« Petite, vers l’âge de 8 ans, j’ai demandé à mes parents si je pouvais faire de la danse classique. Mais c’est vraiment avec la gymnastique et la GRS que je suis entrée en club – à l’âge de 10 ans – et que j’ai fait de la compétition. La danse, c’était une activité de loisir, j’aimais le côté rythmique. À côté, je pratiquais aussi l’équitation et le vélo. Grâce à la gym, la GRS et la danse, je développais ma capacité de concentration, la coordination avec les autres, ainsi qu’une connaissance de mon corps. Aujourd’hui, avec la course à pied, ça ne me demande pas du tout le même effort mental. Mon esprit divague. Et ce n’est peut-être pas plus mal.
En gym, je faisais de la poutre et du sol et, en GRS, surtout des rubans et du cerceau. J’avais la bonne morphologie pour ces sports-là parce que je suis assez musclée naturellement et je ne suis pas très grande. Je fais 1,63 m. Pratiquer ces sports m’apportait beaucoup de fierté, de discipline, de fun, de joie ! Petite, j’avais un émerveillement général devant toutes les gymnastes. Et je pense que je l’ai encore aujourd’hui, mais je n’ai plus ce regard d’enfant, un peu naïf. Maintenant, je vois surtout la discipline, l’hygiène de vie, les effets sur la santé mentale. Cet été, par exemple, j’ai regardé le documentaire Netflix sur Simone Biles, et je pense, qu’enfant, je n’aurais pas réalisé la pression qui pèse sur ses épaules.
J’ai tout arrêté à l’adolescence quand j’ai commencé à développer mes premiers symptômes de SOPK (syndrome des ovaires polykystiques, Ndlr). J’ai eu une prise de poids inexpliquée et assez rapide donc j’ai très vite été mal dans ma peau, surtout en justaucorps. Au-delà de ça, c’était dangereux pour les articulations. Avec cette prise de poids, il y avait un risque de blessure car je n’étais plus bonne sur mes appuis. Ça a été douloureux car je voulais faire sport-études. Ceci dit, je n’ai pas de regret, ça me faisait juste mal au cœur d’arrêter une activité sportive que j’aimais, mais j’ai bien fait, ça me permettait de rester sur une note positive plutôt que de m’acharner et de partir vaincue.
À ce moment-là, à 15 ans, en plus de la prise de poids, j’ai développé une hyperpilosité, j’ai commencé à perdre mes cheveux et à subir une grosse fatigue. Ce fut un mélange d’émotions : déception vis-à-vis de moi-même, désintérêt pour la vie, douleurs psychologiques. J’étais perpétuellement en lutte contre mon corps : je faisais tout pour perdre du poids mais ça ne donnait pas de résultats, j’ai même suivi un régime délivré par un médecin nutritionniste qui avait quand même sous-entendu que je dévalisais les placards en cachette…. Et mes règles n’arrivaient pas.
Dans mon malheur, on peut dire que j’ai eu la chance d’avoir un diagnostic du SOPK assez rapidement, soit deux ans après l’arrivée des premiers symptômes. C’était l’année du Bac, ce n’était pas simple. En plus, ma maman luttait contre un cancer du sein au même moment. Autant dire que je n’avais pas du tout la tête à mes études… La pilule oestro-progestative que l’on m’avait prescrite me soulageait quand même et j’ai vu mon poids se stabiliser, mes cheveux repousser etc… Un an après le bac, je partais aux Etats-Unis et je démarrais ma vie d’étudiante.
Je n’avais pas pris la mesure de ce que j’avais à l’époque. J’avais cependant bien noté qu’il serait peut-être compliqué d’avoir des enfants. Mais le SOPK est une maladie endocrinienne chronique et évolutive qui touche une femme sur sept dans le monde et dont les causes sont génétiques, épigénétiques et environnementales. On n’avait pas tous ces éléments lorsque j’ai été diagnostiquée, en 2005. Les symptômes : des signes d’hyperandrogénie, perte ou prise de poids inexpliquée, infertilité dû à des cycles anovulatoires, irréguliers, ou aménorrhée. C’est une maladie pour laquelle, aujourd’hui encore, il n’y a pas de traitement dédié.
Pendant ces années d’études, psychologiquement, ce n’était pas simple. Démarrer sa vie de femme avec un SOPK, ça m’a fragilisée. C’est le corps qui nous échappe totalement. Alors, il faut arriver à lâcher prise, mais c’est tout un travail… La santé mentale des patientes diagnostiquées, c’est un vrai sujet. Et ça l’a été pour moi. J’avais toujours eu un rapport plutôt sain à mon corps mais, après le diagnostic, je lui en ai beaucoup voulu. D’autant qu’à mes 25 ans, j’ai à nouveau eu une prise de poids inexpliquée. J’ai alors changé de traitement et je suis passée dans un hyper-contrôle : j’étais cette patiente qui aurait fait n’importe quoi pour aller mieux. C’est à cette époque que le sport d’endurance est entré dans ma vie.
J’étais en train de développer une résistance à l’insuline, c’est mon médecin qui m’a conseillé de reprendre le sport. J’ai démarré par la marche, parce que je me voyais mal faire de la course à pied dont j’avais de très mauvais souvenirs au collège. Je mettais de la musique dans mes oreilles et j’allais marcher, parfois en ville, parfois en forêt. Et j’ai eu la sensation de me reconnecter à une partie de moi, celle que j’aimais bien. Sans doute le fait de retrouver cette discipline du sport : je me sentais mieux, je dormais mieux et je retrouvais la confiance qui me faisait défaut. Et puis, à force de marcher, et de marcher de plus en plus vite, je me suis dit : « Et si j’essayais de courir ? ». Je me suis alors mise au programme qui permet de passer de son canapé à un 5 km ! J’ai trouvé ça très efficace. Je me suis même inscrite à une course de 5 km. Ça a marché. Je me suis dit : « Bon, je vais essayer de faire 10 km ». Je me suis inscrite en club, j’ai fait du semi-marathon puis du marathon. C’était un peu une revanche à prendre sur la vie : « Ok, j’ai eu le SOPK, ça a foiré ma vie, mais je vais quand même courir le marathon ».
Ce que j’aime avec la course à pied, c’est que ça devient un peu notre identité. Je ne me voyais plus comme une nana avec une maladie chronique qui doit faire du sport pour améliorer son état. Je me disais : « Je suis en train de redevenir une sportive ». Maintenant, ce n’est même plus une contrainte, c’est entré dans mes habitudes. C’est devenu addictif ! Ce qui me plaît dans l’expérience des marathons, c’est toute la préparation que ça demande en amont. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on dédie huit semaines minimum à ça : run quatre fois par semaine, renforcement musculaire, pas une goutte d’alcool, préparation mentale.
Parmi les quatre marathons que j’ai courus, le plus beau pour moi a été le marathon de la route du Louvre, dans le Nord de la France. Plusieurs de mes collègues et moi avons participé aux courses pour SOPK Europe, l’association dédiée à la sensibilisation au SOPK : c’était mon quatrième marathon et j’avais les prénoms de quarante-deux patientes inscrits sur les bras. Cette fois-ci, j’ai fait mon meilleur chrono. Pourtant, j’avais eu une baisse de régime au 35e kilomètre mais c’est en pensant à ces femmes que j’ai réussi à reprendre du poil de la bête. Je savais pourquoi je courais, pourquoi je luttais. Je me suis rappelée que je n’étais pas seule dans la course.
Et c’est pareil, pendant les entraînements avant marathon, il faut tenir… Je me souviens d’une fois où je luttais pour terminer mes 25 km sous la pluie… Je me suis dit que toute cette pluie en train de tomber, c’était un peu toutes les larmes que j’avais pleurées à cause de la maladie, et ça a remis du carburant dans le moteur. Après, je me suis aussi tournée vers les longues randonnées : le GR20 en Corse en 2018, un trek dans l’Atlas marocain en 2023, et plus récemment, en avril 2025, la traversée du nord de Madère à pied. Mon cerveau est sur pause dans ces cas-là, ça me relaxe énormément. Et puis, en plus d’aimer courir, je partage ce temps de sport avec des amis.
Malgré la maladie, la course à pied et les randonnées m’ont réconciliée avec mon corps : ça m’aide à l’apprécier pour ce qu’il fait et non pas pour ce qu’il est. L’activité physique aide dans la prévention des pathologies secondaires qui sont liées au SOPK. Il faut que ça plaise pour pouvoir l’installer durablement dans son mode de vie. Alors, ce que je dirais à celles qui ont un SOPK : trouvez le sport qui vous correspond, qui vous procure de la joie. Le faire pour soi, pas pour les autres, pas pour en faire absolument ou pour perdre du poids.
Il ne faut pas que ce soit la motivation première, mais plutôt celle de se réconcilier avec son corps, de retrouver une relation apaisée avec lui. »
- Emelyne Heluin est vice-présidente de SOPK Europe, 1re association française et européenne de lutte contre le SOPK (Syndrome des Ovaires Polykystiques), membre engagée du collectif Femmes de santé et membre du PEPR santé des couples, santé des femmes de l’Inserm, et accompagnatrice en entreprise sur les sujets de santé féminine et d’inclusion.
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Ouverture ©Emelyne Heluin