Charlotte Cormouls-Houlès : « Pour aimer la voile, il faut savoir s’émerveiller. »Navigatrice, 27 ans, ingénieur dans l’industrie navale de défense

Charlotte Cormouls-Houlès : « Pour aimer la voile, il faut savoir s’émerveiller. »
Elle a donné un an de sa vie pour la Transat Jacques Vabre qui vient de s'élancer du Havre. Elle, c’est Charlotte Cormouls-Houlès, 27 ans, navigatrice passionnée qui n’aurait jamais imaginé pouvoir s’embarquer dans pareille aventure. Nous l'avons rencontrée deux jours avant son grand départ. Avec sa co-skippeuse Claire-Victoire de Fleurian, la voilà à flot pour voguer vers un rêve devenu réalité.

Propos recueillis par Claire Bonnot

Publié le 31 octobre 2023 à 11h53

« En 2023, mon projet a été de me consacrer pleinement à la préparation de la Transat Jacques Vabre (course à la voile en double entre le Havre et la Martinique, qui s’est élancée ce dimanche 29 octobre et se terminera le dimanche 12 novembre 2023, Ndlr). À deux jours du départ, je me sens assez stressée et excitée en même temps. On va avoir des conditions météo vraiment pas faciles donc ça ajoute un challenge supplémentaire au défi de participer à cette course au large. Nous embarquons sur un Class40 (classe de voilier monocoque hauturier de course et de croisière, Ndlr) et on suit attentivement la météo. Il faudra probablement envisager une petite escale sur le parcours pour attendre qu’une grosse dépression passe.

Charlotte Cormouls-Houlès, à droite, et sa co-skippeuse Claire-Victoire de Fleurian…©Vincent Olivaud

J’ai beau faire de la voile depuis toute petite – je suis Parisienne mais, chaque été, en vacances dans le Finistère en Bretagne, je faisais des stages de voile, cette transat’ me paraissait inaccessible parce que les gens qui font de la course au large ont commencé la compétition dès leur plus jeune âge, ils ont fait des circuits olympiques… Se lancer dans cette grande aventure est généralement l’aboutissement d’une carrière de sportif en voile. Je me disais « Pourquoi pas ? » mais dans longtemps…

Ce qui a changé la donne, c’est la rencontre avec ma désormais co-skippeuse, Claire-Victoire de Fleurian. Pour elle, c’était faisable, elle connaissait des gens qui s’étaient lancés sans avoir pris la trajectoire habituelle, avec toutes ces étapes et expériences en voile. Elle m’a dit « Si ça te tente, on essaye ! ». Il faut dire que Claire avait beaucoup moins d’expérience que moi – Claire-Victoire de Fleurian, 28 ans, a été parachutiste de haut niveau et a été sacrée championne du monde de vol relatif à quatre, avant de se mettre à la voile, Ndlr – je me suis dit si elle ose, je peux aussi ! Alors, après plusieurs navigations d’envergure pour se mettre en jambes, on s’est jetées à l’eau…

©Marine Nationale

Notre première grosse course a été la Normandy Channel Race et ça a été sacrément difficile. Les conditions étaient très dures, pendant six jours, on a pu très peu dormir. On y a pris très peu de plaisir aussi. On s’est même dit : « Mais pourquoi on fait ça ?! ». L’aventure suivante a été plus simple. C’est parce qu’il y a des moments difficiles qu’on apprécie tellement quand tout se passe bien !

Pour la Transatlantique Jacques Vabre, on soutient l’œuvre nationale du Bleuet de France qui vient en aide aux militaires qui ont été blessés ou tués au combat, à leurs familles – les veuves de guerre et les pupilles de la Nation – ainsi qu’aux victimes d’actes de terrorisme. L’œuvre offre un soutien psychologique et financier. On a toutes les deux un lien assez fort avec les armées. Le père de Claire est militaire, aujourd’hui à la retraite, ses deux frères sont également dans l’armée. Elle sait ce qu’il en coûte aux familles quotidiennement : séparations, retours de mission pas simples. Et moi, je travaille dans ce secteur et j’ai été Chef de quart durant un an sur un bâtiment de la Marine Nationale.

©Louis Hulet/Marine Nationale

Concrètement, de notre côté, on représente l’œuvre en portant leurs couleurs dans nos voiles. Ce n’est pas notre sponsor -notre sponsor, c’est Delanchy, une entreprise de transport routier de produits alimentaires frais- ce sont plutôt nous qui les soutenons. On a aussi mené des actions solidaires avec le Bleuet de France : on a emmené naviguer des personnes qui souffrent de chocs post-traumatiques suite à leur service pour les armées, en collaboration avec la Maison Athos, ainsi que des pupilles de la Nation en leur organisant un jeu découverte pour la course au large. C’était une belle façon pour eux de se rencontrer et d’être ensemble.

Mon histoire avec la voile, c’est une histoire familiale : chez nous, c’était stage de voile obligatoire pour tous les enfants ! À l’époque, je suis pas certaine d’avoir été fan… Mais c’est à la suite de nombreuses croisières à la voile en famille l’été, que ça m’a pris. J’adorais le côté voyage, utiliser le bateau pour aller à des endroits qui ne sont pas accessibles autrement. Aller mouiller sur des petites îles désertes, je trouvais ça complètement magique… Ado, j’ai eu envie de pouvoir voyager comme ça, par mes propres moyens.

©Vincent Olivaud

Je me suis donc inscrite à des stages de voile à l’école des Glénans. À ce moment-là, ce n’était encore que dans l’idée de pouvoir emmener des copains voyager sur un voilier. J’ai énormément aimé ces stages, j’en ai enchaîné plusieurs ! C’est quand je suis arrivée en école d’ingénieur que tout a vraiment démarré :  j’ai rencontré des gens qui faisaient de la voile en compétition et j’ai commencé à faire mes premières régates. J’avais 20 ans et c’est déjà « âgée » pour débuter dans la compétition. C’est une toute autre manière de naviguer, mais c’est hyper sympa. Je suis assez compétitrice dans l’âme, donc ça me va.

Pour faire de la voile en compétition, il faut aimer les challenges parce que les conditions sont très dures. Si on ne trouve pas une motivation, on flanche vite. Il faut aussi être un peu « rustique », c’est-à-dire accepter qu’on va être sans cesse mouillé(e), secoué(e), fatigué(e) – on dort pas beaucoup, le bateau bouge pas mal et on a souvent le mal de mer. Rien de très agréable sur le papier, j’avoue ! Et puis, bien sûr, aimer la mer, la nature, savoir s’émerveiller… parce que c’est ça qui est chouette aussi, être seule sur l’océan… et se dire « Wahou ! Quel privilège ! ».

©Vincent Olivaud

Avant même de savoir quelles seront les retombées de cette grande traversée, je sais que ça m’aura apporté la capacité à prendre sur moi dans les moments difficiles – « De toute façon, j’y suis, il faut faire avec ! », une gestion du stress et de la crise, car sur un bateau quand on entend un gros bruit, il faut littéralement être sur le pont et s’en dépêtrer. C’est un bon apprentissage pour la vie de tous les jours : savoir dédramatiser, savoir agir et vite ! J’ai aussi beaucoup appris sur l’entreprenariat : trouver les sponsors, monter une entreprise, gérer nos finances. C’est un sport très complet.

Je suis en année sabbatique depuis le mois de février 2023 pour préparer la Transat Jacques Vabre et je reprendrai mon boulot le 2 janvier 2024. J’arrêterai la course au large, en tout cas pour l’instant, mais pas la voile.

©Vincent Olivaud

Ma grande aventure de l’année prochaine, c’est mon mariage ! Je vais donc arrêter de partir à droite, à gauche, pour construire un peu et on verra. La voile en solitaire, par exemple, ne me fait pas du tout rêver. Mais je sais que je continuerai la régate, au moins sur un ou deux jours, avec mes amis, ma famille. C’est un moyen de vivre des moments très forts. Peut-être qu’à l’arrivée de la Transatlantique, je changerai de vision sur mes projets en voile et que je replongerai illico dans la course au large… Qui sait ? »

©Vincent Olivaud

  • Pour faire la course avec Charlotte et sa co-skippeuse, on vire sur leur plateforme dédiée voileusesaularge.com

Elles aussi sont inspirantes...

Maureen : « Grâce au street workout, on se sent maître de soi-même et de son corps. »

Maureen Marchaudon : « Grâce au street workout, on se sent maître de soi-même et de son corps. »

Suite à une anorexie mentale, Maureen Marchaudon découvre la pratique du street workout, un sport encore jusque-là réservé aux gros bras masculins. Piquée de ces figures qui allient force, agilité et technique, elle devient vite insatiable jusqu’à décrocher le titre de vice-championne de France 2024 de street workout freestyle et à l’enseigner aux femmes qui veulent r(re)trouver la confiance en elles. Who run the world ? Girls !

Lire plus »

Vous aimerez aussi…

Angélique : « Éduquer par le sport, c’est aussi casser les clichés. »

Elle permet à tous d’accéder à une activité sportive. Angélique est éducatrice sportive en collectivité territoriale dans un milieu rural où les installations sportives peuvent venir à manquer. Elle apporte son savoir-faire, son matériel et son naturel généreux aux enfants qui découvrent alors une activité amusante et enrichissante en-dehors des heures d’école. Une belle école de la vie… sur des rollers ou dans une sacrée partie de hockey !

Lire plus »
Nelia Barbosa

Nélia Barbosa : « Après mon amputation, tout ce qui m’intéressait était de savoir si je pourrais encore faire du bateau. »

Elle n’a jamais rien lâché. Atteinte d’une tumeur puis amputée du pied, Nélia Barbosa, passionnée de canoë-kayak, aurait pu abandonner sa vie de sportive. C’était mal la connaître. La voilà aujourd’hui athlète accomplie de paracanoë, médaillée d’argent aux Jeux Paralympiques de Tokyo puis à Paris sur 200m KL3. Nous l’avions rencontrée alors qu’elle était en pleine préparation des Jeux japonais. Elle raconte comment le sport est devenu sa thérapie.

Lire plus »
Flora Vautier, la para athlète de tennis de table inébranlable

Flora Vautier, la para athlète de tennis de table inébranlable

Son ambition ? Entrer dans le top 10 mondial. Flora Vautier, 19 ans, a trouvé dans le para tennis de table un outil de reconstruction après l’accident qui l’a rendue tétraplégique. Les Jeux Paralympiques sont pour elle bien plus qu’un événement sportif planétaire, c’est un moyen de prouver que « tout est possible. »

Lire plus »
Monica Pereira

Monica Pereira, le sport pour sortir de l’ombre

Une jeunesse dans les quartiers difficiles, un parcours chaotique et…le sport. Monica est une survivante. Et c’est parce qu’elle s’est bougée, dans tous les sens du terme, qu’elle est aujourd’hui, à 43 ans, en phase avec elle-même. Depuis un an, elle épouse sa reconversion de coache sportive avec jubilation. Pas peu fière. Elle nous raconte ce qui la raccroche à la (belle) vie. Témoignage précieux.

Lire plus »

Bouger, j’aimerais bien, mais…

Avec le confinement, beaucoup tentent de saisir l’occasion de remettre leur corps en mouvement. Pas facile pourtant, surtout lorsqu’on est seul et que l’espace sportif se limite à ses quatre murs. Alors, généralement, on commence fort puis on se fatigue.
Mais pourquoi si peu d’enthousiasme, même en sachant que le bien-être est au bout de la séance ? Explications.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner