Manon Hostens « Le kayak est une passion que je veux partager. »

Manon Hostens : « Il faut faire entendre notre voix pour guider les jeunes générations ! »
C'est la queen de la descente en kayak. Quadruple championne du monde cette année, Manon Hostens manie la pagaie comme personne, mais n'en a pas moins les pieds sur terre. À 27 ans, elle a à cœur de faire connaître son sport et sait que, pour ça, il faut de belles victoires . Cette fille ÀBLOCK! compte bien poursuivre sur son élan et a déjà les yeux tournés vers les Jeux de Paris 2024.

Par Alexandre Hozé

Publié le 04 octobre 2022 à 11h11

Manon, tu cumules les succès ces dernières années. Il faut dire que tu vis au rythme du kayak depuis tes 8 ans, et ton grand frère n’y est pas étranger… 

Exactement. On a toujours fait pas mal de sport ensemble. En 2000, il assiste à la victoire de Tony Estanguet aux Jeux Olympiques de Sydney et il rêve alors de faire du kayak. Quand nous avons déménagé en Dordogne, quelques temps après, il a pu s’y mettre. C’était un peu la carotte vendue par mes parents ! 

Mais, au début, il ne voulait pas y aller tout seul, il ne connaissait personne. Donc, on m’a presque forcée à l’accompagner pour les premières séances ! Et pas de bol pour lui, dès les premiers coups de pagaie, ça a été le coup de foudre. Je suis tombée amoureuse du kayak instantanément. 

Tu es restée fidèle à cette discipline ou tu as un peu papillonné dans l’univers d’autres sports ? 

Le kayak est définitivement MON sport, mais je suis une grande compétitrice et lorsque j’étais enfant, il y avait très peu de compétitions dans cette discipline. Je me motivais toute seule, j’essayais de battre mon grand frère tant bien que mal. À l’époque, la pratique du kayak, c’était avant tout pour le plaisir de naviguer. 

Alors, pour avoir ma dose de compétition, j’ai pratiqué pas mal d’autres disciplines. Du tennis, du karaté, mais aussi toutes les disciplines possibles en Union Nationale du Sport Scolaire (UNSS) comme le basket, l’athlétisme, le badminton ou le volley. Je montais également à cheval les week-ends. J’ai toujours été une mordue de sport. 

Malgré le manque de compétitions en kayak, tu finis tout de même par te faire repérer. 

Et oui ! Il y avait quelques compét’ départementales quand j’étais benjamine et minime. Et à partir de là, on m’a encouragée à faire les régionaux. J’ai été ensuite sélectionnée pour le challenge national en minime. Là, j’ai découvert une plus grande organisation et également la course en ligne. 

Par la suite, j’ai été invitée sur des stages et c’est à l’un d’entre eux que j’ai rencontré un entraîneur du Pôle espoir de Pau. C’est vraiment le circuit national et ses stages qui m’ont permis de faire davantage de compétitions et donc d’être repérée. 

Tu intègres donc le Pôle espoir de Pau en 2009 et une petite année après, te voilà sur la scène internationale des Jeux Olympiques de la Jeunesse ! 

Oui, c’était la première édition des JOJ qui avait lieu à Singapour. L’épreuve à laquelle j’ai participé était une sorte de mix entre deux disciplines, donc rien à voir avec le programme des Jeux Olympiques classiques. Par exemple, il y avait des virages dans les courses en ligne, le slalom était sur eau plate avec des bouées… 

Mais les JOJ existent en priorité pour faire découvrir les valeurs olympiques aux athlètes de demain. Cette compétition m’a vraiment donné le goût de l’olympisme. 

En 2011, tu entres au Pôle France de Toulouse, où tu retrouves ton grand frère… 

Le Pôle espoir de Pau s’occupe des catégories jeunes et celui de Toulouse des seniors. Donc, mon frère intègre celui de Toulouse un an avant moi. Normalement, j’aurais dû rester plus longtemps à Pau, mais j’avais déjà le niveau pour Toulouse alors que j’étais junior. J’ai évidemment accepté d’être surclasser. 

J’y ai découvert tous les stages nationaux seniors, un encadrement très carré, une superbe dynamique… J’ai aussi pu me mettre sérieusement à la course en ligne en plus de la descente. 

Lors de ma deuxième année junior, j’ai participé aux championnats d’Europe seniors et je suis allée chercher une médaille de bronze en descente et une autre en course en ligne ! 

En parallèle du kayak, tu as obtenu un diplôme de masseur kinésithérapeute. À quel moment ton sport est devenu ton projet professionnel ? 

Assez tard et assez tôt en même temps. Avant de faire du kayak de haut niveau, je voulais être kiné. Mon grand-père a été pas mal aidé par ce métier et ça m’a marqué. Très jeune, j’ai dit à mes parents que je voulais faire ça. 

Même quand j’ai commencé à avoir des résultats en kayak, les études de kiné sont toujours restées dans un coin de ma tête. 

Quand je suis arrivée à Toulouse, je venais d’obtenir mon bac. Et ce qui était très bien au Pôle France, c’est qu’on pouvait travailler à côté. J’ai pu profiter de certaines passerelles grâce à mon statut d’athlète de haut niveau. J’ai tout de suite pu intégrer une école de kiné, plutôt que de passer par une licence de médecine ou une prépa. 

Quand j’étais en junior, il n’y avait pas de problème d’emploi du temps pour cumuler le kayak et les études. Mais une fois passée en senior, ça n’a plus été possible, ça ne passait pas, le calendrier était beaucoup trop dense. 

C’est surtout pour l’année 2016 que ça posait problème. J’avais un double objectif cette saison-là : essayer de me qualifier pour les Jeux Olympiques de Rio en course en ligne et aller chercher mon premier titre mondial en descente.

J’ai réussi à négocier avec mes parents pour vraiment me concentrer sur le kayak et j’ai bien fait ! Non seulement je me suis qualifiée aux JO mais, en plus, j’ai été championne du monde de descente ! 

Et après ça, j’ai validé mon diplôme de masseur kinésithérapeute. 

Ton investissement dans le kayak a porté ses fruits. Deux olympiades, multi-championne du monde à Treignac, en Corrèze… Qu’est-ce qui a été le plus marquant dans tout ça ?

C’est difficile à dire, mon premier titre mondial en 2016 était très important pour moi, mes qualifications aux Jeux Olympiques également. Aussi cette année, aux mondiaux de descente, je suis allée chercher quatre médailles d’or, une performance historique. 

J’ai vécu chacun de mes succès avec beaucoup d’émotions. Mais il y en avait tout de même plus en 2022 ! C’était mon retour en descente, à la maison en plus. Je m’étais concentrée sur le sprint pour les JO de Tokyo, et même à mes derniers mondiaux de descente, je n’avais jamais réussi le grand chelem. 

D’autant que mon père est décédé l’année dernière, j’avais vraiment à cœur d’être présente. Il était mon premier supporter, il a toujours été là pour moi. Les championnats du monde de descente furent donc très émouvants. Mes victoires, elles étaient aussi pour lui. 

Le programme s’annonce chargé pour les années à venir. Dans moins de deux ans, les Jeux Olympiques de Paris commenceront… 

Oui, les compétitions en France auxquelles j’ai déjà participé étaient incroyables, à commencer par les mondiaux de descente de 2022. J’ai hâte de voir ce que ça va donner pour les JO à domicile. 

Ça fait un moment qu’on a cet objectif en ligne de mire, j’ai vraiment l’intention de passer un cap en course de ligne. Ma progression a pris du temps, forcément avec mon double projet descente et course en ligne, mais avec le collectif du sprint, on a les dents longues.

Nous sommes peut-être un peu en retard au vu des résultats récents, mais j’y crois. Nous pouvons nous servir de la dynamique de ces Jeux Olympiques à la maison pour passer un cap. 

Pour toi, l’objectif de ces JO, c’est la médaille d’or ? 

Exactement. Ça va arriver vite, il va falloir d’abord valider les quotas aux mondiaux de Sprint 2023, puis continuer d’être sélectionnée dans le collectif également.

Le parcours est encore long, mais je suis méga-motivée. Je veux aller chercher une médaille à Paris ! 

En plus de ton double projet sportif, tu cumules également les engagements extra-sportifs. C’était important pour toi d’être plus qu’une athlète, de t’engager dans des combats qui te tiennent à cœur ? 

Tout à fait. C’est similaire avec mon envie d’être kiné, je veux vraiment aider les gens qui en ont besoin, qui ont eu une blessure, qui sont en rééducation… J’ai mis ce métier entre parenthèses pour le kayak, afin d’aller au bout de mes projets sportifs. 

Mais j’ai toujours en moi cette volonté d’aider. J’ai donc trouvé le bon compromis, je me suis servie de ma notoriété, que je ne pensais pas si développée d’ailleurs, pour m’engager auprès d’associations. 

J’ai d’abord rencontré Camille, un petit garçon qui se bat contre la maladie de Krabbe. C’est forcément une rencontre qui marque, je me suis investie pour qu’il ait des fonds, qu’il puisse adapter son quotidien.

Et quelques années plus tard, l’association « Gravir pour guérir » est entrée en contact avec moi. J’ai tout de suite accroché, il y avait des projets sportifs, beaucoup d’accompagnement et de recherche… Je me retrouvais complètement dans tout ça.

J’ai gravi le Kilimandjaro avec l’association, eux sont venus m’encourager sur des compét’… Même au-delà du soutien que j’apporte, ce sont aussi des rencontres humaines exceptionnelles. 

Tu t’es aussi engagée sur la place des femmes dans le sport, au travers de conférences avec d’autres sportives. 

C’est important d’en parler, encore plus pour ma discipline. Quand j’ai commencé le kayak, j’étais la seule fille du club. Ce n’est pas un sport très féminin, c’est donc d’autant plus intéressant de faire entendre sa voix et son témoignage, montrer par quoi nous sommes passées. 

Ces conférences étaient des expériences très enrichissantes, et si nous pouvons aider les plus jeunes générations à changer certaines mœurs, c’est important de le faire. Chaque personne doit pouvoir s‘épanouir dans le sport qu’il souhaite. 

Aujourd’hui, tu fais partie de « l’Armée des champions » mis en place par le Centre national des sports de la Défense, une nécessité car le kayak ne s’est toujours pas professionnalisé. 

Oui, le kayak reste un sport très confidentiel, nous ne sommes pas payés par nos clubs, nous ne sommes pas professionnels. Et sans salaire régulier, nous sommes forcément obligés d’avoir d’autres dispositifs en parallèle. 

Une fois mon diplôme de kiné en poche, j’ai essayé de mener de front kayak et activité professionnelle. Mais ça a duré quelques mois, c’est impossible. 

Aujourd’hui, j’ai beaucoup d’aides de la part des collectivités locales, de la fédération également. L’armée des champions complète ça et me permet de faire du kayak comme je l’entends. 

Comment professionnaliser le kayak ? Est-ce un combat perdu d’avance ou y a-t-il des pistes à explorer ? 

On avance petit à petit, le ministère et l’Agence Nationale du Sport mettent en place des dispositifs pour accompagner au mieux les sportifs de disciplines moins médiatisées. 

Après, le développement passera forcément par plus de médiatisation. Et pour arriver à ça, il faut que le public soit intéressé, qu’il ait des personnalités à suivre dans la discipline. Si on ramène de plus en plus de médailles, ça va commencer à faire parler. Il faut travailler notre communication, avoir de gros résultats… Tout ça pourrait pousser des gens à se mettre au kayak.

Les championnats sportifs européens de cet été ont déjà aidé mon sport, nous sommes passés sur France 2, c’était beaucoup plus simple à suivre. Et les Jeux Olympiques de Paris iront également dans ce sens. 

Ce n’est pas d’être professionnelle qui est le plus important pour moi, c’est plutôt de partager ma passion. Je veux être suffisamment accompagnée pour performer mais aussi avoir la possibilité d’intéresser le plus grand nombre à la pratique du kayak. 

Car, en plus de tous les bienfaits apportés par une activité physique, quand on fait du kayak on est au milieu de la nature. Et c’est trop bien ! 

 

Ouverture : ©Manon Hostens

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