Il y a quelques mois, tu annonçais ton intention de ne pas prendre part aux épreuves nationales de surf qui avaient lieu en Guadeloupe et à la Réunion après avoir calculé ton bilan carbone. Tu as, depuis, engagé une réflexion pour vivre ton sport de manière plus responsable. Comment est née cette prise de conscience ?
C‘est une réflexion qui s’est construite au fur et à mesure et ce, depuis mon enfance. J‘ai toujours été proche de la nature et mes parents y étaient également sensibles. À la maison, on réparait avant de jeter, puis nous avons commencé à recycler et ainsi de suite. Pour l’anecdote d’ailleurs, petite, je voulais un hélicoptère télécommandé, mais je ne l‘ai jamais eu parce que ma mère ne voulait pas qu’il y ait de jouets à pile chez nous ! Voilà, ce sont des petites choses comme celles-ci avec lesquelles j’ai grandi, et je n’ai jamais perdu cette sensibilité.
Étudiante, j’ai commencé un parcours dans les sciences, ce qui m’a permis de mettre des mots sur ce que je ressentais. J’ai découvert qu’il existait des calculs pour mesurer le bilan carbone tout comme il existait des moyens pour diminuer notre empreinte. À partir de là, tout est devenu plus concret et a forgé cette envie qui est la mienne d’avoir l’impact le plus faible possible sur l’environnement, que ce soit en ce qui concerne le carbone ou la préservation de la biodiversité.
Et c’est au cours de cette réflexion que tu as pris conscience que surfer, qui plus est à haut niveau, n’était pas sans conséquence sur l’écosystème dans lequel tu évolues.
Jusqu’alors, comme les autres surfeurs, je partais l’hiver, destination le Sri Lanka, le Costa Rica… Ces voyages étaient un passage obligé pour pouvoir progresser donc je ne me posais pas de questions jusqu’à ce que je mette tout en perspective. Je me suis alors rendu compte que certains aspects de ma pratique allaient à l’encontre de mes convictions, de mes valeurs et je n’avais pas envie que ma performance passe avant elles. À partir de ce moment-là, je n’ai plus eu envie de partir au chaud pendant la saison froide et j’essaie, depuis, d’être performante tout en essayant au maximum de respecter mon environnement et la nature.
Tu dis essayer de respecter la nature, il est impossible d’avoir un impact nul sur son environnement…
C’est vrai qu’il y a des étapes pour lesquelles je continue à prendre l’avion par exemple. C’est le cas d’une étape du circuit européen qui se déroule en Angleterre, deux jours avant une étape française, ce qui ne me laisse pas le temps de faire le trajet autrement. Le problème c’est que, si je renonce à y participer, je peux arrêter le surf de haut niveau parce que c’est une étape qualificative sans laquelle je ne peux pas continuer mon parcours sportif. Néanmoins, je fais de mon mieux pour réduire mon impact : je fais mes trajets à vélo le plus possible, je covoiture, j’ai des toilettes sèches à la maison, je consomme local, de saison, je ne mange pas de viande, je fais mon compost…
Je tente d’agir sur tous les fronts pour compenser ce que je suis contrainte de faire pour ma performance sportive. Je sais que ça pourrait être encore mieux si je faisais une croix sur mon projet sportif mais, pour l’instant, je ne suis pas prête à le faire.
Le surf, c’est ta passion depuis que tu as dix ans. Tu y es venue grâce à tes grands-parents qui t’ont permis de découvrir le bodyboard.
Mes parents ne sont pas surfeurs. Mon père faisait de la pelote basque et ma mère était plus attirée par les sports de nature. Quand j’ai expérimenté le bodysurf, j’ai tout de suite adoré les sensations de glisse, le fait de ressentir la vitesse de la vague, l’énergie de l’océan. Et puis, il y avait aussi l’adrénaline que me procuraient les vagues, plus ou moins puissantes, l’océan qu’on ne contrôle pas. Après ça, j’ai eu envie de prendre plus de risques en essayant de me mettre debout sur une planche et c’est comme ça que j’ai commencé le surf. J’ai surfé tout l’été dans une école saisonnière et lorsque la saison a pris fin, j’ai eu envie de continuer. Mon coach de l’époque m’a conseillé de m’inscrire en club, ce que j’ai fait à Hendaye afin de pouvoir pratiquer toute l’année.
Comment es-tu es passée d’une pratique loisir à une pratique de plus en plus soutenue ?
Au fur et à mesure des mois, des années, je me suis améliorée et le coach qui me suivait m’a proposé d’intégrer la section et de faire de la compétition. Pour en avoir fait plus jeune en athlétisme, je savais que j’étais compétitrice alors je me suis dit : « Allons-y ». J’ai arrêté les sports que je pratiquais en parallèle pour m’entraîner à fond. Par la suite, j’ai intégré la section surf au collège et le pôle au lycée et maintenant, je suis sur les listes ministérielles dans la catégorie relève. Cela signifie que je fais partie de ce que l’on appelle le collectif France et que, lorsqu’il y a besoin de réunir une équipe de France, on pioche dans ce groupe mais je ne bénéficie plus d’aucun encadrement.
Tu t’entraînes par tes propres moyens ?
Oui, je suis livrée à moi-même et je m’entraîne par mes propres moyens. Je pourrais faire appel à un coach mais ça coûte très cher et il y a également une question d’éloignement géographique à prendre en compte. Je me débrouille avec ma mère qui me filme. J‘analyse mes vidéos et je les mets en perspective avec ce que me disaient mes entraîneurs lorsque j’étais plus jeune. Il m’arrive parfois de pouvoir m’offrir un stage avec des entraîneurs, au Portugal par exemple. Je me sers de leurs retours pour réfléchir à ce qui va et ce qui ne va pas dans ma pratique, ce qui me permet de continuer à progresser.
Quand as-tu commencé à penser au haut niveau ?
Je ne sais pas j’avais conscience de cette envie de faire du surf à haut niveau et d’intégrer le CT (le World Championship Tour, le circuit le plus prestigieux dans lequel évolue l’élite, Ndlr) au collège. À cette époque, ce que je voulais, c’était être la meilleure. En revanche, lorsque je suis rentrée au pôle au lycée, là, clairement, je savais quel était mon objectif puisqu’on avait le circuit Europe de pro junior et que l’on commençait à se déplacer également pour faire tout le circuit QS (World Qualifying Series, anti-chambre du circuit élite, Ndlr) et non pas quelques étapes par-ci, par-là. À partir de ce moment-là, mon but était clair et je m’entraînais pour ça.
L’avenir qui se dessine alors pour toi, c’est un gros calendrier de compétitions et de voyages aux quatre coins de la planète pour te frotter aux plus belles vagues du monde. Tu vas partir en Californie, en Israël, au Portugal, en Angleterre, au Maroc, en Indonésie… et peu à peu, tu prends conscience que tu surfes dans un océan malade. Tu t’es demandé si tu allais pouvoir combiner tes idéaux écologiques et tes ambitions sportives ?
En surf c’est vrai que, pour faire simple, plus on est bon plus on suit les bonnes vagues où qu’elles soient et quelle que soit la période de l’année. En ce sens, voyager, et voyager loin, est presque un marqueur de niveau. Je me rendais d’ailleurs bien compte qu’après un mois passé en Indonésie par exemple, mon niveau était bien meilleur parce j’avais pu surfer des vagues de qualité, parce que j’avais pu m‘entraîner plusieurs fois par jour grâce à des conditions clémentes… Ma prise de conscience a été progressive mais elle est venue de moi. J‘ai réalisé que l’avion représentait le pourcentage le plus élevé de mon impact carbone et je me suis dit que, vu tous les efforts que je faisais à côté, c’était dommage.
Je me suis demandé à quel point ne pas faire ce genre de voyages pouvait me désavantager. Je pensais qu’il y avait quelque chose à faire en voyageant moins loin parce qu’on a quand même, en France, une belle côte atlantique avec plein de vagues et que, pour peu que l’on soit un peu dur au froid, ça peut le faire quand même. C‘est comme ça que j’ai pris la décision d’arrêter de partir aussi loin.
Le surf est un sport à classement, manquer un rendez-vous peut avoir des conséquences très lourdes sur ton parcours. Tu vis tes renoncements comme des sacrifices ?
Je me pose beaucoup de questions, mais je ne vois pas ça comme un sacrifice car, si je fais les bons choix, même si mon chemin de vie n’est pas celui que j’avais imaginé, ce sera le bon. J‘essaie en tout cas de prendre les choses comme ça même si, parfois, j’ai l’impression de sacrifier une compétition, une saison, ma carrière, je fais des choix en accord avec mes valeurs, avec qui je suis, ce qui va forcément m’orienter vers ce qui est bon pour moi et vers ce dans quoi je vais m’épanouir plus tard.
S’il se trouve qu’un jour je décide d’arrêter la compétition par conviction écologique, certes j’y sacrifierai ma carrière mais au final, ce sera renoncer pour mieux sauter dans une autre direction, plus en accord avec qui je suis et ce que je veux devenir. Je verrai bien.
Comment tu te déplaces pour suivre ton calendrier de compétitions ? Tu privilégies le covoiturage et le train ?
Toutes les épreuves du calendrier ont lieu en Europe et sont accessibles en voiture. Je fais du covoiturage avec d’autres athlètes pour optimiser mes déplacements parce qu’on ne peut pas voyager en train avec nos planches, c’est trop compliqué et même interdit par la SNCF.
Tu ne peux pas prendre le train avec tes planches ?
Il me faut à peu près cinq planches quand je me déplace. Mon matériel est hyper encombrant, pèse une vingtaine de kilos pour un sac qui fait un peu plus de deux mètres de haut. Même à côté des porte–vélos, il n’y a pas la place. Ce qu’il faudrait, c’est voyager en train et se faire livrer nos planches. Cela signifierait que nos planches arriveraient en voiture, ce qui revient au même que de la prendre nous-mêmes. Je sais que maintenant, il y a des planches pliables mais elles ne rivalisent pas encore avec les planches dont j’ai besoin pour performer en compétition. Il y a des spécificités techniques qui font qu’elles sont moins flexibles, plus lourdes par rapport à celles que je fais avec mon shaper.
Est-ce que le fait de covoiturer signifie que d’autres athlètes de ton entourage partagent les mêmes convictions que toi et tentent de minimiser, eux aussi, leur impact sur la nature ?
Non, pas forcément. La première motivation, c’est la conscience du porte-monnaie : nos budgets sont toujours ric-rac et partir ensemble coûte moins cher que de partir tout seul. C’est pour cela que nous avons l’habitude de covoiturer, de partager des appartements.
Comment réagissent-ils à ce que tu entreprends de ton côté pour une pratique plus vertueuse ?
En ce qui concerne les autres compétiteurs, soit il n’y a pas de réaction, soit on me regarde un peu bizarrement, comme si j’étais l’intruse qui n’a pas capté que, pour être performante, il fallait voyager au bout du monde. Généralement, quand on est surfeur de haut niveau, on n’a qu’un but : être les plus performants possible sans chercher à limiter notre impact environnemental ou à chercher du côté de produits plus éco-responsables.
Ce que j’essaie de véhiculer comme message c’est que, généralement, ce qui est bon pour la nature est bon pour nous. Quelle que soit la raison pour laquelle on se préoccupe de ce qui nous entoure, je m’en fiche à partir du moment où ça fait évoluer les mentalités. Ce sera long probablement parce que le voyage fait partie inhérente du surf, c’est ancré depuis très longtemps.
Est-ce que tu penses malgré tout pouvoir un jour évoluer dans le CT sans avoir à faire des concessions ?
Objectivement, je ne peux pas assurer qu’il est possible d’évoluer dans le Top mondial en adoptant d’autres pratique car je n’y suis pas encore mais il reste que je performe et qu’il y a plein de choses que nous pouvons mettre en place pour diminuer notre impact, même si ce n’est pas parfait. Pour le reste, d’un strict point de vue sportif, je me suis blessée cette année et j’ai fait une saison blanche. La saison prochaine débute en juillet, je vais avoir le temps de me rétablir et de retrouver mes moyens physiques. J‘espère pouvoir me qualifier sur le tour mondial en 2025. Parallèlement, je vais continuer à pousser pour plus de respect de la nature dans le quotidien, mais aussi dans la pratique sportive.