure UEFA.

Je ne me suis jamais autant sentie femme qu’en France. Les occasions d’évoluer, la considération, les événements organisés par les clubs, la manière dont on parle du sport féminin… Il y a une réelle différence par rapport au Canada.

Malgré tout, mon début de carrière en France a été difficile. J’entraînais déjà en haut-niveau au Canada et quand je suis arrivée ici, on m’a donné une équipe de moins de 19 ans à l’US Orléans. Je suis en quelque sorte tombée de mon nuage ! Aussi bien au niveau des infrastructures, des moyens…

Me retrouver en U19, ça a été compliqué. Mais, au fur et à mesure, j’ai eu davantage d’opportunités à l’US Orléans, mes résultats parlaient pour moi. Le FC Metz est finalement venu me recruter en janvier 2019, j’ai saisi la chance de coacher de nouveau une équipe première.

©Julien Buret – Let’s Go Metz

La période d’arrêt du Covid a été très complexe. J’étais loin de ma famille, il y avait le sentiment d’être enfermé… J’ai vécu ça comme une pause sportive, mais également un cap dans mon développement personnel. Après, j’essaye de tirer des leçons positives de chaque événement.

J’ai pu davantage individualiser le développement de mes joueuses sans la pression du championnat avec des matchs tous les week-ends. Je pense avoir aidé certaines athlètes à progresser, mais j’étais frustrée car je suis là avant tout pour la compétition, pour les matchs.

Après cette crise, ça m’a fait du bien de revenir sur un terrain, surtout avec une équipe comme la mienne, cohérente dans les efforts, qui réussi de bons entraînements. Les résultats sont un peu secondaires, on ne contrôle pas ça lorsqu’on est entraîneure. C’est d’ailleurs dommage d’être jugée là-dessus. Il faut vraiment avoir les épaules solides pour faire ce métier.

©Julien Buret – Let’s Go Metz

Cette saison 2022-2023, on joue pour gagner des matchs, avec pour but de terminer le plus haut possible dans le classement de la deuxième division. Mais je suis ambitieuse, je ne me fixe pas qu’un seul objectif. J’essaye d’être meilleure chaque jour. J’espère que mon passage nous permettra de monter en D1, j’espère contribuer à améliorer nos conditions et la section féminine, j’espère que mes athlètes auront progressé sous ma direction.

J’adore Metz, j’adore ma ville et j’adore mon club. Mais, j’ai une passion pour le football et ce sont les opportunités qui décideront de la suite de ma carrière.

©Coll. personnelle Jessica Silva

Dans le foot, je ne pense pas que les femmes seront un jour égales aux hommes. Les évolutions vont venir progressivement. Je pense que ce changement doit venir des instances. Les clubs bougeront quand ces dernières auront mis en place des structures qui les inciteront à évoluer dans ce sens.

Les instances doivent permettre au foot féminin de se développer, elles doivent nous permettre de nous investir à fond sans problème. Si tout ça vient d’elles, les clubs vont se responsabiliser et les athlètes aussi, hommes comme femmes. On peut déjà faire des choses en interne, au sein des clubs, pour améliorer la situation.

Aujourd’hui, le football est un investissement, ce qui veut dire que beaucoup de choses sont faites en fonction des dépenses, des bénéfices à long terme… Les clubs restent des business et le foot féminin demeure un coût, nous ne sommes pas rentables.

Tout cela évolue , il y a déjà une volonté verbale d’aller dans le bon sens, mais les mots finissent par s’envoler et il va falloir du concret. Ce doit être un effort global, tout le monde doit tirer dans la même direction. »

©Christian Linsenmaier

Ouverture : Julien Buret - Let's Go Metz

D'autres épisodes de "Football : ces sportives qui vont droit au but"

Elles aussi sont inspirantes...

Loïs : « J’associe le sport à la vie : on essaie, on tombe, on se relève, jusqu’à avoir la peau en sang ! »

Loïs : « J’associe le sport à la vie : on essaie, on tombe, on se relève… »

Tombée dans la marmite du sport toute petite, Loïs, 17 ans, est une sportive tout-terrain qui n’a peur de rien et surtout pas des garçons sur un terrain de foot ou un ring de boxe. Future pompier professionnel, elle s’essaye autant au wakeboard ou au ski qu’au tennis et à l’escalade, histoire de s’éclater et de se préparer à s’adapter à toutes situations. Une tête bien faite dans un corps surentraîné.

Lire plus »
Maureen : « Grâce au street workout, on se sent maître de soi-même et de son corps. »

Maureen Marchaudon : « Grâce au street workout, on se sent maître de soi-même et de son corps. »

Suite à une anorexie mentale, Maureen Marchaudon découvre la pratique du street workout, un sport encore jusque-là réservé aux gros bras masculins. Piquée de ces figures qui allient force, agilité et technique, elle devient vite insatiable jusqu’à décrocher le titre de vice-championne de France 2024 de street workout freestyle et à l’enseigner aux femmes qui veulent r(re)trouver la confiance en elles. Who run the world ? Girls !

Lire plus »

Vous aimerez aussi…

Il était une fois le breakdance… féminin

Il était une fois le breakdance… féminin

Née dans les rues du Bronx dans les seventies, cette danse acrobatique voit s’affronter des « crew » sur le bitume et sur les pistes à coups de mouvements saccadés. Et les Bgirls y font bonne figure. Petite histoire du breaking conjugué au féminin.

Lire plus »
Ingrid Graziani

Le questionnaire sportif de…Ingrid Graziani

Elle a été à la fois Miss Île-de-France et championne du monde de boxe française en 2003 puis, elle a balancé sa couronne pour se consacrer au combat, devenant championne d’Europe en 2006 et triple championne de France. Aujourd’hui comédienne, Ingrid Graziani allie ses deux passions, le sport et le jeu, en racontant ses histoires de fille boxeuse dans un one woman show « Du ring à la scène » qui devrait revenir après la crise sanitaire. Entre deux séances de boxe, elle a pris le temps de répondre à notre petit questionnaire ÀBLOCK!

Lire plus »
Le Top 10 de la Culture Handisport

Le Top 10 de la Culture Handisport

Les Jeux Paralympiques de Pékin battent leur plein. Il est plus que temps de se pencher sur la biblio-vidéo-audio-thèque idéale pour tout, tout, tout savoir sur le handisport, ses héros et héroïnes qui dépassent des limites souvent inimaginables. Go !

Lire plus »
Allyson Felix Allyson Felix, dernier tour de piste pour une athlète toujours dans la course ?

Allyson Felix, dernier tour de piste pour une athlète toujours dans la course ?

Elle pourrait rejoindre Carl Lewis au panthéon olympique. À 35 ans, Allyson Felix dispute, à Tokyo, les cinquièmes (et sans doute derniers) Jeux Olympiques de sa carrière. Alignée sur 400 mètres en individuel et 4×400 en relais, la sprinteuse californienne, neuf médailles à son actif dont six en or, pourrait, en cas de nouveau podium, égaler le record de son illustre compatriote avec dix médailles. Portait d’une sprinteuse à la pointe de son art.

Lire plus »
Lolo Jones, la course à la revanche olympique

Lolo Jones, la course à la revanche olympique

Elle a déjà été de trois campagnes. Alignée sur 100 mètres haies à Pékin et Londres, engagée en bobsleigh à deux à Sotchi, Lolo Jones a désormais les Jeux d’hiver en ligne de mire à partir du 4 février. L’Américaine de 39 ans espère y décrocher une médaille qui se refuse obstinément à elle depuis quatorze ans.

Lire plus »
Alizée Baron

Alizée Baron : « Je fais du skicross pour me dépasser et j’aime ce risque-là. »

Une impétueuse, toujours en quête d’adrénaline. Après une saison blanche pour cause de blessure au dos et malgré les conditions particulières liées, entre autres, à la situation sanitaire, Alizée Baron reprend du service en Coupe du monde de skicross. La skieuse d’Orcières-Merlette aborde cet hiver avec une envie décuplée. Sereine et déterminée. Rencontre avec une fille qui ne laisse pas de glace.

Lire plus »
Mikaela Shiffrin, 5 infos sur la fille de tous les records

Mikaela Shiffrin, 5 infos sur la skieuse de tous les records

La queen de la glisse a encore frappé ! On ne parle pas de Lindsey Vonn, mais de sa cadette, Mikaela Shiffrin. Si leur talent est comparable, la plus jeune des deux est bien partie pour supplanter le palmarès de son aînée. Une skieuse américaine qui détrône Lindsey Vonn ? Ça mérite bien un 5 infos pour cerner le personnage…

Lire plus »
Marie-Ève Gahié, la chasseuse de breloques

Marie-Ève Gahié, la chasseuse de breloques

Le vivier du judo français n’a plus rien à prouver. Mais ce n’est pas pour autant qu’il se tarit ! Marie-Ève Gahié y veille, vous pouvez en être sûr. Habituée des podiums internationaux, la tricolore est en lice pour aller chercher une médaille olympique.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner