Nita Korhonen« Le monde de la moto s’ouvre, mais le cas “Sharni Pinfold“ prouve qu’il y a encore du boulot. »
“L’affaire“ Sharni Pinfold a fait l’effet d’un réveil d’après-cuite pour les motards. Une pilote qui se retire de la compet’ pour cause de misogynie, ça plombe les paddocks. La FIM (Fédération Internationale de Moto) a rapidement réagi, déplorant cette décision et rappelant que le monde de la moto devait être bienveillant. Rencontre avec Nita Korhonen, la directrice de la Commission FIM “Femmes et Motocyclisme“.
Par Valérie Domain
Publié le 13 février 2021 à 12h01, mis à jour le 03 mars 2022 à 10h11
La décision de la pilote moto Sharni Pinfold d’arrêter la compétition pour cause de misogynie sur les circuits, a fait beaucoup de bruit. Vous êtes la directrice de la Commission FIM “Femmes et Motocyclisme“ (CFM), quel est votre sentiment sur ce qui est devenu une « affaire » ?
Naturellement, j’étais vraiment triste de lire que Sharni avait décidé d’arrêter sa carrière. Le monde de la moto doit être accueillant pour tout le monde et même si c’est le cas en général, un exemple négatif est toujours l’exemple de trop.
Nous devons nous débarrasser de tous les comportements négatifs possibles, mais nous devons comprendre qu’au fil des ans, l’atmosphère générale dans le monde de la course est devenue positive et ouverte.
Nous avons beaucoup de femmes qui courent avec des hommes, qui travaillent dans différents rôles dans les équipes, au paddock et ce sans aucun problème.
Allez-vous essayer de faire en sorte que Sharni Pinfold revienne sur sa décision ?
Ce n’est pas mon rôle de pousser quiconque à faire quelque chose d’une manière ou d’une autre. Sharni pourrait reprendre la course à l’avenir et j’espère que quoi qu’elle décide de faire, elle pourra en profiter pleinement.
Personne ne devrait renoncer à ses rêves parce que d’autres se sont mal comportés.
La FIM a publié une déclaration forte – mais nous ne voulons pas qu’elle reste “lettre morte“. Nous avons déjà identifié plusieurs actions à mettre en place.
À titre d’exemple, nous allons mettre en place un réseau de soutien pour les coureurs étrangers venant concourir en Europe. Souvent, ils sont confrontés à toutes sortes de problèmes et il est donc bon qu’ils aient une personne neutre à qui demander de l’aide.
Cette année, nous mettrons également davantage l’accent sur l’autonomisation des femmes à tous les niveaux de la moto.
Pensez-vous qu’un cas comme celui de Sharni Pinfold nuit à la cause que vous défendez et ralentit ainsi le développement de cette féminisation ?
Non, je pense que cela montre que nous avons du travail à faire et que des améliorations sont encore nécessaires. Les motards sont au cœur du motocyclisme et tous doivent avoir des droits égaux pour pratiquer ce sport. Comme mentionné, la présence des femmes dans la moto, en particulier dans les compétitions, s’est accrue au cours des dernières décennies – la tendance est donc positive.
Nous avons de bons exemples comme Ana Carrasco remportant le Championnat du Monde FIM Supersport 300 devant des coureurs masculins et Laia Sanz montrant constamment en Rallyes Tout Terrain, notamment, qu’elle peut battre de nombreux hommes de haut niveau dans des conditions extrêmes.
Comme le montre le cas de Sharni Pinfold, tout n’est pas parfait et certains aspects de notre sport doivent être améliorés. La course de haut niveau dans un sport aussi exigeant – physiquement et financièrement – ne devrait jamais être affectée par un comportement aussi toxique.
Il existe des exemples de mauvais comportement chez les hommes comme chez les femmes. Faire des blagues sexistes ou mal se comporter, ce n’est pas être un homme ou une femme, c’est être stupide.
Nita Korhonen avec Jorge Viegas, le président de la FIM (Fédération Internationale de Moto)
Vos parents viennent du milieu professionnel de la moto, c’est donc presque plus facile d’y être accepté…
Mon père Pentti Korhonen a participé avec succès au Championnat du Monde de Course sur Circuit FIM et ma mère Marja-Leena était son “manager “, sa “mécanicienne“ lui fournissant tout le soutien dont il avait besoin.
Mon père a arrêté sa carrière en compétition environ un an avant ma naissance, donc naturellement mon petit frère Aku et moi avons été influencés par les histoires de paddock que nous avons entendues.
J’ai eu une petite moto quand j’avais 4 ans et j’ai aimé la conduire. Pour autant, mes parents ne nous ont jamais guidés vers la moto ou quoi que ce soit d’autre.
Pour eux, il était surtout important que nous puissions suivre notre passion. J’ai fini par faire de la moto, mais la passion de mon frère, c’est la musique et donc il joue de la basse dans un groupe de rock !
En tant que motarde, avez-vous déjà été victime de sexisme ?
Non, jamais. Je me suis toujours sentie la bienvenue dans le monde de la moto et je n’ai jamais rien affronté de négatif parce que je suis une femme dans un monde dominé par les hommes.
Pourquoi avez-vous décidé de devenir membre de la CFM ?
Le message principal que la FIM veut diffuser est : tout le monde est le bienvenu dans le monde de la moto, quelle que soit son origine (sexe, âge, race, religion, etc.) et que chacun doit avoir les mêmes droits pour réaliser ses rêves.
Nous voulons nous assurer qu’il existe des séries de championnats du monde féminins dans la discipline où elles sont nécessaires, mais que les portes des championnats principalement représentés par des membres de la gente masculine sont également ouvertes aux femmes.
Nous voulons nous assurer que davantage de femmes auront des possibilités dans différents rôles en moto – également dans les rôles principaux. Cependant, l’essentiel est qu’il ne devrait pas y avoir une femme nommée à un rôle spécifique simplement parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle en a les compétences, le talent doit passer en premier.
Nous avons besoin de personnes talentueuses, quelque soit le sexe. Par exemple, cette année, nous offrons aux femmes du monde entier la possibilité de bénéficier de coaching et de formation à des fonctions clé du monde de la moto.
Diriez-vous que vous êtes une militante, une féministe ?
Féministe – comme une activiste – a un ton assez négatif pour beaucoup de gens et donc je n’utilise généralement même pas le mot.
Je préfère me décrire comme une personne qui essaie de créer une atmosphère où chacun a la possibilité de participer, d’avoir son mot à dire et de contribuer au développement de la moto.
La diversité et l’égalité sont essentielles pour la prospérité de toute organisation – apportant plus de compétences et de perspectives.
Nous sommes en 2021, cela devrait être évident, mais il reste encore beaucoup à faire et de nombreux efforts sont encore nécessaires, notamment en matière de sensibilisation.
Certains pays sont-ils plus avancés que d’autres sur la question de la féminisation du milieu de la moto ?
La situation d’un pays à l’autre varie en fonction du développement du sport motocycliste, des disciplines pratiquées et aussi de la culture du pays. Il est important de noter que dans quelques pays, les femmes ne sont toujours pas autorisées à conduire des motos.
J’ai mentionné plus tôt Laia Sanz etAna Carrasco, qui viennent toutes deux d’Espagne, d’où nous avons plusieurs autres excellentes pilotes féminines, mais en même temps aussi beaucoup de coureurs masculins à succès car le pays offre des conditions et des possibilités idéales pour la course.
L’Espagne a également une commission dédiée aux femmes très active. C’est donc une combinaison de nombreux paramètres positifs qui peut expliquer pourquoi certains pays produisent des pilotes plus performants et comptent beaucoup de femmes.
Les modèles sont également importants, mais il est essentiel de donner aux enfants, filles et garçons, dès leur plus jeune âge, des opportunités de rouler et devenir de futurs champions. Informer l’entourage des parents et des coureurs fait également partie de la création d’un environnement positif.
Soutenir les femmes, les pousser à venir se frotter aux hommes sur les circuits, c’est permettre de créer des rôles models pour les jeunes filles ?
Les rôles models sont cruciaux – les championnes qui parviennent à se frayer un chemin vers le sommet sont une grande source d’inspiration. Il est toujours difficile de réussir dans le sport ou une discipline.
Ces femmes incroyables montrent que le travail acharné est payant et qu’il vaut la peine de s’accrocher à ses rêves, quel qu’ils soient et s’inspirer des autres et de leurs succès est important.
En 2019, nous avons publié un livre qui s’appelle “Dream Big“, des portraits féminins de moto, sportives et non sportives, qui ont ouvert la voie aux filles d’aujourd’hui. Cette année, nous prévoyons de lancer une deuxième édition.
Quand une jeune fille peut s’inspirer de plusieurs modèles, cela lui ouvre des horizons et des options qui peuvent la guider pour atteindre son rêve. C’est le cas pour nous tous, je crois, de s’inspirer des anciennes générations.
À quel moment considérerez-vous que vous avez réussi votre mission au sein de la CFM ?
La mission sera accomplie lorsque nous n’aurons plus de Commissions féminines à la FIM et que les femmes auront une place et un rôle égaux à tous les niveaux de la moto.
Membre de la Commission FIM “Femmes et Motocyclisme“ (CFM) depuis sa création en 2006 et sa directrice depuis 2012, Nita Korhonen défend la place des femmes sur les circuits avec obstination. Rien d’étonnant, elle est presque née sur l’asphalte des circuits. Fille de motards, la bécane est son univers depuis toujours. Cette Finlandaise de 40 ans vit et travaille en Suisse au siège de la FIM où elle assure également la fonction de directrice des liaisons et des événements depuis deux ans.
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