Ça fait quoi, à 21 ans, d’être la femme jockey la plus titrée des courses en France ?
C’est gratifiant ! C’est vrai que je suis jeune, mais je ne sais pas si l’âge rentre en compte. J’espère bien que, même lorsque je serai plus vieille, ça continuera.
Ce métier, tu as eu envie de l’exercer très jeune. Qu’est-ce qui a fait que tu te sois dirigée dans cette voie ?
Mon oncle (Éric Antoinat, ndlr) était jockey et je voulais faire comme lui. Il y a aussi les sensations que l’on ressent à cheval, la compétition, l’adrénaline, la vitesse. C’est tout cet ensemble qui fait que je ne voulais pas faire autre chose.
Il en pensait quoi ton oncle ? Il t’a mis en garde contre certains travers du milieu ?
Il n’était pas trop pour, c’est vrai. À son époque, les filles, dans le domaine des chevaux, c’était compliqué. Il m’a prévenue, il m’a dit de faire attention, que ce n’était pas facile, que lui, un homme, en avait bavé, alors… Maintenant, il est mon premier supporter.
Tes parents aussi étaient sceptiques. Pour eux, jockey était un métier d’hommes et ils voulaient que tu poursuives tes études. Comment as-tu réussi à les convaincre ?
Mes parents, comme beaucoup de parents, avaient envie que leurs enfants fassent des études, qu’ils aillent loin. Maintenant, il est rare de voir un adolescent de 15 ans savoir déjà ce qu’il veut faire de sa vie et moi, c’était écrit. Les parents sont là pour nous aider, pas pour aller contre notre volonté. Une fois qu’ils ont accepté et sont allés dans mon sens, c’est pareil que pour mon oncle, ils ont été mes premiers fans.
Ils vont même tout faire pour que tu réussisses ! Ton père, par exemple, t’emmenait tous les samedis chez l’entraîneur Bernard Goudot. Pendant que tu montais, lui qui était gérant d’entreprise dans la métallurgie, travaillait dans le camion. Rien ne pouvait te dévier du chemin que tu t’étais tracé ?
Non. Les chevaux, c’est ma passion et je n’ai pas vraiment d’explications là-dessus. Il est vrai néanmoins que sans mon père qui m’emmenait tous les samedis, je n’en serais peut-être pas là. Je pense qu’il a vu sa fille vraiment passionnée pour quelque chose et qu’il a tout donné pour que je puisse aller au bout. Mais j’étais une fille sage, malgré tout !
Ces samedis t’ont d’ailleurs confortée dans tes choix, tu dis même que Bernard Goudot t’a fait adorer encore plus ce métier. Qu’est-ce que tu as découvert de plus à ses côtés ?
J’ai tout découvert. Les chevaux de courses, je ne connaissais pas avant. C’est lui qui m’a tout montré et, à partir de là, c’était parti !
Le fait que ce métier soit, majoritairement, exercé par des hommes n’a eu aucune incidence sur ta détermination ? Tu ne t’es jamais dit que ce n’était pas possible ou que ça allait être peut-être trop dur ?
Non, pas spécialement. Une fois que je suis rentrée à l’AFASEC (école des courses hippiques, association qui accompagne le développement du secteur des courses hippiques, ndlr), il y avait beaucoup de filles qui étaient là pour faire la même chose que moi. Rien n’aurait pu me détourner de mon envie, elle était trop forte.
L’AFASEC, tu l’intègres en seconde. En fin de cursus, tu décroches ta première victoire en course école pour le compte de l’entraîneur Alain de Royer Dupré. Tu t’en souviens ? Tu as ressenti quoi ?
C’était la dernière année d’AFASEC et c’était génial. Les courses écoles, c’est vraiment l’idéal pour se rendre compte si ce métier est vraiment celui que l’on veut faire ou pas. Il y a beaucoup de gens qui entrent ici pour exercer cette profession et qui, finalement, changent de voie. Moi, non. Une fois que j’ai gagné ma première course école, je me suis dit que je voulais faire ça toute ma vie.
Par la suite, en juillet 2017, tu arrives chez l’entraîneur Jean-Pierre Gauvin. Tu es alors cavalière d’entraînement…
Ca n’a pas duré longtemps. Je suis arrivée chez Jean-Pierre en juillet et je m’étais dit que s’il me faisait débuter pour lui en course officielle en septembre, ce serait bien. Finalement, dix jours après, j’étais déclarée à Vichy et de là, tout s’est enchaîné. J’ai monté beaucoup en province, une fois par semaine. Cette année-là, tout est venu gentiment et ça s’est accentué l’année suivante.
Cette première course officielle, comment tu l’as vécu ?
Je n’avais qu’une envie, recommencer ! Physiquement, ce n’était pas facile au début, mais ça permet de voir tout ce qu’il faut améliorer et après, on attend la prochaine monte avec impatience.
Ton premier gagnant va venir très vite…
C’était à Cavaillon, sur le cheval Cajarian, au mois de septembre 2017. C’était une vraie récompense. Mon oncle et mes parents n’étaient pas là, mais quand je les ai appelés pour leur dire que j’avais enfin gagné, ils étaient plus qu’heureux, c’était ouf !
Tu étais plus heureuse pour qui, pour eux qui t’ont aidée ou pour toi ?
Pour moi, pour les deux, mais aussi pour mon patron et pour le propriétaire qui avait du mal à me faire confiance au début et qui m’a laissé une chance. C’était top.
Même si les femmes jockeys sont de plus en plus nombreuses, il y a encore des réticences, de la part des propriétaires notamment, à leur faire confiance. Comment es-tu parvenue à contourner cet obstacle ?
Les filles, dans ce milieu, c’est relativement nouveau et on peut comprendre que, pour les propriétaires, c’est effrayant de faire monter quelqu’un de nouveau, quelqu’un qui n’a pas d’expérience et qui plus est une fille… Pour ma part, mon patron a toujours insisté auprès d’eux pour me donner ma chance. Comme ça s’est bien passé, on a continué à me faire confiance.
Pourtant, le sport hippique est une discipline mixte…
Oui, mais c’est surtout très sportif. Et on sait que d’un point de vue de la condition physique, filles et garçons sont différents. Pour pallier à ça, nous, les filles, avons été aidées avec la décharge de poids. Elle nous a été très bénéfique pour faire notre place et habituer les gens à voir des filles dans les pelotons.
Est-ce qu’on pourrait assimiler ça à une sorte de discrimination positive ? Est-ce que c’est facile à vivre ?
Ça a été notre chance, c’est ce qui a incité les filles à monter, alors c’est bien. Mais il est vrai que le fait d’avoir besoin de ça pour que les entraîneurs nous fassent confiance…ce n’est pas très flatteur.
C’est pour améliorer ta condition physique que tu as fait appel à Ingrid Giraud, une ancienne basketteuse professionnelle devenue coach ?
Exactement. Quand j’ai commencé à beaucoup monter, je me suis rendu compte que le physique, c’était très important et que j’avais besoin de progresser à ce niveau-là. C’était nécessaire à tous les points de vue, physique mais aussi mental. Grâce à elle, physiquement, j’étais beaucoup plus à l’aise à cheval, j’avais beaucoup plus de force. Mentalement, ça me permettait de prendre plus confiance en moi, ainsi, on connaît mieux son corps.
Non, malheureusement. On faisait des séances deux fois par semaine, ce qui me prenait pas mal de temps. Maintenant, ce temps, avec les courses, je ne l’ai plus… Ce qui, malgré tout, est un point positif.
Peu à peu, tu t’es fait un nom. Tu as décroché 86 victoires en l’espace de deux ans. Le cru 2020 sera encore plus exceptionnel avec 83 succès en une seule saison ! Tu expliques que, à chaque fois que tu passes le poteau en tête, tu te répètes que cette vie que tu as choisie est incroyable. C’est quoi le plus beau moment jusqu’à présent ?
Il y en a tellement, c’est difficile à dire ! Je pense que c’est mon année 2020 de manière globale. Cette saison-là, on avait un objectif et, à chaque victoire, on s’en approchait un peu plus. De fait, il est difficile de dire s’il y a eu une plus belle victoire que les autres, toutes ont compté et m’ont permis de décrocher la Cravache d’or. Il y a eu aussi mon premier quinté, c’était là où on a égalisé, c’était vraiment une belle course !
Cette Cravache d’or, c’était un objectif pour toi dans l’absolu ou pas du tout ?
Non, absolument pas ! Je venais de perdre ma décharge et de passer professionnelle, je voulais juste faire une année correcte et la Cravache d’or n’était pas du tout un objectif. Ça l’est devenu après le mois d’août exceptionnel que l’on a fait, après Vichy plus précisément. Je ne m’attendais pas du tout à ce que ça arrive si tôt dans ma carrière. Pour moi, cette distinction représente la consécration de beaucoup de choses, de mes rêves d’enfant, de mes années d’école…
Quand on décroche cette première distinction à 21 ans, on vise quoi ensuite ?
Le plus dur dans ce métier, c’est de rester régulier, c’est faire que l’on ne vous oublie pas au fur et à mesure des années. Des objectifs, du coup, il y en a plein et notamment de reproduire les mêmes belles années pendant longtemps.
Au terme de cette année 2020, tu deviens également la première femme à faire partie du Top 10 des jockeys français. C’est une sorte de consécration pour toi ?
C’est une de mes plus belles satisfactions. C’est vraiment incroyable, je n’aurais jamais pensé y arriver si jeune ! Cette place, ça a vraiment été le bel objectif que je n’aurais jamais imaginé atteindre si tôt.
Tu es une pionnière. Quel conseil pourrais-tu donner aux jeunes filles qui veulent suivre tes traces ?
Ce serait de toujours y croire et de travailler très dur parce que le travail paie vraiment. Je leur dirais aussi de ne jamais abandonner.
Tes performances vont contribuer à faire évoluer le regard que l’on porte sur les femmes jockeys. Ce regard, tu sens qu’il a évolué ces dernières années ?
C’est difficile à dire. Moi, je suis arrivée en même temps que la décharge de poids. Pour le reste, c’est un tout. J’ai été en forme une bonne partie de l’année alors on a fait beaucoup appel à moi. Malgré tout, je sens une certaine évolution dans le sens où il y a plus de filles qui montent des quinté et qui montent régulièrement. C’est ça le gros changement.
Certaines jockeys sont parfois contraintes à l’exil pour exercer leur métier, c’est le cas notamment de Mickaëlle Michel dont tu as battu le record de victoires et qui est au Japon. Tu serais prête à partir s’il le fallait toi aussi ?
S’il y a besoin, un jour, de partir, je n’hésiterai pas. À l’étranger, en Angleterre par exemple, les femmes sont assez bien représentées. Maintenant, pour l’instant, ça se passe très bien en France et il n’y a pas de raisons de partir.
Tu dis que le plus gros objectif est de durer, que c’est ce qu’il y a de plus dur dans cette profession et qu’il faut, avant tout, essayer de ne pas être qu’un effet de mode. L’avenir, tu le vois comment ?
Mon objectif n’est pas de refaire la même année que l’année dernière, mais de faire au moins presque aussi bien. Je m’attends toujours à la rechute. Et c’est ce qui me tient.