Nelly Viennot « Même si les mentalités évoluent, on continue de dire une femme-arbitre et non pas une arbitre. »

Nelly Viennot : « Même si les mentalités évoluent, on continue de dire une femme-arbitre et non pas une arbitre »
Elle a été la première femme à arbitrer un match de D1 masculine en France. Nelly Viennot est de celles qui ont ouvert la voie et pavé les chemins. Sa carrière terminée, elle continue d'œuvrer, bénévolement, auprès des jeunes filles pour assurer la relève. 

Par Sophie Danger

Publié le 10 novembre 2022 à 11h43

Nelly, vous êtes la première femme de lhistoire du football français à avoir officié lors dune rencontre de D1 masculine. Cet amour pour le football, il nest pas né sur le terrain mais à la télévision, grâce à une équipe, Saint-Etienne 

Oui, ça a été un déclic. Il faut dire que le football était, à l’époque, le seul sport que lon pouvait regarder à la télévision et en famille. Mon père était un mordu de foot. C’était des moments passionnants partagés avec lui, mes oncles et mes deux frères. 

Comment êtes-vous passé des écrans de télévision aux terrains ? 

Moi, à l’époque, je faisais du handball. Jai découvert le sport en rentrant au collège et ça a été ma première discipline.

En ce qui concerne le football, il y avait une équipe qui se créait dans les environs et lune de mes cousines ma proposé de venir jouer un match. Et jai tout de suite aimé ça.

Pendant longtemps, jai pratiqué et le hand et le football parce que je narrivais pas à choisir entre les deux. Au tout début néanmoins, le football était plutôt un sport que je pratiquais l’été, lorsque la saison de hand était terminée.

Cest pour cela quavec une partie de mes copines, nous avons décidé de créer une équipe à Condé-sur-Noireau… pour occuper nos étés. 

©Hélène Dos Santos/Sud Ladies Cup

Comment a été reçue cette idée de créer votre propre équipe ? 

Nous avons pu le faire grâce à nos parents qui nous ont suivies et qui nous ont embarquées dans laventure.

Parmi eux, il y avait un papa qui appartenait à un club et cest comme cela que nous avons pu bénéficier de structures. Pour le reste, les gens pensaient que nous ne faisions ça que pour nous amuser et que nous nallions pas réussir.

Peu à peu, comme nous gagnions souvent les tournois, on nous a proposé de former une équipe à onze, puis un club. Nous, nous étions des compétitrices, nous avions envie de gagner. 

Vous étiez gardienne à Condé-sur-Noireau et, avec vos équipières, vous allez grimper les échelons jusqu’à être sacrées championnes de France à lissue de la saison D2 en 1982-83, quatorze ans tout juste après la création du club. Quest-ce que vous gardez de ces années ? 

Nous étions réputées pour être une équipe physique mais aussi technique. Le président du club avait recruté des joueuses qui évoluaient au Stade Malherbe de Caen et à Fécamp pour densifier leffectif et nous permettre de gravir les échelons.

Ce titre de championnes de France de deuxième division a été pour moi, pour nous, une grande fête, une grande joie. Condé-sur-Noireau est un petit bourg et nous avions ramené quelque chose à la ville.

C’était aussi un aboutissement au regard de tout le travail que nous avions pu fournir.   

©Coll personnelle de Nelly Viennot

De votre parcours de joueuse, reste une frustration, celle de ne pas avoir pu intégrer l’équipe de France en raison de votre petite taille (1,52m, Ndlr).  

Aujourdhui, je dis merci aux sélectionneurs de ne jamais mavoir prise en équipe de France car je naurais peut-être pas vécu tout ce que jai vécu avec larbitrage.

Ceci étant, jaurais malgré tout aimé porter le maillot de l’équipe de France rien que pour mes parents. Cest le sélectionneur lui-même qui, en venant à Condé-sur-Noireau, a dit à mon père, sans savoir qui il était, que je ne serais pas retenue en raison de ma taille.

À force de me voir travailler, travailler – je mentraînais huit heures par semaine -, il a finalement craqué et ma expliqué que, quoi que je fasse, je nirais jamais en équipe de France.

Ça a été dur à digérer car, lorsque lon est compétitrice, on veut toujours gagner, aller plus haut mais là, je ne pouvais pas tricher sur ma taille.   

Est-ce pour cela quen 1987, vous décidez de mettre un terme à votre parcours de joueuse ? Vous dites alors être arrivée à saturation du jeu. Est-ce que cela signifie que vous naviez plus le goût du football ?  

Il est vrai que, comme je savais que je ne serais jamais internationale, le ressort sest un peu cassé.

À ce moment-là, javais changé d’équipe pour voir autre chose mais je nai pas trouvé ce que je cherchais. Je savais que je pouvais encore apporter quelque chose à mon club mais je me suis rendu compte que javais fait le tour. 

©Coll personnelle de Nelly Viennot

Malgré tout, vous n’êtes pas prête à renoncer au football. Vous allez bifurquer vers larbitrage pour éviter au club de payer une amende. Ça s’est finalement imposé à vous ? 

Oui, ça sest imposé à moi. Jai passé le diplôme danimatrice et dinitiatrice de football et le diplôme darbitrage.

Nous navions pas beaucoup de ressources, nous étions toutes étudiantes et nous avons fait ça avec dautres copines, pour éviter que nos parents naient à payer des amendes.

Au tout début, je jouais et je faisais, en parallèle, le nombre de matches requis pour éviter ces amendes mais, au départ, lorsque j’ai passé lexamen darbitrage, je navais aucune ambition dans ce domaine. 

Vous vous souvenez de votre premier match en qualité darbitre ? 

C’était un match de minimes à Villers-Bocage mais je ne me souviens plus de laffiche. La seule chose dont je me rappelle cest que, lorsque je suis arrivée au stade, on ma dit que ce n’était pas possible que je sois là car sur ce genre de rencontre, il ny avait jamais darbitres.

Je me suis posée des questions, javais en effet une convocation. C’était un peu la panique mais jai finalement réussi à arbitrer.  

©Coll personnelle de Nelly Viennot

C’était un match masculin ? 

Oui, à l’époque il y avait peu d’équipes féminines. Lorsque lon commence, on commence en général chez les garçons. Il y a dabord les minimes, les cadets et les juniors.

Moi, jai débuté comme arbitre de district et jai passé lexamen darbitre de Ligue parce que jai été repérée très vite. Le président de la Ligue de Normandie a cru en moi, les observateurs venus me voir aussi et tout sest enchaîné.  

Ce soutien hiérarchique a été important pour vous qui évoluiez souvent au sein dun corps arbitral presque toujours masculin ? 

Oui, ça donne confiance. En tant que femme, il faut toujours en faire un peu plus car on a moins le droit à lerreur et ça, on le ressent.

Malgré tout, javais lavantage d’être connue en tant que joueuse dans la région et ça ma beaucoup, beaucoup aidée. J’étais joueuse de haut niveau et on me respectait.

Les joueurs savaient que javais des connaissances en tant que footballeuse, ce qui fait que j’étais perçue de manière différente. Il y a pu, parfois, avoir des remarques de spectateurs mais de joueurs, non, jamais. Jai toujours eu de très bonnes relations avec eux.

Le fait davoir joué ma aussi permis, je pense, de mieux comprendre leurs réactions, il y a une sensibilité que lon na pas lorsque lon na jamais joué. 

©Coll personnelle de Nelly Viennot

Petit à petit, vous allez gravir les échelons et, en 1995, vous vous retrouvez au sifflet pour un rendez-vous international de football féminin.  

À 95 %, ma carrière sest faite chez les garçons car il ny avait pas toutes ces compétitions féminines à l’époque.

En 1996, lorsque je fais les Jeux Olympiques, cest la première fois quil y a du football féminin aux Jeux. En janvier 1995, la FIFA a créé son premier corps darbitres internationales féminin.

Je suis dans la liste et cest comme cela que je suis amenée à faire ma première sortie au Danemark, pour Danemark-Roumanie, un match féminin. 

Est-ce que cest différent darbitrer un match féminin ? 

Tout est différent entre un match féminin et un match masculin : la vitesse de jeu, les fautes…  ce qui nempêche pas que lon doit aborder les deux types de rencontres de la même façon, avec le même sérieux.

Ce qui change néanmoins, cest davantage le comportement de certaines personnes qui pensent quarbitrer des femmes, ce nest pas valorisant mais, pour moi, un match est un match. 

©Coll personnelle de Nelly Viennot

Lannée suivante, en 1996, vous allez franchir deux nouveaux caps. Le premier a lieu en avril, le 23, vous êtes désignée pour officier sur la touche à loccasion de PSG-Martigues, un match de D1 masculine qui se déroule au Parc des Princes. Cette désignation, cest un journaliste qui vous la apprise. 

Cest tout à fait ça. Cest un journaliste de lAFP qui sest présenté et ma demandé ce que je pensais de ma désignation. Je lui ai répondu quil faisait erreur.

Puis il y a eu un deuxième journaliste, un troisièmeAlors, je me suis décidée à appeler Michel Vautrot à la Fédération (Directeur technique national de larbitrage français, Ndlr) pour comprendre ce qui se passait et il me la confirmé en me disant : « Ils ont été beaucoup plus vite que nous ! ». 

Comment avez-vous réagi à lidée de devenir la première femme de lhistoire du football français à arbitrer un match de D1 masculine ? 

C’était surprenant, très surprenant, je ny croyais pas. Pour moi, ce n’était pas possible, je n’étais pas encore arbitre de la Fédération, j’étais internationale mais je navais fait que du national et quelques matches de Ligue 2.

Sur le moment, je ne réalisais pas. Même quand Michel Vautrot me la confirmé, jai eu du mal à réaliser. Pour moi, je ne pouvais pas faire ce match car je navais pas le titre. 

Est-ce que vous savez pourquoi on vous a choisi vous ? 

Michel Vautrot me la expliqué. Il m’a dit que, comme javais été désignée pour les Jeux Olympiques dAtlanta et que, aux États-Unis, le football féminin était professionnel, jallais me retrouver dans des stades avec 30-40 000 spectateurs.

Ils avaient donc décidé de me donner loccasion de vivre ces moments-là en France en Ligue 1. Ceci étant, ils ne savaient pas alors que Paris jouerait le titre et Martigues le maintien.    

La pression, et notamment la pression médiatique, a été énorme. Vous navez jamais eu de craintes ? 

C’était tellement soudain ! Pendant un mois, les dias nont pas cessé de venir à la maison pour faire des reportages. La pression, cest eux qui me lont mise.

Le jour de la rencontre, je suis arrivée pour faire mon match tout en ayant conscience que je navais pas le droit à lerreur, à la fois pour larbitrage féminin mais aussi pour tous ceux, comme Michel Vautrot, qui mavaient fait confiance. Eux aussi ont eu la pression car beaucoup de présidents de club ne voulaient pas de femmes à ce niveau-là.

Tout cela, je lai su aprèsme si, la veille du match, Europe 1 ma appelée pour me demander ce que ça me faisait de ne plus être sur le match. J’étais aussi surprise que pour ma désignation car personne ne mavait dit une telle chose.

Jai abordé cette rencontre en sachant quil ne fallait pas que je me rate, mais quil est aussi important que je ne me mette pas la pression. 

©INA

Cest difficile de ne pas avoir la pression lorsque lenjeu est à la fois dune importance capitale pour soi mais aussi pour celles qui, à votre suite, pourraient être amenées à vous emboîter le pas .  

Oui, mais javaisjà été un mois sous pression avec les médias ! Et puis, javais deux supers arbitres à mes côtés, Gilles Chéron et Dominique Guillon, qui mont fait confiance. Il y avait aussi Joël Quiniou qui était lobservateur pour le match. Aucun deux ne ma mis la pression.

La seule chose qui est certaine, en revanche, cest que les cinq dernières minutes de cette rencontre ont été, et sont toujours, les cinq dernières minutes les plus longues de ma carrière. Javais limpression de ne pas avoir commis derreurs mais je navais quune hâte, cest que Gilles, au centre du terrain, siffle la fin de la rencontre.    

Exceptionnellement, pour vous préserver, l’échauffement a lieu à lintérieur pour ne pas vous lâcher, demblée, dans larène. À 20h, vous êtes entrée sur la pelouse, quel accueil avez-vous reçu ? 

Nous avons été super bien reçus, jai eu des cadeaux de bienvenue, c’était très bizarre. Lorsque nous sommes rentrés sur le terrain, jai eu un peu plus la pression lorsque jai vu quil y avait trois rangées de photographes à la sortie du tunnel.

Je me disais : « Mais ce nest pas possible, ce nest quun match de foot ! » Et puis, Bernard Lama, qui était capitaine du PSG, a demandé à Gilles Chéron, au moment du tirage au sort, de ne pas me mettre de tel côté parce quil y avait le kop parisien qui pouvait être virulent.

Moi, j’étais assistante numéro 2, à lopposé des bancs, et finalement, tout sest super bien passé, je nai aucun mauvais souvenir des spectateurs dans le stade. 

©INA

Comment ça sest passé après ? Vous êtes rentrée chez vous et vous avez dormi pendant une semaine pour évacuer tout ce stress ? 

C’était fait, c’était passé et tout le monde était satisfait. Luis Fernandez était dailleurs venu me voir à la fin du match, il était très content. Il ny avait pas eu derreur darbitrage et c’était le principal.

Tous ces moments sont des moments que je ne peux pas oublier parce quils sont importants dans ma carrière. Réussir son premier match est toujours un point positif.

Après, moi j’étais heureuse de retrouver mon mari, ma famille, ma petite vie. C’était un super moment, je ne savais pas quil y allait en avoir dautres et jai savouré. 

La même année, il y a également ces fameux JO à Atlanta. Vous êtes la seule arbitre française, hommes et femmes confondus, à être retenue pour arbitrer des matches du tournoi olympique. C’était beaucoup d’évènements de taille pour une seule saison ou vous étiez ravie, là encore, de vivre un moment marquant ? 

Je compare tout le temps mon histoire à un nuage qui vogue dans le ciel. Jai toujours eu la chance de naviguer dessus jusqu’à arrêter ma carrière à 45 ans, comme c’était prévu à l’époque, le tout sans vraiment dencombres et en vivant des moments exceptionnels.

Les Jeux Olympiques, à la base, c’était inespéré. Ce sont des moments grandioses durant lesquels on rencontre des gens de culture, de religion différentes, cest extraordinaire.

Jai eu la chance de rencontrer Claude Simonet qui était là-bas avec l’équipe de France espoirs, jai eu la chance darbitrer avec Pierluigi Collina, le plus grand des arbitres.

C’était aussi la première fois que des femmes arbitraient des matches dhommes aux Jeux et ça aussi, c’était quelque chose dincroyable.

Même si le football na pas la même importance aux Jeux Olympiques que lors dautres compétitions, pour nous, arbitres, ça reste exceptionnel. 

©FFF

Vous avez pu rencontrer, là-bas, dautres femmes arbitres. Vous n’étiez, pour une fois, plus seule ou presque, c’était une satisfaction également ? 

Oui, il y avait la barrière de la langue car, à l’époque, langlais n’était pas encore obligatoire mais on arrivait toujours à échanger entre nous.

Je me souviens de mon premier match avec une Mexicaine et une Brésilienne, on se comprenait avec les mains, avec des dessins et on a réussi à faire notre match et à communiquer.

Ça a été cinq semaines intenses de découverte et de super moments car jai aussi eu la chance, durant ces Jeux, darbitrer la finale. 

Finalement, ce qui relevait de lexceptionnel va devenir la norme, vous avez arbitré 187 rencontres de Ligue 1 et environ 80 matches européens – Ligue des champions et Ligue Europa – deux Jeux Olympiques, une Coupe du monde minineEst-ce que la surprise de voir une femme au sifflet a, à un moment, disparu ? 

Malheureusement, non. On dit toujours une arbitre-femme et non pas une arbitre. Cest dommage et cest toujours dactualité me si ça évolue.

Je suis hyper contente, par exemple, de voir six filles partir à la Coupe du monde au Qatar. Moi, je nai pas pu le faire en 2006. Ce qui se passe à présent, cest qu’à la FIFA, il y a Pierluigi Collina. C’est lui qui dirige larbitrage et larbitrage féminin, il connaissait dé.

À lUEFA cest pareil avec Roberto Rosetti avec qui il mest arrivé darbitrer dans des compétitions. Ce sont dautres mentalités car ce sont des hommes qui ont dé vécu avec larbitrage féminin.   

©France Bleu Lorraine

Il vous est arrivé, en France, darbitrer avec une femme ?  Ou pas du tout ? Je crois qu’à l’époque, vous étiez trois avec Corinne Lagrange et Florence Guyot. 

Jai arbitré une fois avec Corinne Lagrange et Eric Poulat sur un match à Sochaux, je crois. Cest arrivé et cest tout. 

Vous vous attendiez à ce que ce soit si long de féminiser le corps arbitral, notamment à haut niveau ? 

Cest compliqué car la base est tellement pauvre ! Dans les districts, dans les Ligues, il ny a pas beaucoup de jeunes femmes qui arrivent. Là, ça change, on voit une augmentation du nombre de candidates mais on a pris beaucoup de retard.

Durant les années pendant lesquelles jofficiais, la DTA na peut-être pas assez travaillé, on sest contenté davoir trois arbitres assistantes au plus haut niveau.

Il y a néanmoins beaucoup de femmes qui ont essayé de devenir arbitres dérales, il ne faut pas oublier Sabine Bonin, par exemple, qui a été F4 et a même fait un match de Ligue 2. Il y a Séverine Zinck, qui a été la première arbitre au niveau national, Florence Dorigny qui, lorsque j’étais assistante, était la seule arbitre de la dération.

Il y avait du monde, mais pas assez.     

Votre carrière, vous lavait dit, sest déroulée sans encombre, ou presque. En décembre 2000, lors dun Strasbourg-Metz, vous êtes victime dun jet de pétard, votre tympan est touché.  Vous vous êtes interrogée sur le fait de savoir si cela vous est arrivé parce que vous étiez une femme ? 

Pour moi, cest larbitre qui a été touché. Avant le pétard, il y a eu dautres projectiles lancés vers moi et, à chaque fois, après des décisions prises contre Strasbourg.

Pour moi, ce nest pas la femme qui était visée mais larbitre parce que je sanctionnais les Strasbourgeois. 

©France Bleu Lorraine

Patrick Proisy, le président du Racing à l’époque, avait dit que le scénario aurait été tout autre si un homme avait été à votre place car lui ne serait pas tombé. Ce genre de remarques ne vous a jamais fait baisser les bras ? 

Cest vrai que, lors de la commission de discipline, il est venu avec un tout petit pétard – qui na rien à faire dans un stade quoi quil arrive – et quil a tenu ces propos.

Mais, homme ou femme, ce qui sest passé cest que mon oreille a été touchée. Toutes les commissions qui ont suivi ont été hyper dures à gérer parce que le président de Strasbourg œuvrait pour son club et nacceptait pas le fait que je sois blessée. Mais l’équipe avec laquelle jarbitraisEric Poulat et Daniel Béquignatétait là pour me soutenir.

Jai failli arrêter, mais pas après ce match. Lorsque jai repris, en janvier-février, à loccasion dun match Bordeaux-Marseille, il y a eu là aussi un pétard. Il ne me visait pas du tout mais il a éclaté dans la fosse. Jai eu hyper peur et après, jai fait nimporte quoi.

À la fin de la rencontre, je me suis dit que c’était fini. Javais deux petites filles à la maison, je ne voulais pas être de nouveau blessée, jattendais autre chose du football.

Jai été arrêtée un mois de plus car je ne me sentais pas capable de revenir sur un terrain.   

Où avez-vous trouvé la force de revenir ? 

Il y a eu beaucoup dappuis, daide de la part dEric et de Daniel mais aussi de personnes que je ne connaissais pas. Jai reçu des courriers, des cartes, Michel Hidalgo ma également envoyé un message pour que je revienne.

De mon côté, jai pris le temps dautant plus quaprès le match de Strasbourg, un garçon qui était en CP, dans la classe de ma fille aînée, lui avait dit que j’étais morte. Mon mari avait eu beau lui dire que c’était faux, je n’étais pas là le matin avant quelle aille à l’école. Je ne voulais pas quelle revive ce genre de situation.

Finir la saison a été compliqué mais le fait de repartir sur un tournoi de jeunes ma redonné lenvie. Pour moi, c’était ça le football, le côté amateur. Je me suis relancée comme ça et, là, je ne sais pas pourquoi, mais je savais que lors de la saison qui sannonçait, rien ne pourrait plus marriver. 

©INA

Ce parcours dans larbitrage, il vous surprend toujours ? 

Jai toujours dit – et je le dis aux jeunes arbitres que je forme actuellement : « On nous donne une chance, il faut foncer, tout faire pour y arriver et une fois arrivé, continuer à travailler pour pouvoir garder ce niveau, voire pour aller plus haut. »

Je me suis toujours reposée sur ce principe. Je nai pas eu la chance de porter le maillot de l’équipe de France mais on ma donné une autre chance dans larbitrage et jai croqué à fond, jai tout donné.  

Le seul regret cest de ne pas avoir participé à la Coupe du monde de 2006. Vous êtes alors la seule femme parmi les 82 candidats retenus et vous allez finalement être recalée au test de sprint pourun dixième de seconde.  

Ce qui sest passé, cest quen juin, nous sommes convoqués pour un tournoi espoirs aux Pays-Bas. Les tests physiques viennent de changer, jai 44 ans et je ne suis pas prête à 100 %.

J’échoue au 150 mètres, une nouvelle épreuve, et toute l’équipe a dû rentrer sans pouvoir faire la compétition. Ça ma beaucoup marquée et, aujourdhui encore, je men veux.

Pour que ça ne se reproduise pas, jai pris un préparateur physique. Je repasse les tests en septembre et je les réussis haut la main. En janvier, nous sommes désignés pour un match Egypte-Libye or la dération égyptienne ne veut pas de femme.

Par la suite, dautres tests sont au programme. Ils devaient avoir lieu fin mai mais ils sont finalement avancés à début avril et les temps ne sont plus les mêmes : avant, il fallait faire 6×40 mètres en 6’’2, là cest en 6’’0.

Pressée par les échéances, je nai pas eu le temps de mettre en place tout ce que mon préparateur physique avait prévu. À lissue du 6×40, je suis à 6’’1 et pas 6’’00, j’échoue pour un dixième de seconde.

Plus tard, je suis allée voir le préparateur physique de la FIFA, un très bon ami, pour lui demander pourquoi les temps de sélection avaient été modifiés en cours de compétition et la seule chose quil a su me dire cest : « On savait que tu allais échouer ». Cest ça lhistoire.

On peut linterpréter comme on veut, mais je pense simplement que certains pays n’étaient pas prêts pour larbitrage féminin et cest pour cela que ça me fait plaisir que là, au Qatar, il y ait ces femmes. Ça veut dire que les mentalités ont vraiment évolué.   

Ce rendez-vous manqué mis à part, vous retenez quoi de ce parcours darbitre et de pionnière ? 

Je pense, modestement, que ce que je retiens avant tout, cest le fait davoir réussi à ouvrir, du moins davoir réussi à entrouvrir, des portes qui étaient fermées. Dautres femmes dans dautres pays lont fait aussi comme là, à la CAF.

Voir une arbitre au centre lors dun rendez-vous comme celui-ci, qui aurait pu imaginer cela il y a quelques années ? Avoir entrouvert des portes qui souvrent complètement maintenant, cest pas mal !        

©Coll personnelle de Nelly Viennot

Vous nofficiez plus sur les terrains officiels mais vous continuez à œuvrer pour larbitrage féminin en formant les futures recrues. Arrêter complètement le football vous était impossible ? 

Oui, arrêter complètement n’était pas possible. Larbitrage ma beaucoup apporté, ma beaucoup appris. Cest vraiment une école de la vie. Ça ma permis de bien me cadrer, d’être à l’écoute aussi, on apprend beaucoup en étant à l’écoute.

Toute la force que ça ma apporté, jessaie de la transmettre aux jeunes filles qui arrivent maintenant. Cest compliqué parce quon est dans une génération qui pense quen claquant des doigts, on va tout avoir. Elles ont du mal à comprendre quil faut travailler la théorie, le physique, pour arriver à un certain niveau.

Je me bats pour leur faire comprendre ça, leur montrer quil y a tellement de belles choses à faire dans ce domaine même si lon nest pas reconnues.

Quand je vais aux Jeux Olympiques, je ramène la médaille de participation. Avec le recul, je me dis que jai ramené une médaille à la France parce que je suis allée jusquen finale mais cette médaille, elle nest pas comptabilisée.

On ne se rend pas compte que, pour arbitrer, quel que soit le niveau, il faut travailler et que, comme les sportifs de haut niveau, nous passons beaucoup de temps à nous entraîner. Cest ce manque de reconnaissance sur lequel je voudrais que lon évolue. 

Ouverture ©Coll personnelle de Nelly Viennot

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