Rechercher

Debi Thomas4 minutes pour porter un coup fatal aux stéréotypes

Debi Thomas, 4 minutes pour porter un coup fatal aux stéréotypes
Elle a su bousculer un ordre, jusqu’alors, bien établi. En décrochant la médaille de bronze en patinage artistique à Calgary, au Canada, en 1988, Debi Thomas est devenue, à 20 ans, la première athlète noire à grimper sur un podium lors des Jeux Olympiques d’hiver. Un tour de force extraordinaire de la part de l’Américaine qui attend, depuis plus de trente ans, celle qui prendra le relais.

Par Sophie Danger

Publié le 20 septembre 2021 à 17h27, mis à jour le 08 novembre 2021 à 9h29

La grande majorité des spectateurs massés dans les tribunes de l’Olympic Oval de Calgary le savent : ce samedi 27 février 1988, c’est une page de l’histoire des Jeux Olympiques qui est en passe de s’écrire et ce, sous leurs yeux !

Un rendez-vous extraordinaire dont l’issue va se jouer entre deux protagonistes, deux femmes. D’un côté, une Américaine, Debra Janine Thomas, plus connue sous le nom de Debi Thomas, et de l’autre, une Allemande de l’Est, Katarina Witt.

Deux sportives d’exception qui, depuis trois hivers déjà, n’ont de cesse de se disputer les honneurs sur les patinoires du monde entier.

Au nombre de titres, avantage à l’Européenne. À 22 ans, celle que la presse surnomme « le plus beau visage du socialisme » a été sacrée par trois fois déjà aux Championnats du monde (1984, 1985, 1987).

La seule couronne qui lui ait échappé est celle de 1986 et c’est sa rivale de l’Ouest qui s’en est emparée.

En cas de succès au Canada, Witt, championne olympique sortante, pourrait non seulement prendre sa revanche sur Thomas mais également s’inviter dans les traces de la Norvégienne Sonja Henie, seule patineuse à avoir réussi le tour de force de conserver le titre suprême.

« Le plus beau visage du socialisme » alias Katarina Witt

Debi Thomas, elle aussi, joue gros. La native de Poughkeepsie, dans l’État de New York, 20 ans, patine depuis ses 5 ans, mais s’est révélée il y a deux ans à peine sur la scène US.

Première Afro-Américaine de l’histoire sacrée championne des Etats-Unis en patinage artistique, elle a confirmé, dans la foulée, son immense talent en mettant le monde à ses pieds… aux dépends de Witt !

Une place dans le trio de tête à Calgary lui permettrait d’asseoir un peu plus sa légende naissante en devenant la première sportive noire, toutes disciplines confondues, à remporter une médaille olympique aux Jeux d’hiver.

L’enjeu est phénoménal, la pression plus encore. Malgré tout, Debi Thomas est confiante. Des mois qu’elle s’entraîne pour cette échéance aux côtés d’Alex McGowan, le coach de toujours, et de Robin Cousins, champion olympique en 1980.

Une aventure à laquelle ont également participé l’immense Mikhail Baryshnikov, considéré comme l’un des plus grands danseurs de tous les temps, et George de la Pena, l’un de ses chorégraphes.

Un cocktail détonnant qui lui a permis de prendre, d’emblée, la première place du classement général.

En tête sur Witt à l’issue des figures imposées et du programme court, l’Américaine n’est plus qu’à quatre minutes du sacre suprême.

Quatre minutes ! Une poignée de secondes fugaces ou une éternité, c’est selon, qu’elle s’apprête à égrener sur un air d’opéra, le somptueux Carmen de Bizet.

Ironie du sort, sa concurrente s’est entichée du même morceau. La faute à pas de chance. Le public de Calgary aura donc droit à deux Andalouses. Les neuf juges également.

C’est Witt, programmée en avant-dernière position, qui donnera le « la ». Debi Thomas, elle, fermera le bal.

La prestation de la Berlinoise est à la hauteur de l’évènement. Envoutante, ensorcelante, elle réalise un quasi sans-faute. Un triple boucle piqué devenu double à déplorer, pas plus.

Debi Thomas, qui a assisté à la démonstration, sait qu’elle a les ressources pour aller la chercher. Moins charmeuse peut-être, mais bien plus athlétique et surtout, tout aussi guerrière. Du moins jusqu’à ce soir de février.

Le passage de Witt l’a ébranlée. Au moment de pénétrer sur la glace, elle semble ailleurs, perdue dans ses pensées. Première combinaison, premier couac. La réception est hésitante, mais la protégée d’Alex McGowan se reprend.

L’or olympique est encore à portée et elle tente, vaille que vaille, de poursuivre son récital. Avant de trébucher de nouveau. Deux faux-pas au total qui vont rapidement devenir quatre.

Désespérée, Debi Thomas n’y est plus. Et la tant attendue « bataille des Carmen » va finalement tourner court. Quatrième du programme libre, l’Américaine doit se contenter du bronze derrière Witt et la Canadienne Elizabeth Manley.

Une contre-performance qui lui vaut néanmoins d’entrer de plain-pied dans l’Histoire et de sa discipline et des Jeux Olympiques.

Première athlète noire à s’inviter sur le podium d’une discipline qui, jusqu’alors, n’avait sacré que des athlètes blancs, Debi Thomas, Carmen malheureuse, a réussi le tour de force immense de porter un coup fatal aux stéréotypes.

Et si, depuis elle, aucune autre patineuse noire n’est parvenue à intégrer le trio de tête olympique, l’Américaine a néanmoins permis à nombre de petites filles d’oser, enfin, pousser les portes d’une patinoire, sanctuaire qu’elles pensaient, jusqu’alors, réservé à d’autres.

Ouverture Image Source

D'autres épisodes de "Patinage, ces filles qui ne laissent pas de glace"

Soutenez ÀBLOCK!

Aidez-nous à faire bouger les lignes !

ÀBLOCK! est un média indépendant qui, depuis plus d’1 an, met les femmes dans les starting-blocks. Pour pouvoir continuer à produire un journalisme de qualité, inédit et généreux, il a besoin de soutien financier.

Pour nous laisser le temps de grandir, votre aide est précieuse. Un don, même petit, c’est faire partie du game, comme on dit.

Soyons ÀBLOCK! ensemble ! 🙏

Abonnez-vous à la newsletter mensuelle

Vous aimerez aussi…

Rallye des Gazelles : Anne et Sandra attendront encore un peu…

Elles se sont lancées un défi un peu fou : participer au Rallye Aïcha des Gazelles au Maroc, le seul Rallye-Raid hors-piste 100% féminin au monde. Elles, ce sont Anne et Sandra. Elles devaient nous faire partager leur préparation jusqu’au départ, en 2021, mais le COVID-19 est passé par là et décision a été prise de reporter d’un an. Mais ce n’est que partie remise.

Lire plus »
Benoit Beaufils 

Benoit Beaufils : « Quand j’ai commencé la natation artistique, on s’est bien foutu de ma gueule. »

Il a été un pionnier de la discipline en France. Exilé aux États-Unis depuis plus de vingt ans, Benoit Beaufils a accueilli avec une joie immense l’annonce de la participation des hommes aux épreuves olympiques de natation artistique à Paris 2024. Une occasion unique de faire évoluer le regard sur une discipline traditionnellement associée aux seules athlètes féminines. Rencontre avec un triton des bassins.

Lire plus »
Angélique Chetaneau

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Surf, yoga, course, CrossFit, athlétisme, cyclisme ou encore natation, le sport a encore une fois fait les belles heures d’ÀBLOCK! la semaine dernière…Entre témoignages de pratiquantes acharnées, histoires de sportives du passé, entretiens avec une athlète green ou une candidate à la présidence du Comité national olympique, en passant par un petit questionnaire Proustien à une championne qui envoie du lourd, on s’active grave. Et c’est pour vous.

Lire plus »
Renelle Lamotte

Rénelle Lamote, l’athlète qui fond sur Tokyo pour oublier Rio

Il y a cinq ans, au Brésil, Rénelle Lamote voyait ses ambitions olympiques réduites à néant dès les séries. Après une lente et douloureuse reconstruction, la demi-fondeuse francilienne est parvenue à renouer avec son meilleur niveau. À quelques jours de son entrée en lice aux Jeux Olympiques de Tokyo, la double vice-championne d’Europe du 800 mètres veut rivaliser avec le gratin mondial.

Lire plus »
Julie Bresset 5 infos pour briller sur deux roues

Julie Bresset : 5 infos pour briller sur deux roues

Ce 16 octobre, elle signe la fin de sa carrière sportive par un jubilé dans son fief des Côtes-d’Armor. Julie Bresset, 32 ans et presque autant sur les pédales, a (presque) tout gagné et tout connu. La vététiste bretonne, championne olympique, maintes fois championne du monde, est l’une des cyclistes les plus appréciées du circuit. Victime d’un burn-out et de blessures à répétition, elle est toujours retombée sur ses roues. Retour sur une championne en 5 braquets.

Lire plus »
Luc Arrondel « En France, le salaire moyen d’une joueuse de foot est à peu près celui d’un footballeur des années 70. »

Luc Arrondel : « En France, le salaire moyen d’une joueuse de foot est à peu près celui d’un footballeur des années 70. »

Économiste du sport, directeur de recherche au CNRS, Luc Arrondel s’est penché sur l’aspect business du football et plus particulièrement du foot féminin. Son livre « Comme des garçons ? » propose de mieux comprendre son essor et ses opportunités dans notre pays où la discipline conjuguée au féminin en est encore à ses balbutiements.

Lire plus »
Marguerite Broquedis La Déesse du tennis trop vite éclipsée par la Divine Lenglen

Marguerite Broquedis, la Déesse du tennis trop vite éclipsée par la Divine Lenglen

Elle a régné sur le tennis hexagonal quelques années avant que Suzanne Lenglen ne rafle tout sur son passage. Tout comme « la Divine », Marguerite Broquedis a, elle aussi, marqué de son empreinte l’histoire de son sport. La « Déesse », sacrée deux fois en simple, Porte d’Auteuil, à une époque où les Internationaux de France étaient réservés aux seuls joueurs du cru, est également la première Française à avoir été sacrée olympique et ce, toutes disciplines confondues.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner