Lucie BertaudJamais aussi libre que dans une cage

Lucie Bertaud
Voix rauque et débit de mitraillette, Lucie Bertaud est une passionnante pipelette. Cette figure de la boxe féminine française, aujourd’hui championne de MMA (arts martiaux mixtes), se raconte comme elle combat : sans triche et sans artifice. Sur le ring, dans une cage ou dans la vie, elle donne tout ce qu’elle a. Échanges percutants.

Par Valérie Domain

Publié le 07 avril 2020 à 9h33, mis à jour le 13 janvier 2025 à 17h58

Quintuple championne de France de boxe entre 2004 et 2010, championne d’Europe en 2007 et vice-championne du monde de MMA amateur en 2015 (arts martiaux mixtes), cette femme de tête a toujours sorti les poings pour mener sa vie comme elle l’entend. Lucie Bertaud est l’une des rares femmes à avoir la double casquette boxe et MMA dans le haut niveau.

Avant de te tourner vers le MMA, tu as dédié quinze ans de ta vie à la boxe. Comment t’es venue cette envie de combattre  ?

Une histoire de filles  ! À 15 ans, j’ai été confrontée à plusieurs agressions de la part de groupes de petites nanas qui voulaient me dominer. J’avais un caractère fort, j’étais dans mon monde, un peu à part. Elles faisaient la loi et s’en sont prises à moi.

Après plusieurs humiliations, je me suis dit : « Ça ne doit plus arriver ». Ma seule issue était d’apprendre à me défendre.

Je me suis tournée vers la boxe thaïlandaise, ça a été un coup de cœur. Pour le sport en lui-même, mais aussi parce que les filles que je voyais dans la salle étaient capables de se battre avec les garçons, elles n’avaient pas peur. Je les admirais, je voulais être elles.

Lucie Bertaud MMA

Ton premier combat à 16 ans, tu t’en souviens  ?

Carrément  ! J’avais tellement la trouille que je me suis battue comme un animal sauvage.

J’ai découvert toute la rage que j’avais en moi à ce moment-là. J’ai gagné le combat, la fille en face n’aurait rien pu faire, j’étais déchainée.

Je ne me battais pas seulement contre elle, mais contre la terre entière. J’étais face à moi-même et je voulais en découdre.

Trois ans plus tard, en 2004, tu quittes Saumur et tu débarques à Paris, ce sont tes débuts dans la boxe anglaise. C’est là que tout se joue  ?

Oui, j’ai été entraînée par Saïd Bennajem (ancien boxeur sélectionné aux Jo de 1992, ndlr) dans un club d’Aubervilliers, le Boxing Beats. Il croyait en moi, mais j’ai connu des débuts difficiles jusqu’à ce que je devienne championne de France et que j’entre à l’INSEP (Institut National du Sport, de l’expertise et de la performance, ndlr).

« Je n’ai pas cessé de me battre contre les préjugés, personne ne voulait voir une fille boxer. »

À l’époque, en 2005, il n’y avait pas de filles dans ce pôle, j’étais la seule à m’entraîner avec l’équipe masculine. J’y suis restée deux ans, et je n’ai pas cessé de me battre contre les préjugés, personne ne voulait voir une fille boxer.

Le point culminant de ma carrière a été en 2007, lorsque j’ai décroché le titre de championne d’Europe.

lucie bertaud

Et puis, tu es passé du ring aux bancs de l’école…

Un an plus tard, j’intégrais l’école de journalisme de Science Po qui proposait un programme spécifique pour les sportifs de haut niveau. J’ai alors complètement arrêté la boxe, j’étais fatiguée. La boxe ne m’avait jamais permis de manger et il y a un moment où t’as envie de te défaire de la précarité.

Après Science Po, je suis entrée à Eurosport pour deux ans de formation en alternance. Là, ça a commencé à me démanger.

« Aux JO de 2012, c’était impossible de faire le poids, ça a été une vraie boucherie ! »

Parallèlement à ma formation, j’ai repris l’entraînement et j’ai préparé les qualifications pour les JO de 2012 avec l’équipe de France ; cette année-là, la boxe féminine y faisait enfin son entrée.

Mais je ne pouvais pas être à 100 % partout. Je n’avais pas d’argent, je faisais des concessions énormes pour partir en tournoi tous les mois et le boulot me demandait d’être une parfaite employée. J’ai raté les qualif’.

Imaginez que toutes les filles étaient revenues de leur retraite pour tenter de participer aux JO, il y avait une affluence incroyable de championnes du monde, c’était impossible de faire le poids, ça a été une vraie boucherie !

Lucie Bertaud

Rater les JO, ce fut plus qu’une déception…

J’avais le cœur meurtri. Quand toute ta vie, tu la dédies au sport, que c’est quelque chose qui allume ta flamme  chaque matin, et que non seulement tu n’as plus d’objectifs sportifs, mais que tu te retrouves en galère parce que t’es en fin de contrat pro, tu ne sais plus où t’en es.

Eurosport, c’était fini, j’avais manqué les JO, j’étais en pleine déprime.

« En découvrant le MMA, j’ai aussi découvert un univers dans lequel on traitait les femmes à l’égal des hommes. »

Mais, tu vois, la vie te fait des cadeaux. En un mois, le vent s’est levé, j’ai trouvé une passerelle entre sport et boulot grâce à la chaîne luxembourgeoise Kombat Sport.

J’ai intégré cette chaîne qui se lançait et ça a été un épanouissement total, j’en avais rêvé toute ma vie !

J’y avais une émission sur les arts martiaux et je combattais avec les champions des différentes disciplines.

A la fin de la deuxième saison, j’ai voulu terminer en apothéose et je suis allée à Las Vegas, la Mecque du MMA. J’ai découvert cet univers dans lequel on traitait les femmes à l’égal des hommes jusqu’aux grilles de salaire.

lucie bertaud

Tu as alors décidé de participer aux Mondiaux amateurs et tu as décroché la médaille d’argent. Une révélation et la perspective de nouveaux défis à relever ?

Je me suis entraînée pendant un an, suivie par les caméras, pour terminer par devenir vice-championne du monde, je le voyais comme une revanche sur la vie, sur la boxe.

Quand j’ai retrouvé ma liberté vis-à-vis de la chaîne Kombat en 2018, je suis partie aux USA afin d’embrasser la carrière professionnelle.

« Quand tu débarques aux USA, t’es la petite Française, livrée à toi-même, tu te prends des portes sans arrêt. »

Je côtoyais toutes les stars internationales, je m’entraînais avec elles. Mais quand tu débarques là-bas, t’es la petite Française, livrée à toi-même, tu te prends des portes sans arrêt.

Un an après, suite à des problèmes avec l’immigration, je suis revenue en France. Il a fallu que je me reconstruise une vie mais, ici, tout parait fluide comparé aux Etats-Unis, j’ai compris que la solidarité était la clé.

Je me suis rendu compte que j’avais toujours été aidée ; que des anges gardiens, des mentors, de belles rencontres avaient jalonné ma route à chaque fois que je m’étais retrouvée en galère.

Lire aussi le témoignage d’Audrey :  « Grâce à la boxe, j’ai pu évacuer ma colère. »

Lucie bertaud

Cette fois, ce fut une proposition de combattre à Abou Dabi, la capitale des Émirats arabes unis ?

Oui, j’ai gagné le combat et je me suis fait repérer par un manager qui m’a dit que mon profil, mon parcours de vie, l’intéressaient.

Il m’a alors proposé d’intégrer Bellator, c’est la deuxième plus grande organisation MMA après l’UFC.

Quand tu veux rentrer dans une grande organisation, il faut un palmarès important, il faut du temps. Mais j’ai déjà dédié quinze ans de ma vie à la boxe, ce temps, je ne l’ai pas…

« Je ne suis pas seulement une combattante, je peux être une créative, rebondir de manière singulière. »

Ce n’est pas un problème, j’ai les mêmes privilèges et je me suis posé la question : «  Tu préfères entrer coûte que coûte à l’UFC et être une goutte d’eau dans l’océan ou faire parler de toi à travers une organisation qui te donne les moyens de te construire ? » Je crois davantage en mes chances d’avoir un palmarès brillant en entrant là.

Je ne suis pas seulement une combattante, je peux être une créative, rebondir de manière singulière. Le vent ne souffle pas encore tout à fait, mais avec l’expérience, tu sais quand il souffle. Là, il se lève.

Et tu comptes devenir une figure française du MMA alors que ce sport vient d’être légalisé en France et qu’il est en pleine structuration  ?

Oui, j’aimerais m’impliquer dans son développement, apporter une pierre à l’édifice. Mais aussi dans le projet boxe olympique 2024.

Je pense en effet m’engager politiquement aux côtés de Dominique Nato qui se présente à la présidence de la fédé française de boxe. J’aimerais partager mon expérience et pouvoir contribuer à un avenir meilleur. Mais, je verrai…

Avant, j’étais toujours à faire des plans sur le long terme, maintenant, je suis plus dans le présent, je fais les choses à fond, j’ai du flair et j’exploite les occasions, les opportunités sans crainte. Je laisse mon intuition me dire où ça se passe.

Depuis mon retour des USA, je formule mes intentions clairement et j’avance, même si mon parcours est dévié. Ma carrière en MMA n’est pas celle de la boxe, clairement. En tout cas, pas encore, mais il faut me laisser du temps.

lucie bertaud

Dans le fond, pourquoi tu aimes à ce point te battre  ?

Les sports de combat m’ont toujours sauvée, la rigueur et la discipline que tu as avec ton corps, ton mental, te donne un câble de vie auquel tu t’accroches, tu restes lucide.

Et puis, j’aime le face à face, j’ai ça dans le sang, l’adrénaline, affronter mes peurs.

« J’aime l’ivresse du moment, la satisfaction d’avoir surmonté sa peur, le sentiment d’être une championne. »

Sur un ring, dans une cage de MMA, quand on te lève le bras de la victoire, tu n’imagines pas  l’explosion de joie intérieure et cette confiance en toi que tu ressens ! Tout prend du sens.

J’aime cette ivresse du moment, la satisfaction d’avoir surmonté sa peur, le sentiment d’être une championne, le partage d’émotions avec les autres, et l’amour du public que l’on reçoit.

lucie bertaud

Tu dis : « Je veux vivre ma vie de manière exceptionnelle » …

Oui, parce que la vie est courte. Je veux me battre à 100 % pour une vie réussie, et une vie réussie, c’est une vie comme on l’entend.

Je suis alignée aujourd’hui avec ce que je suis censée être. J’ai toujours voulu démontrer que j’avais un cerveau, que je restais féminine, que je savais résonner, et je crois que c’est clair.

Je n’ai pas peur de m’affirmer, mon parcours je le trouve plutôt bien, j’en suis fière. Après, on verra.

J’ai parfois des moments de panique, mais quand je me retourne, je vois que ça s’est toujours bien passé, imbriqué. Des gens bienveillants, je vais continuer à en rencontrer.

Un champion, ça s’adapte. Et moi, je suis forte. Je le sais maintenant.

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