Tom Bartowicz « Une photo peut être plus percutante qu'un film de deux heures. »
Il est celui qui a su poser un regard saisissant sur les maux de la patineuse Sarah Abitbol. La championne sur glace, violée à 15 ans par son entraîneur, a fait appel à ce poète de l’image pour son expo « Cri d’alerte » dénonçant les violences sexuelles dans le monde sportif. Pour ÀBLOCK!, le photographe Tom Bartowicz nous raconte ses 5 clichés les plus bouleversants.
Par Valérie Domain
Publié le 28 février 2023 à 20h08, mis à jour le 28 avril 2023 à 14h59
Tu es réalisateur, comment la photographie s’est-elle invitée dans ton parcours ?
La photographie s’invite logiquement lorsqu’on fait un film. Ça a toujours fait partie de moi. C’est naturel. J’aime la photographie, raconter une histoire en images, la lumière, l’instantané.
Même si on prépare tout, on a toujours des surprises. Certaines photos sont parfois plus fortes que des films de deux heures. Certaines photos disent tout.
De quelle façon le travailavec Sarah Abitbol pour son exposition « Cri d’alerte » a-t-il commencé ?
J’ai croisé Sarah Abitbol alors qu’elle développait son association « La Voix de Sarah », elle avait eu vent de quelques-unes de mes réalisations. Son projet d’exposition était en cours de maturation et elle a fait appel à moi. Elle est venue avec des idées, celle donc de faire une expo sur les agressions sexuelles dans le monde sportif.
Je lui ai proposé une approche très artistique, pour d’abord permettre au spectateur de ressentir avant d’entrer au cœur du sujet. Ça lui a plu qu’on aille au-delà de la prévention, qu’on soit aussi touchés, qu’on trouve ça beau. Aller dans l’émotion puis, dans un deuxième temps, comprendre l’intention. Ça prend alors une autre dimension.
Sarah m’a donné carte blanche. C’était la première fois que j’avais l’occasion de créer, de défendre un sujet aussi important. Avec une grande liberté et une confiance totale.
Comment as-tu procédé pour mixer ainsi art et prévention dans tes clichés ?
L’expo a été construite avec méthodologie, les photos sont le fil rouge d’un même message : sensibiliser et aider à la prévention des violences sexuelles envers les jeunes athlètes.
L’idée était de ne pas laisser place au hasard, de représenter le chemin émotionnel qui traverse une victime, comme ce fut le cas avec Sarah. D’abord une victime brisée jusqu’à son envie de se battre puis sa reconstruction.
Pour l’aspect émotionnel, on a choisi d‘être le plus souvent frontal, d’y mettre aussi un peu d’onirisme.
Pour sculpter la lumière, j’ai eu la chance de collaborer avec Mahdi Lepart que je remercie pour son œil, sa patience et son savoir-faire. C’est un directeur de la photographie que j’admire beaucoup et il n’a pas hésité une seule seconde à nous suivre dans ce projet complètement fou.
Mahdi a toujours utilisé la même technique : le travail au flash, pas de lumière naturelle. Le flash permet d’envoyer énormément de puissance d’un seul coup et ainsi donner la bonne direction à la lumière.
Il y a de la profondeur, de la puissance dans tes photos, on capte le message presque sans avoir besoin de légende…
Les ressentis lorsqu’on regarde les clichés donnent une autre dimension à l’œuvre. Chacun va voir ce qu’il veut voir, mais on a travaillé en équipe avec l’envie de tout maîtriser du message, pour que la détresse, la rage, la colère ou encore la détermination soient palpables.
On sent ta patte de réalisateur dans tes photos. Elles pourraient être tirées d’un film.
C’est parce qu’il y a une histoire à raconter. Une photo, c’est un tout, un univers. Quelque chose de l’ordre de l’instinct, notre ADN.
Moi, dans la construction d’une histoire, je mets une touche d’onirisme, de poésie. Réinterpréter les choses, déstructurer tout un chemin de pensée pour arriver à ces photos que l’on veut uniques.
Aujourd’hui, je sais que je dirai oui de nouveau si on m’embarque dans un projet comme celui-ci. J’ai aimé défendre cette cause.
Dans cette exposition qui compte une vingtaine de clichés, tu en as choisi 5, ceux qui, pour toi, sont les plus percutants, ainsi celui que vous avez appelé avec Sarah « À bout de souffle ».
Tout ici est dans l’instantanéité. On a beaucoup shooté et ce visage qui s’efface, qui ne se reconnaît plus sous les bulles, je n’en ai pas eu deux comme ça.
L’intention, c’était de montrer que la sportive est en manque d’oxygène, qu’elle suffoque face à la situation. Les dernières bulles qui finissent par éclater à la surface signifient qu’elle est esseulée, elle se perd, elle se sent disparaître, elle devient invisible.
Il y a aussi « Le revers de la médaille » qui est une photo forte. Les médailles clinquantes et les paillettes qui s’opposent au bouquet un peu suranné et la peluche serré contre le costume de lumière.
Elle me plaît cette photo car on peut passer à côté. Puis, en la regardant de plus près, comprendre ce qui se joue.
Il y a ici une double lecture : d’un côté la victoire avec les médailles, de l’autre la souffrance d’une enfant, la perte d’une innocence.
Dans le sport, les regards face objectif sont souvent conquérants, victorieux, déterminés. Dans cette troisième photo, au contraire, la petite lumière semble éteinte dans les yeux de la jeune joueuse.
Je parlais du côté frontal sur certaines photos, c’est le cas ici. Elle regarde le 4e mûr, c’est-à-dire l’objectif, le spectateur.
On a appelé cette photo « Rêve brisé ». Cette jeune sportive est cassée, à l’image de la raquette brisé. Le cordage a fini par craquer, comme elle à l’intérieur.
Le quatrième cliché est un gros plan qui, lui aussi, met l’accent sur le regard. Il a pour légende : « Souvent, sous l’eau mes larmes ne se voient pas. »
Comme pour la première photo, « À bout de souffle ». C’est celle qui semble la préférée de l’expo, surtout du côté des femmes.
Là aussi, c’est un instantané, cette larme dans l’œil prête à couler sur la joue qui se mélange avec les gouttes d’eau.
Elle craque sous la douche, on est avec elle, très proche, au cœur de l’émotion.
Votre dernier cliché « Une limite à ne pas franchir » montre à la fois une grande volonté de dire stop avec le regard déterminé de l’enfant et une angoisse latente avec ce couloir où il semble coincé face à la menace.
Ce petit garçon est pris au piège car il n’y a aucune issue. Hors-champ, on perçoit la menace avec cette ombre, sans toutefois personnifier l’agresseur, mais on sent aussi l’affrontement, le rapport de force qui est très présent.
C’est une photo ouverte à interprétation. On peut imaginer que le garçon va dire stop. On peut aussi imaginer que le rapport de force est trop grand, qu’avec l’enfermement de chaque côté, entre les casiers et le mur, il n’y a pas d’échappatoire.
Mais mon interprétation, c’est que le garçon n’est pas recroquevillé dans un coin, il ne se cache pas, il fait face, il semble dire stop.
Parce que les victimes ont du mal à sortir du cauchemar mais le jour où elles en auront le courage comme ce fut le cas pour Sarah, la situation va s’inverser.
Ici, il fallait donner le sentiment d’affirmation et de limite à ne plus franchir.
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