Le 14 juin dernier, tu as été sacrée championne du monde d’Hyrox en double mixte avec ton mari, Quentin. Ça se passait à Chicago, aux États-Unis. Avec le recul et un retour à la maison, est-ce que tu as réussi à réaliser ce qui vient de t’arriver et à redescendre sur terre ?
Non, pas encore. On a mis beaucoup, beaucoup de temps à réaliser et on met aussi beaucoup, beaucoup de temps à descendre, mais c’est plutôt chouette. On a eu la chance de passer du temps aux États-Unis : on est arrivés une semaine avant pour s’acclimater, encaisser le jetlag et on avait prévu de rester une semaine après les Monde pour crapahuter et profiter en se disant : « Imagine, si on est à Miami Beach et qu’on est champions du monde ? Ce serait dingue, non ? » et c’est ce qui s’est passé ! C’est génial.
On a également eu beaucoup de sollicitations sur les réseaux sociaux, que ce soit pour des partenariats, de la presse, il aussi fallu gérer ce volet-là durant la semaine qui a suivi notre titre. Cette effervescence autour de nous nous a un peu aidés à réaliser, tout comme le retour en France. On était très contents de retrouver nos petites habitudes, nos animaux, et de reprendre l’entraînement.
Vous avez savouré mais pour autant, le relâchement n’est pas encore à l’ordre du jour ?
Oui, même si on s’entraîne différemment. Durant les deux dernières semaines, l’idée était de bouger, de kiffer sans pour autant s’empâter mais ça, ça fait partie de nous, on n’est pas spécialement heureux quand on ne fait rien. Il y a eu des petits footings, du vélo… mais on ne regardait pas notre appli pour voir ce qui était programmé dans notre coaching. Ne pas suivre ce cadre, c’est déjà des vacances pour nous. Maintenant, c’est retour à la normale, c’est pour ça que je pense qu’on réalise enfin même si, de temps en temps, quand on est en train de cuisiner ou de balader le chien par exemple, on se regarde et on se dit : « Non mais, on est champions du monde ! ». On intègre ça progressivement.
L’Hyrox est une pratique relativement nouvelle dans ton parcours de sportive. Tu as débuté quand exactement et comment s’est faite la rencontre avec cette discipline ?
L’Hyrox, c’est une discipline qui existe depuis 2017 et qui a été créée en Allemagne. Jusqu’à peu, elle n’était pas très répandue en France. Nous, nous l’avons découverte par le biais d’un ancien copain de travail de Quentin du temps où il était militaire. Cet ancien collègue en avait fait un à Maastricht et a dit à Quentin qu’il devrait tester, que c’était cool. Peu de temps après, Hyrox France propose une première date à Paris, c’était fin 2023 et, à l’époque, il était encore très facile de se procurer des places. Moi, je viens du sport de haut niveau, du badminton. J’avais, depuis quelques années, mis un terme à ma carrière et lancé mon cabinet d’ostéopathie et, même si je restais très sportive, j’étais passée à autre chose. Je n’avais pas prévu de renouer avec le haut niveau mais je me suis dit que c’était la carotte qui pouvait me motiver et faire en sorte que je ne m’entraîne pas, que je ne m’entretienne pas pour rien. C’est comme ça que tout a commencé. Par la suite, on s’est spécialisés en mixte avec Quentin et depuis, on enchaîne les compet’.
L’Hyrox est une discipline radicalement différente du badminton, qui donne l’impression d’être une combinaison de force et d’endurance. Qu’est-ce qui t’a séduite dans cette pratique ?
Il ne faut pas se méprendre, le badminton est une discipline qui est également très dure, très traumatisante, pour les articulations notamment. C’est vrai que l’Hyrox, sur le papier, est une discipline qui fait peur parce qu’elle t’oblige à aller au bout du bout et que tu finis dans un état où tu es complètement kaput mais, c’est aussi ce que l’on recherche quand on s’inscrit. À côté, les sports comme le bad sont un peu plus ludiques, ce qui peut laisser penser qu’ils sont moins difficiles d’accès. Tout cela n’est finalement qu’une impression et ce d’autant que moi, que ce soit l’un ou l’autre, je fonctionne de la même manière, avec l’envie de pousser ma pratique à l’extrême car je suis une grosse compétitrice.
Et puis, avec la logique qui est la mienne, en ma qualité d’ostéo, il y a une réflexion sur la blessure qui entre en compte. Lorsque j’étais plus jeune, je me suis fait les ligaments croisés en bad, ce qui a nécessité de me mettre sur pause pendant un an. C’est en partie à cause de cela que j’ai arrêté le haut-niveau. Je me disais que s’il m’arrivait de nouveau de me blesser, je ne pouvais pas fermer mon cabinet durant autant de temps. Je m’étais orientée sur des pratiques plus douces et puis, quand l’Hyrox est apparu, je me suis dit que ça tapait mais que les mouvements étaient très linéaires, ce qui fait que, même si tu pousses ton corps à l’extrême, tu peux avoir quelques micro-traumas si tu n’as pas un bon coach ou que tu fais ta prépa tout seul, mais pas de grosses blessures.
Qu’est-ce que l’Hyrox t’apporte de différent par rapport à ta pratique de badiste ?
En bad, la part de la technique et de la tactique est plus importante que dans l’Hyrox où on est vraiment sur du physique pur et dur avant tout. Lorsque je faisais partie des meilleures Françaises de bad, je n’ai jamais été une grosse tacticienne, ni une grosse technicienne, juste une mobylette qui courait partout. L’Hyrox est une discipline cousue main pour moi, elle représente tout ce que l’on aime avec Quentin : il faut s’arracher, la base est là. Quoi qu’il en soit, il y a quand même beaucoup de points communs avec le badminton et notamment le fait que ce soit une pratique mixte. Mecs et nanas sont tout le temps ensemble dans la salle, tu te fais plein de potes, tout le monde s’encourage, c’est super chouette.
Il semble également que le badminton, alors que tu es tombée dedans petite, ait été un choix de raison plus qu’un choix de cœur. Toi, ce dont tu avais envie, c’était de courir or, le club dans lequel tu aurais pu pratiquer l’athlétisme, n’acceptait les enfants qu’à partir de 10 ans et tu en avais 9…
Petite, j’adorais courir et comme il fallait en effet avoir 10 ans pour intégrer le club d’athlétisme de ma ville, on m’avait proposé de faire autre chose en attendant. J’ai donc fait un an au bad et puis j’ai dit au revoir à mon entraîneur que j’aimais bien pour aller faire de l’athlé. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Il m’a dit : « Écoute, il y a quelque chose, ton jeu de jambes notamment, il faut qu’on te façonne. » Comme je n’aime pas faire les choses à moitié, la raison a pris le dessus et je suis restée bad mais je ne regrette pas du tout ces années-là. C’était cool parce que la portée physique, surtout chez les nanas quand tu as un très bon cardio, que tu es très vive sur les jambes, c’est un gros point fort. J’ai également eu un super coach qui m’a beaucoup aidée en tant qu’adolescente puis, en tant que femme, puisqu’il m’a suivie jusqu’à mes 23 ans.
Ce mariage un peu forcé mais heureux va durer, tu le disais, jusqu’à tes 18 ans pour le très haut-niveau mais tu vas réussir à pousser jusqu’à tes 23 ans après ta blessure aux croisés. À t’écouter, on se demande malgré tout si cette discipline n’était pas, pour toi, un moyen comme un autre de satisfaire ta boulimie de sport et tes envies de compétition.
Il y avait un peu de ça, mais pas seulement. Le bad, je suis tombée dedans assez jeune, ce qui fait que tu construis tout ton réseau autour de ça, que ce soit tes potes, les parents de tes potes avec qui tu passes beaucoup de temps dans les gymnases, tes entraîneurs… Il y a aussi le fait que suis une très grosse compétitrice et que je fais du sport pour gagner. Même si je n’ai aucun problème avec le fait d’être 2e, 3e et que je suis très bonne perdante, ça reste mon leitmotiv et il ne me viendrait pas à l’idée de continuer à pratiquer un sport si je sais que je ne vais pas pouvoir performer. Le sport uniquement comme loisir ne m’intéresse pas. C’est d’ailleurs pour cela que, quand j’ai arrêté le bad et qu’on me proposait de rejoindre l’équipe du club pour taper en région, j’ai dit non. Soit, je fais les trucs à 1 000 %, soit je ne les fais pas du tout et je tourne la page. Quand j’ai eu ma grosse blessure, à 18 ans, je suis très bien revenue mais, peu à peu, j’ai donné la priorité à autre chose, mes études supérieures notamment. J’ai gardé un niveau semi-pro mais, à 23 ans, j’ai choisi de me consacrer à mon cabinet et il devenait difficile de tout concilier.
Tu voulais aller jusqu’où en badminton ? Est-ce que tu ambitionnais, par exemple, de te qualifier pour les Jeux Olympiques ?
Non, j’ai toujours été très lucide. Je n’ai jamais voulu intégrer une structure par exemple. Je n’habitais pas loin du CREPS de Châtenay-Malabry, on m’avait proposé d’y aller mais j’ai décliné parce que je voulais donner priorité à mes cours. J’étais très bonne élève, je voulais être vétérinaire et j’étais à fond dans les études. Et puis, il y avait cette petite voix qui me disait qu’on était tellement loin des Chinois, des Danois en termes de niveau… or moi, même si j’ai des rêves, si je sais que je ne peux pas les réaliser, ça ne sert à rien. C’est pour cela que je n’ai jamais eu d’objectif aussi énorme que les Jeux Olympiques par exemple. Moi, je visais les France avec l’objectif de faire une médaille, je savais que mon niveau international ne me permettait pas de rêver aussi loin. C’est en partie pour cela, d’ailleurs, que je me suis mise à fond dans l’Hyrox, parce que je pensais qu’il y avait un truc à faire, même s’il y a énormément de crossfiteurs avec de gros palmarès qui s’y mettent. Pour moi, cette perspective a fait que je trouvais valable de m’investir dans la discipline.
Lorsque tu as arrêté la pratique du bad à haut-niveau, est-ce que ça a remis en cause ton rapport au sport qui ne pouvait plus t’apporter ce que tu y cherchais ou est-ce que tu as basculé, de suite, dans une spécialité dans laquelle tu pouvais de nouveau trouver ce dépassement physique que tu recherches ?
Il y a eu une période de latence. J’ai arrêté le bad en 2018 et je ne me suis vraiment mise à l’Hyrox que fin 2023. Moi, au-delà de la seule pratique sportive intense, ce dont j’ai besoin avant tout, c’est de projets et j’étais accaparée par le lancement de mon cabinet. Pendant cinq ans, j’ai continué à faire du sport pour m’entretenir et c’était ok pour moi de ne pas en faire au même niveau qu’avant car j’avais un autre but. L’Hyrox est tombé au moment où je commençais à m’ennuyer, on venait de retaper notre maison avec Quentin, ça nous a pris un an et demi et je cherchais quelque chose d’autre. Un temps, j’ai pensé à me mettre à l’équitation et puis il y a eu la découverte de l’Hyrox et tout est allé très vite pour nous. Je pense qu’on était vraiment faits pour ça, je n’ai pas eu trop le choix, ça nous a emportés.
Tu dirais que ça a été le coup de foudre dès la première fois ?
C’était très dur, mais c’est ce que l’on aime aussi. En tout cas, j’ai tout de suite aimé le format parce que c’est assez complet et facile. Je m’explique, facile, non pas en ce qui concerne l’effort en lui-même, mais facile à comprendre. Durant mes cinq années de latence, j’ai testé le CrossFit mais c’est très technique. Au départ, tu as des barres riquiqui mais le coach te fait refaire le mouvement quinze fois alors que tu viens de sortir de ta journée de travail au cabinet et que tu n’as qu’une envie, te défouler. L’Hyrox, tu n’as pas ça, c’est beaucoup plus facile à intégrer et c’est aussi pour ça que c’est accessible à plus de gens. Pour ma part, ça a collé tout de suite.
Est-ce que ton passé de badiste t’a aidée à être performante très vite ?
Oui, il y a déjà le mental qui fait la différence. Je sais ce que c’est d’encaisser des entraînements très durs physiquement. Je suis familière aussi avec les notions de bien manger, bien dormir, de faire passer le sport avant tout. Quand tu as déjà vécu ça, c’est plus facile pour toi que pour quelqu’un qui découvre. Il y a aussi mon cardio. Le bad, c’est un sport très cardio et dans l’Hyrox, le cœur monte très haut. Ça me sert d’autant plus qu’en double mixte, c’est beaucoup plus intense qu’en simple parce que tu as quelques pauses, mais c’est beaucoup plus fractionné. Et puis, il y a la relance au niveau des jambes. Quand tu viens de finir ta station, tu as les jambes hyper fatiguées et tu dois tout de suite repartir sur ton kilomètre de course à pied. Avec Quentin, on a une très, très grosse relance parce qu’on n’a pas souvent le lactate qui titille les jambes et ça, c’est un point fort de dingue.
Tu évoquais la pratique solo. Tu as donc commencé par ça avant de te lancer en double mixte ?
On n’a fait qu’un seul Hyrox en solo, chacun de notre côté. Ce qui est rigolo, c’est que j’y suis allée sans entraînement spécifique, j’étais juste un peu entretenue mais je ne courais plus beaucoup, il y avait des stations auxquelles je n’avais jamais touché et que j’ai découvertes le jour J. À la fin, je me suis dit que j’en referais peut-être un, mais sans certitude. Et puis, on a vu qu’il y avait une course à Vienne. On s’est dit allons-y et profitons-en pour nous faire un week-end en amoureux. C’était les Championnats d’Europe et on a terminé 3e. À partir de là, on s’est dit qu’on allait peut-être faire les choses un peu plus sérieusement. Cette année-là, on a fait 6e aux Monde. C’est à ce moment qu’on a décidé de faire tourner notre vie autour de ça, avec l’ambition de devenir champions du monde.
L’Hyrox est donc devenu, pour vous deux, une hygiène de vie comme l’est le sport dans une pratique de haut-niveau. Vous vous entraînez chez vous, à Tours, dans votre home gym avec séances biquotidiennes, récupération, un gros travail sur la nutrition et le sommeil. Et puis, il y a vos parcours professionnels. Comment est-ce que tu arrives à tout mener de front ?
Je n’ai pas plus de mérite que Quentin mais il est vrai que lui est coach sportif, que le sport, c’est son boulot et qu’il travaille depuis la maison. Son planning est beaucoup plus fastoche que le mien. En ce qui me concerne, je ne sais pas comment j’ai fait cette année pour tout mener de front. J’avoue que, à la fin de l’année, je n’étais pas bien, j’ai beaucoup pleuré, je me suis posé plein de questions : quand tu te donnes à fond, quand tu gagnes des courses et que les retombées tardent, tu te demandes pourquoi tu te lèves à 5h du mat’ pour être sur ton tapis à 6h en plein hiver alors que tu sais que, juste après, tu vas enchaîner des consultations jusque 20h30 dans ton cabinet. En même temps, je pense qu’on était intimement convaincus qu’on pouvait vivre des trucs tellement géniaux avec l’Hyrox qu’il fallait le faire.
Et puis, tout ne se résume pas aux victoires, l’Hyrox, c’est aussi un investissement sur soi, une expérience de vie. On sait qu’on ne pourra pas faire ce que l’on fait durant des années parce que la discipline qui est la nôtre, au bout d’un moment, mentalement, ça te fait péter un câble. Ce qui est fou, c’est que je n’ai jamais été une athlète aussi complète que maintenant. C’est vrai que cela se fait au détriment d’autres choses, il y a des potes, des proches à qui on ne parle plus parce qu’ils véhiculent, sans le vouloir, des ondes négatives et tu es tellement tout le temps sur le fil du rasoir que tu n’as pas de temps pour ça.
C’est beaucoup de sacrifices…
C’était, c’est vrai, une année très, très dure mais on s’est fait un petit peu surprendre, je pense, parce qu’on a été bons très vite. C’est un faux problème mais, une compet’ en a appelé une autre. Et puis, une compet’ qui devait juste être un moment cool, eh bien, comme tu as fait un bon temps, tu as envie de recommencer pour battre telle paire. Et puis, d’un coup, un sponsor commence à s’intéresser à toi, alors tu veux prouver encore plus et, de fil en aiguille, il y a de plus en plus de courses. Je trouve, pour ma part, qu’on n’a pas super bien géré notre planning mais ça nous servira pour cette année. Quoi qu’il en soit, ça a bien fini donc c’est cool, mais il ne fallait pas que ça dure encore trop longtemps dans la saison parce que moi, franchement, je n’en pouvais plus.
Vous avez une discipline de pro, sans être pro ; l’Hyrox est une discipline engageante physiquement mais aussi financièrement puisqu’il faut payer pour participer à des compétitions. Est-ce que vous pouvez espérer en vivre malgré tout ?
Nous avons la chance de ne plus avoir à couvrir certains frais nous-mêmes. On commence également à avoir des aides financières de nos sponsors et pas uniquement du gifting. Nous ne sommes pas à plaindre mais sommes très loin d’en vivre même si ce n’est pas forcément notre ambition. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de monde qui peut en vivre d’ailleurs, c’est une discipline qui est encore relativement neuve.
Il existe néanmoins des catégories professionnelles mais pas en double mixte. Vous militez d’ailleurs pour que les choses évoluent sur ce point.
La particularité de l’Hyrox, c’est que nous sommes dans le même bain que le mec et la nana qui viennent juste pour kiffer et être finishers. Il reste qu’en ce qui concerne notre catégorie, il n’y a pas de prize money. Ça existe pour les Elite 15, c’est-à-dire les 15 meilleurs dans les catégories solo filles, solo garçons, double filles et double garçons. Je suis en discussion avec une Irlandaise pour, pourquoi pas, tenter ça, histoire d’avoir de nouveaux objectifs, ce qui ne nous empêchera pas de continuer à défendre nos titres en double mixte.
Tu es championne du monde en double mixte, championne d’Europe aussi, là encore c’est un titre que tu as gagné cette année, comment tu envisages la suite ?
Là, la saison est terminée, il y a quelques courses cet été mais c’est plus light qu’entre septembre et juin. On va reprendre fin octobre. Les Championnats d’Europe sont programmés en février à Londres, les Monde à Stockholm en juin et pour le reste, on a décidé de se concentrer exclusivement sur les courses en France parce que ça fait moins de logistique, moins de micmacs avec mon cabinet. Et puis, ça nous permettra de rencontrer la communauté française qui nous a beaucoup encouragés sur les réseaux.
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