Rose Nathike Lokonyen Le sport pour refuge

Rose Nathike Lokonyen
Elle n’est pas une athlète comme les autres. En 2016, Rose Nathike Lokonyen participait aux Jeux Olympiques de Rio de Janeiro au sein de la première équipe de réfugiés de l’Histoire. Depuis, la jeune sud-soudanaise continue de tracer sa route, utilisant le sport pour mettre en lumière le sort de ceux qui, comme elle, ont dû fuir leur pays. Portrait d’une sportive qui (re)vient de loin.

Par Sophie Danger

Publié le 25 novembre 2020 à 18h36, mis à jour le 29 juillet 2021 à 14h41

C’était à Rio de Janeiro, il y a un peu plus de quatre ans. Le 5 août 2016 pour être précise. Alors que la nuit commençait à plonger la mégalopole brésilienne dans la pénombre, Rose Nathike Lokonyen entrait, elle, triomphalement dans la lumière en défilant, du haut de ses 21 ans, sous une bannière inédite, celle des « réfugiés », à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la 31e édition des Jeux Olympiques modernes.

Un souvenir inoubliable pour la jeune Sud-Soudanaise que rien, pourtant, ne prédestinait à vivre une telle expérience. Il faut dire que, jusqu’alors, la vie n’avait pas été tendre avec elle.

Rose Nathike Lokonyen
©DR

Originaire de Chukudum, une petite ville du Soudan du Sud, Rose Nathike Lokonyen n’avait en effet jusqu’alors connu que la guerre. Elle n’est qu’une enfant lorsque les combats entre les Didinga, sa tribu, et celle des Toposa poussent sa famille à fuir. « Ils sont venus de nuit et ils nous ont attaqués se souvient-elle avec émotion dans les colonnes de USA Today. Avec mes parents, nous avons couru vers un buisson pas loin, c’est là que nous nous sommes cachés. »

S’en suit une nuit de terreur avant un exode forcé. Il y aura d’abord un interminable périple à pied, puis en camion avant que Rose Nathike Lokonyen, ses parents et ses frères et sœurs ne parviennent à rejoindre le Kenya. Sains et saufs.

Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés les prend alors en charge et les installe à Karkuma, une grosse bourgade du comté de Turkana située à 90 kilomètres de la frontière sud-soudanaise où se dresse, depuis 1969, l’un des plus grands camps de réfugiés au monde.

Petit à petit, le quotidien s’y organise. La jeune exilée reprend le chemin de l’école. Lorsque l’un de ses professeurs lui propose de participer à un défi sportif, elle accepte. L’enjeu, pourtant, est énorme : dix kilomètres à parcourir, aucune expérience de la course. « Certains d’entre nous couraient sans chaussures, comme moi s’amuse-t-elle dans une interview accordée à l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés. C’était la première fois que je courais, et je suis arrivée deuxième, j’ai été très surprise ! »

Rose Nathike Lokonyen
©UNHCR-Benjamin Loyseau

Grisée par cette expérience, Rose Nathike Lokonyen se prend au jeu. Et commence à courir. Matin et soir. Chaque jour. Inlassablement. En 2015, elle s’inscrit au départ d’un 5 000 mètres, à destination des habitants du camp, organisé conjointement par le Comité International Olympique et Tegla Loroupe, première Africaine à avoir remporté le marathon de New York.

L’apprentie fondeuse s’impose et prend immédiatement la direction du Tegla Loroupe Training Camp for Athlete Refugees basé à Ngong, pas loin de Nairobi, en compagnie de 42 autres jeunes talents.

Rose Nathike Lokonyen
©DR

Pendant des mois, la jeune déracinée va s’entraîner. Apprendre. Découvrir. Jusqu’à ce jour de juin 2016 qui va définitivement sceller son destin. Rose Nathike Lokonyen est retenue, avec neuf de ses compagnons de fortune, pour participer aux Jeux Olympiques de Rio.

Honneur parmi les honneurs, elle est également désignée porte-drapeau de cette première équipe de réfugiés de l’Histoire. « Je suis très excitée confiait-elle alors au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. C’est la première fois que les réfugiés ont une chance de participer aux Jeux Olympiques. Ça nous donne de l’espoir et ça va nous permettre d’encourager les jeunes générations restées dans les camps à faire fructifier leur talent. »

Rose Nathike Lokonyen
©CIO

Alignée sur 800 mètres au Brésil, la protégée de Tegla Loroupe ne parviendra pas à rivaliser avec ses concurrentes. Sportivement, il est encore trop tôt et son parcours s’arrête dès le premier tour.

Mais l’essentiel, finalement, était ailleurs. En foulant le tartan du Maracaña, la jeune Sud-Soudanaise a réussi, devant pas moins de trois milliards de téléspectateurs, à évoquer le sort des quelques 65 millions de personnes qui, comme elle, ont été contraintes de quitter leur pays, leur patrie, pour échapper aux persécutions dont ils étaient victimes. « Être réfugié ne signifie pas que nous ne sommes pas des êtres humains comme les autres rappelait-elle avec justesse. Nous pouvons faire ce que les autres font. »

Rose Nathike Lokonyen
©JubaTV2

Depuis, Rose Nathike Lokonyen poursuit son chemin. Son temps, elle le partage entre l’université où elle étudie la gestion d’entreprise, et la compétition. Présente aux Mondiaux de relais au Japon en 2017, qualifiée pour les Championnats du monde d’athlétisme de Londres la même année puis ceux de Doha, deux ans plus tard, elle rêve à présent de goûter, de nouveau, au frisson olympique et s’entraîne pour Tokyo.

Et si la pandémie de Covid-19 a compliqué ses plans, elle sait désormais mieux que quiconque que la ténacité finit toujours par payer. « Dans la vie, n’abandonnez jamais conclue-t-elle dans un entretien accordé à l’agence de presse chinoise Xinhua. Il ne faut jamais perdre espoir. Pour moi, le sport signifie beaucoup. Il m’a fait connaître et il a inspiré d’autres réfugiés. Le sport m’a aussi évité de n’être qu’une réfugiée. Vous n’êtes pas que des réfugiés, c’est seulement un terme. »

Vous aimerez aussi…

Tassia : « J’ai tout de suite été douée en kayak, ça aide beaucoup à l’aimer ! »

Tassia : « Le kayak polo est un sport plus beau que brutal. »

Kayak-poloïste, quésaco ? Tassia Konstantinidis, la vingtaine énergique, est de cette espèce trop méconnue : une athlète de kayak-polo, discipline du kayak qui a porté l’équipe française féminine en championnat national, européen et mondial jusqu’au Graal : la première marche du podium des Championnats d’Europe 2021. Avec, à son bord, cette jeunette de l’équipe senior. Témoignage d’une sportive de haut niveau qui tient bon la pagaie.

Lire plus »
5 infos sur...Clarisse Agbegnenou

5 infos sur…Clarisse Agbégnénou

Cumuler les titres de gloire, s’engager en dehors des tatamis, s’illustrer dans le judo comme dans son métier d’adjudant… Qui est Clarisse Agbégnénou, l’une des meilleures judokates mondiales ? Réponse en 5 infos clés.

Lire plus »
Juliette Labous : " Dans le vélo, je suis arrivée au bon moment, quand les filles ont pris la parole."

Le Best-of ÀBLOCK! de la semaine

Les footeuses tricolores à la poursuite du Graal, le récap’ des mondiaux de para-athlétisme, deux podcasts ÀBLOCK!, un événement glaçant, le lancement de la Grande Boucle féminine (avec notre Juliette Labous nationale sur notre photo) ou une jeune triathlète inspirante, c’est le meilleur de la semaine sur ÀBLOCK!. Enjoy !

Lire plus »
Guillaume Dietsch : « L'un des paramètres qui fait que les filles n’osent pas se lancer, c’est parce qu’elles ressentent un sentiment d'insécurité. » Kids

Guillaume Dietsch : « L’un des paramètres qui fait que les filles n’osent pas se lancer, c’est parce qu’elles ressentent un sentiment d’insécurité. »

Professeur agrégé d’EPS à l’UFR STAPS de l’Université Paris-Est Créteil, Guillaume Dietsch s’est penché sur la manière d’envisager pratique sportive chez les garçons et les filles. Résultat de ses travaux ? Peu de choses sont mises en place pour faciliter l’accès au sport de ces dernières.

Lire plus »

Il était une fois le judo… féminin

Art martial, il a longtemps été une « histoire de bonhommes ». Les compétitions de judo, littéralement « voie de la souplesse », ne se sont ouvertes aux femmes qu’en 1980. Une certaine Rena « Rusty » Kanokogi trouva pourtant un subterfuge pour fouler les tatamis bien avant l’heure…

Lire plus »
Sarina Wiegman, la maestro du ballon rond

Sarina Wiegman, la maestro du ballon rond

Celle qui a déjà à son palmarès deux Championnats d’Europe fait aussi office de pionnière : elle est la première entraîneuse, hommes et femmes confondus, à avoir disputé deux finales de Coupe du monde de foot féminines avec deux nations différentes. La Néerlandaise Sarina Wiegman, coach des Lionesses anglaises, attire aujourd’hui les convoitises des sélections masculines.

Lire plus »

Recherche

Soyez ÀBLOCK!

Abonnez-vous à la newsletter

Mentions de Cookies WordPress par Real Cookie Banner