Christian Califano « Rugby féminin, masculin, il n’y a plus d’étiquette, on fait tous partie de la même famille. »

Equipe de France de rugby (aout 2023)
Pour lui, le rugby n'a pas de sexe. Garçon ou fille, peu importe pourvu que les valeurs de la discipline soient portées haut et fort. Christian Califano, ex-international français, défend la place des femmes dans le sport avec la conviction qu'il ne peut que s'en porter mieux. Rencontre avec un "bonhomme" qui aime les guerrières.

Publié le 10 septembre 2023 à 19h25, mis à jour le 13 janvier 2025 à 16h18

Tu participes au quatrième opus de la web-série « Terrain favorable » consacrée au rugby et tu accompagnes deux jeunes joueurs basques à Madagascar à la rencontre de Marcelia, une jeune pêcheuse initiée à la discipline par une association qui sappelle Terre en Mêlées.

Terre en Mêlées est une association que je connais très bien mais je ne savais pas quel impact pouvait réellement avoir le rugby à Madagascar et dautant plus le rugby féminin.

Et là, nous avons eu la chance de rencontrer Marcelia, la Jonny Wilkinson de Madagascar ! Je participe à cette web-série depuis 2019 et encore une fois, ce tournage na été que du bonheur. Ce que lon vit dans cette aventure est incroyable et ça permet de montrer que notre sport est une belle et grande famille et que ce sont les gens que l’on rencontre comme Marcelia qui font ce rugby que lon affectionne, que lon adore. Cest touchant.  

Avant de rencontrer Marcelia, quel regard portais-tu sur le rugby féminin ?

Jai un joli parcours avec le rugby féminin. Jai travaillé pendant de longues années pour Eurosport et il se trouve que ma première intervention au sein de la rédaction, c’était à loccasion de la Coupe du monde de rugby féminin de 2014 qui a eu lieu à Paris et à Marcoussis.

À l’époque, je navais pas da priori mais beaucoup dinterrogations. Je connaissais quelques joueuses pour les avoir croisées lorsque lon jouait le VI Nations par exemple, mais il ny avait pas vraiment de relais de communication entre nous.

Quest-ce qui ta séduit dans le rugby pratiqué par les femmes ?

Tous les gens qui gravitaient autour du rugby féminin mont dit : « Tu vas voir, tu vas t’éclateret prendre un plaisir énorme à commenter les matches », effectivement, c’était de la folie !

Je me souviens que les organisateurs avaient été contraints de délocaliser les demies et les finales au stade Jean-Bouin et que les filles avaient fait stade comble pour lultime rencontre. C’était drôle parce que, lors de la finale, je suis passé devant les joueurs du Stade Français qui évoluent dordinaire dans ce stade et qui étaient présents pour la rencontre et ils mont dit :« Cali, il faut que lon voit une finale de rugby féminin de Coupe du monde pour voir le stade plein !»

Comment a évolué la discipline en une décennie selon toi ?

Jai une amie, Lenaïg Corson, qui a été lune des figures de ce rugby féminin pendant de longues années. Lenaïg a travaillé, comme toutes les autres avant elles, pour développer la discipline. Ce que ces filles ont fait pour leur sport, la manière dont elles ont porté le rugby pour lamener à ce quil est aujourdhui, voir maintenant lexposition médiatique qui est la leur, je leur tire mon chapeau, je leur dit bravo et ce nest pas fini.

Quand on voit lattractivité des Championnats néo-zélandais ou anglais – où les filles sont quasiment pros – cest ce que lon souhaite pour elles aussi. Quand on parle de parité, quand on parle dengagement, tout ça, elles en font partie.

de joueurs pro qui, aujourdhui, entraînent des équipes féminines, sont unanimes pour dire que travailler avec les filles, ce nest que du bonheur : ça ne chipote pas, ça sentraîne deux fois plus que les garçons, ça sinvestît et je dis respect.

Lénaïg Corson

Toi qui as joué en Nouvelle-Zélande et en Angleterre, est-ce qu’à l’époque tu as été surpris de voir lengouement quil pouvait y avoir dans ces pays pour les rugbywomen ?

En Nouvelle-Zélande, le rugby est le sport roi, cest hyper développé. Je nai pas été surpris de voir que le rugby féminin avait une telle exposition, mais ce qui est bien, cest quaujourdhui, la discipline attire de plus en plus de monde.

Quand tu vois le parcours de l’équipe de France, il est tout simplement incroyable ! Les filles sont en finale des Jeux Olympiques en rugby à 7, elles sont finalistes de la Coupe du monde à XV en Nouvelle-Zélande

Moi, durant la finale, je faisais des bonds devant la télé ! Jétais comme un dingue. Je criais : « Allez-y les filles, montrez qui vous êtes ! » Jaurais tellement aimé quelles soient championnes du monde, elles auraient été les premières et ça aurait été, je pense, une très belle motivation pour les garçons.

L’équipe de France lors de la Coupe du monde de rugby 2022

On a la sensation que le rugby, qui a plutôt limage dun sport de « bonhommes », est plus concerné par la question du féminin que dautres sports d’équipe. Cest une vue de lesprit ou cest vrai dans les faits ?

Je dirais que le rugby était et non pas est le sport de bonhommes par excellence. Le rugby a beaucoup évolué et il faut pour cela rendre hommage à des présidents comme Max Guazzini qui y ont contribué. Max a démocratisé, dépoussiéré certaines anciennes mentalités et ce nest que du bonheur.

Quand tu rentres dans un vestiaire de rugby maintenant, tu nas plus d’étiquette, tu es simplement membre dune belle et grande famille et tout le monde partage, vit avec les forces et les faiblesses de chacun.

Moi, je suis partisan du sport féminin, je suis ambassadeur des coqs festifs, un club de rugby LGBT, et jen suis fier. Je ne veux pas tout mélanger bien entendu mais le rugby, qui était un peu en retrait sur la question du féminin, a fait des progrès sur ce sujet comme sur dautres. Tu trouves désormais des clubs très structurés, qui mettent filles et garçons sur un même pied d’égalité comme à Blagnac, au Stade Toulousain Il y a une sacrée évolution sur ça.

Pour en revenir à « Terrain Favorable », on ta senti très touché par le parcours de Marcelia. Quand elle parle de ce que le rugby représente pour elle, en quoi ça fait écho chez toi ?

Marcelia, je la connaissais en tant que joueuse mais là, jai découvert son parcours. Jai appris quelle avait été maman à 13 ans, quelle fait un métier dhomme – elle est pêcheuse, elle plonge, elle fait de la chasse sous-marine – et que, grâce au rugby, elle vient en aide à sa famille, à son village.

Marcelia cest une boule d’énergie, elle a plein de projets, elle ne se contente pas de lexposition que lui donne le rugby et cest ça qui est beau. Elle est la figure de proue de toutes les filles qui sont derrière.

Elle nous a présenté, par exemple, lune de ses amies qui a trouvé, grâce au rugby, la force de ne plus subir un père violent. Toi, tu as beau avoir joué contre les All Blacks, contre les Sud-africains, tu te sens petit à côté delle, tu nes rien. Tu te demandes comment elle a pu aller chercher cette force, ce courage de dire stop et ça, ça me touche. Quand tu rentres chez toi après avoir passé quelques jours en leur compagnie, tu es secoué.

La joueuse malgache Marcelia…©Terrain Favorable

En quoi le rugby est un révélateur, un liant ?

Quand tu rentres dans cette belle et grande famille du rugby, il ny a pas de différences. Cest comme quand tu rentres dans un vestiaire, tu as des grands, des petits, des beaux, des pas beaux et au bout dune heure, tout le monde est sur un pied dagilité.

Le ballon de rugby, cest tout con, mais ça casse tous les a priori, toutes les barrières. Quand on fait une mêlée par exemple, tu créés du lien et du liant, du moment tu as ça, tu casses les barrières, tu effaces toutes les frontières. Ce que lon recherche tous, cest le partage, la communication. 

Pourquoi on ne retrouve pas cette magie dans tous les autres sports ?

Chaque sport a sa particularité. Peut-être que le rugby est un peu à part dans le sens où on sappuie sur des valeurs, on parle de transmission, de respect et tout le monde sy retrouve, cest universel.

Que tu ailles jouer au Japon, aux Fidji, à Madagascar ou dans un autre coin du monde, on partage tous les mêmes valeurs et cest ce qui nous rassemble.

Avant Marcelia, est-ce que tu avais pensé au rugby comme vecteur d’émancipation ?

Chacun a un parcours de vie différent. Grâce au rugby, certains vont gagner de la confiance, dautres vont arrêter de faire des conneriesChacun à son histoire mais finalement, tu te dis que tous les parcours nous amènent au même point, dans le même vestiaire, avec la même passion, la même envie, celle de faire des choses ensemble. 

La joueuse française Jessy Trémoulière qui a aujourd’hui pris sa retraite internationale.

Généralement, les joueuses qui saventurent dans une discipline considérée comme masculine estiment que la reconnaissance sera pleine et entière quand on napposera plus le qualificatif après le nom de leur sport. Ne plus parler de rugby féminin, cest imaginable ?

Je pense que, pour être honnête, depuis 2014 lannée où jai eu la chance de commenter la Coupe du monde, je nai jamais fait de différence entre le rugby féminin et le rugby masculin. Quand elles portent le maillot de l’équipe de France, les filles font partie intégrante de ce que moi et les autres avons pu vivre à une certaine époque. Il ny a pas de différence, on ne les catalogue pas.

Quand Gaëlle Hermet endosse le maillot de l’équipe de France et celui de Toulouse, elle fait partie des figures marquantes de ces deux institutions comme peuvent l’être Ntamack ou les autres, elle fait partie de cette grande famille.

Il y a très longtemps, on parlait de section féminine et je nai jamais supporté ce terme. Une section ça signifie une pièce rapportée et ça, ça nexiste pas.

Christian Califano

  • Pour visionner la web-série « Terrain Favorable », c’est sur la chaîne You Tube de la Société Générale.
Ouverture Équipe de France de rugby ©France Rugby

D'autres épisodes de "Rugby, ces filles qui transforment l'essai"

Vous aimerez aussi…

Eve Périsset, à force de détermination

Eve Périsset, à force de détermination

La constance paye. Grâce à ses années d’expérience dans différents clubs, Eve Périsset est toujours à la lutte pour une place de titulaire avec les Bleues. Sa polyvalence, ses ambitions et sa (déjà) grande connaissance du terrain ont fait la différence.

Lire plus »
Charlie Moss

Speakers dans les stades : les femmes aussi donnent de la voix !

Elles chauffent des stades de foot et de rugby blindés de supporters prêts à en découdre. Elles, ce sont les speakers femmes, ces voix de l’ombre qui s’expriment haut et fort dans un milieu souvent majoritairement masculin. Des matchs ambiancés d’une main de maître…de cérémonie. Lançons la Ola pour ces ladies du micro !

Lire plus »
Laura Valette, Laura Valette, en piste, hurdleuse !

Laura Valette : en piste, hurdleuse !

Ce 31 juillet, la blonde hurdleuse au regard clair et au sourire franc s’élancera sur le 100m haies dans l’objectif de se qualifier pour les demi-finales des JO de Tokyo. Championne olympique de la jeunesse en 2015 et multi médaillée dans les compétitions nationales et internationales, Laura Valette la fonceuse veut vivre son rêve olympique à fond.

Lire plus »
Renelle Lamotte

Rénelle Lamote, l’athlète qui fond sur Tokyo pour oublier Rio

Il y a cinq ans, au Brésil, Rénelle Lamote voyait ses ambitions olympiques réduites à néant dès les séries. Après une lente et douloureuse reconstruction, la demi-fondeuse francilienne est parvenue à renouer avec son meilleur niveau. À quelques jours de son entrée en lice aux Jeux Olympiques de Tokyo, la double vice-championne d’Europe du 800 mètres veut rivaliser avec le gratin mondial.

Lire plus »
Cesar Hernandez Gonzalez : « En volley, nous ne devons pas nous fixer de limites, avoir ni peur ni regrets. »

Cesar Hernandez Gonzalez : « En volley, nous ne devons pas nous fixer de limites, avoir ni peurs ni regrets. »

Il a pris les rênes de l’équipe de France de volley-ball début décembre. L’Espagnol Cesar Hernandez Gonzalez, également entraîneur des Neptunes de Nantes, a pour mission d’emmener ses joueuses jusqu’aux JO de Los Angeles en 2028. D’ici-là, l’ancien homme fort de la Corée du Sud aura fort à faire et ce, dès cet été, avec deux échéances majeures : la Ligue des nations et les Championnats du monde.

Lire plus »
Greta Andersen

Greta Andersen, la nageuse qui a failli se noyer aux JO

Elle a appris à nager sur le tard, ce qui ne l’a pas empêchée de marquer de son empreinte l’histoire de la natation mondiale. Greta Marie Andersen, bientôt 94 ans, a porté haut les couleurs du Danemark en bassins et en eau vive. Un parcours extraordinaire qui aurait pu connaître une issue dramatique lorsqu’elle manqua, de peu, se noyer lors des Jeux Olympiques de Londres, en 1948. Portrait d’une nageuse « à la coule ».

Lire plus »
Philippe Herbette/ Podcast

Philippe Herbette : « Aujourd’hui, les salles de sport donnent naissance à des fitness-models. »

Il a été champion de France de culturisme en 1993, avant de lancer l’une des enseignes de salles de sport les plus connues, Fitness Park. De ces salles encore considérées comme des temples de la masculinité, certaines femmes n’osent toujours pas pousser les portes. Pourquoi ? Tentative d’explication au micro d’ÀBLOCK! avec Philippe Herbette, grand patron et grand sportif.

Lire plus »
Cap Optimist, ou comment faire du paddle un acte de solidarité

Cap Optimist, ou comment faire du paddle un acte de solidarité

Elle est sauveteuse en mer et au-delà. Stéphanie Barneix accompagnée de cinq autres waterwomen rallient actuellement Monaco et Athènes en paddleboard. Un échauffement avant le défi Cap Optimist, qui se déroulera entre le Pérou et la Polynésie Française en janvier 2023. Un défi à la seule force des bras pour soutenir les personnes atteintes de cancer.

Lire plus »
Florian Grill : « Le challenge de la décennie, c'est de voir exploser le rugby féminin ! »

Florian Grill : « Le challenge de la décennie, c’est de voir exploser le rugby féminin ! »

Il est à l’origine d’une (r)évolution dans le rugby féminin. Engagé depuis des années pour le développement de la pratique féminine, qu’elle soit pro ou amateur, Florian Grill, président de la fédé de rugby, compte prouver que les filles en ont sous les crampons, notamment à l’occasion du Six Nations qui se joue en ce moment, mais surtout de la Coupe du Monde de rugby à XV qui aura lieu cet été en Angleterre. À ce stade, on le croit.

Lire plus »
Audrey Cordon-Rajot : « Je suis très fière de participer à l’essor du cyclisme féminin. »

Audrey Cordon-Ragot : « Je suis très fière de participer à l’essor du cyclisme féminin. »

Elle est l’une de ces défricheuses qui viennent de s’élancer sur les routes de l’Hexagone pour y disputer la plus prestigieuse des courses cyclistes du monde : le Tour de France. Un rêve pour Audrey Cordon-Ragot, qui, après avoir participé à la première édition du Paris-Roubaix féminin, s’apprête, à 33 ans, à marquer un peu plus encore l’histoire de sa discipline.

Lire plus »
Tour de France Femmes 2023

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Un tour cycliste qui mérite bien son récap’, des footeuses qui veulent la Coupe, des volleyeuses de feu, une histoire de l’escrime conjugué au féminin et un petit coup d’oeil dans le rétro sur les événements marquants du sport, c’est le meilleur d’ÀBLOCK!

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner