Laure Coanus« Si j’arbitre aujourd’hui à haut niveau, c’est parce que j’ai prouvé que je méritais ma place. »

Laure Coanus
Ses premiers rebonds, elle les a faits à l’âge de 6 ans. Aujourd’hui, la voilà arbitre de Jeep Elite, Pro B et Ligue Féminine de Basket (LFB). Pour Laure Coanus, rien de plus normal : femme ou non, elle affiche son efficacité, ses compétences et sa confiance en elle sur le terrain. Alors, qui l’aime la suive !

Par Sophie Danger

Publié le 09 mars 2021 à 19h37, mis à jour le 13 avril 2023 à 16h05

La Poste vient de lancer une grande campagne digitale avec, pour thème, l’arbitrage et la parité dans les 4 sports les plus pratiqués en France, le basket, le hand, le foot et le rugby.

En qualité d’arbitre de Jeep Elite, Pro B et de Ligue Féminine de Basket, tu y participes. Quel regard portes-tu sur cette initiative ?

Le contexte actuel fait que les femmes occupent de plus en plus de postes à responsabilités dans la société, que ce soit dans le milieu de l’entreprise ou dans le milieu du sport.

On se rend compte à présent qu’il y a de plus en plus de femmes dirigeantes ou sportives de haut niveau. C’est le cas aussi pour l’arbitrage. On voit désormais des femmes faire carrière et je pense que c’est important de les mettre en lumière, de les valoriser.

Malheureusement, il y a plus d’hommes que de femmes et ce pour les raisons que l’on connaît – la médiatisation – mais je pense qu’il est bien de mettre un coup de projecteur sur les deux, femmes et hommes.

©Christophe Canet

Quels sont, selon toi, les freins actuels à la parité et comment y remédier ?

Lorsqu’on commence l’arbitrage au niveau départemental, il n’y a que 25 % de femmes arbitres. L’arbitrage est un système pyramidal donc, de fait, la part de femmes – même si elle tend à augmenter depuis quelques années – va diminuer au fur et à mesure que l’on grimpe les échelons. Au haut niveau, il n’y a plus que 12 % de femme.

Je pense que pour remédier à cette situation, il faut inciter les filles à arbitrer, tout simplement. Il est vrai que l’idée d’arbitrer peut faire peur aux femmes plus qu’aux hommes parce que les femmes, par nature même si je n’aime pas cette expression, se montrent parfois plus timides.

De fait, pour certaines il peut être plus compliqué de diriger les rencontres masculines, mais c’est juste une idée reçue, tant que l’on a pas essayé, on ne sait pas si on en est capable ou pas !

©DR

Qu’est-ce qui peut sembler si angoissant à l’idée d’arbitrer une rencontre masculine pour une femme ? Le contact verbal, physique… ?

Personnellement, je n’ai jamais rencontré ces difficultés-là. J’ai eu la chance de ne jamais avoir été confrontée à des préjugés sexistes, de ne jamais avoir été dénigrée en tant femme arbitre (sauf une ou deux fois venant du public).

Malgré tout, je fais de la formation auprès de jeunes arbitres, et plus particulièrement des arbitres femmes, et elles me parlent des difficultés qu’elles peuvent rencontrer le week-end. Je leur explique que, si on veut se protéger de ces idées reçues, il faut être performantes sur le terrain et ça passe par le travail.

Au final, il faut que tous les acteurs du match oublient que l’on est une femme. Pour eux, un arbitre homme ou femme, ils s’en moquent du moment que le match est bien arbitré.

©Mathieu Metivet

En somme, il faut connaître son sujet pour ne pas qu’il y ait de contestation possible ?

Oui, c’est ça. Il faut également être sûre de soi. Dans les catégories professionnelles notamment, il peut être intimidant d’arbitrer des hommes qui font 2 mètres et plus, d’arbitrer des rencontres dans lesquelles évoluent des coaches et des joueurs emblématiques qui ont, pour certains, beaucoup de charisme.

C’est alors à nous de nous affirmer sans être, non plus, dans la sur-affirmation de soi. Il faut trouver un juste milieu et montrer que, si on est là, c’est que l’on mérite notre place, tout comme nos collègues masculins. 80 % de notre communication passe par le non verbal, c’est ce que nous appelons le « body language » chez les arbitres.

Plus nous renvoyons l’image de quelqu’un de sûr de soi, moins nous laisserons la chance à la contestation. Quoi qu’il en soit, il faut faire le moins d’erreurs possible sur le terrain.

Cette campagne « arbitrage et parité » relaie une étude d’opinion qui indique que 94 % des Français sont favorables à la féminisation du corps arbitral. C’est un chiffre qui te surprend ?

Oui, c’est surprenant. On voit que les Français ont envie de voir plus de femmes dans le corps arbitral, les mentalités sont prêtes à évoluer.

L’égalité homme-femme est devenue un sujet de société et nous sommes malheureusement encore trop à la traîne là-dessus.

 

Cette volonté de féminiser la profession, est-ce que tu la ressens dans ta pratique ?

Tendre vers une parité homme-femme arbitre serait un rêve et, surtout, que l’on ne fasse plus de différence de genre. Mais ça prendra encore beaucoup de temps.

Il faut, pour cela, qu’il y ait davantage de femmes qui débutent dans l’arbitrage. Avec une proportion de femmes plus importante à la base, elles seront naturellement plus nombreuses au haut niveau.

©Laurent Peigue

Et avec les arbitres masculins, comment se passe la cohabitation sur le terrain ?

Tout comme avec les joueurs et le coach, il faut montrer que nous avons notre place dans le trio arbitral. Il faut que l’on en soit totalement actrice. Nous devons parler de nos attentes, exprimer ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas avant et pendant le match, mais aussi après, lors du débriefing vidéo.

Personnellement, lorsque je ne suis pas d’accord avec un collègue, je le lui dis en mettant les formes. Beaucoup de mes collègues masculins sont bienveillants, d’autres peuvent, parfois, se montrer un peu moins « accueillants ».

Ceux-là sont rares, mais il ne faut pas oublier que nous sommes en concurrence directe malgré tout : à la fin de l’année, il y un classement et certains montent ou sifflent les playoffs, d’autres restent et d’autres encore redescendent dans la division inférieure.

 

Est-ce qu’une femme arbitre apporte quelque chose de différent sur un terrain ? Moins de contestation peut-être ?

Un joueur sera peut-être plus respectueux dans sa façon de parler à une femme qu’à un homme. Aujourd’hui, avec l’émergence de tous les mouvements comme #Metoo, les gens semblent faire plus attention à la façon dont ils parlent aux femmes et ça s’applique probablement aussi au milieu du sport.

Il est vrai cependant que, lorsque les coaches et les joueurs nous voient pour la première fois, nous sommes plus remarquées parce que nous sommes des femmes et que nous sommes peu nombreuses.

Comme tous les arbitres, nous sommes « testées » et il faut savoir répondre positivement à ce test. Nos premiers matchs ne sont jamais parfaits lorsqu’on arrive dans une division.

Il faut montrer que l’on fait sa place doucement, mais surement, que l’on ne veut pas s’imposer comme le nouveau cador de la division.

Si l’on fait son travail dans ses zones de responsabilités, c’est un grand pas de franchi pour ce qui est de l’acceptation d’une femme sur le terrain, du moins en ce qui me concerne. Cela passe clairement par la compétence avant tout.

Sarah Thomas, qui a récemment arbitré le Superbowl expliquait qu’à ses débuts, on lui avait demandé de cacher tout signe de féminité. Ses cheveux devaient être ramassés sous une casquette, elle n’avait pas le droit d’être maquillée…

Est-ce que l’on doit impérativement s’oublier en tant que femme lorsque l’on veut arbitrer ?

Je pense qu’il y a deux points de vue et le mien est d’être la plus naturelle possible. Je ne suis jamais allée sur un terrain de basket maquillée et ce aussi bien en tant que joueuse, qu’en tant qu’arbitre. Pour moi, on n’est pas là pour faire un « défilé ».

Je suis d’avis d’être la plus sobre possible et ça passe par éviter de se maquiller, si on a des boucles d’oreilles, on les enlève, si on a des bagues, on les enlève… tout comme les joueurs finalement.

J’ajouterais que nous devons nous entretenir physiquement de façon régulière, pour montrer que nous sommes aussi des sportives.

Il ne faut pas oublier que nous arbitrons des professionnels qui s’entraînent avec rigueur toute la semaine. Mais quand nous partons de l’hôtel jusqu’à la salle, c’est tenue correcte exigée et c’est à ce moment-là que notre féminité peut s’exprimer.

Pour autant, évitons le cliché talon haut et jupe courte !

 

En Jeep Elite, vous êtes 3 femmes sur un total de 41 arbitres à pouvoir officier en 1ere division. Est-ce que tu t’en satisfais ou est-ce que tu espères des renforts ?

Je pense que c’est avant tout la compétence qui doit primer. Si on veut recruter des femmes juste pour remplir des quotas, sans que le niveau de compétence soit présent, on se tire une balle dans le pied.

On risque alors d’entendre des discours du genre : “On nous met des femmes arbitres, ça se passe toujours mal“ et on risque que ce discours se généralise.

Mais je suis fière de faire partie de ce groupe en tant que femme et j’espère pouvoir en faire pleinement partie prochainement, puisqu’aujourd’hui je suis entre la pro B et la Jeep Elite dans un groupe intermédiaire.

©Christophe Canet

Il vous arrive, toutes les trois, de vous retrouver sur un même match ? Est-ce que vous échangez entre vous sur des difficultés que vous pouvez rencontrer dans votre pratique ?

C’est drôle parce que j’ai sifflé pour la première fois sur un match avec Audrey Secci, qui est, il me semble en Jeep depuis 5-6 ans, seulement la semaine dernière alors que cela fait depuis 4 saisons que nous aurions pu avoir cette possibilité-là. J’ai eu d’avantage l’occasion de siffler avec Marion Ortis et nous échangeons régulièrement.

Mais lorsque je ressens des difficultés, liées à ma fonction d’arbitre, je m’ouvre davantage à une collègue espagnole, Yasmina Alcaraz, que j’ai rencontrée à l’occasion d’un stage FIBA, il y a environ deux ans.

Nous nous sommes tout de suite bien entendues. Nous nous sommes retrouvées toutes les deux à arbitrer la 1ère division masculine de nos pays respectifs au même moment et nous partageons beaucoup nos expériences au quotidien. Nous parlons de situations techniques purement arbitrales et parfois aussi de notre statut de femme arbitre, de notre rôle.

Yasmina a plus d’expérience que moi dans l’arbitrage et son point de vue est toujours intéressant lorsque l’on débat d’une situation, ça m’aide énormément à me remettre en question. Nos échanges sont hyper constructifs.

C’est peut-être plus facile de « libérer » la parole avec des personnes avec qui nous ne sommes pas en concurrence directe. Elle est surtout devenue une amie en qui j’ai pleinement confiance.

©DR

Il y a des différences de traitement quand on est femme arbitre en France ou quand on évolue en Espagne ?

C’est à peu près pareil, je pense que nos deux pays en sont au même niveau concernant la place des femmes dans l’arbitrage. Elles, elles ne sont que 2 en ACB, tandis que nous sommes 3 en Jeep Elite.

 

Des actions ont été mises en place par les instances gouvernantes du sport pour favoriser la féminisation de l’arbitrage, c’est le cas notamment en basket avec des formations spécifiques à destination des femmes. Est-ce que tu en as bénéficié ?

Je ne me suis jamais inscrite à ces formations car je n’en éprouvais pas le besoin. De plus, lorsqu’elles ont été mises en place, j’accédais au haut niveau or ces formations sont à destination des arbitres régionaux et de championnat de France.

Personnellement, j’ai eu la chance d’être formée dans un pôle espoirs en tant que joueuse, ce qui m’a beaucoup aidé pour comprendre le jeu et à progresser rapidement dans ma fonction d’arbitre.

C’est d’ailleurs ce parcours qui m’a permis, je pense, d’accéder assez rapidement au haut niveau. Quoi qu’il en soit, depuis quelques années, il y a une politique de féminisation des arbitres et je pense que cette initiative m’a aidée à accéder plus rapidement au haut niveau.

Mais si, en six ans d’arbitrage, je me suis retrouvée au haut niveau c’est aussi parce que j’ai prouvé que je méritais ma place. Je n’ai pas fait que « profiter d’être une femme » et j’ai toujours redoublé d’efforts pour montrer que j’ai la compétence d’être où je suis et je me remets en question au quotidien pour continuer à progresser.

Tu sembles toujours avoir à cœur de prouver que tu mérites ta place…

C’est un des sujets sur lesquels je travaille avec ma préparatrice mentale depuis l’an passé. À ce moment-là, je commençais à douter de mes compétences et elle m’a dit d’arrêter de penser comme ça, elle m’a dit que si j’étais là, c’était parce que je le méritais, que j’avais le droit d’avoir des coups de moins bien et qu’il fallait les accepter.

C’est peut-être mon côté un peu trop perfectionniste, mais j’ai envie de montrer à tous les acteurs du sport que l’arbitre travaille beaucoup au quotidien.

Les gens ne se rendent pas forcément compte de tout ce que l’on fait en amont de chaque saison, de chaque match, après chaque match, mais également chaque jour avec de la préparation physique, la révision du code de jeu.

C’est important pour moi de mettre ce mot “travail“ au centre de mon activité d’arbitre. Je ne me dis pas : “Je suis arrivée en première division, maintenant je peux me reposer sur mes lauriers“, il faut prouver que l’on mérite sa place dans le temps.

 

Pour en revenir aux formations à destination des femmes, tu penses qu’elles sont nécessaires ?

Je pense que ça peut aider celles qui ont besoin d’un coup de pouce pour s’affirmer en tant que femme arbitre. Au départ, je pensais qu’il fallait que l’on pratique au même titre que les hommes, dans les mêmes stages et que l’on entende tous le même discours.

Mais je me suis rendue compte, en intervenant sur un stage réservé aux arbitres féminins au mois de décembre, que ce qui n’était pas un besoin pour moi l’était pour celles qui souhaitent avoir plus confiance en elles, entre autre.

Lors de ces stages, elles attendent les clefs pour s’affirmer, prendre conscience de leur potentiel. Elles peuvent également partager leurs expériences et s’aider mutuellement face aux difficultés qu’elles peuvent rencontrer sur les terrains.

Ces formations à destination des femmes servent, notamment, à aborder du contenu technique, mais il y a également une partie dédiée au développement personnel.

J’espère que ces stages spécifiques pour les arbitres féminins combinés aux stages avec les collègues masculins, leur permettront d’accéder un jour au haut niveau.

©DR

Que dirais-tu aux jeunes filles qui souhaitent se lancer ?

Je leur dirai qu’il faut oser mettre le premier coup de sifflet, oser mettre la tenue d’arbitrage, oser se former, oser aller vers quelque chose d’inconnu parce que ce n’est pas naturel de devoir diriger, connaître des règles et les appliquer sur un terrain de basket. Il ne faut pas avoir peur de se tromper car au début, forcément, il y a des erreurs mais plus on pratique, moins il y en a.

Je leur dirais également que devenir arbitre permet de développer beaucoup de compétences que l’on peut appliquer au quotidien dans notre vie. Yohan Rosso a dit un jour que « l’arbitrage est une école de la vie », je suis assez d’accord avec lui.

Enfin, je leur dirais aussi qu’il faut avoir confiance en soi et arrêter de se mettre des barrières.

Pour résumer, il faut se dire que, si les hommes peuvent le faire, pourquoi on ne pourrait pas le faire nous aussi ?

 

L’avenir, pour toi, tu le vois comment ? Quelle serait ton ambition ultime en tant qu’arbitre ?

Ce serait d’arbitrer la finale des Jeux Olympiques. Quand j’ai commencé l’arbitrage, mon rêve était de devenir arbitre internationale, rêve qui s’est transformé petit à petit en objectif.

Maintenant que je vais arriver au niveau international, les Jeux ce serait l’objectif ultime, même si je me suis fixée plusieurs objectifs intermédiaires.

Je vais encore travailler très dur pour contrôler tout ce qui dépend de mon fait afin d’atteindre chacun de ces objectifs. Je vais continuer de m’investir à 100 %.

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