Marie Patouillet« Je me suis lancée dans le sport comme on se lance dans l’inconnu. »

Marie Patouillet : « Je me suis lancée dans le sport comme on se lance dans l’inconnu. »
Née avec un handicap au pied et à la cheville, elle n’a aucune limite. Marie Patouillet, médaillée paralympique en cyclisme à Tokyo, a toujours été guidée par son amour du sport, son courage et sa détermination. Un dépassement de soi qui l’a menée sur la piste aux étoiles : celles des athlètes de haut niveau qui inspirent et font avancer bien des causes car cette fille-là roule pour les femmes et les athlètes handisport.

Par Claire Bonnot

Publié le 15 décembre 2021 à 18h49, mis à jour le 13 janvier 2025 à 16h46

Tu es aujourd’hui une championne cycliste. Or, tu es née avec une malformation. Pourtant, dès ton plus jeune âge, tu pratiques tous les sports ou presque… course à pied, natation, ski, surf, hand… C’était le sport à tout prix ?

Sachant qu’un jour, je serai limitée, j’avais envie de découvrir tous les sports possibles et qui m’attiraient. Je me suis lancée dans le sport comme on se lance dans l’inconnu. Personne ne pouvait me dire jusqu’où j’allais pouvoir aller.

Comment as-tu géré ce handicap, physiquement et mentalement ?

Petite, je ne me posais pas trop de questions : j’avais cette insouciance de l’enfance, je n’avais pas d’attentes, je n’avais pas peur de l’échec. J’étais super contente de faire du sport, point.

Mais, c’est vraiment le sport qui m’a permis de me connaître et de percevoir mes limites. C’est comme ça que j’ai découvert le dépassement de soi et ça m’a beaucoup aidée par la suite. Je crois que ça me vidait la tête aussi.

C’était une échappatoire : pour évacuer la tristesse qui découlait du harcèlement scolaire, à cause de ma malformation.

©DR

Et puis, il y eut ce virage fantastique… la découverte du vélo. Raconte-nous ton entrée quasi destinée sur cette piste-là…

J’avais 29 ans et je finissais mes études de médecine dans l’armée. J’ai dû me confronter au fait que ma cheville ne fonctionnait plus comme avant… J’ai été réformée du service de santé des armées car j’étais inapte physiquement.

J’apprends aussi que je ne peux plus pratiquer que deux sports : la natation et le vélo. C’est à ce moment-là qu’une amie m’offre un dossard pour la course en amateur de l’Étape du Tour de France (2017). Même si j’ai galéré pendant neuf heures et que la course a été très dure à terminer, j’ai ressenti un réel plaisir qui rejoignait cette notion de dépassement de soi qui m’avait toujours portée dans ma pratique du sport.

C’était un bonheur de vivre ces sensations que je ne pensais plus pouvoir retrouver. J’avais enfin récupéré cette envie d’aller chercher des objectifs.

Ma dégénérescence articulaire aurait pu m’empêcher de pratiquer un sport mais, avec le vélo, il semblait ne plus y avoir de fatalité. J’avais encore une chance de pratiquer !

©Marie Patouillet

Tu débutes en 2018 dans le cyclisme sur piste et tu es alors licenciée de l’US Créteil qui est une fabrique de champions. Comment, à partir de là, tu t’engages à fond dans le haut niveau ?

J’ai d’abord pratiqué le vélo au sein d’un club dans le 92 pendant un an, mais je n’avais pas trouvé là le bon endroit pour progresser. C’est grâce à une rencontre fortuite que l’on m’a proposé de venir à l’US Créteil. On m’a repérée.

Ça a été un peu le destin. Et c’est rare à mon âge de se lancer dans le haut niveau. On m’a mis à disposition les mêmes moyens qu’aux élites. Au début, je ne réalisais pas trop, je ne me sentais presque pas légitime. Il m’a fallu plusieurs mois pour me dire que j’étais à ma place.

C’est avec les conseils de Grégory Baugé, neuf fois titrés champion du monde de cyclisme sur piste, que je parviens à progresser rapidement. Actuellement, je m’entraîne à l’INSEP cinq à six jours par semaine et une à deux fois par jour.

©Marie Patouillet

Consécration en 2019 : tu décroches la médaille de bronze sur piste aux championnats du monde au 500 m arrêté C5. Tu es l’ « outsider » dis-tu…

À partir de ce moment-là, on me dit que je devrais viser les Jeux de Tokyo, mais ça me paraissait top tôt. J’étais plutôt sur Paris 2024. J’exerçais la médecine en parallèle de mes entraînements qui n’étaient pas encore aussi intenses qu’aujourd’hui.

Quand le projet de Tokyo est devenu réalité, j’ai préparé les choses de manière intensive, de mars 2021 jusqu’aux Jeux en août 2021, je me suis consacrée essentiellement au vélo. J’ai donc stoppé mon activité professionnelle. Mais j’ai la chance d’avoir pu intégrer l’Armée des Champions et d’être soutenue par des sponsors même si je ne gagne pas aussi bien ma vie que si j’exerçais la médecine !

Le cyclisme féminin est encore un terrain confidentiel donc faire des médailles aide à la médiatisation, donc aux financements et ainsi de suite…

©Luc Percival

Justement, les Jeux paralympiques de Tokyo arrivent. Tu remportes deux médailles de bronze : une en poursuite individuelle C5 et une en épreuve sur route…le Graal pour toi ?

Ce qui est assez étrange, c’est que ce ne sont pas ces deux médailles dont je suis la plus fière même si, bien sûr, c’est un accomplissement et j’en suis heureuse.

La course que j’ai préférée est celle sur 500m contre-la-montre C4-C5 où je suis arrivée quatrième car j’ai fait un temps qui, à mes yeux, est exceptionnel (un chrono en 36 secondes et 683 millièmes qui améliore son record personnel, Ndlr). Cela vaut presque les deux médailles pour moi !

©Marie Patouillet

Quels sont tes ressentis quand tu es en selle ?

Je retrouve la sensation que j’avais en course à pied – mon premier amour en sport – mais démultipliée. Car on va plus vite et en particulier sur la piste. On s’enivre de vitesse, on se sent extrêmement libre surtout quand, dans la vie de tous les jours, on est limité physiquement. Ça me fait presque oublier que je ne peux pas courir ou porter de charges lourdes. Je vais quasiment aussi vite que les athlètes sans handicap, comme si j’avais des jambes « normales », c’est grisant !

Le 500m est ma discipline préférée : beaucoup de gens vous diront que je n’ai pas le gabarit pour faire du sprint, mais c’est là où je prends le plus de plaisir sur le vélo.

©Luc Percival

Qu’est-ce qui t’a toujours poussée à continuer le vélo ?

Dans n’importe quel projet, ça a été le plaisir, le plaisir de l’objectif. Mon envie et mon désir doivent primer avant tout. C’est grâce à ça que je peux me lancer, faire des séances d’entraînements hyper dures, aller dans le dépassement de moi-même.

C’est sûr que dans le sport de haut niveau, la notion de performance implique de devoir aller plus loin que ce que le corps entend faire au départ, il faut parfois serrer les dents. Si on a un objectif, c’est un bonheur immense de tout faire pour y arriver.

©Luc Percival

Un moment difficile dans ta jeune carrière mais qui t’a permis de prendre un nouveau virage ?

Le moment le plus dur a été d’être réformée de l’armée parce qu’on m’a annoncé que la course à pied, c’était fini pour moi. La phase de deuil a été très compliquée.

Heureusement, cette course de 2017 a été une révélation pour moi : même sans la course à pied, j’étais capable de me dépasser grâce au sport. Ça a effacé ma frustration.

C’est aussi grâce au sport que je me suis lancée dans mes études de médecine. En cours, je n’étais pas une très bonne élève, le sport m’a offert ce cadeau de pouvoir croire en moi. C’est parce que, sur les terrains, j’arrivais à me dépasser, que j’arrivais à aller au-delà de ma douleur, que je savais que j’arriverai également à affronter cette compétition dans le monde de la médecine.

©Luc Percival

Comment gères-tu ton mental sur la piste ?

Je suis hyper bien entourée, des gens que j’ai choisis comme Grégory Beaugé ou ma préparatrice mentale. Je suis donc dans une structure en laquelle j’ai confiance.

Mon but est plutôt d’aller chercher des records personnels. Je n’aime pas trop parler de médailles. Pour moi, la récompense, la satisfaction personnelle, c’est le record perso. Sinon, en compétition, je fais tout un travail pour être dans l’instant présent et ne penser à rien d’autre que la performance en cours. Je me concentre à fond, de façon que mon esprit soit connectée à mon corps, sans penser à l’avant ou à l’après.

©Christophe Berlet

Après les JO de Tokyo, quel est ton prochain rêve sportif ?

Je suis encore en train de le construire. Déjà, je dois digérer les Jeux de Tokyo qui étaient une aventure totalement personnelle.

Maintenant, j’ai à cœur de me lancer dans une aventure humaine, de faire un relais avec la jeune génération comme, par exemple, avec la super Heïdi Gaugain (Championne de France de paracyclisme de 17 ans, Ndlr) et de m’investir pour l’affirmation de la place de la femme dans le sport. J’ai envie de parler de toutes les discriminations dans le sport, le sexisme notamment.

©Luc Percival

Pour toi, s’imposer quand on est une femme, est essentiel ?

En tant que femme, il faut prendre sa place, oser la prendre. C’est aujourd’hui, avec le recul, que je me rends compte que j’ai essuyé pas mal de remarques sexistes, comme le fait que le cyclisme n’était pas un sport de filles. Ça ne peut plus durer.

D’autant que ces remarques sont souvent faites sur le ton de l’humour… Sans être dans l’agressivité ou sans forcément faire de procès, je crois qu’il faut quand même oser dire qu’elles sont inacceptables.

Que souhaiterais-tu transmettre aux athlètes porteurs d’un handicap ou à ceux qui rêveraient de se mettre au sport mais pour qui c’est de l’ordre de l’impossible ?

Pour moi, dans le handisport, une des valeurs essentielles est l’adaptation. Je crois qu’il existe très peu de situations où rien n’est faisable. Il faut se renseigner, mais il existe de très bonnes structures adaptées, que l’on fasse du sport en loisir ou dans le haut niveau.

©Marie Patouillet

Un petit rituel pour te porter chance avant une course ?

J’ai une routine de préparation mentale et j’écoute beaucoup de musique. Le style dépendra de mon niveau d’activation : du classique si je suis trop pep’s, du rock si j’ai la sensation d’être trop relax, pas assez stressée !

Une athlète qui t’a particulièrement inspirée ?

Petite, j’admirais Marie-José Pérec (triple championne olympique en athlétisme, Ndlr). J’ai eu la chance de la rencontrer à l’Élysée et de le lui dire. Elle me faisait rêver et quand la réalité m’a rattrapée avec mon problème à la jambe, ça m’a tout de même portée.

Et de penser aujourd’hui que j’ai réussi à vivre des Jeux, ça me fait dire que tout est possible.

©Luc Percival

La suite pour toi, elle ressemble à quoi ?

Terminer ma carrière en participant aux JO de Paris 2024. Et reprendre mon métier de médecin qui me manque et que je ne pratique aujourd’hui qu’une fois par semaine. Paris 2024, en apothéose !

©Marie Patouillet

Ouverture ©Marie Patouillet

D'autres épisodes de "Cyclisme, dans la roue des sportives"

Vous aimerez aussi…

FISE

Festival International des Sports Extrêmes (FISE) : les filles, prêtes à devenir des « rideuses » ?

Hervé André-Benoit organise le Festival International des Sports Extrêmes alias FISE depuis plus de vingt ans. Une compétition annuelle de sports urbains qui se déroule chaque année à Montpellier. COVID-19 oblige, ce passionné de BMX et de wakeboard, propose une édition 100 % digital dont le top départ vient d’avoir lieu. Rencontre avec un rider qui tente de convaincre les filles de truster des terrains de jeu traditionnellement masculins.

Lire plus »
Karine Joly et Greg Crozier : « Arriver au sommet du freefly en couple, c'est juste une chance incroyable. »

Karine Joly et Greg Crozier : « Arriver au sommet du freefly en couple, c’est une chance incroyable. »

Seize ans qu’elle fait équipe avec Gregory Crozier, son compagnon à la ville. Karine Joly, 43 ans, a tout plaqué pour vivre sa passion pour le parachute en général, et le freefly en particulier. Un pari couronné de succès puisque le couple collectionne titres et records. Dans leur viseur désormais, un rendez-vous avec l’Everest et une tentative de record du monde mixte aux États-Unis. Rencontre avec un duo qui aime s’envoyer en l’air.

Lire plus »
Caroline Garcia, la saison n'est pas finie…

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Un triathlon interactif, deux Ultra-Trails à couper le souffle, une tenniswoman qui est de retour au top (Caroline Garcia sur notre photo), une militaire à la force spéciale, une pionnière du ballon ovale et la Question Qui Tue, c’est le meilleur d’ÀBLOCK! pour cette semaine. En attendant la prochaine…

Lire plus »
Kessya Bussy, l’éclat discret d’une conquérante

Kessya Bussy, l’éclat discret d’une conquérante

Elle ne fait pas la une, mais elle fait la différence. À 24 ans, Kessya Bussy s’impose comme l’une des joueuses les plus prometteuses du foot féminin français. L’ex-joueuse du PFC qui vient de signer avec Wolfsburg pour trois saisons, incarne cette nouvelle génération de Bleues qui changent le jeu.

Lire plus »
Shaikha Al Qassemi

Shaikha Al Qassemi, celle que le CrossFit a émancipée

Le CrossFit lui a permis de faire la paix avec son corps. À 32 ans, Shaikha Al Qassemi a puisé, dans la discipline, la force de suivre sa propre voie et de s’épanouir physiquement, loin des stéréotypes et des diktats qui régissent la norme. Désormais à l’aise dans ses baskets et bien dans sa tête, l’athlète émiratie n’a qu’une envie, servir d’exemple quitte, en levant des poids, à soulever des montagnes.

Lire plus »
Julia : « Faire le Tour de France un jour avant les hommes était l’occasion de vivre une aventure à la fois humaine et sportive. »

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Du foot, du vélo, des histoires de sportives qui ont eu lieu en juillet… ÀBLOCK! est en mode éditions spéciales avec ses grands dossiers à l’occasion de l’Euro Foot, du Tour de France et des grands événements qui se sont déroulés l’été. Bonne lecture !

Lire plus »
Cédrine Kerbaol, pédaler pour s’échapper

Cédrine Kerbaol, pédaler pour s’échapper

Une blessure l’avait privée de la première édition de la grande boucle féminine, mais, depuis, elle est au rendez-vous. Et la Bretonne Cédrine Kerbaol, 23 ans, y fait des étincelles. Si on se plongeait dans la tête de l’une des coureuses françaises les plus prometteuses ?

Lire plus »
Cléopatre Darleux

Cléopatre Darleux : « Le handball me donne l’impression d’être une wonderwoman ! »

Un rempart à toute épreuve. Cléopatre Darleux est une icône de l’équipe de France de handball et une gardienne de but multi-distinguée dans les compétitions internationales. La championne du monde 2017, épanouie et jeune maman, donne de la voix pour que les joueuses professionnelles soient soutenues dans leur projet perso autant que sportif. Un match qu’elle relève (encore) haut la main !

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner