Cori SchumacherLa surfeuse indignée

Cori Schumacher
Ses trois titres de championne du monde de longboard lui ont permis, non seulement, de marquer l’histoire du surf mais aussi, et surtout, de se faire entendre. Depuis vingt ans, Cori Schumacher se bat pour un monde plus juste. L’Américaine, retraitée du circuit mondial depuis neuf ans, a choisi, pour se faire, d’entrer en politique. Portrait d’une activiste qui ne se contente pas de surfer sur la vague.

Par Sophie Danger

Publié le 12 janvier 2021 à 17h16, mis à jour le 07 mai 2023 à 11h20

Elle est ce que l’on pourrait appeler une indignée. Une révoltée. Mais elle est surtout une redoutable militante. Et une infatigable combattante. Vingt ans, à présent, que Cori Schumacher, surfeuse de légende, se bat contre un système qui, à bien des égards, la révulse et la scandalise. À commencer par l’homophobie dans l’univers de la glisse, elle qui se présente comme la première surfeuse publiquement gay.

Rien, à priori, ne prédestinait pourtant cette Californienne née à Huntington Beach en 1977 à entrer en résistance.

 

©Jettygirl

C’est en 2001, à l’orée du siècle nouveau, qu’elle commence doucement à se forger une conscience politique. Cori Schumacher est alors âgée de 24 ans et domine la scène longboard de toute sa classe. Double championne du monde sortante, elle peut marquer, un peu plus, de son empreinte l’Histoire de sa discipline en s’adjugeant le titre suprême pour la troisième année consécutive. Il n’en sera cependant rien.

En désaccord avec une industrie, celle du surf, qu’elle juge inéquitable en termes d’égalité salariale entre hommes et femmes, l’Américaine, plutôt que de céder aux sirènes de la gloire, prend le parti de tirer purement et simplement sa révérence.

« Pour la première fois, j’ai vraiment analysé ce que je devais faire et qui je devais être au regard de la dynamique des sponsors pour gagner ma vie en tant que surfeuse professionnelle, explique-t-elle alors dans les colonnes de Curl Magazine. Le montant qu’ils m’offraient était faible, mais j’ai réalisé que, même s’ils m’avaient offert huit fois plus, ça n’en valait tout simplement pas la peine. Je suis donc partie. »

©DR

Écœurée, d’un côté, par un système discriminatoire qu’elle se refuse catégoriquement à cautionner plus longtemps, engluée, de l’autre, dans des problématiques personnelles envahissantes, Cori Schumacher raccroche donc au faîte de sa gloire. « Je l’ai fait, non pas en signe de protestation ou en fanfare, mais discrètement, avec un sentiment d’échec personnel. Je ne pensais pas pouvoir changer quoi que ce soit à ce moment-là. Je voulais juste m’en sortir, me libérer des contraintes que je ne comprenais pas, mais que je ressentais viscéralement. »

Il faudra attendre sept longues années pour qu’elle daigne revenir sur le circuit. « J’ai passé les dix dernières années de ma vie à me construire une vie qui dépasse le cadre du surf, une vie qui ne se résume pas au fait de me vendre pour de l’argent, une vie dans laquelle je ne me contente plus de faire ce que la majorité juge être ‘correcte’ en ce qui concerne ma façon de me comporter dans ma culture et dans le monde, confesse-t-elle dans Jettygirl. Ce choix ne vient pas de mon identité de surfeuse, mais de ce que je suis devenue en dehors du monde du surf. Pour la première fois, la personne que je cachais sous la peau bronzée, les cheveux blonds et de l’aspect joyeux véhiculé par le surf ne pouvait plus cacher la vérité de ce que j’étais devenue. »

©Maria Cerda

Consciente que le monde du surf a fondamentalement peu évolué durant sa longue absence, Cori Schumacher, elle, sait en revanche qu’elle n’est plus la même. Mariée depuis peu à sa compagne, Maria Cerda, elle met à profit, pour la première fois, son statut d’athlète pour prendre, publiquement cette fois, position sur des causes qui la touchent.

À commencer par celle des homosexuels. « Je suis devenue la première championne du monde de surf officiellement gay, rappelle-t-elle sur son site officiel. Dès lors, je me suis attelée à sensibiliser aux droits des homosexuels dans le surf qui était un environnement incroyablement homophobe. »

Malgré un retour à la compétition mûrement pensé et un nouveau sacre mondial en 2010, l’euphorie des retrouvailles ne dure pas.

©Sherri Crummer

La saison suivante, Cori Schumacher claque, définitivement, la porte, scandalisée par le choix, assumé et néanmoins discutable, des instances dirigeantes du surf mondial, de délocaliser les Championnats du monde à Hainan Island en Chine. « Les dépenses de ceux d’entre nous qui étaient invités à participer à cet événement étaient prises en charge par le gouvernement chinois, expose-t-elle dans Curl Magazine. Au regard des valeurs qui sont les miennes, de mes principes et de ce que j’ai choisi de soutenir, je ne me sentais pas à l’aise à l’idée d’accepter de l’argent d’un pays qui a le bilan de la Chine en matière de droits de l’homme. »

Libérée des contraintes liées à sa vie de sportive de haut niveau, Cori Schumacher décide de consacrer son temps retrouvé à défendre des engagements qui lui sont chers. Disparités entre les sexes, homophobie, culture de la consommation, préoccupations environnementales, elle est sur tous les fronts.

©Tozer

Deux ans après sa retraite sportive, elle part en croisade contre Roxy, dénonçant publiquement le contenu d’une vidéo de promotion de l’équipementier australien pour l’une des étapes du Tour féminin.

Dans cette dernière, on y découvre une jolie blonde – dont on apprendra plus tard qu’il s’agit de Stephanie Gilmore, quintuple championne du monde – suavement lovée dans son lit. On la retrouve ensuite, tout aussi sexy, sous la douche avant de la voir waxer sa planche et partir à l’eau. Des séquences propices à des gros plans sur sa poitrine et ses fesses alors que de surf et de performances, il n’est nulle question !

« Les femmes ne sont pas traitées de la même manière que les hommes en ce qui concerne leurs capacités, s’insurge la native du Golden State dans Curl Magazine. Ces dernières ne sont en effet pas mises en avant quand on parle d’elles en tant qu’athlètes. C’est l’image qui définit les athlètes féminines, et les surfeuses, depuis qu’elles existent. Il s’agit là encore d’un autre paradigme du vieux monde qui doit être modifié. Les femmes sont appréciées pour leur capacité à exciter sexuellement les hommes… et donc pour leur apparence. »

Contrairement à son coup d’éclat, solitaire, de Hainan Island deux ans plus tôt, la néo-quarantenaire mise, cette fois, sur une action collective et lance une pétition sur change.org. Plus de 22 000 signatures venues du monde entier, assorties de nombreux appels au boycott, pousseront finalement la marque à revoir, un peu, sa copie, en incluant… 8 petites secondes de surf !

©Chris Grant

Un joli galop d’essai pour Cori Schumacher qui, à force de donner de la voix, va finalement parvenir à trouver sa voie. L’année suivante, elle co-fonde « Institute for Women Surfers », un lieu de rencontre, d’échange et d’entraide pour les femmes, avant de sauter le pas et d’entrer en politique. « Je me suis posé une question importante, s’interroge-t-elle dans TheInertia. Est-ce que je continue à essayer d’apporter des changements en dehors des institutions où les politiques sont élaborées ou bien est-ce que j’essaie d’apporter des changements de l’intérieur ? »

©Hifisamurai

En 2016, elle est élue au conseil municipal de Carlsbad, une ville de plus de 90 000 habitants située dans le comté de San Diego. Elle fera campagne pour en devenir maire en 2018. Battue par l’édile sortant, Matt Hall, l’Américaine se relève rapidement.

Depuis, elle continue, inlassablement, de mener la fronde pour conduire à terme la mission qu’elle s’est fixée : agir, coûte que coûte, pour un monde plus juste. « Transgresser les stéréotypes, transgresser ce que la société vous dit d’être, c’est ce que le surf a toujours été. Nous avons la capacité de transgresser les lignes, les mœurs, et de faire bouger le monde. On ne peut pas résister, s’opposer pendant longtemps avant que cela ne devienne une obligation morale de commencer à créer les changements que l’on veut voir. »

3x Women’s Longboard World Champion, Cori Schumacher, surfing in Cardiff, California

Vous aimerez aussi…

Marie Bochet : « Quand je glisse sur mes skis, j’ai l’impression de danser sur la neige. »

Marie Bochet : « Quand je glisse sur mes skis, j’ai l’impression de danser sur la neige. »

À 28 ans, la multi-médaillée paralympique en ski alpin est auréolée d’une belle image de sportive à la fois zen et déterminée. Avant qu’elle ne s’élance pour les Jeux Paralympiques de Pékin, Marie Bochet, dernièrement double médaille d’or aux Championnats du monde de para sports en Norvège, se livre avec la fraîcheur de sa glisse désormais légendaire. Marie fonce tout schuss !

Lire plus »
Marie Houdré

Marie Houdré, la rugbywoman qui a transformé l’essai

Elle n’imaginait pas sa vie sans sport. Non contente d’avoir participé à la naissance du mouvement sportif féminin en France, Marie Houdré s’est attachée à le développer et le promouvoir à travers la barette, une version revue et corrigée du rugby dans les années 20. Portrait d’une avant-gardiste qui s’est toujours refusée à botter en touche.

Lire plus »
À vos marques, partez... sur les pistes !

À vos marques, partez… sur les pistes !

Ce samedi 29 janvier, dans la station des 7 Laux, aura lieu la première édition du Trail Blanc. Une course nocturne, à pied, sur les montagnes enneigées afin de se dépasser dans une bonne ambiance qui mêlera dépassement de soi et chutes en tout genre.

Lire plus »
Une course de folie pour une runneuse pas ordinaire

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une footeuse qui fait voyager le foot féminin français, une adepte d’ultra-trail qui a le cœur sur la main (Isabelle sur notre photo), une biathlète qui veut tout rafler, une militaire qui excelle sur tous les terrains ou encore une nouvelle Question qui tue pour mieux bouger, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! et c’est juste pour vous !

Lire plus »
Isabeau Courdurier : « Retrouver du plaisir en VTT m’a permis de sortir de mes comportements destructeurs. »

Il était une fois… le VTT féminin

On les regarde descendre des sentiers de montagne, rouler à toute allure entre les obstacles ou réaliser des figures impressionnantes. Et parfois, quand ces vététistes retirent leur casque, surprise, ce sont des filles ! Hé oui, le VTT se conjugue aussi au féminin, la preuve…

Lire plus »
Manaé Feleu : « Quand t'es une fille et que tu dis que tu joues au rugby, on te répond que c’est un sport de brutes . »

Manae Feleu : « Quand je dis que je joue au rugby, on me répond que c’est un sport de brutes . »

Elle mène de front études de médecine et sport de haut niveau. Manae Feleu, 22 ans, a fait ses premières passes au ballon ovale à Futuna avant de tenter l’aventure sur le continent. La deuxième ligne des Amazones de Grenoble, cinq sélections en équipe de France A, n’a qu’un souhait : continuer à tout mener de front et être championne du monde de rugby en 2025. Rencontre.

Lire plus »
Le questionnaire sportif de… Diane Marie-Hardy

Le questionnaire sportif de… Diane Marie-Hardy

Elle ambitionnait les JO, mais son corps a dit stop. En plein championnats de France Elite d’athlétisme, en juin dernier, l’heptathlète Diane Marie-Hardy a dû renoncer à toutes les compétitions en raison d’une blessure au tendon d’Achille. Mais cette sportive acharnée n’a pas dit son dernier mot et a repris sa préparation physique. Entre deux entraînements, elle a répondu à notre petit questionnaire de Proust à la sauce ÀBLOCK!

Lire plus »
Hermine Bonvallet : « Dans le monde du surf, la première technique pour performer : savoir s’adapter »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une rideuse de l’extrême, une folle histoire olympique du passé, une nouvelle chronique de notre marathonienne préférée et une championne qui sort la raquette du placard, c’est le meilleur de la semaine sur ÀBLOCK!. Enjoy !

Lire plus »
Lil'Viber

Lil’ Viber : « Je suis motarde, je me la joue girly et j’adore ça ! »

Elle s’appelle Aurélie Hoffmann alias Lil’Viber. Mais sur les circuits, on l’appelle aussi « Wonder Lili ». Elle, c’est une super héroïne de la bécane qui se déguise comme ça lui chante pourvu que ce soit haut en couleur. Cette nana qui affole les chronos casse les codes à toute berzingue. Ultra féminine, elle est une motarde jusqu’au bout des ongles. Faites de la place !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner