Tu es aujourd’hui arbitre internationale. La passion du foot t’anime depuis longtemps ?
J’ai toujours été sportive et attirée par le football. Je jouais avec les garçons dans la cour de récré, en primaire. J’étais très garçon manqué, je n’étais pas du tout dans cette optique « princesse » de la plupart des filles. Je préférais jouer au ballon qu’à l’élastique et ça se passait super bien. Je me suis ensuite inscrite au club Genêt d’Anglet avec mes copains, chez moi, dans les Pyrénées-Atlantiques, où j’ai joué en mixte jusqu’à mes 14 ans, la date limite autorisée.
Tu as ensuite dû quitter ce club ?
C’était vraiment dur car je ne voulais pas aller jouer avec les filles, je me disais qu’il y avait moins de niveau. En plus, j’avais seulement 16 ans et je devais pratiquer avec des séniors.
Je suis finalement entrée dans un club féminin voisin, mais mon club m’a proposé parallèlement de rester avec eux à la condition de passer le concours d’arbitre. Ce que j’ai fait : j’ai été nommée arbitre stagiaire puis titularisée.
J’étais la seule arbitre féminine à Anglet, mais comme j’étais aussi la seule joueuse, ça ne m’a pas dérangé ! J’ai tout de suite accroché avec l’idée d’arbitrer le samedi et de jouer le dimanche, c’était un peu sportif comme week-end, mais ça me plaisait.
Tu dis avoir été la seule fille à faire du foot, tu n’as pas eu envie d’embarquer les copines ?
Le foot pour les filles à l’époque, il y a dix ans, c’était un choix particulier, ça ne s’invente pas. On ne dit pas : « Viens jouer au foot avec les garçons, tu verras, c’est chouette ! » Je passais pour une extraterrestre. Et puis, il fallait être solide face à certaines remarques sexistes. Des garçons machos, il y en a à tous les âges…
Lorsque tu as déménagé à Bordeaux pour tes études en marketing, tu as dû faire un choix : jouer ou arbitrer…
Oui, je faisais alors partie de la Fédération Française de Football et je ne pouvais plus avoir la double licence. J’ai donc préféré arrêter de jouer avec mon équipe. Je savais que ça allait me manquer, mais je me disais que j’allais pouvoir très vite découvrir autre chose et que j’avais là une belle marge de progression.
J’ai donc passé le concours de la Ligue puis celui de jeune arbitre de la Fédération, j’ai été reçue et après, ça va très vite.
Lire aussi : Dans les petits secrets des joueuses de l’OL
Ton quotidien d’arbitre a changé ?
J’étais dans un univers plus pro, avec des équipes en centre de formation, jeunes et très respectueuses. Tous des hommes et tous des joueurs qui ne pensaient qu’à bien jouer, dans l’optique d’être remarqués par des recruteurs. Ils ne râlaient pas, ne faisaient pas d’histoires… J’ai aussi beaucoup voyagé, beaucoup appris.
Les voyages…ça t’a donné envie de devenir arbitre international ?
Devenir arbitre international, non, ça ne m’a pas traversé l’esprit à l’époque, mais ça me faisait rêver de voir les joueuses de l’équipe de France, de la D1 féminine.
Tu es quand-même retournée aux sources, rejouer un peu chez toi ?
Lorsque j’ai choisi de me consacrer à l’arbitrage, j’ai gardé quelques entraînements en club, mais sans licence. J’arrivais alors à retrouver du plaisir en jouant avec mes copines. Je continue d’ailleurs, de temps en temps, avec les joueuses de ma région, mais c’est plus rare.
En octobre dernier, j’ai arbitré un match Stade Bordelais/Anglet, j’y ai retrouvé des garçons avec qui je jouais dans mon club ! C’était drôle, sur le terrain, ils n’osaient pas me contester… et ils sont venus me saluer gentiment à la fin, peu importait le résultat.
Lire aussi : Amandine Henry, 5 infos pour briller sur la pelouse
Tu t’es blessée au genou lors de ta deuxième année comme jeune arbitre…
En 2015, oui, et ça a duré presque un an. Le médecin m’a alors dit que je ne pourrais peut-être plus jouer. Ce fut une période très difficile, physiquement car je ne pouvais plus courir, psychologiquement aussi. J’ai fait des infiltrations et ça a été de mieux en mieux, mais ce fut quasiment une saison blanche.
Être arbitre, ça demande un entraînement physique particulier ?
Les efforts sont différents que lorsque tu es joueuse. Je fais de la musculation et j’ai un préparateur physique. Il faut travailler plusieurs items de la condition physique. Sur le terrain, tu dois être près de l’action à tous les moments du match, donc prête à faire des sprints, à reproduire des efforts sur une longue durée. Finalement, on court plus que les joueurs !
Ton agenda ressemble à quoi ?
J’arbitre le dimanche, lundi c’est recup, les mardi et jeudi, séances avec mon coach, mercredi, séance entre arbitres (travails d’appuis, changements de direction…), vendredi renforcement musculaire (jambes, dos et bras, abdos, gainage) et samedi récup, séance veille de match ou trajet pour aller sur le lieu d’une rencontre.
Bien chargé… Comment on concilie vie perso, pro et arbitrage ? Car arbitrer n’est pas ton métier ?
Concilier toutes ces vies ? Compliqué ! Je dois jongler pour pouvoir tout faire. J’aime ce que je fais donc ça me convient. Je suis passée arbitre semi-pro en juillet dernier, je reçois une indemnité de préparation mensuelle, mais je ne peux pas en vivre, je travaille à temps plein comme trader media.
Le 20 novembre dernier, tu as arbitré le choc de la D1 Arkema entre les deux meilleures équipes européennes, PSG/OL, le summum de la pression ?
On sait que c’est un match phare du championnat donc, forcément, il y a davantage de pression et de stress, mais c’est du stress positif, ça nous embarque, ce n’est pas paralysant, c’est de l’adrénaline. Avant le match, on ne réalise pas vraiment. On prend la mesure des choses au coup de sifflet final. Si on a fait le travail attendu, c’est l’essentiel.
Surtout, il avait lieu pour la première fois au Parc des Princes. Fouler la pelouse du Parc des Princes…j’en rêvais depuis gamine ! C’est un des plus beaux stades. Et ce fut un très beau match, même s’il s’est joué sans public, ce qui est évidemment une petite déception.
Ton souvenir le plus fort en tant qu’arbitre ?
Le premier PSG/LYON que j’arbitrais. En 2018, un match diffusé en prime time sur C+ et qui rassemblait 8 000 spectateurs au stade Jean Bouin. Imaginez…8 000 spectateurs qui chantent, une ambiance incroyable, ça restera gravé dans ma mémoire.
Et le moment le plus difficile ?
Le même ! C’est aussi ce match car je n’étais pas prête à gérer la médiatisation qui s’en est suivie, et surtout pas les commentaires peu agréables sur les réseaux sociaux. Évidemment, ce sont ceux-là que tu retiens, pas les commentaires positifs.
J’ai eu du mal à passer au-dessus de tout ça, je n’étais pas encore blindée. À partir de ce match, j’ai commencé à me forger une carapace, à me mettre un bandeau sur les yeux pour ne pas regarder les réseaux sociaux après un match.
Selon une étude Baromètre Kantar pour La Poste, menée à l’occasion de ces Journées de l’arbitrage, 94 % des Français considèrent que la féminisation de l’arbitrage est une bonne chose, tu es surprise par ce chiffre ?
Ça prouve que les mentalités évoluent, que ces Journées de l’arbitrage organisées par la Poste et la FFF, avec cette mise en avant positive des arbitres féminines, est une bonne chose, ça aide à la démocratisation.
Le fait que les matchs de D1 féminine soient diffusés sur C+ montre l’ampleur que prend petit à petit le foot féminin. Pour nous, c’est pareil, le succès du foot féminin entraîne avec lui l’arbitrage féminin et tout ce qui touche au foot féminin en général.
Et quand tu lis, également dans cette étude, que l’avenir de l’arbitrage sera plus féminin pour 88 % des Français…
Je me dis que c’est une évolution logique. On voit là que la femme a ouvert des portes. Une arbitre internationale comme Stéphanie Frappart (la première Française à avoir arbitré un match professionnel masculin, en Ligue 2, puis la première à avoir arbitré un match en Ligue 1 masculine, ndlr) permettra à des femmes de se lancer.
Penses-tu être un « rôle modèle » ?
Non, je suis trop jeune et pas encore assez expérimentée pour revendiquer ça.
Tu ne te sens pas un peu à part, différente des autres femmes ?
J’ai toujours aimé me trouver dans un environnement où on ne m’attendait pas forcément. J’ai deux grandes sœurs plutôt féminines, j’avais sûrement la volonté de m’en démarquer, je ne sais pas… Finalement, on a des points communs sur certains sujets, mais pas le sport.
Quant à mes parents, ils sont fiers car j’ai fait face à pas mal d’embuches pour en arriver là. Le choix d’arrêter de jouer, de concilier les études et les déplacements, de m’imposer une routine physique qui demande de l’engagement, et finalement le fait de trouver une organisation qui me permet de tout gérer… J’y suis arrivée.
C’est un univers qui se féminise selon toi ?
Je ne suis pas dans un univers masculin car on est le plus souvent entre femmes. Et j’arbitre de la même manière que ce soit filles ou garçons. Je sais m’adapter ; à eux, à elles, de s’adapter aussi à moi.
Bien sûr, certains spectateurs me font encore ressentir que je ne suis pas à ma place, en continuant de crier : « Retourne faire la vaisselle ! », mais je crois que si on montre qu’on a les qualités pour faire le job, on finit par gagner leur respect.
Un grand rêve d’arbitre ?
Je n’aime pas trop penser à mes rêves car j’ai peur d’être déçue, je préfère procéder par étape et la prochaine en tant qu’arbitre internationale, c’est de monter en catégorie. Objectif à court terme : la catégorie 2.
Et à long terme ?
Si j’y arrive, l’objectif ultime, c’est la catégorie 1. Plus on monte, plus on va sur de grosses compétitions. Mais je n’aime pas trop en parler. De peur que ça m’échappe.
- Plus d’infos sur l’arbitrage et les arbitres français sur le site dédié « Tous arbitres ».