Rechercher

Christine Caron « Être porte-drapeau aux JO a été un grand pas pour le sport féminin. »

Kiki Caron
Elle a marqué, de manière indélébile, les deux campagnes olympiques auxquelles elle a participé. Christine Caron dite Kiki Caron, 73 ans le 10 juillet prochain, s’est adjugée l’argent du 100 mètres dos aux JO de Tokyo en 1964 avant de bousculer les codes en devenant porte-drapeau de la délégation française à Mexico, quatre ans plus tard. Une première mondiale pour les Jeux Olympiques d’été. Rencontre avec une icône qui a fait bouger les lignes, et pas uniquement dans les bassins.

Par Sophie Danger

Publié le 06 juillet 2021 à 9h50, mis à jour le 27 juillet 2021 à 17h43

L’équipe de France olympique s’apprête à entamer une nouvelle campagne au Japon, un lieu qui a marqué votre parcours. C’était en 1964, vous avez 16 ans et vous participez aux épreuves du 100 mètres dos aux Jeux Olympiques de Tokyo. Vous débarquez là-bas avec le statut de favorite. Comment gère-ton un rendez-vous de cette ampleur lorsque l’on est si jeune ?

J’ai eu la chance d’avoir comme entraîneur une femme qui s’appelait madame Berlioux. Elle avait cinquante ans de plus que moi et elle n’était pas qu’un coach.

Grâce à elle, j’ai eu la chance d’aborder ces Jeux Olympiques tout à fait normalement. À l’époque, j’avais battu le record du monde et je survolais la natation européenne. Je savais qu’à Tokyo l’enjeu était important, mais ça me paraissait normal de tester toujours plus fort.

Et puis, pour moi, le sport c’était super, mais il n’y avait pas que ça qui m’intéressait. Je suis une petite fille de Français moyens et c’était aussi l’occasion de voyager, de découvrir des athlètes de différents pays avec qui on pouvait se croiser, se parler…

Participer aux Jeux, c’est un truc unique dans une vie et pour moi, c’était une découverte, mais pas uniquement sur le plan sportif, sur le plan humain aussi.

Ça représentait quoi pour vous les Jeux Olympiques du haut de vos 16 ans ?

Pour moi, c’était un immense rendez-vous, le plus grand que j’ai eu en matière de sport, mais je l’ai abordé tout à fait simplement. Je ne suis pas torturée. Avant une compétition, je sais me préserver. Je l’ai d’ailleurs appris très jeune.

La première fois que j’ai fait une compétition internationale au niveau européen, je devais avoir une douzaine d’années, pas plus. J’avais raté le virage alors que j’étais en tête. Je suis sortie en chouinant parce que je n’étais pas très contente et madame Berlioux m’a dit : « On ne pleure pas devant les gens, va pleurer dans ta cabine ! ».

En somme, il ne faut pas montrer certaines faiblesses sinon on vous grignote et ça ne vaut pas que pour le sport. C’est quelque chose qui m’est resté, une leçon de vie.

Vous alliez, malgré tout, au Japon avec des ambitions sportives ?

Complètement, je n’y allais pas pour ne pas être qualifiée en finale, ni pour être deuxième ou troisième.

Vous vous qualifiez pour la finale du 100 mètres dos, comment avez-vous abordé cette ultime course ?

La nuit qui a précédé la finale, j’ai dormi sans aucun problème. J’étais très concentrée, mais pas stressée. J’avais le trac, mais un trac positif. J’ai toujours eu ça avant chaque compétition. Je ne suis pas une bileuse, je n’ai pas peur, au contraire, pour moi, tout est découverte.

Je me suis malgré tout rendu compte que le niveau était très très élevé et que je n’avais jamais fait une course aussi poussée… J’étais très souvent confrontée à la natation européenne et comme j’avais tous les records d’Europe, je survolais le truc.

Ce qui aurait été bien, c’est que je me confronte à la natation mondiale avant mais, à l’époque, ça ne se faisait pas. Je l’ai fait l’année d’après en participant aux Championnats des Etats-Unis. C’était un peu l’équivalant des Championnats du monde qui n’existaient pas encore.

La natation, à l’époque, c’était un peu l’âge de pierre et en France, le temps des cavernes !

Cette course, complètement folle, au terme de laquelle vous décrochez l’argent derrière l’Américaine ­Cathy Ferguson et devant sa compatriote Virginia Ruth Duenkel, vous en conservez quel souvenir ?

C’était la première fois que je disputais une course où je donnais tout, où j’allais au-delà de l’au-delà. On était toutes les trois du même niveau. J’aurais très bien pu avoir le bronze, l’or ou l’argent.

Ça aurait pu être différent mais pourquoi regretter ? L’important, c’était de ramener une médaille, on en avait très peu en France et, quoi qu’il en soit, ça n’a rien changé dans ma vie.

Ça n’a rien changé dans votre vie et pourtant, votre notoriété explose, le retour en France est triomphal et vous devenez une véritable star…

Quand je suis arrivée à Orly, il y avait une foule immense. On m’a cachée dans les cuisines parce que les gens se ruaient sur moi, m’arrachaient les boutons de ma veste. On ne me faisait pas de mal, mais il y avait une pression populaire intense et qui a duré des années.

En France, il y a des moments je ne pouvais pas aller dans la rue. Je recevais des sacs postaux entiers de courriers. À Tokyo, par exemple, j’en recevais un par jour.

Si vous ne deviez retenir qu’un fait marquant de ces Jeux, ce serait lequel ?

Tout, mais je crois quand même que ce qui m’a le plus marquée, c’est le ressenti quand vous êtes compétiteur, la découverte de ces athlètes du monde entier.

Moi, j’aime bien discuter avec les gens parce que je trouve que c’est très enrichissant de voir comment sont les autres alors, tous ces contacts, c’était très fort pour moi.

Et puis, quand j’ai découvert la piscine olympique, j’ai eu l’impression de rentrer dans une cathédrale. C’était énorme, on n’avait pas de piscine comme ça en France. À Tokyo, tout était…découverte.

Tokyo, c’était votre première expérience olympique mais vous auriez pu également aller à Rome, quatre ans plus tôt ?

Absolument. J’avais fait les minima, mais j’étais trop jeune et ils ne prenaient pas des enfants de 12 ans.

Mais si j’avais fait les Jeux Olympiques de Rome – même si avec des “si“ on ne refait pas le monde – j’aurais eu cette expérience d’une compétition mondiale.

Vous serez également de la partie aux JO de Mexico, en 1968. Cette fois-ci, vous êtes désignée porte-drapeau de la délégation française. Seule, avant vous, la Britannique Mollie Phillips avait eu cet honneur à l’occasion des jeux d’hiver de Lake Placid (États-Unis), en 1932…

Je ne roule pas des mécaniques mais, ça aussi, j’en suis très fière. C’est une fierté parce qu’avant, il n’y avait eu qu’une seule femme a avoir porté ce drapeau.

Je pense que ma nomination était un peu politique, c’était l’année 1968, ça bougeait en France…

Être porte-drapeau, c’est un truc vachement fort. À l’époque, on nous apprenait à marcher au pas, c’était très ordonné. Les couturiers avaient particulièrement soigné mes tenues.

On  représentait la France, mais aussi la mode française, on avait des costumes sur-mesure, c’était magnifique, très élégant.

On avait tout : les chaussures, le sac-à-main, les gants. Moi qui adore tout ça, ça me convenait bien !

Comment s’est passé ce tour de piste ?

On a attendu des heures parce qu’il y avait tous les pays et des ordres de passage. En plus, il faisait une chaleur pas possible. Nous, on était habillés, il fallait faire attention à nos vêtements, on ne pouvait pas s’asseoir n’importe où, c’était compliqué.

Lorsque je suis rentrée sur le stade, il y a eu le passage par le tunnel, sombre, et j’ai été éclaboussée par la lumière, la clarté. Et puis il y a eu un brouhaha incroyable, les cris, on a senti énormément de ferveur. Moi, j’étais bien concentrée, je ne voulais pas me casser la figure avec le drapeau.

Après, il a fallu marcher au pas avec toute la délégation derrière et faire le tour du stade. Sur la pelouse, il y avait un endroit bien précis où se placer pour que toutes les nations soient alignées et puis il y a eu le serment.

C’est tout un rituel et quand vous avez vécu ça, c’est encore un petit plus. Si vous avez eu cet honneur, ça reste gravé.

Il faudra attendre les Jeux Olympiques de 1996 pour revoir une autre femme porte-drapeau, Marie-Jo Pérec, vous aviez la sensation de faire bouger les lignes au Mexique ?

Je l’ai vu parce que toutes les autres nations venaient me voir. Les athlètes trouvaient ça extra qu’une femme porte le drapeau d’une délégation. On échangeait entre nous, certains étaient curieux.

À chaque nouvelle édition des Jeux, j’attendais et je voyais qu’il n’y avait toujours pas de femmes choisies. Au fil du temps, je me suis rendu compte que ça avait été hyper important qu’il y ait une femme, enfin, qui porte le drapeau aux Jeux Olympiques parce qu’il a fallu attendre une petite trentaine d’années pour qu’il y en ait une autre, Marie-Jo Pérec.

Les Jeux Olympiques, c’est quand même un club de messieurs, d’ailleurs ils ont un peu grincé des dents quand ils ont vu que c’était, moi, une jeune femme qui allait avoir cet honneur.

Vous imaginiez alors, qu’après avoir ouvert la voie, il faudrait attendre si longtemps pour qu’une autre femme prenne votre suite ?

C’est déjà bien d’avoir ouvert la voie, mais c’est vrai que ça a été un peu long. Maintenant, il n’y en a pas encore trente-six, mais il y en a de plus en plus, même au niveau mondial.

Porter ce drapeau a été un grand pas pour le sport féminin et si j’ai fait avancer un peu les choses, j’en suis ravie. À l’époque, je ne m’en suis pas tellement rendu compte, mais je l’ai réalisé au fur-et-à mesure.

Aujourd’hui encore, je reçois des lettres d’admirateurs, des témoignages. Ça a marqué et je pense, qu’inconsciemment, ça a fait avancer et progresser mon sport en France.

Soutenez ÀBLOCK!

Aidez-nous à faire bouger les lignes !

ÀBLOCK! est un média indépendant qui, depuis plus d’1 an, met les femmes dans les starting-blocks. Pour pouvoir continuer à produire un journalisme de qualité, inédit et généreux, il a besoin de soutien financier.

Pour nous laisser le temps de grandir, votre aide est précieuse. Un don, même petit, c’est faire partie du game, comme on dit.

Soyons ÀBLOCK! ensemble ! 🙏

Abonnez-vous à la newsletter mensuelle

Vous aimerez aussi…

Delphine Cascarino, l’agréable surprise de l’attaque française

Delphine Cascarino, l’agréable surprise de l’attaque française

L’Euro Foot 2022 va-t-il la révéler ? Delphine Cascarino a marqué les esprits lors du premier match des Bleues en inscrivant le troisième but de la rencontre face à l’Italie. Son palmarès est déjà bien garni, mais une victoire lui fait de l’œil : celle qu’elle ravira sous le maillot tricolore en équipe A. Et elle a tout pour réaliser son rêve. Portrait d’une attaquante inattendue qui vaut le détour.

Lire plus »
i'm sorry majolie mccann

« I’m sorry » ou le sarcastique cri des sportives

C’est l’histoire d’un clip engagé, créé par un couple de jeunes cinéastes au fin fond du Québec et qui devient viral. L’histoire d’une vidéo tournée à la demande d’un coach de soccer qui milite pour l’égalité des sexes dans le sport. C’est l’histoire d’une vidéo qui claque.

Lire plus »
Jeux de Beijing 2022 : 1 fille, 2 garçons pour un drapeau

JO Beijing 2022 : 1 fille, 2 garçons et 1 drapeau

Et le drapeau est attribué à… Tessa Worley, Kevin Rolland et Benjamin Daviet ! Cette semaine ont été désignés les porte-drapeaux de la délégation française pour les Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de Pékin 2022. Récompense méritée pour trois sportifs au palmarès de feu et au mental bien trempé. Petite fiche de révision pour ceux qui ne les connaissent pas (encore).

Lire plus »
Erica Wiebe

Erica Wiebe, la lutteuse qui envoie les clichés au tapis !

Une guerrière, une passionaria, une femme de tête. Championne olympique 2016 en lutte libre, la Canadienne remettra son titre en jeu sur le tapis des prochains JO, à Tokyo. Ambassadrice de la lutte féminine, Erica Wiebe se bat pour que les jeunes filles soient intégrées dans l’arène sportive. Go for showtime !

Lire plus »
Nouria Newman

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Une pionnière du ballon ovale, une femme en coque toujours dans l’extrême (Nouria Newman sur notre photo), une autre faite d’or et de voile, une sprinteuse aux médailles olympiques, une aviatrice avec de multiples records ou encore une pépite prête à s’envoler aux agrès, à Tokyo. Et, en prime, une question qui tue et deux initiatives entre mers et montagnes, c’est sur ÀBLOCK! et nulle part ailleurs !

Lire plus »
Julia Clair

Julia Clair : « Dans le saut à ski, ce qui me drive, c’est le plaisir de voler »

Elle pratique une discipline spectaculaire avec un flegme qui force le respect. Julia Clair, 26 ans, détient le record français de saut à ski féminin. Voler, rêve des humains depuis la nuit des temps, est sa spécialité, son atout, presque inné. Espérant décrocher une médaille aux prochains JO 2022, elle souhaite faire s’envoler la renommée de cette discipline féminine, trop peu médiatisée. Prenons le tremplin avec elle…

Lire plus »
Marine Leleu

Best-of 2022 : nos plus belles rencontres

Converser avec des championnes ÀBLOCK! et des expert.e.s du sport sans langue de bois, what else ? Ici, elles – et ils- peuvent s’exprimer longuement, intimement. Et en 2022, toutes ces personnalités d’exception nous ont régalés. Retour sur ces rencontres inspirantes.

Lire plus »
Cyclisme

La Grande Boucle fait un pied de nez au Covid-19

Le Tour de France aura finalement lieu en août. Il est le seul événement sportif à être maintenu en 2020. Ni reporté ni annulé, la plus célèbre course cycliste prendra la route avec plus d’un mois de retard sur le calendrier, mais ça va rouler malgré tout. Les coureuses, elles, vont (encore) devoir patienter. Autant dire que le Tour féminin n’est plus envisagé.

Lire plus »
Laura Marino

Laura Marino, la plongeuse de haut-vol qui a tout plaqué se livre

Championne d’Europe et du monde en plongeon individuel et d’équipe, elle a mis fin à sa carrière, il y a trois ans, après un burn-out. Aujourd’hui, elle s’élance des plus hautes falaises pour le plaisir. Dans son livre « Se dépasser avec Laura Marino », dernier né de la collection ÀBLOCK!, elle se raconte sans fard et partage ses secrets pour se (re)construire sans peurs.

Lire plus »
Une course écolo, ça vous tente ?

Une course écolo, ça vous tente ?

Comment allier la découverte et le respect de la nature française à la bonne ambiance du sport ? Maud et Frédéric relèvent le défi en organisant la première édition du Trail de France. On vous dit tout.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner