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Charlotte Bonnet « Quand on fait de la compétition, il faut savoir revenir plus forte, rebondir, apprendre à se faire battre. »

Charlotte Bonnet
Elle en a fait du chemin ! Championne de natation précoce, Charlotte Bonnet, médaillée olympique alors qu’elle n’avait que 17 ans, a traversé, malgré elle, une longue et douloureuse période de doute. Presque dix ans plus tard, la Brestoise a radicalement changé. Plus mûre, plus forte, elle est parvenue à retrouver le goût de la compétition. Confessions touchantes d'une fille pour qui la natation n’est pas un long fleuve tranquille.

Par Sophie Danger

Publié le 02 mars 2021 à 11h17, mis à jour le 08 décembre 2023 à 8h38

Charlotte, l’eau et toi c’est une grande et longue histoire. Tes parents, tous deux maitres-nageurs, t’ont plongée dans un bassin très tôt et, à 4 ans, tu savais déjà nager. La natation, pour toi, a finalement longtemps été ton quotidien. Quand as-tu commencé à aimer ça pour toi, par toi ?

Mes parents m’ont mise à l’eau parce qu’ils voulaient m’apprendre à nager, à me familiariser avec ce milieu dans lequel on n’est pas forcément à l’aise lorsque l’on est enfant. Moi, j’ai tout de suite accroché.

J’avais des qualités et, comme ça me plaisait, je passais énormément de temps dans l’eau. De fil en aiguille, je me suis inscrite dans un club et c’est comme ça que ça a commencé, mais tout est toujours venu de moi, de mon initiative.

Très jeune, je savais ce que je voulais, j’étais assez déterminée.

Qu’est-ce qui te plaisait dans ce sport ?

Quand on est inscrit en club, on se fait des copains, des copines et tu sais que, deux fois par semaine, tu vas les retrouver. La natation n’est pas du tout une contrainte comme ça peut l’être parfois aujourd’hui avec des sacrifices, c’est vraiment du loisir à 100 % : tu vois tes amis et tu t’éclates dans l’eau avec eux.

Pour le reste, je ne pourrais pas te dire exactement pourquoi, mais j’aimais être dans l’eau, je m’y sentais bien. Il y avait aussi le fait que j’étais un peu hyper active quand j’étais jeune et la natation me fatiguait pas mal. Mes parents étaient contents eux aussi parce que, grâce à ça, je dormais bien le soir.

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Ce qui était un loisir au départ va très vite devenir une affaire sérieuse et faire naître, chez toi, des ambitions. Comment te sont-elles venues ? Est-ce parce que tu te sentais très forte ou parce que les autres te répétaient que tu étais très forte ?

Un peu des deux. J’ai grandi très vite et, vers 10-12 ans, j’avais déjà un grand gabarit comparé à mes copines. Avoir un grand gabarit, ça aide dans le sport de manière générale, mais en natation encore plus.

Ça aide pour les leviers, pour les appuis… Ça facilite pas mal les choses. De fait, j’ai vite eu des atouts que mes copines n’ont eu que beaucoup plus tard et j’ai progressé plus vite.

Tu t’imaginais déjà faire carrière ?

Vers 13 ans, j’ai commencé à intégrer des équipes de France junior dans ma catégorie et à avoir des résultats intéressants. À ce moment-là, j’ai commencé à dire à mes parents que je voulais m’y consacrer plus tard.

C’est aussi à cette période qu’il y a eu les Jeux Olympiques de Pékin. Nous étions en vacances avec mes parents et je me levais toutes les nuits avec mon père pour regarder. Je lui avais dit que, dans quatre ans, je voulais y être moi aussi.

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Tu sembles habitée par une telle force de caractère, un tel esprit de gagne qu’on se dit que tu aurais pu exceller dans n’importe quelle discipline…

C’est vrai. J’ai fait du judo en parallèle quand j’avais 9-10 ans, ça me plaisait, mais je crois que le milieu de l’eau m’attirait plus. Être en 1 contre 1 n’était pas forcément quelque chose qui me plaisait.

Moi ce que j’aimais, c’était être sur le plot avec d’autres filles à côté et tout donner. Je préférais les sports d’équipe et c’est pour ça que la natation m’a plu.

Quoi qu’il en soit, quel que soit le sport que j’aurais pu pratiquer, une chose est certaine : quand je faisais quelque chose, j’avais envie de gagner et ça valait même pour les jeux de société avec mes parents.

Pour en revenir aux Jeux Olympiques de Pékin, est-ce que tu avais des modèles à cette époque ?

Je ne parlerais pas de modèles. En 2008 à Pékin, la course d’Alain Bernard m’avait marquée parce qu’il est Français, qu’il gagne, que c’est aux Jeux et qu’il est le premier Français champion olympique sur 100 mètres…

Tout ça m’avait donné envie d’intégrer l’équipe de France sénior mais je n’avais pas de modèle, en tout cas français.

Moi, j’admirais beaucoup Ian Thorpe. Il avait une combinaison intégrale jusqu’au bout des bras, presque jusqu’aux mains, une façon de nager atypique et c’était plutôt lui dont j’avais les posters dans ma chambre.

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En 2010, tu vas passer un cap dans ton parcours. Tu quittes Brest pour rejoindre le groupe de Fabrice Pellerin à Nice. C’était important pour toi de partir ?

À Brest, avec mon coach, ça s’est toujours très bien passé. Il était un peu comme un deuxième père, on partageait et on échangeait beaucoup, on était proches mais, sur la fin, je manquais un peu de concurrence. Moi, ce que je recherchais vraiment, c’était de me faire torcher à l’entraînement.

Je voulais être derrière, je voulais en baver, je voulais être dans une dynamique dans laquelle j’aurais été contrainte de m’accrocher aux wagons mais, à Brest, c’est moi qui tirais le wagon. Je n’avais pas forcément envie de rester dans cette position.

Je pense que j’ai fait le bon choix parce que, rester dans un club dans lequel tu deviens la figure emblématique, ce n’est pas forcément bon mentalement.

Et puis physiquement, je pense que je n’aurais jamais pu être au niveau où j’en suis aujourd’hui si je n’étais pas partie.

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Comment s’est fait le choix de Nice ?

J’en ai parlé à mes parents et ma mère a proposé que l’on se déplace là-bas. Au mois de mai 2010, nous sommes venues toutes les deux dans le Sud et nous sommes allées dans les clubs de Nice, Marseille et Antibes.

On a analysé les trois structures d’un point de vue sportif mais aussi scolaire parce qu’il était prévu que je vienne toute seule en famille d’accueil.

Moi, c’est le côté sportif qui m’intéressait le plus ! À Nice, il y avait Camille Muffat, Yannick Agnel et Clément Lefert qui allait rentrer des États-Unis.

Je me suis vue direct dans ce groupe. Je me suis dit que ma place était là, je ne voulais pas être ailleurs. Le côté scolaire a plu à mes parents et j’ai débarqué en septembre.

Tu étais fer-de-lance à Brest, à Nice tu te retrouves à évoluer avec des pointures. Qu’est-ce que ces grands champions t’ont apporté ?

Plein de choses ! Quand je suis arrivée, j’avais 15 ans. Je n’étais pas la moins expérimentée, mais j’étais la plus jeune du groupe.

J’ai souvenir d’avoir fait beaucoup d’entraînements où j’étais derrière, un peu à la ramasse et ça me faisait du bien, j’avais besoin de ça.

Je sentais que je progressais alors que, quand tu es tout le temps devant, tu as un sentiment de confiance et tu te reposes sur tes lauriers. Moi je n’avais plus envie de ça.

Mais ils ne m’ont pas apporté que ça. Je leur posais aussi beaucoup de questions sur les échauffements, les étirements, leurs façons d’aborder les compétitions, leur expérience… J’étais très curieuse.

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C’est avec eux, à Nice, que tu vas découvrir l’exigence du haut niveau et ses sacrifices. Qu’est-ce qui fait que tu as accepté de renoncer à une vie un peu plus conventionnelle et à supporter tous ces efforts ?

C’est vrai que, à Brest, quand on sortait du collège, les potes allaient chez les uns les autres jouer aux jeux vidéo, au ciné mais, moi, j’avais entraînement et parfois, c’était un peu dur.

Le week-end, j’étais crevée ou alors j’avais compet. Ce n’était pas du tout le même quotidien. Sur le moment, tu te poses des questions parce que tu es jeune, tu as 14-15 ans et tu te demandes si tu as vraiment envie de faire ça.

Moi, cette question, je me la posais aussi mais vite-fait. Je me disais que mes amis auraient peut-être des études, un métier qui allaient leur plaire mais, moi, je savais que j’allais percer, être récompensée. J’ai toujours eu cette détermination même si ce n’était pas facile.

Il y a beaucoup de sacrifices et le plus gros est celui d’avoir quitté mes parents et Brest pour venir à Nice, mais je ne le regrette pas. J’ai été très bien entourée lorsque je suis arrivée là-bas et les résultats m’ont confortée dans mon choix.

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Tu n’as jamais eu envie d’arrêter, de suivre une autre voie moins contraignante ?

L’envie d’arrêter est venue plus tard. Jeune, j’avais cette détermination très forte. D’ailleurs, mes parents me rappelaient sans cesse qu’il fallait que je travaille en cours parce que je n’avais vraiment envie de ne faire que ça : nager.

Et tes efforts vont vite payer. Deux ans après ton arrivée à Nice, tu es sélectionnée pour les Jeux Olympiques de Londres. Toi qui te levais la nuit pour suivre ceux de Pékin, c’est désormais à ton tour de participer à la plus grande compétition du monde. Tu te souviens de ce que tu as ressenti lorsque tu as appris ta qualification ?

Je m’en souviendrai toujours. Je me qualifie lors des Championnats de France qui avaient lieu au mois de mars à Dunkerque. Je suis tombée dans les bras de mes parents et, ma première réaction, a été de leur dire : « Il y a quatre ans, j’étais dans mon canapé à 3h du matin avec vous en train de regarder les Jeux comme une gamine et là, je vais vraiment y aller ! »

C’était assez fou mais, en même temps, j’avais tellement travaillé que, pour moi, ce qui m’arrivait était normal. C’est en parlant avec les gens autour de moi que je me suis rendue compte que ça ne l’était pas. J’avais 17 ans et j’étais trop fière. Je suivais la dynamique du groupe et ça me plaisait.

J’avais envie de prouver à mon entraîneur que j’avais ma place dans ce groupe, qu’il avait fait le bon choix en m’acceptant deux ans auparavant. Je ne prétendais pas forcément à une médaille lors de ces Jeux – me qualifier était l’objectif ultime de ma saison – mais j’étais trop contente d’y aller.

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Pourtant, tu vas bel et bien en ramener une de médaille, le bronze du 4 x 200 m nage libre, médaille que tu vas partager avec Camille Muffat, Ophélie Étienne et Coralie Balmy. Comment tu les as vécu ces Jeux Olympiques ?

Lorsque nous étions à Londres, Fabrice, mon entraîneur, m’engueulait un peu. Il me disait de me réveiller, me répétait que si j’étais là c’était que j’avais ma place et qu’il fallait que j’arrête de regarder autour de moi.

Moi, j’étais admirative de l’ambiance, de la piscine, des grands nageurs comme Michael Phelps que je n’avais vu qu’à la télévision et que je voyais maintenant en vrai. J’étais comme une dingue !

J’avais envie de prendre des photos et Fabrice me disait : « On s’en fout de la photo, il faut que tu nages vite. » J’ai essayé de rester dans ma bulle toute la semaine en me disait qu’il avait raison, qu’il fallait que je me concentre sur moi et ce d’autant plus que je n’étais pas toute seule : j’étais là pour le relais et il fallait que lui fasse honneur.

Tu te souviens de la finale ? Du podium ?

Cette journée-là, avec les séries, les finales, le podium, j’en garde en effet des souvenirs, mais très vagues.

Je me souviens que c’était incroyable, que l’on avait pleuré en zone mixte avec les journalistes à la sortie du podium. Je me souviens aussi que mon père avait réussi à venir sur deux jours pour me voir nager, mais qu’il était très mal placé. Il était tellement haut qu’il touchait le plafond de la piscine.

Quand nous avons fait le podium, il est descendu et j’ai pu lui lancer mon bouquet, je ne l’ai pas vu plus de 5 secondes. J’ai ces souvenirs, mais le reste est tellement flou.

Aujourd’hui encore, je ne me rappelle pas de tout. J’ai récemment revu des photos et des vidéos mais, sans ça, j’ai des trous. Comme quoi, ces Jeux, c’était vraiment un rêve.

Parfois, dans nos meilleurs souvenirs, il y a des moments que l’on zappe et moi, c’est ça. Il y a des moments que j’ai zappé et pourtant, je sais que c’était les plus beaux moments de ma carrière.

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L’après Jeux va être plus difficile à négocier pour toi. Ta médaille te fait définitivement entrer dans la cour des grandes, mais tu as parfois du mal à assumer ce nouveau statut…

Jusqu’alors, je ne m’en étais pas rendu compte. Au retour de Londres, j’ai compris que ma médaille à Londres avait changé ma vie.

Quand je suis rentrée, il me restait un an de lycée, mais le regard des profs, celui de mes potes à l’école n’était plus le même. Ils ne me voyaient plus pareil alors que moi, j’avais juste envie d’être la même. Je sentais qu’il y avait parfois traitement de faveur, que certains profs laissaient passer des choses qu’ils ne laissaient pas passer avant. Médiatiquement aussi c’était différent.

Avant Londres, on ne parlait pas trop de moi ou alors comme la jeune en devenir qui intègre un nouveau club et doit faire sa place. Là, je l’avais faite ma place et les journalistes me voyaient différemment.

J’avais des interviews tout le temps, à l’approche des compétitions j’étais en zone mixte avec les plus grands alors qu’avant, pas du tout. Je n’avais plus le même statut.

Plus le même statut et plus la même stature. En parallèle à tout cela, le groupe de Nice se dissout et, comme à Brest, tu vas de nouveau être propulsée nageuse emblématique du club, ce que tu ne vas pas bien vivre…

Ça s’est passé en plusieurs temps. On revient de Londres et Clément Lefert décide d’arrêter. En mai 2013, Yannick Agnel part aux États-Unis et, l’année qui suit, c’est Camille Muffat qui arrête. Le groupe s’est dissout en l’espace d’un an.

Le fait que ces trois-là, ces trois champions olympiques, ne soient plus à Nice, c’était à moi de reprendre le flambeau. Il fallait que je fasse des médailles, il fallait que je réussisse, il fallait que, il fallait que… J’ai vécu ça comme des poids qui me tombaient sur les épaules. Il y avait une espèce de nuage au-dessus de ma tête qui assombrissait tout et me pesait vraiment. C’est là que ça a commencé à devenir difficile.

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Toi qui te mets pourtant sans cesse une pression énorme, qu’est-ce qui a été si difficile ? Est-ce que c’est le fait que les autres fassent la même chose ?

Je n’aime pas décevoir les gens qui m’entourent et comptent sur moi, que ce soit mes parents, mes proches ou mon entraîneur, mon staff, ma psy… Ce sont des gens qui oeuvrent tellement pour ta réussite que tu n’as pas envie de faillir, mais parfois j’y pense un peu trop au lieu de penser un peu à moi.

Il y a donc de ça, mais ce sont surtout les journalistes, la pression médiatique. C’était omniprésent et beaucoup trop oppressant pour moi. Ils me disaient que j’étais la nouvelle leader de l’Équipe de France, alors que j’avais 18 ans et qu’il y avait des mecs qui avaient 30 ans dans cette équipe. Il était hors de question pour moi d’entendre ça.

Tu n’avais jamais imaginé qu’il pouvait y avoir un revers à cette médaille olympique et, plus globalement, à ta réussite sportive ?

Jamais je ne m’en suis doutée. Pour moi, tu réussissais, tu étais au-devant de la scène, tu ne réussissais pas, ce n’était pas grave, tu persévérais… mais c’est bien plus vicieux que ça. Le parallèle milieu sportif et journalistes est malsain parce que l’on attend toujours quelque chose de toi.

Quand tu ne réussis pas, les gens sont quand même là à vouloir ton ressenti, à te demander pourquoi tu n’y es pas arrivée. Et quand tu y arrives, c’est super, mais on attendra quand même encore quelque chose de toi.

Lorsque je suis devenue championne d’Europe, j’ai été accueillie à Nice par des journalistes et la première chose que m’a dit l’un d’eux est : « L’année prochaine, il y a les Championnats du monde donc du coup, une médaille ! »

Moi, j’avais un mois de vacances devant moi et j’avais juste envie de souffler, mais non ! Nous, en tant que sportifs, nous sommes exigeants et nous attendons toujours plus de nous-mêmes, mais, si en plus, il y a la pression des autres, ça devient difficile à porter.

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Les années qui suivent, tu vas connaître des moments compliqués. Tu cours après une médaille en individuel qui se refuse à toi, tu perds ton amie Camille dans un accident tragique, tu reviens bredouille des Jeux de Rio… Qu’est-ce que tu gardes de cette période entre Londres et Rio ?

Ça a été une descente aux enfers. Jusqu’à 2017, ça a été très très dur et ce qui m’a vraiment sauvée, c’est ma psy.

J’étais très entourée, comme toujours, par ma famille, mon copain, mes proches, mais, quand tu es vraiment au plus bas et que tu ne trouves pas de solution, quand tu vois du noir partout et que tu as juste envie d’arrêter et même de passer à autre chose, de changer de vie parce que tu n’en peux plus, le discours de tes proches ne suffit pas.

Ils te connaissent trop, ils n’ont pas un avis objectif et neutre. Pourtant, j’avais envie de ça. J’avais envie de quelqu’un de neutre, de quelqu’un qui me remette dans le droit chemin, qui m’engueule, me réconforte, de quelqu’un qui me dise quoi faire. Cette psy m’a tout apporté.

Ça m’a fait tellement de bien de me confier, qu’elle me dise que parfois ma façon de réagir n’était pas la bonne, que, d’autres fois, elle était normale. J’avais tellement de choses à extérioriser que je ne m’en sortais plus.

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Tu dis que tu en arrivée à envisager de mettre un terme à ta carrière, de passer à autre chose…

J’ai failli arrêter juste avant les Jeux de Rio, en 2015, et juste après. J’avais l’impression d’être dans un labyrinthe sans réussir à trouver la porte de sortie.

C’était compliqué parce que tu ne te vois pas faire autre chose, mais tu ne te vois pas non plus faire encore ce que tu fais aujourd’hui. Tu es complètement perdue.

L’idée de te jeter dans un milieu inconnu, celui de la vie de tous les jours, te fait peur mais, en même temps, tu ne peux plus faire ce que tu fais d’habitude, ça te fait trop mal, ça te ramène trop de mauvais souvenirs.

Tout ça inquiétait mes proches et il fallait que je trouve une solution. J’ai mis plusieurs mois à aller mieux, à retrouver le goût de l’entraînement, le plaisir.

Tu avais dit à l’époque que ton seul souhait était de guérir et de devenir une autre femme ? Quelle autre femme tu voulais devenir ?

Je ne me souviens plus trop. C’est une période que j’assume et dont je parle assez librement, mais j’ai eu tellement de pensées négatives, j’ai traversé tellement de périodes difficiles et de doutes qu’il y a des choses que je pense avoir mis de côté et dont je n’arrive plus trop à me souvenir.

Ce que je sais c’est que, à un moment, je voulais être dans l’anonymat le plus complet, je voulais que l’on arrête de me parler de natation, je voulais être une femme normale, épanouie.

Je voulais passer à autre chose et je comprenais, à ce moment-là, mes amies qui, au collège, me disaient qu’elles arrêtaient la natation parce qu’elles avaient envie de faire des études. Je me disais qu’elles avaient eu raison.

Je suis passée par plein d’états, mais en discutant avec ma psy, en mettant différentes choses au clair, elle m’a remis dans le droit chemin. Elle m’a dit que la natation avait toujours été ce qui m’avaient rendue le plus heureuse même si j’avais traversé des choses difficiles. Elle m’a dit que j’allais m’en sortir. Elle m’a redonné confiance en moi parce que j’avais tout perdu.

C’est vraiment bizarre d’en reparler, c’est compliqué de se revoir si loin de ce que je suis aujourd’hui.

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Est-ce que cette période très complexe a malgré tout eu des effets bénéfiques ?

Déjà, ça m’a forgé un caractère de dingue ! Par rapport aux autres, je me laisse tellement moins faire ! Au début, j’étais capable, non pas de me laisser marcher dessus, mais presque.

On pouvait mal me parler ou me manquer de respect, mais, aujourd’hui, je ne suis plus du tout comme ça. Il est vrai que l’âge aide. Quand tu as 26 ans, tu réagis différemment que quand tu en as 20.

J’ai mûri, j’ai changé et je pense que cette période m’a permis de m’affirmer.

Ta revanche, elle arrive en 2018. À Glasgow, lors des Championnats d’Europe, tu rafles trois médailles d’or – 200m nage libre, 4×100 nage libre et nage libre mixte – et un bronze – 100m nage libre -. Qu’est-ce que tu as ressenti à l’issue de cette campagne ?

Ça, en revanche, je m’en rappelle vraiment parce qu’avoir une médaille en individuel, c’était un moment que j’attendais depuis longtemps.

C’était la première fois que j’étais fière de moi et que j’arrivais à le dire. J’étais fière d’avoir gagné mais aussi d’avoir parcouru ce chemin et d’en être arrivée là quand-même.

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Cette médaille en 200 nage libre, c’est une première pour une Française. Un exploit qui, immanquablement, va générer encore des attentes, de la pression, tout ce que tu as cherché à fuir en somme…

Je tends l’autre joue pour recevoir la baffe ! Quand j’ai gagné cette médaille, j’avais muri. Le fait d’avoir travaillé sur moi faisait que j’ai mieux accepté qu’il y ait de l’attente envers moi.

Lorsque je suis arrivée aux Championnats d’Europe, tout le monde me parlait de médaille et, malgré ça, j’ai réussi à me mettre dans une bulle et à me dire : « Oui, ils attendent une médaille, mais toi aussi finalement. »

Je ne me disais plus : « Ils attendent ça de moi, est-ce que je vais y arriver ? » J’ai réussi, avec beaucoup, beaucoup de travail avec ma psy, à mettre ça de côté.

Tu continues, encore, à travailler et à apprendre de toi avec elle ?

Forcément. En 2019, j’ai eu ma première blessure et ça a été un coup dur parce que je me suis revue re-galérer pendant des mois. Il a donc fallu retravailler là-dessus.

Par la suite, il y a eu les Jeux Olympiques qui ont été reportés et, cette année, une défaite aux Championnats de France, ce qui n’est jamais plaisant.

J’aurais réagi de manière tellement différente à tout ça si je n’avais pas fait ce travail psychologique, je n’aurais pas accepté.

Aujourd’hui, je me dis que me faire battre aux Championnats de France, ce n’est pas la fin, que l’objectif, ce sont les Jeux.

Il faut savoir revenir plus forte, rebondir, apprendre à se faire battre. Tous les grands champions ont perdu une fois et se sont relevés, il faut savoir le faire aussi.

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Comment tu les abordes ces Jeux de Tokyo ?

Il y a plusieurs choses à prendre en compte. Ces Jeux sont exceptionnels parce qu’ils ont été reportés or, personne n’a eu le même traitement, les mêmes conditions de travail. Certains ont pu s’entraîner, d’autres pas. Il faut savoir tirer le meilleur de ça et en faire une force.

En France, en natation, on est plutôt bien lotis, on arrive à avoir des conditions d’entraînement plutôt bien et quelques compétitions sans trop d’annulation, mais, aux Etats-Unis par exemple, ils n’ont pas été confinés et ils ont pu s’entraîner normalement.

On se demande comment on va faire pour gérer ça le jour « J ». Il va falloir savoir arriver en forme physiquement, mais surtout mentalement avec le moins de doute possible. Il va falloir être forts !

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Tu n’as que 26 ans mais tu nages depuis très longtemps, tu songes parfois à l’avenir ? L’après natation ce sera quoi ? Vétérinaire ?

J’adore les animaux et j’aurais aimé faire ce métier-là. C’était d’ailleurs ce que j’avais envisagé si j’avais arrêté de nager car la natation et les études de vétérinaire, ce n’est pas compatible.

Aujourd’hui, je travaille sur ma reconversion, mais je me laisse un peu de temps pour réfléchir, ma carrière n’est pas terminée.

Je pense que l’année ou les quelques mois qui précèderont ma fin de carrière, je me pencherai vraiment sur le sujet afin de préparer quelque chose de solide pour ne pas galérer le jour où je n’aurais plus rien.

J’y travaille parce que c’est important. Pour autant, je ne veux pas trop y penser parce que, sinon, ça me sort du cadre et je ne suis plus dans l’entraînement.

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Dernière question, Charlotte : tu es une nageuse engagée. Tu milites au sein de diverses associations et tu as rejoint, il y a peu, le Team EDF. Tu prônes la pratique sportive pour tous ?

Aujourd’hui, le sport sauve des vies et, dans ce sens, ce que fait EDF avec son appli EDF Sport Energie est positif. Cette crise que l’on traverse avec le confinement, la situation sanitaire compliquée, montre l’importance du sport.

Malheureusement, le sport n’est pas du tout pris en compte par le gouvernement et je trouve ça dommage.

Je ne dis pas que le sport devrait prendre le pas sur la santé, loin de là, mais lorsque l’on voit que la ministre des Sports est capable de dire que ce n’est que du sport et qu’il y a d’autres choses qui passent avant, c’est dur.

Moi je pense qu’à part la santé, il n’y a rien qui doit passer avant le sport.

Charlotte Bonnet est coachée par Philippe Lucas depuis 2021, après les JO de Tokyo…©Stéphane Kempinaire

Nous, en qualité de sportifs, nous avons, à notre échelle, un petit pouvoir de parole. Nous savons que des fans nous suivent, des gens nous regardent, écoutent ce que l’on dit et nous avons un rôle à jouer.

Si nous pouvons essayer de faire bouger les choses, tant mieux et cette application peut faire bouger les choses.

Le but c’est de dire aux gens que faire du sport de son côté, c’est bien, mais mettre ses performances sur l’appli est encore mieux ! Outre nos résultats, notre progression, on s’investit dans un projet caritatif et nos performances aident des associations. J’aime cette façon de voir les choses, de s’engager.

©Frederic Lefeuvre

  • Depuis notre rencontre et après son élimination en demi-finales des Jeux olympiques de Tokyo sur 200m nage libre, Charlotte Bonnet a choisi de changer d’entraîneur et de faire confiance à l’ancien coach de Laure Manaudou, Philippe Lucas. Le 11 juin 2023, elle décrochait le titre de championne de France du 200 m 4 nages en 2’10’’64 et sa qualification pour les championnats du monde de Fukuoka en juillet, réalisant les minima demandés. En décembre 2023, elle décrochait la médaille d’or au 100 m 4 nages aux Championnats d’Europe petit bassin à Otopeni en Roumanie.

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