Tu as toujours été sportive, avec la même envie de te dépasser. Même enfant, tu voulais exceller ?
Ah oui, le sport, c’était bien la seule discipline à l’école où j’excellais ! J’ai marché très tôt, j’ai le souvenir, toute petite, d’avoir toujours eu besoin de me dépenser. J’ai testé plusieurs sports, du foot au ping-pong.
Mais j’ai surtout beaucoup pratiqué le basket. Un sport que j’adorais sauf que je me cassais souvent les doigts, et comme je faisais aussi du piano, pour les récitals, c’était moyen…
J’ai alors décidé de changer de sport, je ne voyais pas l’intérêt de poursuivre le basket si je ne pouvais pas le faire de manière intensive. La demi-mesure, je ne connais pas !
Ce nouveau sport, ce fut le tennis…
Oui, il y avait moins de risques de blessures des mains. J’ai commencé à l`âge de 7 ans, ce qui est assez tard finalement. Je m’entraînais six heures par semaine, et rapidement j’ai commencé les tournois.
Je voulais faire sport études au lycée, mais mes parents n’étaient pas de cet avis. J’ai abandonné l’idée, ça a longtemps été un regret. J’avais vraiment le profil pour être sportive de haut niveau, j’aurais pu en faire ma vie.
Malgré des études de marketing puis tes boulots dans la production télé, tu as toujours trouvé le moyen de garder un pied dans le tennis ?
À 15 ans, j’avais passé un diplôme d’initiateur qui me permettait de donner des cours de tennis aux 5/12 ans. J’ai fait ça jusqu’à mes 25 ans. Ça compensait un peu ma frustration de ne pas avoir le temps de jouer davantage et de participer aux tournois.
Puis, il y a cinq ans, j’ai découvert le CrossFit, une super bonne prépa physique, intense, varié, j’étais souvent dans le rouge, j’adorais ça ! Tennis et CrossFit, j’étais au top !
Puis, il y a un peu plus d’un an, cet accident qui a tout bouleversé…
J’étais garée devant une boutique à Paris, assise sur mon scooter, et d’un coup le trou noir, j’avais valdingué trente mètres plus loin, fauchée par une voiture.
Je me suis réveillée sur le bitume, une jambe arrachée. Mon premier réflexe a été de regarder mes doigts, je pensais au piano ! Ensuite, j’ai réalisé que j’étais touchée dans ma chair. Une sportive comme moi… j’ai tout de suite compris que ma vie n’allait plus être la même.
Ça se bousculait dans ma tête et en même temps, c’était très clair, je me suis dit : « Ta vie d’avant, c’est fini. »
Tu as été transportée dans un hôpital militaire parisien, comment s’est déroulée ta rééducation ?
Oui, j’ai été transportée à l’hôpital militaire de Percy à Clamart, ma blessure s’apparentait à une blessure de guerre. J’ai subi une douzaine d’opérations, il fallait m’anesthésier tout le temps. Chaque changement de pansement était extrêmement douloureux.
Au début, être dans cet état là…ça me paraissait impossible à supporter. Mais je ne me voyais pas me laisser mourir ; mon entourage était là, ma famille, ma compagne Typhaine… Je ne m’en serais pas sortie si je n’avais pas eu tout ce monde-là autour de moi. Cette épreuve nous a encore renforcées, Typhaine et moi.
J’ai remarché au bout de quatre mois, le 27 février, quatre mois pile après l’accident. Ce jour-là, avec ma copine, on s’est dit qu’on allait désormais « fêter » cette date. Comme une façon de reprendre ma revanche sur la vie qui m’avait meurtrie.
Tu étais encore à l’hôpital lorsque tu as décidé de tenter les JO paralympiques, l’idée t’est venue immédiatement ?
Après ma première opération ! J’étais shootée, je ne sais pas d’où ça venait, mais j’ai dit à ma copine : « Je veux faire les JO paralympiques. » Ça ne m’a jamais quittée.
J’ai pensé tout de suite à la compétition. La condition de sportive de haut niveau a toujours été un rêve de petite fille et je me suis dit qu’avec un handicap, à 27 ans, ce serait peut-être possible, plus facile qu’en étant une sportive valide.
Tu t’es aussi dit que c’était ton destin, c’est dur…
C’est vrai, si ça se trouve c’était mon destin… Ce qui ne veut pas dire que j’accepte ce qui m’est arrivée.
Mais je suis en vie, je vois ce que j’ai perdu mais aussi ce que j’ai encore. J’ai toujours eu une personnalité de battante, le gout de la fight, de l’adversité. Le combat contre moi-même, j’adore ça.
Quand j’ai commencé ma rééducation, j’avais perdu 20 kg, beaucoup de muscles, j’étais une crevette, y avait tout à rebâtir.
Ce qui m’a beaucoup portée, c’était d’être entourée de militaires blessés, ils m’ont inspirée. J’ai appris à ne pas me plaindre.
On avait tous la même force dans le regard. J’étais un bon petit soldat : je faisais tout ce qu’on me disait de faire, avec une seule idée : aller mieux.
Toi, la joueuse de tennis, tu ne voulais pourtant plus entendre parler de ton sport !
Au début, je ne voulais tout simplement pas entendre parler de sport fauteuil en général. Et le tennis dans mon état, c’était forcément en fauteuil.
Avant l’accident, j’avais dans l’idée de me mettre au triathlon, j’ai donc poursuivi dans cette voie. J’ai découvert La Relève, un programme de détection de sportifs qui ont un potentiel de performance dans un ou plusieurs sports paralympiques en vue des JO 2024.
J’y suis allée pour le triathlon, ils étaient intéressés par mon profil. Sauf qu’ils m’expliquent tout de suite que dans le triathlon paralympique, il y a tellement de catégories différentes de handicaps que toutes ne peuvent pas aller aux JO.
C’est une loterie, et on sait seulement deux ans avant les jeux si on peut participer. Ça m’a déboussolée, je ne me voyais pas m’entraîner pendant deux ans pour finalement de pas pouvoir faire les JO.
C’est la Fédération Française de Tennis qui t’a approchée ?
Oui, la fédé me dit : « Avec le niveau que tu as, le classement que tu as eu, tu as toutes les chances de faire les Jeux et d’avoir une médaille. D’autant qu’il n’y a pas beaucoup de femmes françaises dans le tennis fauteuil. »
Mais ce qui m’a vraiment décidée à envisager de refaire du tennis ainsi, c’est ma rencontre avec le champion de tennis fauteuil Stéphane Houdet. Il m’a fait une démonstration, et ça a fait son petit bonhomme de chemin.
Surtout, avec Stéphane, nous avions le même classement au moment de notre accident, le même handicap tous les deux et la même façon de voir les choses : se tenir debout dans la vie et ne s’assoir dans un fauteuil que pour jouer.
Il m’a dit : « Je suis comme toi, debout dans la vie de tous les jours. J’arrive sur le terrain debout, je me pose dans mon fauteuil, je joue, puis je repars debout. » C’est ce discours-là qui m’a convaincue.
Avec lui, tu as rejoué au tennis…debout ?
La première fois qu’on s’est entraînés avec Stéphane, c’était debout, nous les deux rebelles !
Je me souviens, j’ai eu l’impression de voler. Je ne pourrais plus jamais me déplacer comme avant, mais je peux faire des gammes, et ça me fait du bien.
Une fois par semaine, pour le plaisir, je tape debout, c’est une question d’équilibre, un sas de décompression.
Tu t’entraînes tous les jours en vue des JO 2024…
Je me suis lancée dans cette aventure en septembre dernier. Je m’entraîne à Feucherolles, j’ai une coach, un préparateur physique, tout un staff autour de moi pour préparer 2024.
Je repars presque de zéro, mais j’ai enfin ma vie de sportive de haut niveau, comme je l’ai rêvée. C’est un peu une ironie du sort, non ?
La toute première fois que tu as tapé dans la balle en fauteuil, tu t’en souviens ?
Bien sûr ! Quand je me suis assise la première fois dans le fauteuil, j’avais gardé ma prothèse, ce qu’on ne fait jamais, ça gène plus qu’autre chose. Mais ce désir de garder mes deux jambes était tellement fort !
Je me suis dit que ce ne serait pas aussi intense qu’avant, que ce soit le tennis ou le CrossFit où je finissais par terre.
En fait c’est extrêmement dur, intense, physique. Si mon passif de joueuse valide m’aide énormément sur la technique gestuelle, il fallait apprendre la technique du fauteuil… j’ai eu de grands moments de solitude !
Trop exigeante avec toi-même ?
Je ne supporte pas de ne pas réussir. Ma coach sait que le côté mental est mon point faible, on doit être son propre supporter et je mets tellement la barre haute que je me dis facilement que je suis nulle.
Je dois parvenir à transformer la frustration de la joueuse anciennement debout et qui me renvoie à ma condition d’aujourd’hui.
Pour apprendre le tennis fauteuil, il faut commencer par apprivoiser le fauteuil… Je dois me perfectionner dans le rouling, faire du parcours, de la course, des rotations, des déplacements. On apprend déjà ça et ensuite on prend la raquette, on s’initie dans l’art de pousser le fauteuil avec la raquette dans une main. Au début je me suis dit : « Je n’y arrivais jamais ! » Puis, vient le jeu.
Un jeu que tu maîtrises parfaitement…
C’était finalement assez intuitif chez moi. Par exemple, pour le revers inversé très redouté généralement, je n’ai pas de soucis car j’étais douée, je faisais déjà le revers d’une main avant l’accident, je l’avais déjà dans le bras.
En revanche, j’ai encore des réflexes de joueuse valide, je suis trop statique en attendant le coup de l’autre ou bien je veux monter à la volée, c’est risqué en fauteuil. La hauteur de balle n’est pas la même, c’est logique.
Aussi, je prends souvent la balle à un rebond. Même si c’est autorisé, il est préférable d’attendre le deuxième rebond, c’est une autre tactique. Les anciens gestes sont encore ancrés en moi.
Avec le temps, tu as appris à accepter le fauteuil roulant ?
Petit à petit, j’ai mûri et j’ai appris à dissocier le fauteuil roulant du handicap. C’est juste un outil de travail qui me permet de faire mon tennis, c’est comme ma raquette. Je ne m’en sers que pour jouer au tennis.
Et puis, j’ai des objectifs à court terme : entrer dans le top 3 français et dans les 26 meilleures joueuses mondiales afin de me qualifier pour les JO de Paris.
Il y a une Pauline d’avant et une Pauline d’après. Mais elle fonctionne toujours aux objectifs. Cet esprit-là, je l’ai gardé.
Quelles différences entre la Pauline d’avant et la Pauline d’après ?
J’étais une grande nerveuse, avec un caractère explosif. Je cassais des raquettes, j’avais la rage et cela pouvait facilement se transformer en mauvaise hargne.
Les épreuves que j’ai traversées m’ont appris à être plus forte, plus posée. Je me dis que j’ai la chance d’avoir quitté l’hôpital, que si je n’avais pas eu cet élan de vie d’avant, je ne sais pas si je m’en serais sortie.
J’essaye de faire un maximum de choses, comme avant. Je continue à aller au CrossFit, ça fait partie de mon équilibre. Cette ambiance de salle, avec mes copains, me fait du bien.
Je ne peux pas tout faire parfaitement -par exemple les Burpees, les squats, mais j’y arrive quand même avec ma prothèse. Je suis moins acharnée, je ne cherche plus la performance. Je suis en mode loisir.
Tu es confiante quant à participation aux JO 2024 ?
Y a un coup à jouer, c’est sûr. Mon atout est d’avoir été une ancienne joueuse. J’ai la place du challenger, une petite nouvelle du circuit. J’ai tout à gagner, rien à perdre.
Je ne me suis pas trompée, je ne regrette pas mes choix. Si on me rendait ma jambe demain, je reprendrais sans hésiter ma vie d’avant. Mais je n’ai pas le choix, alors je dois transformer ce drame en quelque chose de positif.
Le sport est un outil d’expression, dans tous les sens du terme. Il a toujours été ma drogue. Ce n’est pas une jambe en moins qui pourra changer ça.
Une loi, le combat d’une vie
« Je travaille sur un projet de loi visant à tester les conducteurs régulièrement. Défendre cette cause, c’est viscéral, c’est le combat de ma vie, comme les JO. Je ne supporte toujours pas l’idée que ça me soit arrivé et que ça arrive à d’autres personnes, des invisibles. J’ai reçu des témoignages qui m’ont bouleversée. »
Ce projet de loi sur l’obligation de passer un test d’aptitude à la conduite pour tous les conducteurs a été initié par son père : « Mon père a été le premier à lancer une pétition. J’ai pris le relai : je participe aux réunions d’un groupe de réflexion à l’Assemblée nationale sur les modalités pratiques du test à mettre en place, à ceux de la délégation interministérielle à la sécurité routière pour renforcer les campagnes de prévention et je défends ce projet sur les plateaux de télé et auprès du ministre de l’Intérieur. Tous les pays le font, sauf la France et l’Allemagne. ».
L’idée ? Rendre obligatoire un test dans les auto-écoles pour tous les détenteurs du permis de conduire, d’abord tous les dix ans, puis tous les cinq ans à partir de l’âge de 70 ans et tous les deux ans au-delà des 80 ans.
« Je serai en paix quand le projet de loi sera adopté. Il faut que je me serve de ma colère et que mon accident ait un sens et une utilité pour tous. »