Soixante-sept sélections en équipe de France. Une qualification pour les JO 2024, 3 médailles d’argent aux Championnats d’Europe, 2 titres de Championne de France et 3 victoires en Coupe de France avec le Tango Bourges Basket. Ajoutez à cela un passage Outre-Atlantique par le NCAA Women’s Division… son palmarès plus que brillant pourrait presque nous faire oublier que Diandra Tchatchouang est une militante. Pour une société plus inclusive. Pour un monde plus juste.
Conversation avec une sportive, une femme tout simplement, qui veut faire bouger les lignes.
Le week end dernier s’est tenue la 4e édition de Take Your Shot, un évènement que tu organises désormais annuellement en partenariat avec Nike. C’est quoi au juste ?
À Take Your Shot, nous accueillons des jeunes filles, de jeunes basketteuses en U13 et U15 de Seine-Saint-Denis pour une journée de sensibilisation autour de la pratique du basket féminin.
Mais c’est aussi l’occasion de rencontres avec des personnalités, pas nécessairement sportives, mais aux parcours inspirants pour ces filles de 11 à 15 ans (parmi les invités de cette dernière édition : Flora Coquerel, Anne-Laure Bonnet, Rokhaya Diallo… ndlr).
À la base, Take Your Shot est une initiative personnelle, mais dès la seconde édition nous avons été rejoint par mon équipementier, Nike, qui, sensible à notre cause, a participé à faire grandir l’évènement.
Bien sûr, cette année, en raison des conditions sanitaires, notre capacité d’accueil a été réduite, mais l’année dernière, par exemple, nous avons réuni près de cent-cinquante jeunes filles.
Ces dernières sont reparties avec une dotation offerte par Nike qui a également pris en charge 50 % des licences de basket.
Le basket, ce n’est pas le seul sujet de cette journée…
Le basket en est la base, mais il y a un second volet très important : le volet éducatif. L’idée est ici, grâce aux échanges avec nos invités qui sont des femmes ayant excellé dans des domaines parfois très masculins, de pousser ces jeunes filles à croire en leur rêve, saisir leur chance.
On le sait, c’est un fait depuis des siècles, les femmes sont rarement encouragées, souvent dévalorisées et finissent par se sous-estimer, s’autolimiter. Ce sont des choses que nous intégrons inconsciemment.
Le but est de déconstruire ce message, prévenir ces jeunes filles de ce qui les attend, du mur qui se dressera face à elles, et de les motiver pour le franchir.
La majorité des jeunes filles présentes à Take Your Shot ne seront pas des basketteuses professionnelles, mais je souhaite qu’elles retiennent ce message qui est valable dans la vie en général.
Ce qui témoigne de ta croyance dans le sport comme puissant vecteur de valeurs…
Clairement, et de valeurs qui ont parfois du mal à s’imposer ailleurs. Il n’y a qu’à voir pendant un match de l’équipe de France : tout le monde est derrière nous, tout le monde dans les tribunes est rassemblé autour d’un seul et même but sans même se préoccuper de qui est son voisin.
C’est un outil fédérateur qui n’a que faire des différences. Mais ces valeurs ne s’apprennent pas au niveau professionnel, elles s’inculquent depuis le plus jeune âge ; moi-même, c’est très jeune, dans mon premier club, que je les ai intégrées.
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C’est vrai que tu as démarré le basket toute petite, à 8 ans : le chemin vers une carrière professionnelle s’est fait naturellement ?
Pour moi, le basket a toujours été une passion, et ça l’est encore : j’ai su très rapidement que je voulais en faire mon métier. En revanche, j’ai aussi compris très tôt que je ne voulais pas m’y cantonner et faire d’autres choses que d’être basketteuse professionnelle.
D’où tes nombreux engagements extra sportifs ?
Oui, et d’où aussi mon passage par les États-Unis pour intégrer l’Université de Maryland ainsi que, pour le Basket, le championnat de la NCAA. Cette expérience américaine a beaucoup joué car j’y ai compris la notion de « give back » dans le sens « redonner à sa communauté », mais aussi que cela peut se faire parfois de manière très simple. La notion de transmission est quelque chose qui me paraît essentiel.
Ce que tu fais par exemple avec le programme de Study Hall 93 ou en tant que membre de la commission des athlètes des Jeux Olympiques, avec Study Hall Paris 2024…
Oui, l’idée de Study Hall est assez simple : occuper le temps entre la sortie des cours et l’entraînement pour éviter aux jeunes licenciés (basket, foot, boxe ou encore bientôt le taekwondo qui va nous rejoindre) de subir de mauvaises influences. Pendant ce laps de temps, ils bénéficient d’un soutien scolaire : lorsqu’ils rentrent à la maison leurs devoirs sont faits.
Je continue de penser qu’à cet âge-là le maintien du niveau scolaire reste la priorité. Study Hall Paris 2024 a pour but de leur apporter une formation linguistique afin qu’ils puissent participer à l’organisation des Jeux en tant que bénévole ou autre, et s’approprier cet évènement.
J’en reviens à ton passage aux États-Unis : il me semble que, là-bas, la culture autour du sport est différente…
Le sport y est davantage valorisé et cela débute dès l’université. Pour faire simple : il me semble qu’en France, les sportifs ne sont pas suffisamment mis en avant et plutôt dévalorisés puisqu’on tend à leur coller une étiquette de cancre. Or, aux États-Unis, c’est tout le contraire et ce du fait du système scolaire : le sportif est vu comme celui qui a de bonnes notes, qui a réussi à décrocher une bourse pour l’université et se démène pour obtenir les meilleurs résultats car si ce n’est pas le cas il n’est pas sélectionné pour jouer.
Outre cette question d’image, la conséquence c’est aussi qu’étant diplômés, les sportifs américains n’ont aucun souci de reconversion.
Pour ta part, la reconversion, c’est une question que tu as souhaité anticiper ?
Oui, je suis actuellement des cours à Sciences Po dans le cadre d’un cursus aménagé et j’aimerais ensuite intégrer une école de journalisme. Et pas nécessairement pour me cantonner au journalisme sportif. Sciences Po me semble donc être la solution idéale pour enrichir ma culture générale.
En tant que sportive professionnelle souhaitant s’orienter vers le journalisme, tu ne dois pas être insensible au manque de représentativité dont souffre encore le sport féminin dans les médias ?
C’est un éternel combat. Je pense que la presse, les médias en général ainsi que les diffuseurs, ont un rôle très important à jouer dans la démocratisation du sport féminin. Attention, on ne mendie pas pour qu’on parle de nous, mais cela me semble trop facile de dire que ça intéresse peu le public si on ne lui propose même pas de découvrir ce qu’est un match de basket féminin… Il y a des avancées certes, mais une belle marge de progression aussi !
Dans un épisode du podcast “(Super) Humains” que tu as lancé au mois de mars, tu précises que tu n’apprécies pas toujours qu’on te présente sous l’angle « du 93 à Sciences Po »…
C’est mon parcours certes, mais je trouve cela assez réducteur de s’en tenir à ça, il y a d’autres prismes pour me raconter. C’est un peu déstabilisant quand tu te rends compte qu’on s’est fait une idée de toi avant même que tu ne te dévoiles, surtout si on a dressé cette image à partir de circonstances que tu ne maitrises pas, tel l’endroit où tu grandis et en se basant sur des stéréotypes.
Je trouve dommage de réduire l’image de la Seine-Saint-Denis à ses faits divers. Pour cette raison, quand on m’invite à en parler je mets un point d’honneur à souligner aussi le positif.
Dans “(Super) Humains”, tu interroges des sportifs ou anciens sportifs de haut-niveau sur leur parcours hors-normes, souvent pour raconter comment ils ont su surmonter des étapes difficiles pour en faire une force. Serais-tu une convaincue des vertus de l’échec ?
Je pense en effet que cela nous renforce. Le message que j’aimerais faire passer est que les jeunes filles ont deux options : soit elles se limitent à rester dans cette case dans laquelle on les enferme soit elles refusent et redoublent d’efforts pour faire démentir cette soi-disant fatalité.
De manière plus générale, je pense qu’il est bon parfois d’être poussé dans nos retranchements car la nature humaine est ainsi faite que l’on trouve généralement des ressources pour se battre.
Toi-même, tu as connu des échecs ?
Des blessures, notamment des ligaments croisés et quand cela t’arrive pour la première fois, tu te dis que cela fait en quelque sorte partie du métier, mais quand cela t’arrive une seconde fois et pas toujours au meilleur moment … là c’est vraiment dur, tu es seule face à toi-même et tu doutes, tu sais que tu vas devoir redoubler d’efforts pour revenir au top de ta forme. C’est très déstabilisant, mais le mental de sportif, l’esprit de compétition, reprend vite le dessus.
Lorsqu’on te dit « échec », toi tu évoques tes blessures et non tes défaites…
J’ai vite enregistré que les défaites faisaient partie du jeu, elles participent d’une certaine manière au chemin vers la victoire. Et puis, je pratique un sport d’équipe, elles se vivent collectivement, peut-être que cela les rend plus gérables.
En parlant de sport collectif : penses-tu que la même solidarité existe au sein des équipes féminines et masculines ?
Je dirais que les valeurs sont communes, il y a la même notion de solidarité – il n’y a qu’à regarder aux États-Unis où les joueurs se battent eux aussi pour les droits des sportives.
En revanche, sur le terrain, il me semble que dans un match masculin il y a davantage d’égos, d’individualités quand le basket féminin se pratique de manière plus collective. Concrètement : en termes de construction de jeu, un match féminin sera je crois plus intéressant à regarder…