« Nous sommes là pour faire le liant, faire prendre la sauce entre le public et l’évènement, pour créer l’ambiance. Notre rôle est toujours délicat car n’oublions jamais que les spectateurs viennent voir les sportifs, pas nous les MC, Maîtres de Cérémonie ! Donc, il n’y a pas de formule magique, c’est un feeling avec le public. »
Charlee Moss est speaker depuis dix-sept ans, après des débuts à Disneyland, sur un spectacle de cascades de voitures et motos. Son bain de foule footeux ? Il a lieu en 2012 lorsque le LOSC cherche à former un duo au côté d’Anne-Sophie Roquette, emblématique voix du club Lillois pendant plus de vingt ans (de 1989 à 2019) et pionnière du « speak » féminin en France. Un baptême du feu d’envergure !
Alors, mettre l’ambiance, ça marche comment ? « Ça me fait rire lorsqu’on me pose cette question ! s’exclame Charlee. C’est tout un art qui s’apprend sur le tas puisqu’il n’y a aucune école pour faire ce métier, sinon celle du terrain ! » Bref, speaker, c’est un sport, c’est du sport !
Les « Madame Loyal » du spectacle sportif
« Être speaker sportif, c’est être la voix du stade, celle qui rythmera l’événement », explique quant à elle Sandy Heribert, journaliste et speaker indépendante couvrant les grandes compétitions internationales tels que les JO de Rio en 2016, l’Euro 2016 ou encore le Tournoi des VI Nations. Et pas seulement côté ambiance !
Le métier demande de gérer le moment partagé de A à Z, chaque séquence ayant été préparée, puis minutée et chronométrée « comme pour une émission télévisée », rappelle Sandy Heribert qui sait de quoi elle parle.
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Quand les portes s’ouvrent au public quelques heures avant le début du match, débute la « partie protocolaire » : « On donne toutes les infos, le classement du moment, les résultats ; on peut aussi lancer des résumés des matchs avec interviews des joueurs sur les grands écrans, sans oublier la partie promotionnelle avec les sponsors. Et juste avant le début du match, on annonce la composition des équipes, les arbitres etc .»
Autre rôle d’importance de ces animateurs et animatrices de matchs : la communication autour de la sécurité dans le stade, soit toutes les instructions en cas d’urgence ou de besoin d’évacuation.
Et la troisième fonction tant attendue : le côté « chauffeur de stade, évidemment », dit Sandy Heribert. « Avant et, surtout, pendant le match, on met le feu. On demande aux supporters de se faire entendre avec les chants du club, on lance la Mexican wave, on pointe les caméras sur le public un peu à la manière des Kiss Cam américaines… Nous avons tout un tas de trucs et astuces pour faire monter la sauce ! »
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Si on a tous déjà entendu cette voix sans visage lors de rencontres sportives majeures, « peu de personnes sont capables de nommer ce métier qui reste très méconnu » rappelle très justement Pauline Bouic, speaker du Racing 92 depuis 2017.
Ces femmes – et hommes – de l’ombre ne suivent en effet pas de formation spécifique – qui n’existe pas – pour se lancer dans l’arène. Elles sont pour la plupart journalistes de métier et adoptent, par opportunité et passion, cette casquette supplémentaire.
Mais quelles compétences faut-il donc avoir pour être repéré(e) et se jeter à l’eau ? Indispensable et évident… : « AIMER les gens ! s’exclame Charlee Moss. On ne peut pas faire ce métier si on est misanthrope. »
Même son de cloche chez Pauline Bouic – « La sociabilité et la bonne humeur ! C’est ce qui va nous permettre la rencontre avec des supporters qu’on veut motiver à donner de la voix pour les équipes » – et Sandy Héribert : « Le côté sympathique ! ».
Outre l’aspect humain primordial, le métier demande une technique et une adaptation à toute épreuve… entre rigueur et capacités d’improvisation. Pour Charlee Moss, c’est « être organisé pour bien gérer le déroulé d’un évènement, savoir « meubler » si jamais il y a des temps de battement, avoir du bon sens, ne pas céder à la panique si c’est le cas en régie et dans tes oreillettes… ».
Pour Sandy Héribert, c’est « être rigoureux, attentif à tout ce qu’on raconte. Mais aussi savoir s’adonner à l’improvisation parce qu’on ne sait jamais trop comment va réagir un public. On peut faire un flop et il faut savoir retomber sur ses pattes. » Et de garder en mémoire cette double ola lancée à l’Euro 2016 avec les publics anglais et irlandais lors de laquelle elle a été huée par un stade de 60 000 personnes…par deux fois ! ».
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Stéphanie Poiret, voix du Rugby Club Toulonnais (RCT) et vice-Présidente de l’Association des Speakers et Maîtres de Cérémonies (ASMC), rappelle de son côté, à quel point le métier est un jeu sérieux, à aborder avec professionnalisme : « On croit que c’est facile mais on n’est pas là pour brailler dans un micro. Vous pouvez mettre l’ambiance, mais il faut trouver l’équilibre, il faut sentir le match et rester concentré ».
Pauline Bouic confirme : « Après une animation, je suis éreintée, mais pendant les heures de match, je suis pleine d’énergie, complètement à bloc ! »
Et la voix dans tout ça ? Le timbre d’une femme est-il un atout gagnant ? Pour Charlee Moss, c’est tout tranché : « C’est quand même plus agréable d’avoir une jolie voix féminine au micro, non ? ».
Pauline Bouic surenchérit : « On m’a souvent dit que ça changeait et que c’était super d’avoir une voix féminine. Je pense aussi que les femmes peuvent se reconnaître en nous. Après, bien évidemment, pour motiver les troupes, il faut avoir un certain coffre et, de ce côté-là, les hommes peuvent avoir plus de poids, c’est juste physiologique. »
Pour Stéphanie Poiret, il est clair qu’« il faut savoir s’imposer et donc, savoir poser sa voix et articuler pour être bien entendue. »
Sandy Heribert, elle aussi, mise tout sur les femmes : « Dans ce milieu sportif où la compétition est de mise, être une femme apporte une sorte de rondeur et de tendresse. Dans le speak, il y a un côté un peu plus doux, vraiment agréable. »
Bref, ces professionnelles de l’animation se retrouvent plongées dans l’arène, directement sur la pelouse ou au contact des kops, ces tribunes des ultras supporters. Une femme au cœur d’un essaim d’aficionados enflammés et d’un staff majoritairement masculin, ça se passe comment ? « Oui, il faut dire que les supporters sont surpris au début, mais ils jouent le jeu et même, ils se laissent davantage aller à donner de la voix ! » confie Sandy Heribert.
Et dans le milieu pro ? « Je fais 1,80m donc je ne suis pas l’archétype de la nana frêle et j’ai un petite côté garçon manqué donc je m’impose de moi-même. Je n’ai jamais eu de bâtons dans les roues, j’ai de la chance, et j’ai l’habitude de devoir m’adresser à des hommes. »
Cependant, la journaliste concède qu’une femme doit « travailler deux fois plus qu’un mec pour être légitime. Si on fait une boulette, on est mise de côté beaucoup plus rapidement qu’un mec. »
Les femmes marquent des points
Pauline Bouic, professionnelle du speak en rugby, loue le bon esprit dans ce monde où la voix masculine est reine : « Il est évident que, nous, les femmes, sommes clairement en minorité dans ce milieu sportif. Mais, pour ma part, dans l’animation du rugby, je n’ai jamais rencontré de réflexions sexistes. C’est un milieu très familial. »
Pour autant, elle concède qu’une femme qui débarque dans le game « va devoir deux fois plus faire ses preuves ». Une contrainte sociétale qu’elle détourne avec niaque : « C’est tant mieux car ça engendre deux fois plus de capacité de travail et donc plus de certitudes, de confiance en soi, de professionnalisme, d’envie et de passion. Que du bon ! »
Pour Charlee Moss, « homme ou femme speaker, peu importe, en réalité on est ensemble, supporters et animateurs. »
Qui des collègues de micro ? L’acceptation peut être plus ardue et le machisme ancré : « J’ai commencé ce métier dans les évènements motos, aux côtés d’un speaker extrêmement mégalo et macho, qui m’a mené la vie dure, à me couper sans cesse la parole et à faire des blagues… sur les blondes. C’est vous dire comme ça volait haut. »
Et alors ? la journaliste en a fait une force et assure que l’avenir est radieux pour les femmes : « Je ne me suis pas démontée. Au contraire, ça a forgé ma personnalité (et aussi ma répartie !). Aujourd’hui c’est différent. Les femmes sont bien installées, et c’est parti pour durer. »
Reste à féminiser le terme « speaker »… Pas évident ! Speakerine faisant référence aux présentatrices télé d’une époque révolue. Autre variante possible ? « Master of Ceremonie » ou « Maître de cérémonie » en bon français : « Je n’aime pas trop le mot speakerine, je trouve que ça fait “ vachette ”, confirme Charlee Moss. Je préfère le laisser au masculin, ou utiliser le terme “ Maître de Cérémonie ” alias MC en anglais pour regrouper les appellations “présentatrice, speaker, animatrice, ambianceur ”…»
Speaker ou MC, combien sont-elles donc à truster les terrains côté speak ? L’association ASMC, créée en 2017 qui regroupe les speakers événementiels, sportifs et maîtres de cérémonie professionnels de France et d’Europe dans le domaine du sport, de l’information, du commerce et de la culture, concentre « 12 % de femmes sur 70 membres », selon sa vice-présidente, Stéphanie Poiret. Soit un peu plus d’une dizaine de voix féminines dans les starting-blocks pour faire trembler les stades.
Mais la profession tend à se féminiser : « J’ai de plus en plus de femmes qui me contactent à ce propos sur Instagram », confirme Sandy Héribert. Et les clubs sont de plus en plus demandeurs, comme ce fut le cas du RCT qui a embauché Stéphanie Poiret sur demande de son propriétaire Mourad Boudjellal – « Il voulait une voix féminine » – notamment pour dynamiser des duos.
« Les duos mixtes se multiplient, je trouve ça génial, il y a de la place pour les femmes ! », témoigne Pauline Bouic, elle-même en équipe avec Éric Dagrant pour le Racing 92, qui est venu la chercher. Les femmes sont donc plus que bienvenues dans ce territoire trop souvent pensé comme « réservé aux mecs » !
De quoi susciter des vocations : « Il ne faut pas hésiter à se lancer sur le terrain en commençant dans des petits clubs de région par exemple et il faut venir nous voir à l’ASMC. Nous avons un programme de parrains-marraines qui nous permet de suivre l’évolution d’un jeune pendant deux ans, un jeune que l’on emmène sur des événements », explique Sandy Heribert.
« J’encourage les femmes qui veulent se lancer à nous rejoindre ! Il y a tellement de choses à faire ! », s’enthousiasme Charlee Moss.
Un métier-passion pour l’émotion du sport
Quoi de plus dingue que d’être au cœur de l’événement ? Ces passionnées du sport, qui participent activement au degré d’émotion ambiant, vibrent longtemps. Leurs anecdotes et grands moments en tant que MC racontés avec gourmandise le prouvent : Sandy Heribert a eu « le cœur qui battait à tout rompre et une grande fierté » en annonçant les médailles d’or de la France aux JO de Rio puis l’hymne français.
Pauline Bouic a été marquée par le France-Angleterre au stade de France pour le tournoi des VI Nations en février 2020. Elle était chargée d’annoncer la composition de l’équipe d’Angleterre : « Tout le stade s’est mis à hurler, je ne m’entendais plus parler. J’ai trouvé ça génial pour l’équipe de France car les supporters français démontraient qu’ils étaient là coûte que coûte. Ça donnait des frissons, c’est dans ces moments-là qu’on perçoit la puissance d’une marée humaine ! »
En fan du club dont elle est la voix, le RCT, Stéphanie Poiret se souvient de chaque match lors duquel Jonny Wilkinson marquait un essai : « Je lançais un « Jonnyyyy Wiiilkinson ». Les gens ont retenu ça de moi, ça me fait plaisir ! »
En résumé, le métier de speaker ? : « C’est un plaisir à chaque fois que je prends un micro », conclut Stéphanie Poiret. Un enthousiasme – contagieux ! – ressenti chez chacune de nos interviewées.
Si elles sont parvenues à nous faire vibrer hors stade, parions qu’elles peuvent mettre le feu lors de n’importe quel match…
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- Ouverture : Charlee Moss ©Dave Winter/Icon Sport
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