Tu viens d’avoir 22 ans et tu as dix-sept ans de pratique du hand derrière toi. C’est un sport que ta mère a pratiqué jusqu’à ta naissance. Est-ce que c’est elle qui t’en a donné le goût ?
En ce qui concerne mon goût pour le sport, il me vient de ma famille : ma mère faisait du hand, mon père du rugby et il était important pour mes parents que mon grand frère et moi nous défoulions après l’école. En ce qui concerne mon goût pour le hand précisément, je ne sais pas trop si c’est ma mère qui en est à l’origine mais je pense, malgré tout, que j’ai senti dans son ventre que c’était un sport important et je suis allée naturellement vers cette discipline après avoir pratiqué l’athlétisme et le judo.
J’ai souvent pratiqué deux voire trois sports en même temps, jusqu’à mes 9-10 ans : le hand, donc, qui est le sport de ma mère ; le judo – mon père et mon frère en avaient fait avant que je n’y vienne – et puis l’athlé que j’ai été la seule de la famille à pratiquer. Pour moi, le sport a toujours été très important, je dirais même presque qu’il n’y avait que ça qui comptait, gagner des courses, gagner des combats.
Tu commences le hand à 5 ans au Beaune HB en Bourgogne. Qu’est-ce que tu aimais dans cette discipline qui t’encourageait à y retourner ?
Il y avait d’abord un côté pratique puisque la salle de hand était à cinquante mètres de chez moi, ce qui fait que je pouvais y aller toute seule. Et puis il y avait aussi cette dimension de sport collectif avec les copains et les copines qui, je pense, a fait pencher mon choix en faveur de cette discipline quand il a fallu trancher entre hand, judo et athlé. J’aimais le fait de partager les émotions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, tout cela m’a fait grandir. Enfin, l’autre raison qui m’a fait aimer le hand, c’est que je sentais que j’arrivais à faire quelque chose dans ce domaine.
Tu vas rester neuf ans au Beaune HB. Pendant ces neuf années, chaque fois que tu intègres une catégorie d’âge, tu es surclassée. Tu as rapidement compris que tu avais des prédispositions et/ou des qualités que d’autres peut-être n’avaient pas ?
Physiquement, j’ai toujours été très très en avance. Je courais tout le temps et là-dessus, il n’y avait pas grand-chose à dire. En ce qui concerne le niveau technique en revanche, il m’arrivait souvent, lorsque je jouais avec des garçons, de gagner et c’est pour ça que l’on m’incluait dans une catégorie supérieure. Aujourd’hui encore, j’évolue avec des gens plus âgés que moi. Cette mixité m’a toujours servie, elle m’a permis d’avoir des exemples et de chercher à me surpasser.
Est-ce que tu penses que ça a pu avoir un impact sur ta trajectoire de joueuse, que ça t’a fait mûrir plus vite sur le terrain ?
Oui bien sûr, parce qu’à chaque fois, il a fallu que je m’adapte, que je m’adapte en côtoyant des gens plus âgés, que je m’adapte à ce qu’ils disent, à ce qu’ils pensent, que je m’adapte à des physiques un peu plus grands que le mien. Pour ma part, j’ai toujours eu des facilités à m’intégrer et ça s’est fait naturellement à chaque fois.
Le fait d’être surclassée pendant toute ta progression dans les catégories jeunes, est-ce que ça a donné un côté « sérieux » à ta pratique et fait du handball très vite plus qu’un simple jeu ?
Oui, c’est sûr. J‘ai vite compris lorsque je suis arrivée dans les catégories d’âges – de 14 ans, – de 16 ans, que mon envie était toujours de gagner, que j’étais toujours la première à être sur le parquet. Il était naturel pour moi de chercher à performer et non pas seulement à m’amuser parce que je détestais perdre et je pense que ça m’a fait prendre conscience que j’étais faite pour le haut niveau ou, du moins, pour la performance.
En 2017, après presque une décennie à Beaune, tu t’engages avec Chevigny Saint Sauveur. Dans le même temps, tu intègres le Pôle Espoirs de Besançon. Tu as 14 ans et tu quittes ta famille, tes repères pour le hand. Comment ça s’est passé ?
On m’avait souvent dit de faire les tests en vue d’intégrer le pôle et j’avais très envie d’y aller. Mes parents m’ont suivie, nous sommes allés à Besançon et à Dijon pour faire des tests physiques, des tests handball… Tout s’est bien passé et j’ai pu choisir dans quel pôle je souhaitais continuer mon parcours. J’ai pris la décision d’aller à Besançon qui était peut-être plus loin de chez moi, mais aussi plus fort. Aller à Dijon m’aurait obligée à changer de nouveau en début de première et je n’avais pas envie de changer plusieurs fois d’école.
Tu l’as vécu comment ce déracinement ?
C‘était un sacrifice, mais un sacrifice positif. Il y avait des jours durant lesquels c’était très facile, d’autres plus difficiles parce ce que je suis très famille, très proche de mes parents et de mes grands-parents. Je n’ai jamais regretté mon choix même si j’étais loin d’eux, même si parfois je loupais des réunions de famille quand bien même je rentrais le week-end. Le départ, le dimanche soir, était toujours un peu compliqué mais une fois sur place, j’étais heureuse, je faisais ce que j’aimais et rien ne pouvait m’atteindre.
Quand le hand devient la priorité, que les exigences physiques et de résultats changent, est-ce qu’il est facile de garder la passion qui t’a nourrie jusqu’à présent intacte ?
Ce n‘est pas facile de garder tous les jours la passion intacte quand le hand devient, en quelque sorte, notre job. Malgré tout, même si le fait de pratiquer quotidiennement induit des notions de performances, d’excellence, lorsque l’on a un ballon dans les mains et que l’on fait ce que l‘on aime, la passion perdure. Certains jours, il m’arrive de me demander pourquoi je fais ça, pourquoi tous ces sacrifices, ces efforts, durs au quotidien, mais je sais que le hand est pour moi très important et ce, depuis toute petite, alors j’accepte, sachant que c’est là aussi finalement un challenge à relever.
À cette époque, tu commences à évoluer en qualité de demi-centre, toi qui occupais plutôt le poste d’arrière ou de gardienne. Comment s’est fait cette évolution et est-ce que la transition a été facile à gérer ?
Tout s’est fait plutôt facilement. Je jouais déjà un peu demi-centre avant ça et, peu à peu, on m’a dit que j’allais passer exclusivement à ce poste parce que les arrières sont souvent grandes et physiques alors que moi, je suis plutôt petite. Concrètement, la situation n’a pas beaucoup changé, en matière de mouvements notamment. Ça s’est fait facilement et j’étais très heureuse d’occuper ce poste.
Trois ans après avoir rejoint Chevigny Saint Sauveur, tu mets le cap sur Bourg-de-Péage. C’est avec ce club que tu vas faire tes débuts en D1. Comment est-ce que les dirigeants péageois t’ont repérée ?
Quand on arrive à la fin du pôle espoir, on est généralement contactés par les centres de formation des équipes de D1. Normalement, tu passes deux ans en centre de formation et après, soit on te prolonge, soit tu es signé en professionnel, soit tu es lâché. Moi j’ai été contactée par plusieurs clubs mais Bourg-de-Péage m’a proposé de me prendre un an au centre de formation et de passer ensuite directement chez les pros. Pour moi, le choix était clair : j’allais pouvoir jouer en professionnel directement après mon pôle et c’est comme cela qu’à 17 ans, j’ai foulé les parquets D1.
On a l’impression que tu ne ressens jamais de pression…
Non, moi ce que je veux, c’est jouer. Si on intègre un centre de formation dans un grand club, on s’entraîne de temps en temps avec le groupe pro et on joue souvent en Nationale 1 pendant deux ans. Là, j’avais la possibilité d’être tout le temps avec le groupe pro et d’être derrière une joueuse qui s’appelle Marta Mangué et qui est l’une des meilleures demi-centres d’Espagne.
Tu te souviens de ton premier match en D1 ?
Oui, c’était incroyable ! Je ne peux pas décrire avec précision les émotions que j’ai ressenties mais ce que je sais en revanche c’est que cette aventure avec Bourg-de-Péage, je m’en souviendrai toujours car être, à 17 ans, sur un parquet de LFH, c’est très rare.
Tu vas rapidement bénéficier d’un temps de jeu plus important qu’espéré en raison de la blessure d’une de tes coéquipières. Tu termines ta première saison avec 57 buts en 15 matches, ce qui va te valoir de signer ton premier contrat pro avec le club drômois et ce, pour une durée de deux saisons.
Quand j’ai appris que ma coéquipière était blessée, ça a été beaucoup de stress car je savais que j’allais être titulaire et que désormais, il allait falloir tout donner. D’un autre côté, comme j’étais nouvelle, les gens ne savaient pas trop à quoi s’attendre et c’est ce qui m’a permis de marquer beaucoup de buts. Cette expérience m’a permis de grandir très très vite sur un terrain.
Est-ce qu’au terme de cette première saison, tu as revu tes ambitions sportives à la hausse ?
Non, pas forcément, je savais où je voulais aller et dans quoi je souhaitais m’embarquer, à savoir : jouer dans les meilleurs clubs et être en équipe de France. Je n’avais aucune idée concernant la temporalité, mais les objectifs étaient ceux que je nourrissais depuis le début et ils n’avaient pas changé.
Tu évoques l’équipe de France. C’est avec elle que tu remportes le bronze des Europe en catégorie moins de 20 ans en 2021. Ta prestation XXL durant le tournoi – tu marques 39 buts – te vaut d’être élue meilleure demi-centre de la compétition par l’EHF. Est-ce que tu peux revenir sur les débuts de ton parcours en bleu ?
Que ce soit en cadettes, juniors ou jeunes, j’ai toujours fait beaucoup de stages, puis il y a eu les compétitions. J‘ai gagné deux médailles de bronze aux Championnats d’Europe, l’or aux Jeux Olympiques des jeunes, j’ai eu un mondial COVID et une 13e place ensuite et j’ai été élue deux fois meilleure demi-centre. Ce parcours en équipe de France jeune a été incroyable. Ces sélections ont toujours été importantes pour moi. L’équipe de France jeune c’est le passage obligatoire si l’on veut espérer porter un jour le maillot chez les grandes et puis l’équipe de France, c’est quelque chose de très beau et qui a beaucoup de sens.
À partir de 2022, le temps s’accélère. Ton club, Bourg-de-Péage connait de grosses difficultés financières et, un an avant la fin de ton contrat, tu es transférée à Nantes. Ce départ avant terme est une décision conjointe prise avec tes dirigeants. Ça a été facile ou pas de partir avant la fin de ton contrat et de laisser ce club qui t’a révélée ?
Ça a été difficile dans le sens où, à 19 ans, il est peu commun de vivre un dépôt de bilan, mais il a fallu que ça m’arrive. Aller à Nantes a été assez logique car il y a eu une proposition de rachat de contrat entre les deux clubs. Moi, je voulais partir parce que Bourg-de-Péage n’avait malheureusement plus d’équipe, j’ai pris ça comme un nouveau défi même si j’étais très triste de quitter mon premier club pro et que j’aurais aimé l’emmener au plus haut niveau. Je pense qu’il ne faut pas oublier d’où l’on vient, par où on est passé mais il y a des situations contre lesquelles on ne peut pas lutter.
En septembre, tu fais tes débuts avec le maillot bleu en équipe A à l’occasion de la préparation pour le Championnat d’Europe. Tu te souviens du moment où tu as appris la nouvelle ?
J‘étais en train de faire ma sieste ! Je voulais dormir, je suis allée voir mes mails juste avant et c’est là que j’ai vu cette convocation. C‘était une surprise incroyable pour moi, j’étais très heureuse. Tout cela était forcément très excitant, c’était encore un nouveau défi à relever. Entrer dans cette équipe de France A était mon objectif et de l’avoir atteint si tôt a été assez fou.
Tu ne seras pas de la partie lors des matches amicaux face à l’Allemagne mais tu es sur la liste de celles retenues pour disputer le dernier match de prépa, ça se passe le 30 octobre à Nantes, en face il y a la Pologne et une victoire 30 à 19. Quels souvenirs gardes–tu de ce baptême du feu ?
C’était dingue parce que ça se passait à Nantes, que j’y jouais et qu’il y avait toute ma famille et tous mes potes dans les tribunes. C’était une première sélection rêvée parce qu’on sait que le public nantais est incroyable et que j’inscris, il me semble, mon premier but devant mes proches. J’avais des étoiles dans les yeux, ça a été un moment magique qui m’a bien préparée pour la suite.
La suite, c’est la campagne continentale, tu ne disputeras qu’une seule rencontre, face à l’Espagne, c’est le dernier match du tour principal et il n’y a pas d’enjeu à proprement parler. Même si ce sont les débuts, dans quel état d’esprit est-on quand on participe à un rendez-vous de cette ampleur mais que l’on n’est pas encore assurée d’être vraiment dans les plans du sélectionneur ?
C‘était à la fois une expérience incroyable mais dure également parce que, quand on est athlète de haut niveau et quand on est dans une compétition comme celle-ci, on a envie de jouer, on a envie d’apporter le petit truc qui va aider l’équipe. Malgré tout, je ne l’ai pas mal pris. Jouer un match et pouvoir rentrer dans cette compétition était déjà extraordinaire, ça m’a permis de beaucoup regarder, de beaucoup apprendre, d’assimiler plein de choses, ce qui a été bénéfique pour les rendez-vous d’après.
Ta revanche, si revanche il y a, tu vas la prendre lors des Mondiaux de 2023. La finale oppose la France à la Norvège, la fin de match est tendue et tu délivres tes coéquipières en marquant les quatre derniers buts pour remporter la mise 31 à 28, le tout en jouant arrière droite cette fois. Avec le recul, tu arrives à mettre des mots sur ta performance ?
Pour ce Mondial, j’étais dans le groupe et j’avais joué tous les matches. J’étais seconde sur le poste d’arrière droite et cette finale a été un vrai révélateur. Je pense que je n’arriverai jamais à mettre des mots sur ce qui s’est passé au cours de ce match, c’est juste que j’ai vu des situations et je n’ai pas eu peur d’y aller. Je crois que c’est la première fois qu’il m’arrivait de ne pas me poser de questions sur un terrain, ça a été bénéfique pour toute l’équipe et je suis très fière de l’avoir fait.
Tu as 20 ans, tu es championne du monde et tu t’inscris dans la belle histoire de cette équipe de France, triple championne du monde, championne d’Europe et championne olympique. Est-ce que tu te sens une responsabilité par rapport à ce groupe ?
Oui, d’un certain côté, bien sûr. Mais pour aller en équipe de France, il faut toujours se battre, toujours être performante et aujourd’hui, c’est ça mon premier objectif : ne pas se dire que tout est acquis mais qu’il faut encore travailler pour garder cette place car je ne suis pas la seule à vouloir jouer en bleu.
Tu seras également de la partie lors des Jeux de Paris. Elle représentait quoi pour toi cette compétition ?
J’imaginais que ça devait être dingue comme expérience ! Avant 2022, je ne pensais pas qu’aller aux Jeux de Paris serait possible. J’en avais envie mais ça me paraissait impossible tout de suite. Puis, fin 2022, début 2023, comme j’avais fait quelques stages avec l’équipe de France, je me suis dit que ça pouvait peut-être le faire et qu’il fallait que je me bouge les fesses pour en être.
Cette première expérience olympique se conclue avec une médaille d’argent mais elle est associée à des souvenirs un peu douloureux : il y a d’abord ta blessure à un doigt pendant le tournoi et puis l’annonce du dépôt de bilan de Nantes, ton club. C’est la deuxième fois que tu vis cette situation. On se dit quoi dans ces cas-là ? Que l’on est maudite, que l’on joue de malchance ?
C‘est sûr que je me suis dit : « Ça fait ch… ». C’est une nouvelle que tu n’as pas envie d’apprendre, encore moins pendant un tournoi. Malgré tout, je m’étais un peu préparée à ce que la situation avec Nantes se finisse mal parce que des bruits couraient à ce propos depuis quelques mois. J’ai réussi à ne pas ne pas trop y penser pendant les Jeux, à positiver en me disant que tout allait se régler et que j’allais réussir à rebondir.
Tu rebondis à Metz, place forte du handball féminin français avec, en ligne de mire, la ligue des champions. Tu étais courtisée par des clubs étrangers également. Pourquoi avoir choisi Metz ?
La première chose c’est que, en l’espace de deux semaines, on n’a pas vraiment le temps de choisir d’aller à l’étranger, c’est trop compliqué, il y a trop de paperasse et puis, je savais que Metz était le meilleur club de France. C’est un club familial, un club qui me correspond, je savais que j’y serais bien et que je serais, qui plus est, pas loin de mes proches. C’est un cran au-dessus de ce que j’ai connu jusqu’à présent : on joue la Ligue des champions, on se déplace tout le temps, le rythme est dingue, mais la passion est là avec un objectif : la gagner et l’envie de tout donner pour.
En parallèle, cette saison, tu as endossé une nouvelle casquette, celle d’ambassadrice auprès de MGEN qui s’engage en faveur du sport féminin et développe un programme pour inciter les filles à faire du sport. T’engager pour ton sport et qui plus est, pour le sport féminin c’était une envie de longue date ?
Le sport féminin est un domaine dans lequel il y a beaucoup de choses à faire. J’étais déjà bien engagée en ce qui concerne le sport amateur féminin avec mes anciens clubs. Je rends notamment souvent visite à Chevigny en ce moment, je trouve qu’il est important de leur rendre ce qu’ils m’ont donné. Être ambassadrice de la MGEN sur le sport féminin amateur avait du sens : je sais d’où je viens et ce que je dois à ces clubs, c’est donc une continuité pour moi. Il y a encore trop peu de marques qui s’engagent sur le sujet, j’ai envie de montrer que c’est possible et que le sport féminin peut encore progresser.
Ouverture ©Léna Grandveau/Facebook
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