C’était à Rio de Janeiro, il y a un peu plus de quatre ans. Le 5 août 2016 pour être précise. Alors que la nuit commençait à plonger la mégalopole brésilienne dans la pénombre, Rose Nathike Lokonyen entrait, elle, triomphalement dans la lumière en défilant, du haut de ses 21 ans, sous une bannière inédite, celle des « réfugiés », à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la 31e édition des Jeux Olympiques modernes.
Un souvenir inoubliable pour la jeune Sud-Soudanaise que rien, pourtant, ne prédestinait à vivre une telle expérience. Il faut dire que, jusqu’alors, la vie n’avait pas été tendre avec elle.
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Originaire de Chukudum, une petite ville du Soudan du Sud, Rose Nathike Lokonyen n’avait en effet jusqu’alors connu que la guerre. Elle n’est qu’une enfant lorsque les combats entre les Didinga, sa tribu, et celle des Toposa poussent sa famille à fuir. « Ils sont venus de nuit et ils nous ont attaqués se souvient-elle avec émotion dans les colonnes de USA Today. Avec mes parents, nous avons couru vers un buisson pas loin, c’est là que nous nous sommes cachés. »
S’en suit une nuit de terreur avant un exode forcé. Il y aura d’abord un interminable périple à pied, puis en camion avant que Rose Nathike Lokonyen, ses parents et ses frères et sœurs ne parviennent à rejoindre le Kenya. Sains et saufs.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés les prend alors en charge et les installe à Karkuma, une grosse bourgade du comté de Turkana située à 90 kilomètres de la frontière sud-soudanaise où se dresse, depuis 1969, l’un des plus grands camps de réfugiés au monde.
Petit à petit, le quotidien s’y organise. La jeune exilée reprend le chemin de l’école. Lorsque l’un de ses professeurs lui propose de participer à un défi sportif, elle accepte. L’enjeu, pourtant, est énorme : dix kilomètres à parcourir, aucune expérience de la course. « Certains d’entre nous couraient sans chaussures, comme moi s’amuse-t-elle dans une interview accordée à l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. C’était la première fois que je courais, et je suis arrivée deuxième, j’ai été très surprise ! »
Grisée par cette expérience, Rose Nathike Lokonyen se prend au jeu. Et commence à courir. Matin et soir. Chaque jour. Inlassablement. En 2015, elle s’inscrit au départ d’un 5 000 mètres, à destination des habitants du camp, organisé conjointement par le Comité International Olympique et Tegla Loroupe, première Africaine à avoir remporté le marathon de New York.
L’apprentie fondeuse s’impose et prend immédiatement la direction du Tegla Loroupe Training Camp for Athlete Refugees basé à Ngong, pas loin de Nairobi, en compagnie de 42 autres jeunes talents.
Pendant des mois, la jeune déracinée va s’entraîner. Apprendre. Découvrir. Jusqu’à ce jour de juin 2016 qui va définitivement sceller son destin. Rose Nathike Lokonyen est retenue, avec neuf de ses compagnons de fortune, pour participer aux Jeux Olympiques de Rio.
Honneur parmi les honneurs, elle est également désignée porte-drapeau de cette première équipe de réfugiés de l’Histoire. « Je suis très excitée confiait-elle alors au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. C’est la première fois que les réfugiés ont une chance de participer aux Jeux Olympiques. Ça nous donne de l’espoir et ça va nous permettre d’encourager les jeunes générations restées dans les camps à faire fructifier leur talent. »
Alignée sur 800 mètres au Brésil, la protégée de Tegla Loroupe ne parviendra pas à rivaliser avec ses concurrentes. Sportivement, il est encore trop tôt et son parcours s’arrête dès le premier tour.
Mais l’essentiel, finalement, était ailleurs. En foulant le tartan du Maracaña, la jeune Sud-Soudanaise a réussi, devant pas moins de trois milliards de téléspectateurs, à évoquer le sort des quelques 65 millions de personnes qui, comme elle, ont été contraintes de quitter leur pays, leur patrie, pour échapper aux persécutions dont ils étaient victimes. « Être réfugié ne signifie pas que nous ne sommes pas des êtres humains comme les autres rappelait-elle avec justesse. Nous pouvons faire ce que les autres font. »
Depuis, Rose Nathike Lokonyen poursuit son chemin. Son temps, elle le partage entre l’université où elle étudie la gestion d’entreprise, et la compétition. Présente aux Mondiaux de relais au Japon en 2017, qualifiée pour les Championnats du monde d’athlétisme de Londres la même année puis ceux de Doha, deux ans plus tard, elle rêve à présent de goûter, de nouveau, au frisson olympique et s’entraîne pour Tokyo.
Et si la pandémie de Covid-19 a compliqué ses plans, elle sait désormais mieux que quiconque que la ténacité finit toujours par payer. « Dans la vie, n’abandonnez jamais conclue-t-elle dans un entretien accordé à l’agence de presse chinoise Xinhua. Il ne faut jamais perdre espoir. Pour moi, le sport signifie beaucoup. Il m’a fait connaître et il a inspiré d’autres réfugiés. Le sport m’a aussi évité de n’être qu’une réfugiée. Vous n’êtes pas que des réfugiés, c’est seulement un terme. »
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